19) Ceux qui combattent

Antoine me guida jusqu'à la salle de musique sans aucune difficulté, ce qui me laissa penser qu'il avait déjà fait le tour du lycée, afin de repérer les lieux.

— Je vois que t'as pas chômé pendant que j'étais chez Améthyste, remarquais-je. Sans toi je serais pas arrivée avant la fin de son cours.

— Tu m'as aussi bien aidé pour le contrôle, répondit-il avec un sourire en coin. Enfin, j'espère que tu m'as bel et bien aidé, je suis pas sûr que Zola parlait du rapport de l'homme à la nature ou de l'acceptation du changement.

Je haussais les épaules en posant une main sur un des grands battants de la porte de la salle de musique.

— Bah, en un sens, oui. On y va ?

— Je te suis.

Je poussais la porte, notant soudainement l'incroyable travail d'insonorisation qui avait été fait. Une seconde auparavant, je n'entendais rien. Désormais, le thème musical de la panthère rose résonnait à travers toute la salle. Emily Lindermark étant musicienne de formation, je ne fus pas surprise de constater qu'elle avait mis des efforts spécifiques à ce sujet, pour la création d'une telle salle.

Il y avait des rangées de bancs d'allure confortable, assemblées en demi-cercle face à une estrade en bois sur laquelle trônait un piano à queue. Mais pas n'importe quel piano, un piano intelligent. Pour faire simple, l'intégralité de ce qui semblait être le vernis noir de l'instrument était un vaste écran tactile.

Je fus particulièrement surprise de ne trouver que trois élèves à ce cours d'initiation à la musicologie. Et certainement pas les élèves les plus attentifs. Il y avait deux garçons, avachis sur le banc, se laissant aller à un ricanement moqueur à intervalles réguliers. Aucun des deux ne portait l'uniforme. Tout ça pour exhiber leurs vêtements de marque, qui étaient loin d'avoir la qualité et l'éthique de la fabrication des uniformes gratuits fournis par le lycée. Entre eux deux, était assise une fille qui balançait quelques remarques ineptes pour continuer de faire rire ses deux acolytes. Elle portait la version jogging de l'uniforme de l'école et mâchait bruyamment son chewing-gum.

Melnikova, quant à elle, accomplissait avec perfection l'exploit de les ignorer, en continuant de jouer la partition inscrite sur le tableau qu'elle avait installé sur la petite scène. Elle prit note de ma présence d'un très bref regard et conclut sa mélodie avant de se lever de son tabouret.

— C'est ainsi que l'on peut conclure, commença-t-elle en prenant un feutre pour entourer un groupe de notes sur la partition au tableau. Que nous avons à faire à une tonalité de Mi mineur. En suivant cette méthode, vous pourrez facilement déduire la tonalité de la plupart des œuvres.

— Hey et moi c'est mon majeur que j'lui mets, pouffa la fille qui était assise sur le banc, faisant bien rire les deux garçons. Comment elle est frigide la meuf, elle nous calcule même pas.

— Mais trop, j'suis sûr tu l'insultes elle dit rien, ricana un des garçons.

Tandis qu'Antoine allait s'asseoir dans un coin de la salle, sortant son téléphone pour s'occuper, je passais à la hauteur du trio en m'avançant vers la scène. La fille du groupe fit une blague particulièrement obscène. Et visiblement, je ne parvins pas à cacher le mépris dans le regard que je leur adressais brièvement.

— Vas-y tu veux quoi, toi ? cracha l'agaçante fille en me regardant la bouche ouverte.

— Rien, répondis-je le plus calmement possible. Mais tu pourrais répéter ta blague ? J'ai pas entendu, et ça avait l'air drôle.

— J'ai dit que cette salope, si j'y doigte le trou du cul, elle mouille comme une pute ! dit-elle à voix un peu plus haute, comme pour montrer qu'elle n'avait pas peur d'être entendue.

Ses deux acolytes réagirent à ce déferlement de vulgarité en se marrant comme des phoques, à la limite de se taper sur les cuisses. Je serrais brièvement les dents. La misère intellectuelle et humaine de ces caricatures d'adolescents, était un véritable mobile de meurtre à mes yeux, voir même une circonstance atténuante.

— Tu as de drôles de fantasmes, répondis-je simplement en continuant mon chemin.

Derrière moi, j'entendis les insultes et les râles outrés que poussent habituellement ce genre de personnes quand on ose retourner contre eux leurs petits jeux malsains. Mais je n'avais pas le temps d'assouvir mes propres fantasmes, qui consistaient à égorger ce genre d'abrutis avec un couvercle de boite de conserve rouillé attaché à une brosse à dents sale. Je montais donc sur la petite scène et m'approchais du tableau, que la pianiste venait d'effacer afin d'y inscrire une nouvelle partition.

— Alors, tu avais des trucs à me dire ? demandais-je.

Elle ne se retourna pas, continuant d'écrire au tableau ce qui me semblait être l'introduction de "Nothing else matters" de Metallica. Cette demoiselle avait donc des goûts très divers.

— Lili, tu es la bienvenue dans mon cours, dit-elle en tournant légèrement la tête dans ma direction. Toi et ton ami Antoine, êtes tous les deux les bienvenus, conclut-elle d'un ton sec.

— Oh... je vois, et j'imagine que nous ne pourrons pas discuter tranquillement tant que nous ne serons pas entre personnes "bienvenues", répondis-je avec un sourire en coin.

— En effet, et j'ai cru entendre dire que tu savais très bien raccompagner les invités les moins désirables vers la sortie, dit-elle avec un phrasé toujours impeccable, mais toujours avec ce petit accent de l'est. Je leurs ai déjà demandé poliment de prendre congé, mais ils ont... insisté pour rester.

Lorsqu'elle eut fini d'écrire sa partition au tableau, elle se tourna vers moi, et au moment où nos regards se croisèrent, j'eus comme une sensation de déjà-vu. L'expression de son visage me rappela celle des reines. Le regard, la posture, les mouvements de tête, la position des lèvres. Il s'agissait du regard de quelqu'un dont l'autorité ne pouvais pas être discutée.

— Comme il vous plaira, princesse, répondis-je avec un sourire amusé.

Je n'obtins rien de plus qu'un hochement de tête de sa part. Et lorsqu'elle se dirigea vers son piano, je la suivis, ce qui sembla la surprendre. Je me penchais sur son chevalet et y posait le doigt. Profitant du fait que l'instrument était un gigantesque écran connecté, je lançais une recherche en ligne pour trouver une partition. Je ne mis pas longtemps à mettre la main dessus et la plaçais par-dessus celle qu'Octavia avait déjà sélectionnée. Cette dernière plissa légèrement les yeux pour en lire le titre :

— "Those who fight" de Nobuo Uematsu, articula-t-elle. Très bien, ça semble prometteur, laisse-moi quelques secondes pour la déchiffrer.

— Super, merci, répondis-je avec enthousiasme.

Je descendais alors de la scène et me dirigeais vers le trio d'insupportables baltringues, avec le sourire. Ils ne manquèrent pas de le remarquer et se mirent tout naturellement à m'insulter comme ils avaient l'habitude de le faire à propos de quiconque ne faisait pas partie de leur bande.

— Bon, écoutez, vous êtes trop bruyants, c'est pas l'environnement idéal pour apprendre la musique, vous voulez pas aller vous asseoir ailleurs ? demandais-je d'un ton faussement poli en passant ma main dans mes cheveux. Vous pourrez continuer de dire des saloperies, et nous on pourra être tranquilles, tout le monde y gagne, non ?

Mais mon enthousiasme ne venait pas du fait que j'espérais parvenir à leur faire entendre raison. Il venait du fait que je savais très bien que ce genre de personne ne supportait pas qu'on leur demande de se calmer.

— T'as dit quoi, meuf ?! grogna la fille en se levant d'un coup, mâchant son chewing-gum à quelques centimètres de mon visage. Répète, grosse pute !

Je jetais un léger regard vers Antoine, qui hocha discrètement la tête, puis je reportais mon attention sur la fille dont je sentais le chewing-gum à la menthe.

— Sache que je vais y prendre beaucoup de plaisir ! déclarais-je avec un grand sourire.

— De quo-

Elle n'eut pas le temps de finir sa pitoyable interjection qu'elle se prit mon poing dans la bouche. La sensation sous mes phalanges était agréable, synonyme de soulagement. Le bruit ressemblait à celui d'une tomate bien mûre qui s'écrase sur le sol. Déstabilisée par la douleur et le choc, elle se retrouva par terre, donnant lieu à l'un de mes moments préférés. Le moment ou la personne qui se croit tout permis, persuadée qu'on n'osera pas la toucher, se rend enfin compte qu'elle devra finalement faire face à des conséquences. Et quel délicieux spectacle que de la voir bouche bée, trembler de stupeur et porter ses doigts à ses lèvres pour y découvrir du sang. C'est à ce moment précis qu'Octavia commença à jouer la partition que je lui avais soumise. Pile au bon moment.

— Oh, pardon, minaudais-je d'un ton acide. T'avais vraiment l'air de chercher les emmerdes, et je suis de nature serviable. Mais j'ai sûrement mal entendu, t'as peut-être dit que t'étais désolée et que t'allais plus venir emmerder personne ?

J'adorais les moments où j'avais l'occasion de faire enrager ce genre de dégénérés. Cependant, il me restait un léger problème : les deux abrutis qui l'accompagnaient. En règle générale, la plupart des garçons, même les plus demeurés, ne prenaient pas le risque de s'en prendre à moi s'ils n'étaient pas directement impliqués. Par peur de l'infamie d'avoir frappé une fille, et plus encore, par peur d'être blessé par elle. Ce qui leur ferait bien plus mal à l'ego qu'à autre chose. Heureusement, ces deux-là ne firent pas exception à la règle et abandonnèrent leur copine pour s'en aller en quatrième vitesse.

— C'est des vrais potes, que t'as là ! fis-je remarquer.

Elle se releva lentement en sanglotant puis, hurlant comme une furie, se mit à agiter les bras en arc de cercle dans ma direction. Je la laissais se fatiguer en reculant simplement pour rester hors de portée. Elle fatiguait ses muscles et ses articulations, en plus d'alimenter sa frustration en brassant de l'air.

— Pathétique ! T'es forte pour dire des saloperies et jouer les rebelles, mais tu sais même pas te battre, comme toutes les racailles de ton espèce ! crachais-je.

Hurlant de nouveau comme une possédée en me traitant de tous les noms, elle me surprit finalement. En effet, elle courut vers moi pour être sûre de ne pas me louper, et attrapa mes avant-bras avant de chercher à me frapper l'aine à coup de genoux. Je pris quelques coups avant de réagir ; je copiais la manœuvre de Layla et retournait sa prise en finissant par un coup de coude dans le ventre de la furie, ce qui lui coupa le souffle un moment.

Je baissais légèrement ma garde pour me masser l'aine. Quiconque s'étant déjà bagarré une ou deux fois, savait qu'un coup à cet endroit faisait toujours mal, et que la douleur avait tendance à rester. Mais j'eus bien tort d'avoir relâchée mon attention, car mon adversaire fut assez rapide à reprendre son souffle pour me charger de nouveau. Cette fois-ci, elle chercha à me pousser vers les bancs pour me faire tomber, ce qu'elle réussit à faire.

Cependant, je parvins à l'entraîner dans ma chute. Et avant qu'elle entreprenne de me marteler le visage avec ses poings, je lui agrippais les cheveux afin de les tirer d'un coup sec vers le bas, envoyant sa tempe droite percuter le bord du banc le plus proche.

Profitant qu'elle soit sonnée par le choc, je la repoussais violemment avant de me relever. La plupart du temps, être au sol alors que votre adversaire était sur ses deux pieds et prêt à donner des coups, signifiait que vous aviez perdu et que vous feriez mieux d'abandonner et de demander pardon. Mais les personnes comme elle n'ont malheureusement pas ce genre de notion, et se contentent de gesticuler jusqu'à ce qu'elles soient trop fatiguées pour bouger. Voilà en quoi ces personnes étaient pathétiques. Elles se comportaient comme si elles cherchaient la bagarre tout en étant pas prêtes une seule seconde à en assumer ou en accepter les conséquences.

— Tu vois, c'est le cours naturel des choses, quand on vient emmerder quelqu'un gratuitement, on se fait casser la gueule ! déclarais-je ne marquant une pause pour reprendre mon souffle. Pourquoi t'as l'air étonné ? C'est normal non ? Tu cherches la merde, tu trouves la merde !

Je m'approchais d'elle, qui se tortillait de douleur sur le sol, elle semblait se retenir de pleurer.

— Sale pute ! Grosse pute ! Salope de putain de ta race la pute ! gémissait-elle d'une voix brisée.

Je la fis taire d'un coup de pied dans les côtes. L'interdiction de frapper un adversaire au sol n'était valable que si l'adversaire en question avait admis sa défaite. Du moins, à mes yeux.

— Il faudra vraiment que je comprenne un jour comment vous fonctionnez, vous les racailles, grognais-je en me retenant de la frapper davantage. Je veux dire, vous vous attendiez à quoi en faisant ce que vous faites ? À ce qu'on vous trouve cool ? Qu'on vous respecte ? Où que tout le monde ait envie de vous péter la gueule ? Et ça vous rapporte quoi d'ailleurs ? Tu vois, ça c'est un vrai mystère ! expliquais-je avant de poser mon genou contre sa nuque et de lui tordre le bras dans le dos. Alors ? T'as eu c'que tu voulais ? Si t'en a pas eu assez, tu peux encore me traiter de pute, je comprendrais.

Je l'entendais respirer laborieusement, elle avait le visage rouge, ses longs cheveux châtain clair, presque blonds, lui collaient au visage. Son chignon était complètement défait, son maquillage avait coulé à cause de la sueur et des larmes. Elle était moche. Elle avait le même type de corps que le mien, autant dire qu'elle était gaulée comme un routier. Faire de l'humour vulgaire sur le dos des autres devait être le seul moyen qu'elle avait trouvé de se faire accepter par les énormes beaufs qui lui servaient d'amis. Et je la détestais pour cette raison. Accepter de s'abaisser pour plaire aux autres et s'y complaire, était un comportement que je trouvais répugnant. Et elle osait ressentir de la peur, de la colère, et de la panique, alors que ce qui lui arrivait en ce moment même, n'était que la conséquence de ses actions. Je n'admettais pas que quelqu'un de normalement constitué puisse s'imaginer qu'un comportement tel que celui-ci puisse rester impuni. Évidemment qu'à force de jouer les insupportables connasses, elle allait finir par s'en manger une dans la gueule. J'étais même sidérée que ça ne soit pas arrivé plus tôt.

— Arrête, j'suis désolée... couina-t-elle. J'te demande pardon, arrête, j'ai mal putain, j'suis désolée...

À ce moment, Octavia cessa de jouer, sa partition touchant à sa fin. Et même si elle avait brillamment exécuté le morceau, pour le peu que j'avais pu en profiter, aucune musique n'était plus douce à mes oreilles que les couinements plaintifs d'une garce qui venait de recevoir ce qu'elle méritait.

— Hein ? Que j'arrête ? Mais dis-moi, t'as arrêté quand Octavia te l'a demandé ? grinçais-je avec méchanceté, lui tordant un peu plus le bras.

— Non, j'suis désolée, j'le f'rais plus, ça fait mal, arrête, articula-t-elle à travers ses sanglots.

Pour toute réponse, je mis davantage de poids sur le genou avec lequel j'appuyais sur sa nuque, afin de me pencher sur son oreille.

— Justement, tu la sens, cette douleur ? Je te conseille de pas l'oublier, parce que chaque fois que tu viendras emmerder quelqu'un pour t'amuser, souviens toi que c'est tout ce que tu mérites ! grognais-je en lui tordant encore davantage le bras.

— J'suis désolée putain ! j'ai dit qu'j'étais désolée ! J'ferais c'que tu veux, arrête s'te plaît... J'le ferais plus, juré ! ça fait mal... couina-t-elle.

Elle toussait, elle avait du mal à respirer, elle commençait à pleurer pour de bon, à constater que je pouvais lui faire autant de mal que je le désirai. Elle me suppliait avec ses dernières forces parce qu'à cet instant précis, elle savait que j'avais tout pouvoir sur elle, elle savait que maintenant, et jusqu'à ce que je décide du contraire, j'étais Dieu. Je relâchais légèrement ma prise sur son bras et la pression de mon genou sur sa nuque.

— Ouais, mais tu sais... commençais-je d'un ton mauvais. Je connais les petites racailles dans ton genre... dès que je t'aurais lâchée, tu vas te mettre à me traiter de "sale folle" et d'autres trucs. Et tu vas recommencer, juste pour essayer d'effacer le souvenir du jour où tu as eu ce que tu méritais... Et moi, j'ai bien envie de faire en sorte que tu l'oublies pas ! concluais-je avec un début de rire sadique.

— Je t'en supplie ! J'vais mourir, arrête, oh putain je ferais c'que tu veux, j'te jure, tout c'que tu veux, laisse-moi partir, je t'en supplie dis-moi c'que tu veux ! gémit-elle de toutes ses forces.

— Ce que je veux ? fis-je d'un air faussement songeur. Ah, ouais... tu disais quoi tout à l'heure ? (je me tournais vers Antoine) Elle disait quoi tout à l'heure déjà ?

Mon ami leva l'écran de son téléphone dans ma direction et appuya sur un bouton. De là où j'étais, je ne pouvais pas voir la vidéo, mais le son me parvenait parfaitement :

"J'ai dit que cette salope, si j'y doigte le trou du cul elle mouille comme une pute !"

Les gémissements de ma prisonnière redoublèrent brièvement.

— C'était pour rire, j'te jure, j'te demande pardon, j'demande pardon à l'autre, je t'en supplie, laisse-moi partir !

— Hein !? fis-je d'un ton exagéré. Pour rire ? C'est bizarre, parce qu'Octavia, celle que tu appelles "l'autre " ou encore "cette salope" elle avait pas l'air de rigoler ! (je tournais la tête vers la pianiste) Tu rigolais quand elle disait ça ? Non, y me semble pas ! Du coup, on va te pardonner pour cette fois, expliquais-je, sentant ma victime se détendre légèrement. Mais d'abord, je vais peut-être te déboiter une épaule.

Mes mots lui ayant envoyé un pic de stress phénoménal, je dû raffermir ma prise sur son bras et sa nuque. Mais je ne serais satisfaite qu'au moment où je l'aurais brisée. Pour l'effrayer davantage, j'attrapais fermement son épaule. Du coin de l'œil je vis Octavia blêmir et Antoine faire quelques pas inquiets dans ma direction.

— Alors t'es prête ? demandais-je en faisant mine de tirer d'un coup sec.

À ce moment précis, j'eus enfin l'effet que j'espérais depuis le début. Ma victime se relâcha complètement, elle cessa de résister, de se crisper. Elle se contentait de trembler doucement en pleurant en silence, laissant simplement échapper un couinement de temps en temps. Avant de me relever, je repoussais mes cheveux en arrière. Puis je m'étirais brièvement, faisant craquer mes articulations. Cela faisait trop longtemps que je ne m'étais pas battue.

Octavia Melnikova s'était approchée de moi, tout comme Antoine, dont le visage était marqué par l'inquiétude. Ce qui m'étonna, car il avait l'habitude de me voir me battre, il savait à quel point je haïssais ce genre de personnes. Peut-être était-il inquiet que j'ai perdu la main, vu que j'avais encaissé quelques coups.

— Lili ! m'interpella la pianiste d'un ton mesuré. Tu n'avais pas à la brutaliser de la sorte ! Tu aurais simplement pu la convaincre de quitter cette salle.

Je souriais en coin. Cette petite princesse avait une idée derrière la tête, et je comptais bien jouer le jeu. Je donnais un léger coup de pied à la fille encore au sol.

— Lève-toi ! ordonnais-je d'un ton sec.

Elle s'exécuta, tremblante et chancelante, essuyant maladroitement ses larmes.

— Comment vas-tu ? demanda Octavia en sortant de sa poche un mouchoir en tissu, brodé à ses initiales. Laisse-moi t'aider, voilà...

Ce disant, la pianiste essuya les larmes mêlées de sang de ma victime, son maquillage ruiné, et la morve qui lui coulait du nez jusque sur les lèvres. Puis, avec une bonté aussi incroyable qu'elle était feinte, elle arrangea les cheveux de la pauvre fille. Cette dernière se mit alors à pleurer de plus belle, s'accrochant à la main bienfaitrice d'Octavia comme à une bouée de sauvetage.

— J'suis désolée, sanglota-t-elle. J'te demande pardon, j'le ferais plus, t'es mon amie maintenant... je te jure, je laisserai plus personne t'emmerder ! déclara-t-elle d'une voix tremblante.

Juste par jeu, et pour voir si Octavia allait me suivre, je levais la main en faisant mine de vouloir frapper la pauvre fille dont j'ignorais toujours le nom. La pianiste agrippa alors mon bras et me repoussa sans effort, puisque je la laissais faire.

— Arrête Lili, tu as entendu Aurore, elle a dit que nous étions amies, n'est-ce pas ? demanda-t-elle en se tournant vers ma victime.

Cette dernière hocha la tête et se mit à sourire comme si elle venait d'être graciée d'une peine de mort.

— Oui, oui j'te jure heu, Oc, Ota... bafouilla-t-elle.

— Octavia, précisa l'intéressée.

— Oui, j'te jure Octavia, je suis désolée on est potes, je laisserai personne t'emmerder... J'te jure, j'suis désolée... articula-t-elle avant de se remettre à pleurer.

— Bon, ça suffit maintenant, grognais-je, fatiguée d'entendre la litanie d'Aurore. Antoine, accompagne-là à l'infirmerie.

Mon ami hocha la tête, posa le bras de la pauvre fille sur le sien afin de l'aider à marcher, lui soufflant quelques mots rassurants, ne la laissant pas réfléchir au fait qu'il ait enregistré toute la scène sur son téléphone.

Une fois seule dans la salle de musique avec Octavia, j'activais Porcupine Tree et observais sa gorge, ce qui ne sembla pas l'étonner. Et en effet, elle possédait la marque des chaînes, qui semblait grandir au fur et à mesure que je l'observais.

— Alors tu peux voir les marques... souffla-t-elle.

J'écarquillais les yeux en prenant conscience de ce qu'impliquait cette phrase. Les porteurs de marques étaient donc conscients de la leur et de celle des autres.

— Tu as intérêt à m'en dire davantage, répondis-je en fronçant les sourcils.

— Vu la facilité avec laquelle tu as brisé Aurore pour la rendre docile, j'imagine que je n'ai pas vraiment le choix, répondit-elle en retournant s'asseoir derrière son piano.

Elle chassa alors la partition que je lui avais soumise du chevalet numérique de son piano et se mit à jouer par cœur les variations de Schumann. Un thème mélancolique et entêtant. Puis elle déclara simplement :

— Nous sommes pour ainsi dire... les vassaux de la Reine Noire.

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