Sgarlaad et Eleonara restèrent longtemps ainsi, assis sur les gradins humides au-dessus de la Source des aveugles avec un goût de poisson derrière la luette. Ils s'étaient retrouvés, intrus perdus dans un monde qui les dépassait.
Comme promis, les fils de Monsieur Yousef, chauves et teints en bleu-vert comme leur père, vinrent leur apporter des provisions dans la demi-heure. Une fois remerciés pour leur service, les garçons s'inclinèrent à la va-vite et se sauvèrent comme des sauterelles. En déficelant les paquets emballés dans des feuilles de bananier, Eleonara trouva du pain de riz, un bouquet de radis et quatre raves. « Monsieur Yousef doit fort l'estimer pour lui offrir de si bonnes choses à manger », songea-t-elle.
Si le Bimaristan était une bulle hors du temps, la halle de la Source était un fragment d'une autre dimension. Le marmonnement des eaux était responsable pour ce divorce avec le reste du monde : il englobait la halle dans un silence si parfait et absolu que l'on venait à oublier le va-et-vient aux étages supérieurs ainsi que l'agitation permanente d'Arènes, la ville qui ne dormait jamais. Malgré cet apparent détachement, Eleonara n'était pas dupe : aucune maçonnerie, aussi élevée ou épaisse fût-elle, ne rendait intouchable. Encore moins une elfe. L’idée qu’elle ne pouvait pas ressortir de ce lieu avait quelque chose de suffoquant. « Je ne fuis ni une horde de garçons, ni une meute de Religiats, mais une ville et tous ses habitants. J'ai perdu d'avance. » Pour fuir, il faudrait qu’on l’oubliât là-haut et ça, ça n'arrivera pas de sitôt.
— Ça ne te dérange pas que je reste ? s’enquit Eleonara alors que Sgarlaad remuait le riz à moitié cuit avec une cuillère de bois.
Il avait pendu une marmite et allumé un feu sur une dalle plus large. La fumée, à défaut de pouvoir s'échapper par le plafond, fuyait par un trou percé dans la paroi aussi large qu'une armoire de roi et haut comme deux ânes. Des ouvertures de ce type, il y en avait quatre au-dessus de leurs têtes, une à chaque mur et bordées de mousse. Eleonara se demandait à quoi elles avaient bien pu servir. Menaient-elles à des qanats désaffectés ?
Sgarlaad jeta des dés de raves dans l’eau bouillante.
— Non, au contraire. Ça m'aurait fait plaisir que tu sois là, je le sais. Il va falloir se serrer les coudes, maintenant que nous avons tous deux un prix sur nos têtes.
Eleonara trouva son choix de temps verbal plutôt inattendu, mais n'y repensa plus. Après tout, il lui restait encore beaucoup à apprendre sur les règles grammaticales de la langue mikilldienne.
— Que proposes-tu qu’on fasse ? demanda-t-elle.
— Tu pourras m'aider en cuisine. Les aveugles apprécient beaucoup manger. Et se faire lire des histoires. Tu pourras devenir leur lectrice, comme moi.
L’elfe secoua la tête.
— Je voulais dire : que va-t-on faire pour se tirer d’affaire ? As-tu l'intention de quitter Arènes un jour ou de patienter jusqu'à ce que les Religiats et Arènes t'oublient ?
Sgarlaad poussa un long soupir et fixa les vagues du bassin. Comme il ne disait rien, Eleonara reformula :
— Qu'est-ce que tu veux, toi, Sgarlaad ?
Son regard coulissa jusqu'à elle comme une bille sur un horizon plat. Quand il parla, sa voix sonna rajeunie bien qu'elle fût toujours aussi grave et mélancolique.
— Je veux rentrer à la maison.
Entre deux battements de paupières, un enfant s'était laissé entrevoir. Un enfant né là-haut dans le Nord, dans les steppes et le brouillard. C'était il y a longtemps. Trop longtemps.
Eleonara n’aimait pas le voir comme ça. Elle voulait arrêter sa tristesse, sans savoir comment et cette impuissance la torturait.
— Ta fiancée et ta famille te manque ?
— Les fiançailles ont été rompues.
Au son monocorde de la voix de Sgarlaad, les tripes de l'elfe avaient émis un gargouillis surpris.
— Vraiment ? Oh, c'est su... Je veux dire, c'est terrible, je suis vraiment navrée.
— Ne le soit pas ; ça date et c'était une décision commune. Si je pouvais partir d’ici, je le ferais. Hélas, je ne le peux pas. Pas tant que ma lune-d'eau n'est pas aboutie.
— Ta lune-d'eau ?
— Mon bateau.
Les yeux d'Eleonara s'illuminèrent. Que la langue nordique pouvait être poétique !
— Ton bateau ? Tu construis un bateau ?
— J'y travaille. Se procurer le matériel nécessaire est un cauchemar, par contre. Ah. Le riz est bientôt prêt.
L'elfe s'approcha de Sgarlaad avec les feuilles de bananier. Où se garait l’embarcation ? Comment comptait-il la tracter jusqu’à la mer ?
— Je m'occupe, je bricole mais je ne crois pas pouvoir achever un transport de conséquence pour la même raison que je ne me mets pas aux dépens d’une compagnie de bateleurs ; je n'en ai pas les moyens. Je ne suis pas remonté à la surface depuis les assassinats. Je ne sais pas quelle ambiance m’attendrait. là-haut.
— Une ambiance très défavorable, se rembrunit Eleonara.
Il servit les portions de riz aux raves sur les feuilles de bananier, s'assurant que chacun eût la même quantité de légumes. Eleonara cala sa feuille-assiette sur ses chevilles croisées. Il lui offrit également des piments, qu'elle refusa net. Elle resta cependant bouche bée en voyant Sgarlaad les avaler les uns après les autres comme s'il s'agissait de raisins.
— Euh... ça ne te fait rien ?
— Pas vraiment, non.
Captivée par les piments, l’elfe mâcha son riz de travers et se mordit la langue. Elle attendit que la douleur se résorbât pour lancer :
— Si tu ne finis pas ton bateau, jusqu'à quand penses-tu pouvoir vivre ici ? Assurément pas pour toujours...
Sgarlaad considéra Eleonara, puis son repas.
— Pour toujours n'est pas si long que ça pour moi. L'attente ne sera pas trop pénible.
— Qu'entends-tu par là ?
Sgarlaad retira son chèche pour se découvrir la tête entière. Eleonara se tendit. La longue chevelure lisse du Nordique était blanche neige, blanche ivoire, blanche comme les cheveux des vieillards ayant dédié leur existence non pas à la guerre des armes, mais à la guerre des idées et du savoir ; les vieillards ayant vécu le double de leur temps, se conservant et traversant les âges comme les précieux grimoires dont ils étaient les auteurs. Sauf que l'humain vit rarement plus longtemps que ses créations. On aurait dit que Sgarlaad avait trempé ses cheveux dans une eau magique, maléfique, capable d'effacer la couleur et d'en absorber la vie.
Le Nordique saisit une de ses mèches entre ses doigts et la contempla presque avec tendresse.
— Comme la feuille sur l'arbre et la plume sur l'oiseau, je ne suis pas éternel et seules les Harpies savent le réconfort que j'en tire. Dessert ?
Eleonara n'eut pas le temps de s'étonner davantage que Sgarlaad ouvrit un sac en toile et lui lança une orange. Sans rien dire, l'elfe fit rouler le fruit dans sa paume. Elle n'aurait su dire si Sgarlaad s'était parlé à lui-même ou si ses phrases s'étaient dirigées à elle. Elle passa le fruit d'une main à l'autre et caressa sa peau râpeuse. Les joues de Sgarlaad avaient la même texture que l'agrume. Elle se maudit immédiatement pour cette réflexion.
— Alors j’avais raison. Tu es souffrant.
Hagarde, l'elfe chercha une réponse dans les yeux du Mikilldien, or ceux-ci s'égarèrent dans les vapes du néant. Ils semblèrent se défaire de toute intention et de toute présence, à croire que ces lentilles n'étaient habitées que par un fantôme faiblissant. Le regard blême de Sgarlaad demeura suspendu telle une lessive propre sur un fil à linge, inerte, se balançant au vent sans résistance.
Il ne clignait pas. Troublée, Eleonara l'étudia avec concentration comme si, mentalement, elle pouvait tendre des tentacules jusqu'à lui et l'obliger à reconduire son attention vers elle. Ce fut précisément ce qu'il fit, quoique plus brusquement qu'espéré. Émergeant de lointains tréfonds, il tiqua comme si un moustique l'avait piqué.
— Je suis désolé, tu m'as posé une question ?
Dans sa bouche, cela sonnait presque infantile. Un retour aux sources, une reconversion à l'innocence. L'avait-il seulement entendue ?
Sgarlaad eut l'air si emprunté et désorienté qu'Eleonara, elle-même prise au dépourvu, se trouva incapable de répondre.
— J'ai dû oublier, je suis navré. Ça m'arrive de plus en plus souvent ces temps.
Il haussa les épaules comme si ce n’était pas important, prêt à rattaquer son riz. Il lui cachait quelque chose, c’était évident. Eleonara n’aimait pas rester dans l’ignorance.
— Tes cheveux, tes yeux, tes oublis ; c’est lié n’est-ce pas ? C’est lié et tu sais pourquoi.
Elle planta son regard dans le sien. Elle n’était pas dupe. Il dut le reconnaître car il pressa ses paupières ensemble, à croire qu’il venait d’essuyer un échec désastreux. Il lui montra le « T » tatoué au-dessus de son coude.
— Depuis qu’ils m’ont cassé… J’ai de la peine à en parler, mais depuis ça, je change. Au début, c’était léger. Maintenant, ça s’accélère. Je ne sens presque plus rien...
Ses pupilles allaient de droite à gauche, comme celles d’un chat suivant la course d’une souris. L’elfe le saisit par les épaules.
— Qui t’as fait ça ? Que t’ont-ils fait ?
Sgarlaad secoua la tête, affligé.
— Je ne me souviens pas, dit-il dans un filet de voix. Je connais la réponse, je sais où la trouver mais elle est comme un poisson dans un courant. Je trempe ma main et son corps lisse m'échappe. À la fin, je n'ai ni la réponse, ni la question.
Il avait, en parlant, levé une paume au ciel. Il la fixait, étonné qu’elle fût vide.
Le cassage. Agnan l’avait comparé à un exorcisme ; les sergents, eux, avaient mentionné une sorte d’expérience, une pratique pour amadouer les Mikilldiens travaillant en Einhendrie. Considérant les belles horreurs dont étaient capables les humains – sur eux-mêmes ou à l’égard d’autres –, la véritable signification de ce terme devait heurter plus d’une sensibilité.
Eleonara posa sa feuille de bananier de côté. Elle avait perdu l’appétit.
— Combien d'étapes te reste-t-il avant de finaliser ta lune-d'eau ? D'ailleurs, où est-elle ?
Entre chaque phrase, elle avait louché vers lui pour vérifier qu'il encodait ses mots avec succès. Elle se sentait bête de le traiter comme un lent d'esprit, mais elle ne voyait pas d'alternative. Elle ne savait pas quoi penser de ce qui venait de se passer. Tout ce qu’elle voulait, pour l’instant, était changer de sujet.
— Elle est ici ; je peux te le montrer. J'en suis à la moitié environ.
— Est-ce que je peux t'aider ? Tu le finiras plus vite, comme ça.
— As-tu déjà construit un bateau ?
Il infusa si peu d'intonation dans sa phrase que l'elfe ne put pas certifier s'il doutait de ses capacités ou s'il cherchait simplement à se renseigner.
Ayant englouti son repas, Sgarlaad se leva et commença à descendre les marches d'un pas régulier. Il y avait quelque chose de lourd et d'abandonné dans sa démarche, à croire que ses chevilles et ses genoux étaient trop usés pour le réceptionner. Eleonara le suivit en boitillant pour ne pas réveiller les cuisants rappels de ses blessures. Ils arrivèrent au niveau de l'eau, là où les marches se souillaient et s'engluaient d'algues, de mousse et de dépôts calcaires. Sgarlaad la fit passer devant lui pour s'assurer qu'elle ne glissât pas. Eleonara accepta malgré elle, peu désireuse de sentir ses iris exsangues lui transpercer la nuque. Or il n'en fut rien. S'était-elle enfin habituée au regard humain ? Maintenant qu'on l'avait vu nu-tête, elle ne se gênait plus ?
Ils marchèrent jusqu'à une encoignure entre les rampes de gradins et firent halte.
Eleonara se déplaça sur le côté et attendit, les mains jointes. Elle ne détectait ni bateau, ni mât, ni planches de bois. Le Mikilldien s'agenouilla alors au bord des flots, remonta ses amples manches, dévoilant ainsi son tatouage en « T », et trempa ses bras jusqu'aux coudes dans les viscosités verdâtres. Eleonara grigna – le parfum des algues lui donnait le tournis –, avant d'écarquiller les yeux à la vue des deux grosses chaînes rouillées que Sgarlaad venait d'extraire des eaux. Il se décala et lui tendit une chaîne, qu'elle accepta avec une déglutition sonore. La texture froide et mouillée de la vipère de fer lui rappelait la peau des crapauds.
— Aide-moi à tirer, lui pria le Nordique. Nous devons le faire ensemble et vers le haut. Sinon, ça ne marchera pas.
L'elfe l'imita tandis qu'il remorquait son imposante chaîne sur son épaule et grimpait les gradins à mi-chemin entre le rosacé et le caca d'oie.
Lorsque la chaîne d'Eleonara se tendit, ses semelles dérapèrent. Ses muscles de ses cuisses se pincèrent juste à temps pour éviter une glissade fatale. Pourquoi lui avait-il demandé de l'aide à elle qui aurait perdu au bras de fer contre un suricate ?
Un poids coula dans sa poitrine quand elle zyeuta en la direction du Mikilldien.
Jadis en mesure d'actionner un moulin à sang à lui seul, Sgarlaad semblait avoir épuisé la puissance que se transmettaient les Nordiques de génération en génération. On les disait forts comme des bêtes de trait, avec des dentitions de loup, mais Sgarlaad, lui, avait été dépossédé de sa robustesse. Ses biceps se contractaient et ses dents se serraient comme ses poings, fermes autour du métal. Une veine saillait même de son front ; il tirait de toutes ses forces, mais rien ne se passait. Eleonara y mit du sien autant qu'elle le put, persuadée que les chaînes étaient rattachées à d'amovibles tonnes de plomb au fond de ce marais artificiel. Tant que Sgarlaad ne lâcherait pas, elle persévérerait.
Enfin, un grincement les motiva à redoubler leurs efforts ; ils tirèrent vers eux avec toujours plus de ferveur. C'est alors qu'une portion inférieure de la rampe, de l'envergure d'un aigle, remua, puis se décrocha. La tâche se facilita. Sgarlaad et Eleonara halèrent la section de pierre taillée et celle-ci se hissa pratiquement d'elle-même en gouttant. Une fois qu'elle eût atteint une position verticale et que la gravité ne pouvait plus la faire tomber, ils nouèrent les chaînes autour de bollards par mesure de sécurité.
L'elfe regrettait d'avoir prêté main forte. Le déchirement au niveau de ses épaules avait fait son retour, plus cinglant que jamais. Se massant les articulations d'une main, elle suivit le Nordique sous les marches. En effet, il y avait sous la section de rampe hissée un tunnel exigeant au Mikilldien de se courber que légèrement. Il fallait marcher collé aux parois, en équilibre sur une corniche peu généreuse, car l'eau coulait sous ce pont-levis de marches.
Ils s'étaient engouffrés d'une dizaine de pas lorsqu'ils atteignirent une petite plate-forme surélevée et sous couvert, juste assez large pour accueillir une charrette. Et là, dans la pénombre, au milieu d'un tas de copeaux et des planches appuyées aux murs rêches, reposait une barque. La lune-d'eau.
Six personnes auraient pu s'y asseoir si elles se serraient bien. La coque, partiellement assemblée, était bordée à clin, c'est-à-dire que ses planches se chevauchaient les unes les autres comme les ardoises d'un toit. Médusée, Eleonara s'en approcha et passa ses doigts sur la proue avec autant de délicatesse que pour caresser un animal domestique – qui ne fût pas un poney endiablé, évidemment. Le bois était rugueux et hérissait quelques échardes. Une coque en « C », une discrète quille pareille à un aileron de poisson : la forme de l'embarcation avait de quoi charmer. L'elfe ne s'y connaissait pas en marine, mais elle devinait que ce style sobre n'était ni celui des vaisseaux carrés einhendriens, ni des souples boutres opyriens. Son étrave convexe finissait en une pointe à fendre la glace.
Sgarlaad ne disait rien. Lui aussi fixait sa création comme pour compter les étapes qui manquaient avant de concrétiser son espoir d'escapade. Eleonara lui devina un éreintement sans nom.
— Je veux t'aider, réaffirma-t-elle. Je n'ai jamais construit de bateau, mais si tu me dis ce que je dois faire ou quels matériaux il te faut, je te donnerai un coup de main. Et si tu pars, j'aimerais partir avec toi.
Elle réalisa aussitôt l'ampleur de sa promesse et de son souhait. Dénicher le nécessaire signifiait quitter le sanctuaire du Bimaristan. Une idée traversa son esprit en diagonale. Et si la lune-d’eau pouvait la mener jusqu’à Hêtrefoux ? Plus elle y pensait, plus l’idée l’obsédait.
— Où as-tu déniché tout ce bois et ces outils ?
— Monsieur Yousef a des connaissances œuvrant dans la charpenterie. Son fils aîné, Tadessé, a joué le rôle d'intermédiaire ; c'est lui qui est allé m'acheter la corde avec les pièces qui me restaient. Une camarade aveugle m'a prêté les marteaux, les couteaux et les autres outils que tu vois ici. J'ai pu me procurer le bois de teck, planche par planche par des services et du troc. J'ai notamment tissé des filets de pêche gratuitement – j'étais pêcheur avant d'aller en Einhendrie. Yousef sort aisément au grand jour ; il m'a ramené des choses par-ci par-là. J'ai assez de débris pour tailler des clous de. Tout rassembler m'a coûté des mois et il me manque encore de la poix, des sacs de sable ainsi une plaque façonnable pour renforcer l'étrave. Ça, et du bois pour tailler les rames. Je ne veux pas te donner de faux espoirs, Bronwen. Je ne crois pas que je réussirai.
Eleonara serra les poings. C'était une trop belle opportunité pour ne rien tenter.
— Ne baisse pas les bras alors que tu as si bien avancé. Tu mérite mieux que de croupir ici toute ta vie.
— Je ne veux pas te mentir Bron... Ourébi. Ce serait t'illusionner. Je doute que nous ayons une chance. Même si nous réussissons la construction, il nous faudrait ensuite rejoindre la mer. (Il pointa vers le plafond.) Mon idée était d'inonder la Source pour aider la lune d'eau à passer par une des ouvertures dans les murs. Pas dit que ça marche, pourtant. Ce sont d'anciens qanats ; leur état est difficile à juger. Ça me fait souffrir de ne pas pouvoir te proposer une échappatoire fiable.
Grâce au recueil de vocabulaire d'Hermine de Blodmoore, Eleonara avait appris qu'en dialecte mikilldien, l'expression équivalant à « je suis désolé » signifiait littéralement « ça me fait souffrir ». Elle se souvenait d'ailleurs du petit paragraphe que la duchesse y avait dédié :
Le dialecte mikilldien prévoit un nombre sidérant de formules d'excuse ou d'imploration du pardon […]. L'équivalent le plus proche du mot « pardon » en einhendrien est « fersihig », prononcé « for-ZI-yig » – l'intonation s'appuie sur le « si ». Il existe toutefois une variante plus longue, « Etë mira lit », qui se prononce « Etémiralitte » et signifie littéralement « cela me fait souffrir » ou « cela m'apporte souffrance ».
Inonder la Source. L'idée était plaisante, excitante. Pensive, Eleonara ramassa deux tiges de bois trop fines pour être utiles et les fit coulisser entre ses pouces et ses index. De la poix, de la chaux, du sable, une plaque de métal et des rames.
— J’ai cru comprendre que tu as entendu parler des Mysticophiles, nota-t-elle en tambourinant innocemment les tiges sur les murs.
— Oui, répliqua Sgarlaad sans fluctuation dans la voix.
— Les as-tu déjà consultés par le passé ?
— J'aurais été fou de le faire.
Eleonara jeta son regard par terre.
— Moi, je leur ai parlé plusieurs fois.
Elle sentit sa désapprobation se tartiner sur son front.
— Que leur as-tu dit ?
— Rien de compromettant. Rien sur toi et Agnan, je le jure.
— Ne jure pas, je te crois. Qu'avais-tu à leur demander ?
— J'essayais de vous retrouver.
Son œil pâle la décortiqua un instant.
— T'ont-ils fourni des renseignements utiles ?
— Disons qu'ils m'ont donné une piste à renifler, mais que finalement, c'est le hasard qui m'a mené jusqu'à toi. Par contre, je suis sûre que si je leur demande où trouver de la poix...
— Ne le fais pas, Bronwen. Nous ne pouvons nous y risquer. Pas même d'être vagues.
— Sgarlaad, tu dois m'appeler Ourébi.
— Je n'y arrive pas.
Après ça, ils refermèrent l’entrepôt secret et relâchèrent les chaînes dans l'eau.
Bon, et en même temps, le fait qu'il soit diminué donne l'occasion à Elé de prendre les choses en main, je trouve que ce n'est pas si mal. J'avais un peu peur qu'une fois le Nordique retrouvé, elle se laisse porter par ses projets à lui...
En tout cas, ça fait plaisir de la voir pugnace face à la passivité de Sgarlaad. C'est vrai qu'elle prend de la maturité, notre petite Elé <3
N'empêche, j'aimerais bien qu'il reprenne un peu du poil de la bête :(
A bientôt
Alice
Eleonara devra faire preuve d'initiative et prendre des décisions difficiles parce que cette fois, c'est plutôt Sgarlaad qui a besoin de son aide !
Je suis contente quel'évolution d'Elé s'aperçoive, c'est vrai qu'elle a beaucoup changé (ça me fait d'ailleurs bizarre parfois en repensant à comment elle était au tout début!)
Tu en apprendras plus sur la condition de Sgarlaad dans la suite ;)
Merci pour tes commentaires et tes réactions qui sont toujours chouettes à lire ! Je te souhaite une bonne découverte de la suite ^^
à bientôt !
Jowie
Dis donc, tu ne vas pas le faire mourir, quand même ?! Tu peux pas faire ça, hein...
Mais je dois avouer que même physiquement, il a l'air mal en point.
Ceci dit, ça m'a fait penser que plusieurs fois, il a fait des allusions à son âge, contredites par Elé, mais qui paraissaient bizarres. Du coup, j'ai encore une hypothèse farfelue. Et si le cassage n'avait pas fait vieillir Sgarlaad, mais qu'il avait annulé un genre de sortilège qui l'empêchait de vieillir ? Peut-être que Sgarlaad est effectivement très vieux, en fait. Peut-être qu'il vit depuis la conquête du Mikilldys par l'Enheindrie ?
Oui bon ok, je suis partie très loin, n'empêche que ces petites perches que tu nous tends sur son âge, je suis sûre que ce n'est pas anodin...
Il faut absolument qu'ils terminent ce bateau ! Mais je sens que ça va impliquer des sorties dans les rues d'Arènes et que Elé va encore prendre de gros risques. Il faudrait qu'ils trouvent Sebasha, elle les aiderait sûrement !
Rien à dire sur la structure du chapitre, en tout cas : je l'ai encore lu d'une traite sans respirer !
Juste par curiosité, on en est où à peu près, dans le tome 2 ? La moitié ?
Détails :
"Si le Bimaristan était une bulle hors du temps, la halle de la Source était un fragment d'une autre dimension. " : j'adore !
"— Vraiment ? Oh, c'est su... Je veux dire, c'est terrible, je suis vraiment navrée." : je rêve ou elle a failli dire "c'est super" ? Excellent !
"Je ne sais pas quelle ambiance m’attendrait. là-haut." : l'avant-dernier point devrait être une virgule, non ?
"— Je m'occupe, je bricole mais je ne crois pas pouvoir achever un transport de conséquence pour la même raison que je ne me mets pas aux dépens d’une compagnie de bateleurs ; je n'en ai pas les moyens. " : sauf si elle contient une syntaxe que je ne connais pas (c'est possible), je ne trouve pas cette phrase très claire. Enfin on comprend l'idée, mais les deux expressions "un transport de conséquence" et "aux dépens", la rendent à mon avis inutilement complexe (et pour ma part, je ne les connais ni l'une ni l'autre dans ces utilisations -- ce qui ne veut pas dire que c'est faux !). Pourquoi pas : "je ne crois pas pouvoir achever un transport/bateau qui tienne la mer" et "que je ne fais pas appel à une compagnie de bateleurs" ?
"Elle n'aurait su dire si Sgarlaad s'était parlé à lui-même ou si ses phrases s'étaient dirigées à elle." : s'étaient dirigées vers elle ou s'étaient adressées à elle
"Il infusa si peu d'intonation dans sa phrase que l'elfe ne put pas certifier s'il doutait de ses capacités ou s'il cherchait simplement à se renseigner." : c'est du pinaillage, mais je ne suis pas fan de "ne put pas certifier s'il doutait". Ça fait beaucoup de verbes à la suite. Pourquoi pas "l'elfe ne sut pas s'il doutait..." ?
"Eleonara grigna – le parfum des algues lui donnait le tournis –, " : je pense que "grigner" est un helvétisme. En tout cas, je ne connais pas ce verbe. Qu'est-ce que ça veut dire ?
"Ses muscles de ses cuisses se pincèrent juste à temps pour éviter une glissade fatale." : Les muscles de ses cuisses
"Un poids coula dans sa poitrine quand elle zyeuta en la direction du Mikilldien." : zyeuter, c'est vraiment très familier (c'est de l'argot). Je sais que tu n'es pas contre une langage un peu moins châtié de temps en temps, mais là ça me surprend quand même un peu. Mais c'est du pinaillage)
"Jadis en mesure d'actionner un moulin à sang à lui seul," : un moulin à sang ? Je me souviens de la scène du moulin, mais pas que c'était un moulin à sang ! (C'est quoi déjà un moulin à sang ?)
"Ses biceps se contractaient et ses dents se serraient comme ses poings, fermes autour du métal. " : cette phrase donne un peu l'impression qu'il tire la chaîne avec ses poings ET ses dents... Ça ne me parait pas très prudent ;)
"En effet, il y avait sous la section de rampe hissée un tunnel exigeant au Mikilldien de se courber que légèrement." : exigeant du Mikilldien + je ne comprends pas ce que tu as voulu dire. Il se courbe un peu ou beaucoup ? Dans le premier cas "un tunnel exigeant du Mikilldien de se courber légèrement". Dans le second "un tunnel exigeant du Mikilldien de se courber plus que légèrement" (mais c'est pas génial, je formulerais autrement, genre "de se courber à angle droit" )
"Le bois était rugueux et hérissait quelques échardes." : et hérissé de quelques échardes
"J'ai assez de débris pour tailler des clous de." : est-ce qu'il ne manquerait pas un mot ? ou il y a un "de" en trop ?
"— Rien de compromettant. Rien sur toi et Agnan, je le jure." : euuuuuh pas si sûr !
A très vite pour la suite !
En effet, Sgarlaad est tout tristounet, tout ramolli... :( Alors, vais-je le faire mourir ? *se frotte les mains *
Tu en apprendras de plus en plus sur sa condition dans les chapitres suivants ^^ Ton hypothèse est très très intéressante et comme tu l'as deviné, je ne peux rien te dire, quelle frustration xD
Quant à trouver tous les matériaux pour le bateau, tu as raison, ça va être difficile de tout orchestrer depuis le Bimaristan ! Mais tu connais bien Elé, elle a une médaille en prise de risques xD
En tout cas, je suis super contente que ce chapitre t'ait plu parce que ce n'est pas toujours simple de rendre des moments plus "triviaux" intéressants :)
Je ne sais pas exactement combien de chapitres il y aura pour cette version corrigée mais selon mes calculs on a bien dépassé la moitié (je t'avoue que j'ai vraiment trop hâte d'arriver à la fin et me jeter sur la structure du tome 3, ça me démange xD)
Merci beaucoup pour tes remarques ! Rien ne t'échappe ! Je corrige ça ;)
Je t'avoue que je ne sais plus pourquoi j'ai mis "grigner", c'est même pas un helvétisme, à mon avis je cherchais un synonyme pour autre chose et j'ai mis quelque chose de complètement hors sujet (apparemment ça veut dire faire des plis sur du pain ou quelque chose du genre xD)
Un moulin à sang c'est un moulin actionné non pas par le vent (par exemple par des animaux qui tournent en rond). Comme c'est un terme peu utilisé, je vais laisser juste "moulin" ^^
Eh oui, Eleonara allait bien dire "c'est super" xD Elle n'a pas beaucoup changé de ce côté-là hahaha
Merci pour ton commentaire constructif et encourageant !!