19 — Les Archives

Par Rouky

Voyage en Terres Spectrales

 

Ils marchaient d’un pas précipité dans les rues désertes d’Ossenoir, longeant les façades muettes des maisons, pressés par une peur qu’aucun mot ne saurait formuler. Le brouillard, toujours là, semblait les suivre, s’accrocher à leurs pas, comme une entité vivante guettant le moindre fléchissement.

Jean Royer s’arrêta net en apercevant l’entrée de la mairie, ce vieux bâtiment aux murs suintants d’humidité.

— Je ne suis pas très rassuré à l’idée de remettre les pieds ici, avoua-t-il. C’est là que le givre a failli m’engloutir.

Clément Droitel posa une main sur son épaule.

— Cette fois nous sommes quatre, nous pourrons nous protéger !

Ils franchirent la double porte grinçante. À l’intérieur, l’air semblait encore plus lourd que dehors. Un relent de poussière, de moisissure et de vieux papiers leur remplit les narines. Sans perdre de temps, ils se dirigèrent vers les archives municipales, cette pièce reculée du rez-de-chaussée, tapissée de casiers d’acier rouillés et d’étagères branlantes.

Pendant de longues minutes, ils fouillèrent en silence, feuilletant des registres aux pages jaunies, décryptant des calligraphies anciennes. Claire trouva le premier indice : un acte de propriété, daté de 1865.

— “Valère de Malebrume”, lut-elle à voix haute. Le dernier propriétaire connu du manoir.

Lucien fronça les sourcils.

— Ce nom... Il revient souvent dans les murmures des anciens. Toujours chuchoté. Comme s’il portait malheur.

— Attendez, dit Clément en tirant un second dossier. Il y a eu un transfert de propriété. Valère a hérité du domaine après la mort de son cousin... Silas Noxley.

— Silas Noxley ? s’étonna Jean. J’ai déjà entendu ce nom dans d’anciennes pièces de théâtre. C’était un dramaturge, non ?

— Il est mort dans un incendie, reprit Clément. Au théâtre d’Ossenoir... Accident, prétend le rapport. Mais... ça me paraît étrange.

Ils se regardèrent, dubitatifs.

— Et si ce n’était pas un accident ? demanda Lucien. Et si... Valère avait voulu se débarrasser de son cousin ? Peut-être pour hériter du manoir ?

— Mais le manoir appartenait déjà à la famille Malebrume, non ? questionna Jean. Pourquoi tuer son cousin pour une propriété qui lui revenait déjà ?

— De ce que j’en lis, la fille aînée des Malebrume s’est mariée à un homme influent, un Noxley. C’est donc à elle et son mari que la propriété serait revenue, ainsi que l’héritage de la famille. Il n’aurait plus resté que des miettes pour Valère de Malebrume.

— Il y a autre chose, murmura Claire en consultant un registre. Aucun document n’indique comment est mort Valère. Rien. Pas de date de décès. Pas de certificat. Pas même une notice funèbre. Il a tout simplement disparu...

Un frisson parcourut l’échine de chacun.

— Et Emile, le petit garçon... Il est mort près du manoir, ajouta Lucien. Noyé. Peut-être qu’il a vu ou su quelque chose qu’il n’aurait pas dû.

— Le spectre de Fontanet parlait d’un “maître”, se souvint Jean. Un être qui contrôle les spectres. Qui les lie à cette ville. Ça pourrait être... lui. Valère.

— Ou pire, souffla Claire, quelque chose qu’il a réveillé.

Un silence tomba, lourd, presque sacré. Puis Jean le rompit :

— Cette ville est piégée. On ne peut pas la fuir. Il faut donc affronter ce qui l’enserre.

— Le manoir, dit Clément. C’est là que tout semble converger.

— Le Croquemitaine d’Ossenoir... murmura Lucien. C’est ainsi que mes parents surnommés le manoir, quand j’étais petit. Ce nom lui va bien.

Lucien proposa de retourner au commissariat pour y chercher des armes, mais Jean secoua la tête.

— Je doute que les balles parviennent à tuer des spectres.

— Il nous faudrait un exorciste, souffla Clément. Ou un prêtre...

— L’église est close depuis des années, l’interrompit Claire. Mais... j’ai une idée. Si ces entités détestent le froid et l’ombre, alors il faut leur opposer lumière et chaleur. Chandelles, torches, lampes à huile... Tout ce qu’on peut trouver. C’est peut-être ça, notre seule arme.

Ils acquiescèrent et, chacun de leur côté, rassemblèrent ce qu’ils pouvaient. Lucien ramena une vieille lanterne à pétrole. Jean avait trouvé une lampe de bureau à dynamo. Claire, elle, portait un ancien flambeau cérémoniel qu’elle avait volé à Dormance & Cie, dans la salle de présentation. Clément tenait une bougie massive, enfermée dans une lanterne de cuivre noirci.

Puis ils se mirent en route.

Le manoir se trouvait à l’orée des marais. Un chemin tortueux, flanqué de rosiers morts et d’arbres noueux, les mena vers l’antique et sombre demeure. Au fur et à mesure qu’ils approchaient, l’air se faisait plus lourd, plus vicié. La boue collait à leurs bottes, la brume s’épaississait.

C’est alors qu’ils entendirent le hurlement. Un cri long, grave, guttural. Un cri qui ne ressemblait ni à chien, ni à loup. Une créature d’ailleurs.

— Ce n’était pas humain, souffla Claire.

— Ce n’était pas animal non plus, répondit Jean.

Le tonnerre gronda, comme une menace lointaine. La pluie commença à tomber, glaciale, acide.

Ils s’arrêtèrent, tous les quatre, au bord du marais. Leurs yeux s’écarquillèrent, fixant un point invisible devant eux. Le monde sembla chavirer. La brume devint plus dense encore, formant un écran mouvant dans lequel se dessinait une scène ancienne, comme un souvenir que l’univers aurait gravé dans la boue.

Une vision se manifesta devant eux.

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Talharr
Posté le 08/07/2025
Scène très sympa. On retrouve certains des personnages qu'on a vu morts et qui ont une réelle histoire passé à Ossenoir.
La suite va être intéressante :)

Deux petits retour :
"Et ensemble, nous sommes plus forts. " peut être un peu trop vu et revu. "Ensemble, nous pourrons nous protéger les uns les autres" ou quelque chose comme ça.

"Ni chien, ni loup" je suppose c'était "Mi chien, mi loup" ? Ou tu voulais dire que ça ne provenait ni d'un chien ou d'un loup ?
Rouky
Posté le 08/07/2025
Contente que tu apprécies cette scène, car elle est très importante, et a été un peu compliqué à écrire ! ^^

Les morts ont enfin voix au chapitre ! Merci pour la recommandation, c'est vrai que ça fait un peu gnagnan... Et je n'avais même pas fait attention au chien ! Je vais corriger de ce pas ^^
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