2-2 : Marchandage illégal

(Djulieta entre, resplendissante dans sa robe évanescente et blanc cassé. Elle salue le valet en livrée blanche aux liserés jaune bouton d’or et fait face au page dans son pourpoint écru. )

 

DJULIETA, ironiquement.

Quelle joie j’entends en ces murs ! Ah, c’est vous, Te-ru-ah !

 

TÉRUA

Ma damoiselle, je vous prie d’épeler bien mon nom !!

 

DJULIETA

Je vous ai pourtant nommé. Quel est-il alors ?

 

TÉRUA

Pour vous éclaircir votre beau teint aux lèvres roses, c’est Téroi.

 

DJULIETA

Et, néanmoins, vous n’êtes pas roi, vous êtes mon page. Quelle ironie ! Ah, la vie ! Que certaines personnes sont contents d’être liées à leurs noms dès leur naissance alors que les autres veulent s’en libérer.

 

TÉRUA, vexé et courtois à la fois,

Vous vous trompez ! Mon nom est une bénédiction ! Je n’ai rien d’un saint prisonnier si ce n’est de mon cher cœur !!

 

DJULIETA, d’un ton intrigué et ingénu,

Ah ! Vous auriez touché la fortune dans l’amour ?

 

TÉRUA, après un rire amusé, orientant le sens de la marche,

Peut-être. Si ce n’est que je suis enchaîné, bâillonné, les mains et les pieds liés. En fait, je m’avoue que je suis soumis au Destin.

 

DJULIETA, hochant la tête avec compassion,

Bonsoir, mes bons amis. (Saluant les autres valets et soubrettes.)

 

TÉRUA

Vous êtes d’une bonté angélique de souiller vos iris opalins en quêtant ceux de ses manants. (Il mime une incompréhension totale.)

 

DJULIETA, fronçant ses fins sourcils,

Arrêtez, cher ami ! Vous ne pouvez pas les traiter de manants, ce sont quand même nos serviteurs. À votre expression inchangée, je pressens que vous portez encore les maux du passé. Les sang-mêlés n’ont jamais été la cause de la Colorémie. Ce n’a été que pure rumeur qui a alimenté la peur et la haine, favorables à l’émergence du mal. La discrimination n’a aucune excuse quand elle se fait aux dépends de quelqu’un. Par conséquent, j’exige un peu de respect envers eux.

 

TÉRUA, la mine exagérément sévère et cassante,

Vous ne pouvez pas comprendre ! Vous n’étiez pas né !!

 

DJULIETA

Vous avez déjà oublié ? Vous, vous étiez encore gamin et l’avez vécu. Nous leur devons une bonne dose d’humanité après toutes les insultes et les horreurs accomplies. En ce jour du Panachage...

 

TÉRUA, retrouvant son sourire de lumière,

Et de la fête des Teinteries, si je ne m’abuse...

 

DJULIETA

C’est exact. Nous honorons ainsi le renouveau...

 

TÉRUA

En participant à la Fête. Qu’allez-vous faire en ce soir ?

 

DJULIETA, un éclat de sagesse dans les yeux,

Je suppose que je dois y aller, comme vous...

 

LADY LIESKA, entrant et s’immisçant entre Térua et Djulieta,

Comme moi. Cela ne signifie en rien que toute la famille Pijnóz devra être là, cher page. Mirnès, Yirgatt et moi seront suffisants à participer à cette petite sauterie. Elle est bien en âge de faire ce qu’elle veut après tout. De plus, ce n’est pas le membre le plus important de la famille. Elle ne doit pas être impérativement là.

 

TÉRUA

Bien sûr. (Il se moque, plein de dérision.) Tout va en désuétude. Tout le monde répugne sur les coutumes. Excepté la jeunesse. (Il vitupère rudement.) C’est une antique fête que personne ne doit bafouer. Les fraîches jouvencelles aux tresses dorées ne sont pas en réserve de se départir de ses festivités.

 

DJULIETA

Vous avez tout faux, Te-ru-ah ! La réserve est toute une religieuse procession où on ne dévoile aucune parure. Contrairement, à ces festivités qui partent en flammes bien avant l’heure et me donnent la larme à l’oeil. C’est là que la réserve est bafouée, à se traîner sur les francs côtés et à se comporter en dévouée du fantasme. S’il faut la sacrifier sur un bûcher des vanités, je n’irai pas aux festivités.

 

TÉRUA, souriant, misant son dernier va-tout,

N’exagérez rien. Ce n’est pas comme si vous étiez dans le dénuement total. Vous pourrez choisir vos atours et votre temps à rester. Cela pourra n’être qu’une courte représentation si vous le voulez et votre père, Yirgatt, se ferait une telle joie que vous soyez là.

 

LADY LIESKA

Bah ! Il ne vous oblige en rien mais la tristesse vous désobligera si vous les voyez en les traits de votre père. Vous savez que quand il est dans ce fléchissement, il est… (Elle se masse avec précaution le bras.) Tout le monde pâtit de sa mauvaise humeur.

 

TÉRUA, souriant, misant son dernier va-tout,

Damoiselle Djulieta, je vous adjoins à venir, il y aurait de bonne façon à des galanteries. C’est de votre âge.

 

DJULIETA, vaincue,,

Bon. Puisqu’il faut le faire… J’irais.

 

(Ils sortent. Djulieta, les yeux baissés sur le sol de marbre blanc. Lady Lieska, la main sur ses épaules. Devant, Térua a l’air triomphant.)

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