Par quel prodige de tels pieds avaient-ils pu atterrir dans la jolie forêt de Bois-Doré ? D’où venaient-ils ? Étaient-ils amicaux ? Rien ne permettait pour l’heure de l’affirmer. Représentaient-ils un danger ? Gisabelle la gélinotte l’affirmait. Que faire ? Qui croire ? Comment résoudre ce mystère ?
Edouard l’écureuil n’était pas d’un caractère à s’interroger longuement : « Autant en avoir le cœur net », déclara-t-il. En quelques bonds rapides, il se dressa face aux intrus :
- Oh-là, du pied ! Clama-t-il haut et fort pour être bien entendu, vous vous trouvez ici dans la forêt de Bois-Doré. Déclinez votre identité et indiquez, pronto, l’objet de votre présence !
L’autorité du ton impressionna ses amis, mais les pieds demeurèrent muets comme des carpes.
- Si vous ne révélez point vos intentions, je me verrai contraint de prendre des dispositions !
Horace le Grand-Duc, la mère Tartempion et Maître Furet, se demandaient avec inquiétude de quelles dispositions il était là question, aucun habitant de la forêt de Bois-Doré n’ayant jamais été confronté à pareille situation.
Agacé par le manque de réaction des deux pieds, plantés droits comme des bâtons, Edouard l’écureuil décida de pousser plus loin les investigations. La truffe minuscule renifla un à un chaque pied. Ils ne sentaient pas la rose mais une odeur de vieux crapaud habitué des fonds d’étangs. Edouard se pinça d’une patte le nez, se gratta de l’autre l’oreille, ce qui l’aidait à mieux réfléchir. Après un coup d’œil lancé à ses amis, il s’enhardit davantage.
Qu’est-ce que cet audacieux allait encore imaginer ? La mère Tartempion, s’abrita aussitôt au creux d’une souche sèche. Horace recula de trois pas, juste la distance nécessaire pour préserver les apparences. Le Grand-Duc n’était pas gélinotte à s’effrayer pour si peu. Il ne put cependant retenir un « hou ! » de frousse en voyant l’intrépide écureuil sauter sur l’un des pieds puis rebondir sur l’autre, avant de regagner triomphant la terre ferme.
L’espace d’un instant, même le vent retint sa respiration. Puis, au grand émoi des spectateurs, deux des orteils bougèrent. Les plus petits, ceux placés aux extrémités. Cela n’avait en soit rien d’anormal de voir bouger des orteils, mais bientôt tous se trémoussèrent. Ces pieds se moquaient-ils ? Edouard se décala pour mieux les envisager : « ces deux pieds sont vivants ! » conclut-t-il plein d’enthousiasme.
- Oh-là, du pied ! poursuivit-il, vous m’entendez ? Parlez-vous la langue des bois ?
Une série de glouglous pétaradants lui répondit. Ces gloussements étaient-ils une réponse ? Curieuse manière de s’exprimer.
Visiblement ses pieds n’avaient rien compris au baratin d’Edouard, seraient-ils sots ? Horace le Grand-Duc approcha, n’était-il pas le plus sage et le plus instruit de la forêt ? Ses connaissances en blablas des bois ne le désignaient-elles pas naturellement comme interlocuteur privilégié ? Si ces pieds désiraient s’exprimer, il entendait bien mener la conversation. Il se gratta la gorge et déclama, une aile repliée sur la poitrine :
- Pieds, Ô Pieds venus d’une lointaine contrée
Bienvenus en notre forêt de Bois-Doré
Nous souhaiterions d’abord mieux vous identifier
Afin de satisfaire notre curiosité
Ô Pieds, taisez en vous toute timidité
Que nous vaut le plaisir d’ici-bas vous zieuter ?
Venez-vous là, contraints par nécessité ?
Expliquez-nous comment nous pourrions vous aider ?
Voilà qui était mieux, pensa Horace, satisfait. Les formes ! On obtenait tellement plus en y mettant les formes !
Les orteils peinaient à présent à garder pieds sur terre tant ils frétillaient et dansaient. Là n’était pas le résultat espéré. Devant l’émotion évidente de l’assemblée, les pieds prirent enfin la parole d’une voix légère et un peu angoissée :
- Mille pardons, je ne voulais pas vous effrayer. J’ai échoué sans l’avoir demandé dans votre jolie forêt de Bois-Doré…
Au même instant, une ombre immense envahit la petite clairière. Horace le Grand-Duc, Edouard l’écureuil, la mère Tartempion, Maître furet et tous les animaux reculèrent à l’abri des arbres. Ces pieds n’étaient point seuls, la menace venait à présent du ciel. Catastrophe, carabistouille et calembredaine !
J'imagine cela en pièce de théâtre ou du théâtre de marionnettes.
Tu as lu ce conte à des enfants? J'imagine aussi leurs réactions enchantées :-)
Au plaisir !
Je ne l'ai pas encore lu à mes petits-enfants, je me demande s'il n'est pas trop écrit pour de jeunes oreilles.
Merci !!!
Cette histoire me fait un peu penser à Gulliver, avec ce petit peuple découvrant un pied géant ^^
J'adore aussi : "Ils ne sentaient pas la rose mais une odeur de vieux crapaud habitué des fonds d’étangs" ;)
A bientôt
J'aime bien aussi les noms donnés aux animaux,
Allez, je file lire la suite...
Ahah j'adore la phrase de chute ! J'ai beaucoup ri dans ce chapitre. Je m'identifie à fond à l'écureuil, ça rend l'immersion géniale xD J'ai adoré le poème du grand duc ! C'est tellement mignon et décalé, j'adore !
L'arrivée du haut du corps promet des ennuis, j'ai hâte de voir les réactions de la petite bande.
Et ton style poétique chantant donne du charme à toutes tes histoires. Ca n'est pas du tout le même univers que l'enfant des sables mais on retrouve quelques points commun qui m'ont rappelé des bons souvenirs de lecture...
Petite remarque :
"l’affirmer. Représentaient-ils un danger ? Gisabelle la gélinotte l’affirmait" répétition affirmer
Un plaisir,
A bientôt !