Chapitre 7: Saturne perd ses anneaux.
ˢᵘᵖᵉʳᶰᵒᵛᵃ
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Le monde était plongé dans un calme comatique. Il n’y avait personne, pas même un chat, lorsque Claire serra ses freins dans un bruit de crissement de frustration de son vélo et de crissement de gravier. Sa roue dérapa sur le parking. Elle exhala doucement, l’air froid mordant sa peau malgré son écharpe, remontée jusque sur son nez. Un nuage s’échappa de ses lèvres. Puis un deuxième. Elle avait l’impression que chaque inspiration incendiait sa trachée, comme si elle avait bu cul sec un bidon d’essence et avalé une allumette. Ses cuisses brûlaient d’avoir forcé pour pédaler, son cœur battait hors de sa cage thoracique jusque dans ses tempes. Elle se sentait presque comme une intruse, d’être si vivante dans un monde aussi mort autour d’elle. Comme si le temps avait été mis en pause, sans elle. Comme si cette réalité avait été recouverte d’un drap dans l’attente du printemps, pour être protégée de la poussière. Un drap qui recouvrait le ciel, se mêlant avec les nuages en une étendue ivoire confondue avec l’horizon. Tout était blanc, tout était clair. Était-ce la neige, la poussière de l’univers ? Son esprit s’égara le temps d’une minute; elle le ramena de force avant qu’il ne s’échappe hors de portée. Il ne neigeait pas, pas encore. Blanc, blanc, blanc. Le monde était une toile monochrome, et elle était une observatrice perdue en plein milieu, comme une tâche. La musicienne secoua la tête pour se débarrasser des cloportes de son esprit. Tout était suspendu, sauf eux. Ils grouillaient sous sa peau. Elle inspira. Elle était toujours en vie. Elle expira. Concentration.
Le magasin en face d’elle était illuminé de néons colorés et de la lumière dorée de ses éclairages. Claire se hissa sur la pointe des pieds pour scruter l’intérieur par la vitrine. Des affiches de promotion aux pointes exubérantes, une humaine, qu’elle identifia comme la terrifiante Victor au vu de ses cheveux sombres et de la manière dont elle était accoudée à sa caisse. Aucune trace de Chiara, néanmoins…La guitariste soupira dans un énième nuage, plus épais. Palsambleu, s’accabla-t-elle pour elle-même.
De base, le plan était: apercevoir Chiara, s’assurer qu’elle était toujours en vie (ou dans un état similaire) et repartir sans se faire attraper. Elle détesterait que sa camarade l’aperçoive. Il était sûr qu’elle s’en servirait contre elle par la suite et lui rappellerait dès qu’elle en aurait l’occasion, de ce même ton de voix sirupeux faussement naïf qu’elle employait pour se moquer d’elle. Il en était hors de question. En même temps, elle ne pouvait plus être aigrie tranquillement, puisque son esprit revenait toujours vers elle pour la torturer de mille scénarios plus improbables les uns que les autres; elle devait vérifier par elle-même qu’elle était toujours en un morceau. L’apercevoir juste une seconde et filer.
La brune soupira lassement et déclipsa son casque pour se masser les tempes. Évidemment que son plan était voué à l’échec; ce n’était pas comme si son amie allait l’attendre derrière la vitre avec un écriteau ‘’je vais bien chacal <3’’ dans les mains. Et maintenant ? Elle ne pouvait pas juste rentrer et la demander. Elle ne pouvait pas non plus aller s’enquérir de son état auprès de Victor, puisqu’elle n’avait pas d’argent sur elle. Félix, hors de question. Ce serait signer son arrêt de mort.
La sensation de ses propres doigts gelés sur sa peau la fit frissonner. Enfin, était-ce vraiment ses doigts ? Elle n’en avait plus l’impression. Après la deuxième phalange, ses membres n'étaient plus que ceux d’un inconnu. Elle se sentait comme un Frankenstein de contrefaçon sur le moment. Peut-être en avait-elle toujours été un. Elle était tellement gauche et maladroite tout le temps, et son fil de pensées et ses mots étaient comme déconnectés constamment. Ses yeux se perdirent dans le vide près de ses pieds. Peut-être avait-elle été du départ mal assemblée, ce qui expliquerait pourquoi son cœur continuait de battre si fort lorsqu’elle aspirait au silence. Deux parties d’elle se faisaient perpétuellement la guerre: une n’attendant que le moment de s’allonger pour ne plus se relever et se laisser absorber par le silence, et une autre qui dans une fureur de vivre s’accrochait à chaque seconde désespérément, lui enserrait la gorge dans un étau de précipitation de toute faire, tout connaître avant la prochaine vague. Elle était le résultat de cette cohabitation chaotique, laquelle la laissait exténuée comme au sortir d’une guerre qu’elle n’avait pas menée, et qu’elle ne menait pas. Plus. Elle se rappelait d’un temps où elle avait essayé, son épée en main. Elle la subissait maintenant. Elle ne pouvait vaincre un ennemi devenu une partie d’elle.
Un bruit sourd attira son attention vers la vitre, la sortant de ses pensées. Elle leva les yeux. Seulement pour que sa respiration se coince dans sa gorge, entravé par un cri de terreur arrêté au milieu de sa trachée.
<<- Waw ?! S’écria-t-elle dans un sursaut violent, ses cheveux se hérissant dans sa nuque alors qu’elle bondissait par réflexe dans une position d’attaque, les mains levées devant elle. Bordel de me… ! Jura-t-elle par réflexe, se censurant néanmoins in extremis; elle opta pour une autre façon d’extérioriser sa frayeur: crier. Aaah ?!>>
Chiara était maintenant juste derrière la vitre, le regard fixé sur elle et les main pressées contre le verre. Ses yeux étaient écarquillés, elle ne bougeait pas. Claire la dévisagea en retour avec la tête d’un cerf pris dans les phares d’une voiture; un mélange entre une grimace de ‘’je vais mourir’’ et un pseudo rictus de ‘’je vais mourir comme ça’’. Ses doigts tremblotaient. Un. Elle respira. Deux. Trois. Elle bloqua, avant d’expirer sèchement.
<<- Chiara, tu veux me tuer ?! On dirait un assassin dans un film d’horreur !
Le visage de son amie s’illumina de sa réaction.
- C’est vraiment toi ! S’extasia-t-elle, sa voix étouffée par la vitre contre laquelle elle se plaqua d’avantage, sa joue collée contre le verre alors que ses yeux se remplissaient d’étoiles. Enfin, mon radar spécial âme sœur avait bipé, mais j’avais un doute puisque je ne voyais pas ton visage !
- Comment ça, radar ? Âme sœur ?!
- Viens plus près, tu es trop loin !
- Non.>>
Chiara leva un sourcil. Si. Claire secoua encore la tête négativement. Qu’est-ce qu’elle allait faire ? Elle n’était pas un chien…Chiara la fixa sans bouger. Elle plissa les paupières, son regard se faisant soudainement plus perçant voire même intimidant. Claire sua, et pesta dans sa barbe avant de coucher son vélo contre le sol et le délaisser pour s’approcher. Woaf.
<<- Qu’est-ce que tu veux ? Grommela-t-elle en s’immobilisant devant elle.
Sa voix lui paraissait plus rauque que d’habitude. Elle se racla la gorge, seulement pour toussoter. Elle devait être en train de s’enrhumer car déglutir était douloureux.
- Bonjour, chaton.~ S’enjoua chaleureusement son amie, sa propre voix enrouée également et amenuisée par la vitre, malgré le fait qu’elle force dessus pour qu’elle l’entende même de dehors. Un chaton qui erre sur le parking, c’est un chat errant, non ? Je peux t’adopter ?~
Claire fronça les sourcils.
- Adieu.
- Non !
- Comment ça, non ?! Non toi-même !>> S’offusqua la brune, tombant des nues devant le culot de son interlocutrice.
Cette dernière s’était déjà ruée sur les portes automatiques, lesquelles s’ouvrirent sur elle dans un chuintement feutré. Claire se renfrogna en voyant apparaître une Chiara seulement couverte d’un pull de laine léger et d’une espèce de bas de survêtement, tout cela accompagné de simples chaussons. Juste la voir lui donnait la chair de poule. Elle frissonna de nouveau, subitement frigorifiée.
<<- Et qu’est-ce que tu crois faire, habillée comme ça ? Tu vas à la plage ?
Chiara la rejoint en quelque pas, la lumière des néons débordant sur le parking se réfléchissant comme sur un miroir sur l’ivoire de ses cheveux. Une sorte de halo ténu l’entourait.
- Pourquoi tu râles encore ? Rétorqua cette dernière en croisant les bras sur sa poitrine. Alors que tu mourrais tellement d’inquiétude pour moi que tu es venue jusqu’ici rien que pour me voir ?
Son visage était encore rouge de s’être précipitée, ses épaules se soulevant et s’affaissant rapidement au rythme de sa respiration, pantelante. Claire tiqua.
- Moi ? Moi, je m’inquiétais ? S’indigna-t-elle trop vivement pour être crédible. Pour toi ?
Chiara patienta la fin de son argumentation. La guitariste laissa ses mots en suspens le temps d’en trouver d’autres. Qu’elle ne trouva pas. Elle lâcha alors pour toute répartie un tsk vaincu, carrant la tête dans les épaules.
- Et alors ? Et alors quoi si je m’inquiétais ? C’est normal de s’inquiéter pour les gens qu’on aime, non ? Je m’inquiète pour toi car je t’aime, enfin je veux dire, je t’aime mais pas comme, sors avec moi, même si on sort ensemble—je veux dire, quand on fait la liste, et qu’on sort pour, pour cocher des cases. Ça ne me dérange pas de sortir avec toi, j’aime même ça, un peu, enfin quand on sort pour…Cocher des cases…Claire se frotta la nuque; le fil de sa phrase lui échappait, se déroulant par lui-même sans qu’elle ne réussisse à le rattraper. J’ai peur que tu disparaisses comme ça—en un claquement de doigt—un jour, comme tu es apparue, et que tu ne me dises rien car tu es tellement secrète. J’ai l’impression que tu n’es même pas vraiment réelle parfois, ou alors que de passage, et…Je dis n’importe quoi, pas vrai ? Ricana-t-elle nerveusement. Je veux dire…
Claire inspira une grande bouffée d’oxygène, s’aidant de la sensation de brûlure dans ses poumons pour se reconcentrer sur le monde réel, celui par lequel elle était rattachée par ses deux pieds. Sa gorge brûlait de toutes ces confessions échappées, et son visage aussi, de honte.
- Peu importe. Éluda-t-elle évasivement en tirant sur son écharpe pour la défaire, tout en se rapprochant de cette dernière. Pourquoi tu sors comme ça en étant malade, même ? Tu es une vraie tête de linotte, heh ?
Sans attendre, elle l’enroula autour du cou exposé de son interlocutrice. Cette dernière tiqua lorsque ses doigts effleurèrent sa peau; Claire pinça les lèvres, réajustant le bout de tissus pour l’enrouler une deuxième fois, enfouissant tout le bas de son visage dessous. Les deux pans restant étaient toujours dans ses mains lorsqu’elle s’accabla de nouveau:
- Ce n’est vraiment pas sérieux. Cingla-t-elle, inflexible, en s’assurant d’un coup d’œil que sa camarade était ensevelie sous les couches de tissus. Au vu de ta tête, tu as peut-être même de la fièvre. Chht, ne dis rien. Tu me déconcentres quand tu parles.
La guitariste arrangea l’écharpe de telle sorte qu’elle passa les deux pans sous le premier rouleau, avant de relever le deuxième sur sa tête en capuche, comme une balaclava. Sans réfléchir, elle décoinça les mèches blanches coincées dans le tissu et s’assura que son cou était bien protégé. Puis, elle poussa un profond soupir exaspéré, la fumée de son souffle remplissant l’espace entre elles le temps d’une seconde.
- Prends soin de toi. Marmonna-t-elle d’un ton bourru embarrassé, avant de tirer quelque peu sur les pans de l’écharpe toujours dans ses mains pour appuyer son point. Idiote.>>
Chiara resta coite, les yeux ronds comme des soucoupes. Sa tête fut attirée en avant par son geste, puisqu’elle se laissait faire entièrement; elle se rattrapa au moment où leurs fronts allaient se cogner et exhala par réflexe, son souffle se mêlant au sien. Son visage s’enflamma d’avantage, la chaleur de sa respiration répercutée par l’écharpe nouvellement acquise lui revenant en pleine figure. Les bouts de leurs semelles n’étaient séparés que par quelques centimètres les uns des autres. Claire avait ses yeux plongés dans les siens, les oreilles cramoisies et l’air aussi résolu qu’agité. Elle maintint le contact visuel encore un instant, pendant lequel elle demeura sérieuse, les traits impassibles. Son amie avait des airs de voyageuse intra-univers, accoutrée de la sorte. Toute droit descendue de la lune. La couleur de ses yeux contrastait de la plus intense des façons avec la matière d’un rouge violacé de son écharpe. Son cœur se serra dans sa poitrine. Chiara était un être spécial, toujours entouré d’une myriade d’étoiles. Même avec son nez coulant, ses paupières bouffies et son air de poisson hors de l’eau, elle ne pouvait s’empêcher de la trouver belle. Il y avait quelque chose de délicat dans son teint, dans ses cils, dans l’ombre qu’ils formaient sur ses joues; quelque chose qui faisait que la regarder l’apaisait. L’attention de la brune coula jusqu’à ses lèvres, dissimulées pourtant par le tissus, avant de revenir plus haut. Son cœur palpita une nouvelle fois; pas de peur. Elle détourna le regard en remontant le col de sa veste le plus haut possible contre son cou. C’était-à-dire: peu. C’était-à-dire: elle avait horriblement froid et ne sentait plus le bout de son nez, mais s’efforçait de rester insondable. Elle souffla sur ses mains distraitement pour les réchauffer, ce qui se révéla être une terrible erreur. Elle les remballa donc seulement dans ses poches en se balançant sur ses talons.
Chiara était toujours immobile. Elle la lorgnait d’un air mi étourdi, mi attentif, comme si elle attendait. L’atmosphère était tendue, pas d’une tension dramatique, mais d’une de celles caractérisant une attente précédant elle-même quelque chose. Les deux jeunes filles se dévisagèrent, l’une du coin de l’œil, l’autre ouvertement. Et puis…Chiara éternua. Juste comme ça, toute tension s’envola.
<<- Pff. Pouffa Claire, le coin de ses lèvres se relevant en un sourire narquois. C’est trop mignon. Je te laisse, rentre au chaud.
La volleyeuse s’extirpa de sa torpeur en voyant son interlocutrice reclipser son casque sous son menton. Elle cligna des paupières, comme seulement revenue d’une autre galaxie.
- Quoi, tu pars déjà ? S’affligea-t-elle dans une moue de déception. Rentre avec moi un peu aussi ? Tu peux réchauffer tes mains à l’intérieur.
Claire pouffa.
- Tu rigoles ? Et attraper ton rhume ? Questionna-t-elle rhétoriquement. Jamais de la vie. D’ailleurs, tu devrais rentrer, maintenant.
- Sans toi ? Nul. Si tu t’inquiétais vraiment, tu viendrais avec moi dans ma chambre.
- Pourquoi dans ta chambre ?
- Car dans ma chambre il y a mon lit. Asséna son interlocutrice le plus sérieusement du monde en lui retournant un regard déterminé. Et c’est dans mon lit que je te veux. Plus précisément sous les couvertures. Avec moi. Possiblement sans tes vêtements, pour qu’on partage notre chaleur corporelle comme dans Vanitas no Carte…Ow.
La guitariste venait de lui asséner une pichenette sur le front, le visage écarlate de gêne. Elle ignorait quelle référence elle venait d’employer mais sa description avait elle-même été assez explicite pour qu’elle comprenne mieux que bien. Inconsciemment, elle resserra sa veste autour d’elle.
- Heh…Tu délires, c’est la fièvre.
- Non, je suis consciente de tout ce que je dis. Tes vêtements te vont bien, mais tu sais ce qui t’irait encore mieux ? Mes bras…Ow !
Claire souffla sur le bout de ses doigts. Faire des pichenettes par ce froid n’était pas une expérience agréable, même pour elle. Ses ongles la picotaient désagréablement, maintenant. Son amie se frotta le front.
- Attaquer une malade, quelle honte…Par deux fois en plus. C’est du harcèlement…
- Rentre chez toi. S’exaspéra ladite harceleuse, non sans un tic du sourcil car en réalité, n’était-ce pas plutôt elle qui la harcelait sexuellement…?
Chiara bouda. Elle murmura mn ténu.
- Tu m’adores en vrai, pas vrai ? Chat.
Claire poussa un soupir fatigué.
- Qu’est-ce que tu racontes encore…Va te reposer, je ne comprends absolument rien.
- Je ne te rendrai jamais ton écharpe. Grommela encore son amie dans un souffle, avant de renifler et de se frotter le nez, comme sur le point d’éternuer de nouveau.
- Oui, oui…Attends, quoi ? S’alarma la guitariste lorsque ses neurones établirent enfin une connexion, malgré sa lassitude et leur état de congélation avancée. Non, hey ! C’est ma préférée !>>
Trop tard, toutefois, car Chiara s’était déjà échappée. Elle passa le seuil du magasin et se posta derrière la vitrine, ses mèches blanches électrisés par le frottement contre la laine de l’écharpe dressées sur son crâne. Elle paraissait tellement pâle dans la lumière dorée des éclairages électriques, constata Claire qui elle restait bête dehors, ne sachant comment réagir—comme toujours. Elle serra et desserra les poings dans ses poches pour réanimer ses muscles, tout en se disant que tenir son guidon, au vu de l’état de ces mêmes mains allait être une épreuve particulièrement pénible. Cela pouvait attendre. Foutue pour foutue, elle s’approcha de la vitre pour toquer dessus.
<<- Je viendrai te la reprendre quand tu dormiras. Je passerai pas ta fenêtre. Menaça-t-elle d’un ton grognon, frustrée.
Chiara toqua en retour.
- Je laisserai ma fenêtre ouverte pour toi. Susurra-t-elle gaiement, pas le moins du monde intimidée et même, au contraire.
- Ne fais pas ça. Il fait froid.
- J’ai quelques idées qui nous permettraient de nous réchauffer…
La brune roula des yeux, et souffla sur le carreau, les mains en porte-voix autour de la bouche pour rassembler la fumée. Une fois condensée sur la vitre, elle traça trois lettres du bout du doigt; d’abord un n, puis un o, puis de nouveau un n. Et puis elle esquissa tout autour des étoiles.
- Je ne comprends pas. Dégoisa innocemment son interlocutrice, avant d’incliner la tête d’un air faussement perplexe. Je ne sais pas lire à l’envers.
La musicienne marqua un temps d’arrêt pendant lequel elle demeura dubitative. Le sourire rayonnant de Chiara lui confirma cependant qu’elle se moquait d’elle. Elle claqua sa langue contre son palais, finissant son chef d’œuvre avant de soupirer de nouveau.
-…Bye, Chiara.
L’interpellée retraça ses étoiles de l’autre côté de la vitre.
- Bye.~ Fredonna-t-elle en retour, sa mélodie étouffée par l’épaisseur du verre. Moi aussi, je t’aime.~
- Mn. Ne sors plus exposée aux quatre vents.
- Oui.~
- Mange bien. Et dors.
- Yes.~
- Et…Prends soin de toi, ok ?
- Si.~ Tu ne me l’as répété que deux fois depuis que tu es là.
- C’est ça, paye toi ma tête…S’atterra son interlocutrice en collant son front contre la vitre.
Chiara riota, avant de faire de même. Le cœur de la brune se réchauffa, ses traits s’adoucissant inconsciemment. Tant qu’elle était en capacité de rire, tout allait bien, pas vrai ? Forcément. Et puis, la volleyeuse lui adressa un sourire chaleureux et abaissa l’écharpe sous son menton pour embrasser la vitre, là où derrière étaient les lèvres de la guitariste.
- Toi aussi, prends soin de toi.>>
Claire oublia de respirer, trop longtemps. Elle ne s’en rappela que lorsque ses poumons se manifestèrent par une contraction cuisante qui la laissa coite. Elle cligna des paupières, sa mâchoire lui tombant dans un o presque parfait. Elle la referma en s’en rendant compte et déglutit. La jeune fille ramena une main devant le bas de son visage comme pour se cacher, sans grand succès, alors que sa peau tournait à un rouge sombre.
<<-…Non. Tonna-t-elle d’une voix cassée, plus pour reprendre contenance que pour Chiara.
Elle se sentait tellement maladroite en face d’elle. La Mary Shelley l’ayant écrite avait aussi dû la doter d’un cœur déficient, de seconde main. Sa langue était tellement pâteuse…Était-elle faite de carton ? Elle collait contre son palais.
La blanche gloussa. Forcément…
- Vraiment ?
- Mn.
- Je vais être obligée de prendre soin de toi moi-même, alors…Toute la vie.
- Ça s’appelle un mariage. Commenta la lycéenne nonchalamment.
- Précisément. Confirma Chiara.
- Tu me demandes en mariage ?
- Tu aimerais ?
- Ce n’est pas très platonique.
- En effet.
- Peut-être quand tu ne seras plus malade.>>
Le sourire de son interlocutrice tomba, ses épaules s’affaissant quelque peu. Ses étoiles s’amenuisèrent et ses yeux se firent vitreux alors qu’ils se perdaient dans la distance, le temps d’un clignement des paupières. Si cela ne lui semblait pas aussi improbable, la guitariste aurait presque qualifié son expression de triste ou de nostalgique. Un éclair d’amertume passa sur ses traits, si rapide néanmoins qu’il aurait tout aussi bien pu être le résultat d’un reflet dans le vitre. Claire décolla son front pour se redresser, confuse.
<<- Oy. Appela-t-elle. Chiara…
Mais Chiara releva les yeux vers elle, et inclina la tête avec un sourire interrogateur. Le moment était déjà passé. Si il n’avait jamais existé.
- Quoi, chat ?
-…Non, rien. Se rétracta sa camarade non sans une œillade troublée en direction de son amie.
Cette dernière lui adressa un sourire révélant toute ses dents, son nez se fronçant avec ses sourcils dans un air malicieux.
- Tu as décidé de venir faire des bébés avec moi finalement…-
- Je pars.>>
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<<- Tu as fait une trace sur la vitre…
- Zut. J’avais oublié mon gloss. Victor va me tuer…
- Du gloss—pourquoi tu en as mis ? Tu es littéralement malade. Tu ne vas voir personne…
- Si, toi. Il est saveur fraise, d’ailleurs. Au cas où.
- Au cas où quoi...Oh. Non, en fait, ne dis rien.>>
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Encore une fois, le bureau de Chiara était vide. Claire se dévissa le cou pour y jeter par-dessus son épaule un coup d’œil furtif. Des fois que son amie décide d’apparaître de nulle part, comme elle se plaisait à le faire, et lui retourne en croisant son regard un sourire espiègle…Mais sa chaise était toujours inoccupée. Une sorte de malaise entourait l’espace dans lequel elle était supposée se trouver. Son absence était quasiment tangible, comme si l’univers était distendu autour de sa place, troublé par cette anomalie. Elle l’était aussi. La musicienne ne pouvait s’empêcher de se sentir mal à l’aise malgré elle. Perdue dans sa morosité, ses yeux accrochèrent involontairement ceux de la voisine de table de la blanche. Cette dernière la toisait depuis qu’elle s’était retournée sans qu’elle ne le remarque. Elle lui décocha un regard assassin, son nez se fronçant alors que ses traits se tendaient. Claire se crispa et carra la tête dans les épaules, fronçant les sourcils. Qu’est-ce qu’elle avait, encore…Grimaça-t-elle intérieurement, le coin de ses lèvres tiquant. Elle se détourna dans un rictus contrarié. Comment une personne aussi gentille que Chiara pouvait-elle passer autant de temps avec une furie pareille ? Taylor avait toujours l’air sur le point de mordre, peu importait qui lui adressait la parole. Peut-être qu’elle aussi ne comprenait pas ce qu’une personne aussi spéciale que Chiara pouvait passer autant de temps avec quelqu’un d’aussi insignifiant qu’elle; après tout, elle-même était obnubilée par la question, bien qu’elle s’efforça de se convaincre du contraire. Elle renifla pour elle-même, avant de se frotter le nez. Elle avait l’impression de sentir le regard revêche de la blonde brûler dans sa nuque. Ses cheveux se hérissèrent. Elle était encore plus mal maintenant. Peut-être était-ce seulement car elle était malade…Claire se laissa sombrer dans sa chaise, le dossier se fichant sous ses omoplates douloureusement. Elle se demandait ce que faisait Chiara. L’atmosphère était maussade sans elle. La lumière dans la salle était grise, le voile transparent de nuages par lequel elle était filtrée tout aussi gris, et la perception qu’elle s’en faisait pareillement. Pour la première fois depuis un long moment, Claire se souvint de ce que cela faisait d’évoluer dans un monde qui n’était pas vraiment le sien; de ne pas s’adapter au gris d’un monde si léger et d’être lestée par ses couleurs. Un monde de procuration. Gris. Son existence la pesait, mais elle ne faisait que flotter. Gris. Elle se sentait tellement décalée du reste des lycéens autour d’elle qu’elle se demanda le temps d’une seconde s’ils existaient vraiment. Et puis, sa perception se brouilla, et ils ne furent plus que des fantômes séparés d’elle par un voile translucide. Ou plutôt était-elle le fantôme, qui observait de sa place au centre, sans même appartenir vraiment au tout. Elle aurait tout aussi bien pu être entourée d’épouvantails. Subitement, la jeune fille fut saisie à la gorge par une vague de nostalgie, pour un endroit inconnu, pour une situation passée, qu’elle n’avait pas vécue. Des larmes lui montèrent aux yeux. Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Elle avait la nausée. Qu’est-ce qu’elle faisait là ? La jeune fille ferma les yeux fortement pour s’imaginer son tableau blanc mental, qu’elle s’acharna à effacer. La noirceur y était telle qu’elle n’y parvenait pas. Elle se sentait tellement petite et impuissante devant le tableau, qui lui grouillait et convulsait, comme animé d’une volonté propre, comme une sorte d’organe corrompu gonflant avec les battements de son cœur. Comment pouvait-elle vaincre une telle chose ? C’était monstrueux. Une partie d’elle était terrifiée.
Mais certainement n’était-elle en elle-même pas si forte que ça.
Certainement était-ce juste elle qui était trop faible.
<<- Hey.
Claire sursauta lorsqu’une main la secoua par l’épaule. Son stylo lui échappa des mains, roula le long de la table furieusement et tomba par terre, où il continua sa course. Il buta contre des baskets blanches, rouges et bleues.
- Ah…
Elle releva la tête, seulement pour tomber sur le visage ovale de Cassiopée, penchée au-dessus de son pupitre.
- Cassie.
Elle l’observa le temps d’un instant, hagarde. Et puis elle s’accorda une seconde pour retrouver ses esprits et reprendre contenance. Ses yeux piquaient toujours, cependant, et cela devait se voir car son amie la dévisagea silencieusement. Elle s’agenouilla pour récupérer son stylo et le reposa sur sa table avec une moue de suspicion appréhensive, son regard retournant se ficher dans le sien.
- Ça a sonné depuis cinq minutes déjà et tu ne réagis pas.
- Vraiment ?
La guitariste sonda la classe autour d’elle rapidement. En effet, elles étaient les dernières. Les conversations de ses camarades ne se répercutaient plus qu’en un bruit de fond de plus en plus ténu dans le couloir. Elle ne s’en était même pas rendue compte.
- Wow…J’étais vraiment dans la lune…
Cassiopée était toujours concentrée sur elle.
- Tu n’as pas l’air bien. Tu es malade ?
- J’ai un rhume, mais rien de grave. Je ne me suis juste pas assez couverte.
- Toi ? Frileuse comme tu es ? Rétorqua son interlocutrice, peu convaincue par son excuse. D’habitude, tu ne sors jamais sans ton écharpe. Tu l’as oubliée ?
Claire se frotta la nuque, gênée. Oubliée…Ce n’était pas un oubli, mais un vol. N’ayant néanmoins pas la force en elle d’expliquer quoi que ce soit sur le moment, la lycéenne se contenta de soupirer en haussant les épaules évasivement.
- C’est compliqué…Avoua-t-elle dans une voix basse terminant en murmure.
L’expression de Cassiopée s’affuta, se faisant d’autant plus perçante alors que ses yeux s’affinaient en deux fentes.
- C’est compliqué, ou tu rends les choses compliquées ? Interrogea-t-elle d’un ton prudent quoique agacé.
- Quoi ?
- C’est compliqué, ou tu ne veux juste pas m’en parler ? Reformula-t-elle.
- N’importe quoi…Se déconcerta la brune, surprise. Pourquoi tu dis ça ?>>
Cassiopée reporta son attention ailleurs, une expression pincée tirant ses traits. Et puis, elle claqua sa langue contre son palais, ses épaules s’affaissant avec dépit. Imaginait-elle des choses, ou son amie était-elle énervée…?
<<- C’est bon…Capitula toutefois la jeune fille en croisant les bras sur sa poitrine, avant d’esquisser un mouvement du menton vers la porte. Viens, allons-y juste.
Claire secoua la tête.
- Oh…Pars sans moi, je vais rentrer plus tard.
Cassiopée s’arrêta.
- Seule ?
Claire hocha la tête.
- Oui.
- Dans le noir ?
- Oui.
- Dans le froid ?
- Je ne peux pas y faire grand-chose…Agréa-t-elle prudemment, étonnée par son intonation de plus en plus pressante.
Elle avait l’impression de subir un interrogatoire. La malgache serra les poings. Elle se recula d’un pas et se détourna de moitié, son visage se rembrunissant.
- Ça m'énerve. Asséna-t-elle subitement. Pourquoi tu ne veux plus rentrer avec moi ? Tu as quelque chose à me reprocher, ou bien ? Siffla-t-elle entre ses dents.
- Quoi ? Mais non, pas du tout ! S’empressa Claire de la démentir en se redressant sur sa chaise. Tu sais bien que je t’adore, qu’est-ce que je pourrais même te reprocher ? Tu es littéralement parfaite !
Cassiopée la scruta, interdite. Son front était barré d’une ride d’irritation. Son interlocutrice était rigide, tous ses muscles tendus. La tension dans l’air était prête d’imploser sur elle-même, raréfiant même l’air entre elles.
- En toute honnêteté, je ne suis plus sûre de rien en ce moment. Est-ce qu’on est même encore amies ?
-…Pardon ? S’ébaubi la musicienne.
- Tu ne vois même pas ce que je veux dire. Cingla-t-elle dans une moue dépréciatrice. Depuis que tu as rencontré ta Chiara, tu me délaisses totalement. Tu rentres seule sans même me prévenir, tu ne me parles plus, et tu es dans un état constant de décomposition sur ton bureau dès que tu as le malheur de poser un pied en cours. On ne se parle même plus. Tu es un fantôme, tu arrives, tu pars, et je ne te vois plus jusqu’au lendemain. Je…
Cassiopée s’interrompit. Elle souffla, seulement pour se recroqueviller sur elle-même en carrant les épaules. Un éclair de vulnérabilité passa sur son visage. Elle baissa les yeux sur ses chaussures.
- Je me sens remplacée.
- Je suis désolée, Cassiopée. Je ne savais pas…
- Tu ne savais pas car tu ne penses qu’à toi, Claire…Tu ne vois que ton nombril. Tu dis que tu es désolée, et peut-être que tu l’es vraiment, mais ça ne suffit pas. S’épancha son interlocutrice, sa peine serrant sa voix. Les actions derrière ne suivent pas. Quand je fais ça d’effort pour essayer de maintenir notre amitié, elle leva une main au niveau de son épaule avant de reprendre, tu fais ça.
Cassiopée positionna son autre main plusieurs centimètres en dessous de l’autre.
- Et lorsque j’en fais plus pour combler, elle éleva sa première main jusque sous son menton, tu en fais encore moins car tu te dis que, si tu obtiens tout cela avec ce minimum d’efforts, alors tu peux te permettre de faire encore moins et avoir encore plus. Ça ne fonctionne pas comme ça. Ça ne fonctionne plus. Je suis fatiguée, Claire. Je sais que toi aussi, et je ne t’en veux pas pour ça. Je t’en veux car tu gardes tout pour toi sans rien me dire. Tu ne me traites plus comme une amie. Je crois que tu ne m’as jamais traitée comme une amie. Est-ce que tu as déjà été sincère avec moi ?
- Bien sûr que oui !
- Tu vois…Plus le temps passe, et plus je m’attrape en train de penser que tu es une menteuse.>>
Sa dernière phrase eut l’effet d’un coup de poing pour sa camarade. Claire en eut le souffle coupé. Une menteuse, elle ? Elle secoua vivement la tête pour la détromper, faute de savoir quoi dire. C’était la première fois qu’en face de Cassiopée, sa tête était aussi vide. Il fallait qu’elle parle. Elle le savait, il fallait qu’elle parle—c’était son tour. Elle voyait que son amie lui laissait une chance, au vu de son corps tendu et de son pied martelant le sol d’un rythme irrégulier alors qu’elle attendait. Elle ne trouvait aucun mot convenable. Quelque chose, n’importe quoi—rien.
Si seulement son interlocutrice pouvait lire dans les pensées; mais elle ne le pouvait pas, et certainement ne comprendrait-elle-même pas les méandres du labyrinthe de sa tête. Elle demeura silencieuse, la langue amorphe, comme pesant seule une centaine de kilos. Son incapacité à s’exprimer la déchirait de l’intérieur. À son plus grand effarement, elle constata qu’une partie d’elle-même se délectait de cette sensation. Elle s’auto-détruisait avec une passion flamboyante, proliférait de son malheur; une partie d’elle-même lui envoya une vague d’indifférence, alors même que l’un des piliers principaux de sa vie se fissurait, s’émiettait et s’écroulait devant elle. Et elle en était la cause. Elle-seule. Elle. Cette chose.
Elle aimait Cassiopée au point où elle voulait qu’elle l’abandonne et ne la regarde plus jamais.
Cette dernière soupira, un son sec et déçu.
<<- Laisse tomber. Je suis juste énervée, ça me passera.
Claire tiqua.
- Cassie, attends…Je suis…
- Désolée ? La coupa son amie amèrement. Oui, j’ai entendu. Moi aussi, je suis désolée.
- Cassie…
- À demain, Claire.>>
Sur ces mots, Cassiopée lança à la brune un dernier regard sombre et tourna les talons. Cette dernière l’observa du regard sans un mot. Elle passa la porte. Elle était partie.
Claire resta sur sa chaise, immobile.
Une partie de son monde venait de s’écrouler. Elle observait, d’un calme malsain, les vestiges finir de s’écrouler autour d’elle. Une vague de tristesse déferla sur ses épaules, et puis continua, submergeant tout l’espace; la pression compressa les poumons de la guitariste. Elle se laissa couler. Tout était calme, lorsqu’étouffé par les profondeurs.
D’une certaine façon, elle était soulagée. Elle accueillit la vague comme une vieille amie, car une partie d’elle adorait cette pression au cœur qui la tourmentait, cette sensation de noyade. Elle voulait souffrir. Elle voulait souffrir pour justifier qu’elle se sente aussi mal, lorsque d’autres personnes avaient d’autres problèmes, tellement plus graves que les siens. Elle voulait souffrir pour se repentir de souffrir. Elle voulait se détruire. Elle voulait s’achever.
Elle ne rattrapa pas son amie. Cette dernière avait eu raison de bout en bout.
C’était mieux ainsi.
✦
<<- Claire !>>
L’interpellée était difficilement reconnaissable. En se réveillant dans la lumière tamisée froide de sa fenêtre le matin même, elle avait compris que là, c’était la crise. Ainsi, ce fut une humaine enfouie sous plusieurs couches de vêtements, une grosses écharpe blanche, un cache-oreille de même couleur et plusieurs paires de chaussettes enfilées les unes sur les autres tendant le cuir de ses docs martens qui se retourna vers l’origine de la voix.
Sans surprise, Chiara trottinait gaiement vers elle. La guitariste exhala un soupir de soulagement en voyant son amie elle-même emmitouflée dans un manteau, certes extravagant puisqu’il s’agissait d’une fourrure blanche, mais chaud, et des gants de laine. Sans surprise, son écharpe était nouée autour de son cou. Rouge. Elle détonnait sur sa camarade, presque comme une tâche.
Visiblement, elle allait mieux. La voir sortit la brune de la torpeur morose qui ne la quittait plus depuis la veille. Décidemment, son amie était un rayon de soleil…
<<- Ça glisse…Prévint-elle d’une voix indifférente, quoiqu’en supervisant avec inquiétude l’avancée de la lycéenne.
Cette dernière ne semblait pas particulièrement se méfier du verglas dans la pente; lequel l’avait elle-même bien failli la mettre à terre plus d’une fois La brune écarta quelque peu ses pieds au vu de son allure, lui paraissant trop pressée, afin de mieux répartir son poids. Si jamais elle avait besoin de la rattraper, qu’elle ne tombe pas avec elle…Ses semelles crissèrent contre le sol givré.
Son interlocutrice s’arrêta, seulement pour rejeter ses cheveux en arrière.
- Pfuaha ! Gloussa-t-elle, un sourire supérieur et déterminé sur les lèvres alors qu’elle levait le menton, comme pour l’impressionner. Tu me connais !
Claire se renfrogna, ses craintes non pas apaisées mais multipliées par mille. Oui. S’exaspéra-t-elle intérieurement. Ça allait mal se finir. Elle rentrerait de son rhume pour repartir avec une entorse…Comme pour lui donner raison, le pas d’après fut celui de trop pour sa camarade; trop assuré, peut-être; son talon glissa en avant, toute sa jambe suivant. Elle bascula en arrière dans une exclamation de surprise.
- Attention—
Claire se précipitait déjà vers elle lorsque son amie se stabilisa, les bras écartés et les genoux tremblants. Le monde resta en suspension une seconde. Lorsque la blanche releva la tête vers elle, la brune avait les mains enfouies dans ses poches et ne la regardait plus que du coin de l’œil, une moue bourrue pour toute expression et les oreilles en feu.
- Tu as dit quoi ? Interrogea la volleyeuse avec un sourire naïf.
Son amie réajusta son cache-oreille pour s’assurer qu’il dissimulait son embarras. Elle grommela.
- J’ai dit…A…Ten…Prends…J’ai dit: ‘’ah, prends ça’’.
Chiara s’empourpra, gênée. Elle riota en se grattant la joue, son regard allant se perdre ailleurs.
- Ah…Non, mais je te faisais juste une blague. Je n’allais pas vraiment tomber.
La musicienne lui retourna une expression profondément désabusée. Le visage de son amie se réchauffa d’avantage.
- Toi…! Balbutia-t-elle, vexée. Mais si, je te jure ! Juste...Juste attends !
- Tu vas glisser. Encore.
- Tais-toi ! Regarde-moi réussir ! S’entêta la jeune fille, rétablissant son équilibre.
Elle opta pour un nouveau chemin dans la pente, et esquissa un pas. Puis deux. Puis trois, et après quelques pas, elle triomphait. Ce fut lorsqu’elle redevint tout-à-fait confiante qu’elle glissa de nouveau, sans cette fois de possibilité de se rattraper. Elle chuta sur les fesses et glissa en arrière sur quelques mètres, entraînée par la pente dans laquelle elle s’arrêta un peu plus bas.
- Pff.>>
Claire pouffa, le souffle de ses éclats de rire créant des nuages difformes dans l’air. Chiara lui décocha un regard torve, consumée de honte. Puis elle remonta la capuche de son manteau sur sa tête pour se cacher dessous, et son écharpe jusque sur son nez, ne laissant plus qu’une fente étroite pour ses yeux. La musicienne combla l’espace entre elles de quelques pas pressés, dérapant les derniers centimètres avec son élan. Elle buta un peu contre sa jambe avant de s’accroupir devant elle.
<<- Viens. Tonna-t-elle tout en la saisissant déjà par ses deux mains pour la relever.
Chiara se laissa faire sans réagir. La brune secoua ses mains pour lui faire lever la tête, sans succès.
- Oy…
Elle abaissa la capuche de la blanche pour découvrir son visage. À la place, elle retira son écharpe pour la rajuster autour de son cou; un rouleau, deux rouleaux, sous lequel elle passa les deux pans restant et qu’elle remonta sur sa tête en balaclava. Elle soupira alors, décoinçant par habitude ses mèches blanches du tissus, ces dernières retombant contre sa mâchoire.
- Désolée.
Ce mot sonnait bizarrement maintenant. Elle tiqua imperceptiblement en en recevant l’écho. Chiara pendant ce temps cligna des yeux, coite. Puis, ses yeux s’agrandirent.
- Wow, Claire, tu es vraiment une girlfriend material, s’enthousiasma-t-elle. Mon cœur s’est emballé. Tu veux toucher ? Ah, mais j’ai trop de couches…Je devrais me déshabiller d’abord. Ah, et si on se déshabillait ensemble ?! En tant qu’amies, bien sûr…À moins que ?
-…Tu te fous de ma gue—
- Langage…Je peux t’embrasser pour te remercier ?>>
Claire grogna, agacée.
Elle avait pensé qu’elle était en colère. Elle avait pensé qu’elle allait la perdre elle-aussi, le jour après Cassiopée. Elle avait pensé que…
<<- Tais-toi.>>
Elle attrapa sa main pour remonter la pente, la tirant derrière elle. Les semelles de son amie étaient complètement plates; elle glissa derrière elle sans mal, gloussant alors qu’elle se faisait tracter. La musicienne leva les yeux au ciel. Elle rajusta cependant sa prise sur elle, pressant ses doigts. La laine de ses gants accrochaient les cales des siens, et son cœur tambourinait dans sa poitrine.
Elle ignorait de qui, entre Chiara et elle, s’accrochait finalement le plus à l’autre. Elle redoutait que ce ne soit elle. Elle le redoutait, car…
Peut-être qu’elle aimait cette idiote derrière elle plus qu’elle ne le croyait.
✦
<<- Claire.>>
L’interpellée se figea lorsqu’un timbre grave et rauque appela son nom depuis le pas de la porte de sa salle de classe. Ses sourcils se froncèrent d’eux-mêmes. Un regard en biais dans la direction de la voix lui révéla des bottes à semelles compensées et le bas d’une blouse blanche de physique.
<<- Félix…>>
Le jeune homme esquissa un sourire enjôleur. Il la salua de la main, appuyé dans l’entrebâillement de la porte. Il portait encore sa blouse de sciences, et ses lunettes de protection étaient remontées sur son front, ses cheveux striés de mèches bleues en pagaille autour des verres. Claire hésita à lui faire la remarque que sortir d’un cours de physique en portant encore sa blouse était formellement interdit, et que par conséquent elle ne pouvait lui parler, ne traitant pas d’affaires avec les petits voyous de son genre; seulement pour se rappeler qu’elle était probablement elle-même le pire cauchemar de ses professeurs. Elle ne se sentait pas assez forte pour faire preuve d’un tel culot.
<<- Hey, girlie.
Claire jeta son sac sur son épaule, sa veste sous le bras et son menton enfoui sous une écharpe noire.
- Qu’est-ce que tu veux ?
- C’est gentil de demander. Susurra son interlocuteur, son sourire s’élargissant en un rictus félin et sournois. Tout de suite, cinquante euros pour me racheter des baguettes.
- Non…Refusa la brune dans un soupir las. Et puis, tu n’en avais pas déjà racheté la semaine dernière ?
- Ahah.
Félix se contenta de rire en réponse...Les yeux plissés, rivés dans les siens sans ciller. Ne demande pas. Claire zyeuta sa mine sinistre. Elle ne demanda pas. Certainement ne voulait-elle pas vraiment savoir, de toute façon.
- Dans ce cas…Qu’est-ce que tu me veux ? Corrigea-t-elle, éternellement blasée.
Félix souleva l’une des chaînes calées contre son torse pour la tourner autour de ses doigts, tandis que de sa gorge s’extirpait un mnnnnn de réflexion rocailleux. Plus ce dernier traînait en longueur, plus le mauvais pressentiment de la guitariste grandissait. Lui, chercher ses mots ? Elle se tendit.
- À ce point-là ? Ricana-t-elle nerveusement.
- C’est-à-dire que…>>
Un flash d’appareil photo l’interrompit. Les deux jeunes gens se tournèrent d’un seul et même mouvement vers le fond de la classe; là-bas, un groupe de lycéens (Claire ne saurait dire s’ils étaient de sa classe ou non) s’affolaient en s’injuriant mutuellement.
<<- Demandez la prochaine fois, je prendrai la pause. Railla Félix froidement.
Claire observa son expression changer pour se faire coupante, voire sardonique. Elle oubliait parfois que le gothique n’aimait pas l’attention bien plus qu’elle, quoiqu’il puisse assurer. Sans sa façade d’insolence et de sarcasme, il avait l’air fatigué. Elle se renfrogna. Inconsciemment, elle décocha un regard noir en direction du groupe d’élèves.
Ils ne pouvaient de toute manière pas rester là; son ami attirait trop l’attention, même malgré lui.
-…Viens.
Sans plus de discussion, elle rejoignit Félix et le dépassa pour s’engouffrer dans le couloir. Elle attrapa la poche de sa blouse en chemin pour l’attirer, sans pour autant le tirer. Une simple pression. Ce dernier se laissa entraîner de lui-même.
- J’adore les filles autoritaires. Plaisanta-t-il.
Ça sonnait un peu faux. Un peu déplacé.
- Meurs. Cingla la brune pour le réconforter.
- Ksks…>>
Son interlocuteur riota sous cape. Sur ce, ils s’éloignèrent tous les deux des pantins de paille bruissant dans la salle.
<<- Merci. Dit-il plus tard, alors que la musicienne poussait les portes donnant sur l’extérieur.
- Ew. Rétorqua cette dernière en fronçant le nez, rebutée.
- Tu as raison, plus jamais.>>
✦
<<- Donc ?
Comme à son habitude Claire se laissa choir sur les marches. Elle remonta son col pour se protéger du froid davantage avant d’enfoncer ses mains gelées dans ses poches. Le soleil disparaissait derrière l’horizon rendue chaloupée par les collines. Les couleurs déteignaient. L’ombre de la lycéenne s’étendait sous ses pieds, alors qu’une obscurité tamisée s’abattait graduellement autour d’eux.
Il n’était même pas dix-sept heures.
- C’est vraiment trop dur, de recevoir un peu de reconnaissance de temps en temps ? je suis exploité.
Comme à son habitude Félix s’affala au travers des marches, sa tête en arrière dans un râle plaintif hyperbolique. Ses jambes étaient étendues devant lui, sa veste épousant la forme de l’escalier comme une cape. La musicienne se redressa pour dévisager son interlocuteur, la commissure de ses lèvres s’ourlant en un rictus cynique.
- Euh. Fut sa seule réaction, malgré les innombrables flashbacks fusant dans sa mémoire.
Avec toutes les fois où il l’avait inscrite contre son gré à des concerts ou événements pour la publicité de son club…C’était l’hôpital qui se foutait de la charité…
Félix leva impérieusement une main pour l’arrêter.
- Minute, papillon. Somma-t-il.
- Tsk…>>
Comme à leur habitude ils paraissaient tous deux comme un duo d’être s’étant retrouvé ensemble tout-à-fait par hasard, tous deux plus rapproché par la fatalité (qui les avait placés là, faute de mieux) que par leurs similarités. Tous deux étaient au bout de leur vie. Ils étaient simplement trop fatigués pour considérer s’en aller.
La guitariste s’humecta les lèvres, seulement pour les pincer en une moue d’agacement. Elle resta toutefois silencieuse, quoiqu’en prenant sur elle puisque rendue irascible par son manque de sommeil. Elle en profita pour se frotter les yeux, histoire d’au moins essayer de chasser le sommeil. Une fois la conversation terminée (si seulement le batteur pouvait abréger…) elle irait s’écrouler dans son lit dans l’espoir improbable de faire un coma.
Félix pianotait sur son téléphone d’un pouce sans la regarder, pour le moment concentré sur son écran éclaté. Elle attendit. Elle aimait de moins en moins attendre. Le silence plana entre eux une minute, tandis que leurs ombres se rejoignaient pour n’en faire plus qu’une, large et disproportionnée, aux allures monstrueuses. Elle fut dissipée par les lampadaires du lycée s’allumant dans un grésillement mécanique. Les piercings de Félix se parèrent d’éclats lumineux—la brune remarqua en les observant qu’il y en avait moins que d’habitude. Les chaînes manquaient; ce qui lui laissait une étrange impression de vide, au vu de tous ceux s’accumulant d’ordinaire sur son oreille.
<<- Ok. Tiens, annonça son ami après une minute en lui tendant son appareil.
Il croisa son regard, déjà rivé sur lui. Claire cligna des yeux, sortant des méandres de ses pensées, seulement pour comprendre non sans une grimace qu’elle allait devoir sortir ses mains du havre chaleureux qu’étaient ses poches pour attraper l’appareil. Elle fixa l’écran d’un air réticent crispé.
- Il ne va pas te mordre…Railla le batteur en appuyant son geste pour l’inciter à le prendre.
Si. L’écran avait encore plus de fissures et de rayures qu’avant, ce qu’elle ne croyait pas matériellement possible. Après encore une seconde de préparation psychologique, elle se résigna, non sans un début de heh consterné…Qui mourut de lui-même lorsqu’elle reconnut l’application qu’il utilisait pour discuter avec Chiara.
Le profil de cette dernière était ouvert.
-…C’est encore un piège ? Je ne suis pas d’humeur.
Félix secoua la tête.
- Non. Lis.
La brune s’exécuta de mauvaise grâce.
- ‘’Dis à Claire de me rapporter des…Mochis.’’ Des mochis…Moki…Mosych…? Peina-t-elle dans son écharpe, écorchant le nom en s’efforçant de bien faire. Qu’est-ce que ça veut dire…
Son interlocuteur récupéra son téléphone. Il le glissa dans sa poche en reprenant nonchalamment:
- Ça veut dire que la pauvre ingénue a essayé de te contacter sur ton téléphone, mais que tu ne répondais pas. Désespérée, elle s’est tourné vers son seul espoir: moi. Je suis un messager. Une sorte d’Hermès, si tu veux.
La guitariste plissa les yeux, sceptique. Son téléphone…Elle fouilla dans sa mémoire pour se rappeler d’où elle l’avait posé pour la dernière fois. Elle n’y parvint pas. Elle ne l’utilisait principalement que la nuit, lorsque la réalité de ce qu’elle y faisait se confondait avec le brouillard de son inconscient. Elle ne l’emmenait pas quand elle sortait; personne ne l’appelait, et elle ne répondait à personne de toute façon.
- Je ne savais pas qu’elle avait mon numéro. Comment est-ce qu’elle l’a eu ?
Félix leva un sourcil, ne prenant même pas la peine de répondre.
- Duh.
Claire lui retourna une œillade oblique. Question naïve…
- Évidemment que c’était toi…Pourquoi tu as fait ça ?
- Ça te dérange ? S’étonna son interlocuteur. Je ne me sentais pas de lui refuser la faveur.
- Tu es étrangement serviable avec elle…
- Girlie, il n’y a qu’avec toi que je suis insupportable.
- Super…
- Bref, tu as lu le reste ? S’enquit le lycéen en Elle te dit que tu peux aller en chercher dans le magasin de sa mère.
La guitariste ronchonna dans sa barbe.
- Tsk…Siffla-t-elle. Je suis livreuse, maintenant…Je n’ai pas signé pour ça. Pourquoi elle ne les prend pas elle-même ? Elle est juste au-dessus, non ?
- Non.
Claire reporta son attention vers le gothique. Ce dernier abaissa ses lunettes sur son nez pour s’occuper, une nouvelle fois silencieux. Le bleu pâle de ses yeux était distant derrière les verres épais.
- Non ? Répéta-t-elle en constatant qu’il ne développait pas.
Félix se râcla la gorge.
- Non. Asséna-t-il encore pour toute explication.
Il tournait autour du pot. Elle n’avait plus aucune patience quand il s’agissait de Chiara.
- Quoi non ? S’énerva la brune.
Le lycéen tirailla sur ses chaînes, qui tintèrent dans un cliquètement métallique.
- Non. Elle n’est pas chez elle. Elle est à l’hôpital.
Claire le fixa sans ciller pendant une minute entière. Qui se transforma en une deuxième.
Elle inspira sèchement.
- Quoi ?
- Elle refuse de m’en dire plus.
-…>>
La jeune fille se massa les yeux avec deux doigts, atterrée au-delà du possible. Elle ne douta pas même une seconde de sa parole; Chiara était comme ça. Toujours à faire des secrets, comme une sorte d’illusionniste…Un rictus nerveux lui échappa, se terminant en un unique éclat de rire cinglant—plutôt terrifiant, au vu de la manière dont son expression s’était brusquement assombrie. L’hôpital. Connaissant Chiara, réfléchit-elle en joignant les mains devant elle dans une posture de concentration extrême, elle pouvait y être aussi bien pour une fièvre un peu forte que pour trois côtes cassées et une amputation de la jambe. ‘’Surprise—Une jambe en moins !’’ L’imaginait-elle triomphalement clamer lorsqu’elles se reverraient—ou plutôt, qu’elle apparaitrait de nulle part comme elle se plaisait à le faire. En réaction, sa mine devint encore plus sinistre, son sourcil tiquant; au point que Félix exhala un pseudo rire nerveux dans son coin tout en se décalant d’elle. Elle l’ignora.
Avec la blanche, c’était toujours tout ou rien; et elle avait la désagréable habitude de pencher vers le tout. Son sourcil tiqua, son imagination se déchaînant. Ah…Se consterna-t-elle. Elle ne pouvait pas la laisser sans supervision.
<<- Dis-lui que j’arrive.
- Quoi, maintenant ? S’éberlua le batteur. Ils annoncent de la neige. Ça peut attendre demain.
- Non.
- Sois raisonnable, il fait nuit. En plus, tu vas tomber malade.
- Je suis déjà malade.
- Tu n’auras jamais le temps.
- Je l’aurai si je cours.
- Tu détestes courir !
Claire s’était déjà levée, totalement imperméable aux protestations du jeune homme. Ce dernier se redressa pour poser ses coudes sur ses cuisses, le dos vouté vers l’avant. Les orbes smaragdins de son amie rencontrèrent les siens. Félix lâcha un long râle en réalisant qu’il n’y avait rien à faire, sa tête tombant sur son torse dans une expression théâtrale de son exaspération. Lorsqu’il la releva, sa chevelure bleue affluait devant ses yeux et ses lunettes avaient glissé sur le bout de son nez. Il grogna de nouveau, des fois qu’elle n’ait pas compris la première fois. Claire était impassible.
- Évidemment… S’affligea-t-il en réajustant ses verres. Fais attention, Roméo. Tu deviens un peu trop mordue de cette fille, pour ton propre bien.
- Tu ne ferais pas pareil pour ta copine ?
- Bien sûr que si. Sauf que ma copine, c’est ma copine.
Claire détourna le regard. Son cœur pulsait dans ses tempes.
-…Dis-lui que j’arrive.
Félix haussa les épaules, résigné.
- Ouais, ouais. D’accord. File maintenant, puisque tu ne peux vivre sans ton amitié fusionnelle avec elle…Si tu veux mon avis, vous êtes aussi platoniques que Descartes et Guez de Balzac, que Rimbaud et Verlaine, que…
- Tu fais une liste d’homosexuels.
Son interlocutrice le coupa tandis qu’elle remontait la fermeture de sa veste jusque sous son menton. Elle ne l’écoutait plus que d’une oreille, toute préoccupée qu’elle était par ce qu’il venait de lui apprendre.
- Précisément.
- Nous ne sommes pas homosexuelles.
- Tu n’es pas amoureuse d’elle ?
- Non.
- Menteuse. Tu ne te trompes même plus toi-même. Claire, écoute…Je ne suis pas en train de te faire la morale. Je te dis juste de faire attention…On dirait que tu ne vis plus que pour elle. À force, tu vas oublier comment vivre pour toi-même.
La musicienne enjamba le reste des marches.
-…Bye.>> Lança-t-elle par-dessus son épaule.
Elle avait déjà oublié.