2. Comment est-ce possible ?

Par Chapo
Notes de l’auteur : Ce nouveau chapitre est tiré de l'ancien chapitre 1 (version 2023).

Pour ne pas me perdre, je décide de me recentrer sur mon enquête sur Benoît, et donc désormais également sur Étienne, dans les recensements de Saint-Trivier-sur-Moignans, comme je voulais le faire avant la parenthèse de ma découverte inattendue.

Je consulte alors successivement les registres disponibles, permettant de connaître les membres d'un foyer et son évolution quinquennale, et j'apprends que Benoît est resté utingeois (habitant de Saint-Trivier-sur-Moignans) jusqu’au début de l’âge adulte. Il habite en effet pendant quatorze ans chez différents membres de sa famille, puis à l'âge de vingt ans, il est domestique chez un cultivateur et sa famille. En revanche, la seule et unique trace que je trouve concernant Étienne dans le village de Saint-Trivier-sur-Moignans figure dans le recensement de 1886. Âgé de treize ans, il est alors domestique chez un cultivateur fermier qui en héberge trois autres. Je suis étonnée devant cette différence de traitement dans leur relation avec leur famille, alors que pour moi, ces deux enfants étaient susceptibles d'avoir un sort comparable. Sans doute Étienne a-t-il lui aussi grandi dans sa famille, mais pour me rassurer, je me dis que je n’ai pas dû chercher au bon endroit.

En l’absence d’autres traces d’Étienne, je me réjouis des diverses informations d’état civil ajoutées dans la marge de son acte de naissance au fur et à mesure de leur survenue, informations communément appelées mentions marginales. Même si ma curiosité de généalogiste reste sur sa faim quant à sa vie entre chacun des trois épisodes clés qui « font » la vie d’un ancêtre ou permettent d’en connaître le strict minimum : la naissance, le mariage et le décès, j'arrête ici. Cela fait près d’une heure et demie que je suis dessus et ma playlist dédiée pour m’accompagner dans mes recherches s’est terminée depuis plusieurs minutes déjà. Ayant optimisé sa durée pour avoir à la fois le temps de creuser un sujet sans me perdre dans des dédales de recherches pendant un temps trop long, ne plus l’entendre signe qu’il est aussi temps que je m’arrête. Pour ne pas avoir travaillé pour rien, je prends comme d’habitude, avec toujours un intérêt moindre, le temps de noter dans mon logiciel de généalogie et sur un tableur tout ce que j’ai trouvé et les sources consultées. Puis j’éteins mon ordinateur.

Entêtée, je reviendrai quelques jours plus tard sur mon désir d’en savoir plus sur la vie (ou plutôt le décès) de Claudine : lui découvrir ses deux enfants devenus orphelins en bas âge et un mari qui le sera resté même pas pendant deux ans m’a touché, et j’ai besoin d’en savoir plus sur elle. Au cours de ces recherches, je trouverai alors qu’Antoine Ducloud était veuf de sa première femme depuis deux mois quand il s’est marié avec Claudine, et qu’avec sa première épouse, il avait déjà eu sept enfants dont cinq encore vivants. Si cette durée de veuvage nous paraît extrêmement courte aujourd’hui, elle était assez classique pour l’époque, car un veuf devait se trouver rapidement une femme pour s’occuper de ses enfants : c’est malheureusement aussi pragmatique que cela. Je découvrirai finalement que Claudine décède moins de deux mois après le fils benjamin de son mari, alors qu’Antoine avait déjà perdu son aîné un an auparavant. Lors de recherches sur une branche de ma famille qui avait été confrontée à de nombreux décès successivement, je me souviens avoir lu que les maladies contagieuses étaient une cause importante des décès, la tuberculose à elle seule était à l’origine d’environ 10 % des décès dans les années 1870. Peut-être cette maladie ou une autre a-t-elle emporté Claudine et le benjamin. Imaginer quelque chose à défaut d’en avoir une certitude, me permettra de tourner la page sur Claudine et de passer à la suite de sa descendance avec la satisfaction de ne pas l’avoir laissée de côté et d’avoir esquissé une meilleure connaissance de la mère de l’aïeul de Maryse.

J’avais informé ma belle-mère que je m’étais remise à des recherches sur sa famille sans prendre le temps de lui en dire davantage, car je voulais accumuler suffisamment d’informations sur le sujet. J’attendais aussi de savoir que nous allions bientôt nous voir, pour qu'elle ne s'impatiente pas trop.

C’est le jour J, Vincent et moi arrivons chez Maryse et Michel. Alors que nous venons de commencer le repas et nous régalons déjà du saucisson brioché accompagné de pommes de terre chers à nos hôtes beaujolais, elle m’interroge, impatiente de savoir où mes investigations m’ont menée. Michel renchérit, expliquant que Maryse le bassine depuis deux-trois jours déjà, se demandant ce que j’ai bien pu trouver.

— Ah ben, j’ai la même à la maison, plaisante Vincent. Mais dans l’autre sens. Ça fait des jours qu’elle me parle de ce qu’elle a trouvé !

Je fixe Vincent dans les yeux, les sourcils froncés, pour lui faire comprendre que je ne trouve pas malin de prononcer une phrase pareille maintenant : il va finir par gâcher mon effet de surprise. Alors, avant que personne n’ait le temps d’en dire plus, j’enchaîne vite en direction de Maryse.

Je commence benoîtement par évoquer le destin de son aïeul à travers ce que j'ai découvert dans les recensements. Puis j'en arrive à l'information, ou plutôt le scoop, qui me brûle les lèvres depuis déjà deux semaines.

— Mais je n'ai pas trouvé que cela concernant Benoît.

Voulant ménager le suspens, j’adopte un ton mystérieux, peut-être un peu trop. Observant les yeux ronds et inquiets de Maryse, je regrette d’avoir présenté les choses ainsi. Mais ne pouvant plus la laisser dans le flou, je lâche le morceau :

— Je lui ai également trouvé un demi-frère…

— Hein ? Souffle Maryse, manquant de s’étouffer avec sa pomme de terre. Qu'est-ce que tu dis ? Ce n'est pas possible, je n'en ai jamais entendu parler !

Maryse hache ses paroles tant elle est surprise. Je lui explique alors le peu de choses que je connais sur Étienne. Pantoise, elle ne cesse de me répéter que c'est incroyable qu'elle n'ait jamais entendu parler de cet arrière-grand-oncle. Michel aussi s’est arrêté de manger, suspendu à mes lèvres. Même si les histoires d’enfants orphelins lui sont plus habituelles puisqu’il a un peu plus avancé dans sa généalogie que Maryse, il n’en demeure pas moins intéressé, lui aussi désireux de mieux connaître la vie de ses ancêtres et de ceux de sa femme.

Mêlée entre la joie et l’abattement, Maryse me signifie qu’il faudrait prendre le temps, un de ces jours, de chercher à en savoir plus sur Benoît et désormais aussi Étienne.

— Je veux bien m’en occuper, pas de problème. Et puis creuser des vies généalogiques m’intéresse forcément, vous vous en doutez bien ! Mais si vous voulez, on en reparle quand j’ai un peu plus de temps devant moi.

— Je n’en suis pas à quelques semaines ni mois près, ne t’inquiète pas, me rassure-t-elle pleine d’enthousiasme. Avec le printemps qui commence, de toute façon, je vais m’occuper de mon jardin, je n’aurai pas trop de temps avant plusieurs mois.

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Ophelij
Posté le 15/08/2024
Bonjour !

Je trouve ce sujet absolument passionnant, (je n'ai pas encore franchi le pas du côté de mes racines, mais j'ai très envie de le faire et tu donnes dans ton texte l'envie de le faire et même des pistes méthodologiques.)

J'adore le titre de ce livre "un inconnu dans l'arbre", je le trouve très approprié.

Dans le chapitre de départ, je comprends que tu souhaites expliquer ce qui a donné envie à ton héroïne de fouiller dans la généalogie de façon générale. C'est une façon de poser le perso principal, comme dans un roman policier.

Après au fur et mesure de la lecture je n'arrive pas à savoir si Maryse, la belle mère est un personnage principal ou secondaire dans cette enquête ?

Si c'est le cas, j'ai envie d'en savoir un peu plus sur le contexte familial au départ : la famille connue de Maryse, son contexte social, et un peu de la légende de certains des ancêtres connus. Comment cette femme prend sa place dans sa généalogie. Des éléments qui permettrons de faire le lien entre Benoit, Etienne et la femme d'aujourd'hui. Ou même simplement des éléments de personnalité de la belle mère ?

Soit on part en quête d'un inconnu : Benoït ou Etienne, sans ce soucier (ou très peu) de tout le reste et des motivations qui ont précédés l'enquête, mais dans ce cas, toutes les informations sur la belle mère Maryse ne devraient pas prendre trop de place. Par contre les informations sur le quotidien de l'enquêtrice sont intéressantes, le dilemme entre le quotidien et le passé sont intéressantes, de même les réflexions d'ordre plus générales sur le contexte historique sont très riches et des évocations d'autres découvertes lors d'autres enquêtes ont aussi toute leur place.

j'ai hâte d'en savoir plus en tout cas, j'espère que ce point de vue extérieur pourra t'aider.

très bonne continuation !
Chapo
Posté le 25/08/2024
Merci Ophelij de ton message. Désolée pour le délai de ma réponse, j'étais en vacances.
Merci de tous tes compliments, ça me fait vraiment plaisir et m'encourage pour la suite ! Contente que le sujet t'intéresse et que mon approche te plaise. J'ai en effet écrit mon roman de manière à distiller aussi quelques conseils pour mener des recherches généalogiques et pour découvrir des éléments historiques.
Maryse est un personnage secondaire. Le livre est centré sur Lucie, généalogiste amateur qui mène l'enquête, et sur Étienne et son parcours de vie (on s'en rendra davantage compte au fil de chapitres). C'est pour cela que le contexte de Maryse n'est pas particulièrement développé, mais que c'est et sera le cas de celui de Lucie.
J'espère que la suite te plaira !
Ophelij
Posté le 28/08/2024
c'est top ! au plaisir de lire la suite !
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