3. Le Contraste des Silences

Par Ardichi
Notes de l’auteur : ﴾ Acte I : Naître au Silence ﴿

Layla regarde Ahmad s'éloigner. Une étrange sensation de perte l'envahit, la perte d'une chose qui était à deux doigts d'être atteinte mais qui disparaît pour toujours, comme celle ressentie à la fin d'un bon film pendant le générique. Elle reste immobile, indécise, le vent de dos soulevant son abaya vers l'avant, comme un message à se laisser porter. Dans un élan irréfléchi et soudain, elle le suit, à distance, avant qu'il ne soit trop loin, à perte de vue. Se faufilant furtivement dans les rues animées, elle est piquée par la curiosité. Une envie profonde de mieux comprendre cet étrange garçon, qui partage si librement sa poésie, l'emporte sur sa retenue habituelle. Lors de sa filature, son audace l'étonne. Ce n'est pas dans sa nature de suivre les inconnus, encore moins de chercher à percer leurs mystères. Mais il y a en lui un silence, un silence qui appelle le sien... Lorsque Ahmad arrive devant sa maison, le contraste avec le monde autour est frappant. Sa maison ressemble à un taudis. Il n'y a pas de porte d'entrée, juste un rideau qui fait office de barrière entre l'extérieur et l'intérieur. Une petite fille court vers lui, toute joyeuse, un grand sourire illuminant son visage. "Grand frère, grand frère, t'es rentré ? Super, tu vas pouvoir voir mes beaux dessins !" Ahmad la prend dans ses bras et fait un tour sur lui-même, l’entraînant dans un tourbillon qui, pour elle, tient du manège féerique. Il lui caresse tendrement la tête avant de la reposer au sol. "J'ai encore du travail, soeurette, mais je te promets que je regarderai tous tes dessins. Je suis sûr qu'ils sont magnifiques." Layla est choquée lorsque Ahmad s'arrête devant ce qui semble être sa maison, ou du moins, un simple toit, rien de plus. Elle est sensible à la dureté du quotidien qu'il doit certainement affronter. Émue, elle observe ce moment tendre partagé entre frère et sœur. Elle se cache derrière un arbre non loin, espérant ne pas être vue, ses doigts s'agrippant autour du tronc, comme pour s'ancrer dans cette réalité inattendue. Elle retient son souffle, ne voulant pas être trahie par le moindre bruit. Les douces paroles d'Ahmad envers sa sœur lui font prendre conscience qu'il y a beaucoup plus en lui qu'elle ne l'imaginait, apportant une nouvelle révélation aux précédentes. Un garçon très surprenant ce Ahmad, se dit-elle en son for intérieur. Ahmad, après avoir été accueilli par sa sœur, s'installe devant un tas d'objets usés et cassés qu'il commence à réparer avec une concentration d'orfèvre. Le travail est physique, mais ni la sueur, ni la fatigue de la journée, ne le font rechigner, il y met le cœur à l'ouvrage. Sa sœur est à côté, elle lui raconte ses histoires enfantines pleines d'innocence, qu'il écoute silencieusement, comme s'il y puisait sa force. Une réponse faite de mots, ne ferait que l'atténuer. Alors que la petite s’interrompt un instant pour reprendre son souffle, une voix fébrile se fait entendre depuis l'intérieur de la maison. "Ahmad ! As-tu acheté les médicaments ? Je n'en ai plus." Ahmad s'arrête, pose les instruments, puis se lève pour sortir de sa poche une boîte les contenant. Il les tend à sa petite sœur avec un sourire rassurant. "Bien sûr, mère. C'est la première chose que j'ai faite. Tu es malade et ne peux pas marcher, donc c'est à moi de m'en occuper. Tiens, p'tite sœur, apporte ça à maman, s'il te plaît. Sois brave." Il retourne ensuite à son travail, ses mains s'attellent sans relâche sur les objets qui semblent sans valeur aux yeux du monde, mais pourtant vitaux aux besoins de sa famille. Le cœur serré plein de compassion, Layla toujours cachée, contemple ce spectacle poignant mais vrai, vrai de ce qui se tapit derrière les silences... Elle le voit travailler d'arrache-pied, son corps tendu et ses muscles endoloris sous l'effort. Sa sœur continue de lui parler, sa petite voix apportant une légèreté touchante au milieu de cette dure réalité. Lorsque la voix faible de la mère d'Ahmad retentit, un frisson traverse Layla tout entière, la glaçant sur place, comme une écharde s'enfonçant sous son pied. Les larmes montent, piquent les yeux de Layla. Une émotion profonde la saisit, cette force insoupçonnée chez Ahmad, si silencieuse et pourtant si puissante, portant sur ses épaules le poids de ses proches avec un courage admirable. Elle reste là, témoin en silence, son cœur lourd et touché. Le soleil commence à se coucher, et le ciel se pare de teintes chaudes et orangées. Mais Layla ne bouge pas. Elle est incapable de se détourner de la scène qui se déroule devant elle, une scène pleine de beauté et de douleur, un contraste frappant avec le monde extérieur, avec son monde...

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Paloma Chataig
Posté le 01/06/2025
Toujours cette ambiance d’après midi de fin d’été qui est très agréable. Je suis d’accord avec les conseils de RedFuryFox. Juste un dernier que l’on m’a donné à moi aussi, il me semble osciller entre les pensées de Layla et celles de Ahmad. J’ai l’impression que la narration/ point de vue est un peu mouvant. Peut être clarifier, mais peut être que les conseils précédents te permettront d’ajuster ce mouvement.
Ardichi
Posté le 01/06/2025
Belle image de l'ambiance d’un après-midi d’été ;)
Tu as raison, c’est une remarque constructive. J’écris comme je visualise les scènes dans ma tête, du coup la narration/point de vue alterne souvent, et sans repère visuel (un retour à la ligne, par exemple), ou quelques mots pour marquer la transition entre personnages, je comprends que la lecture puisse être moins fluide.
Merci beaucoup pour ton retour honnête. Je dois prendre le temps de faire des retours à la ligne sur tous les chapitres pour une meilleure visibilité. Et lorsque j’entreprendrai la réécriture, ton commentaire me rappellera de prendre garde à ce que tout soit fluide 👍
C’est ce genre de retour qui me pousse à vouloir faire encore mieux, merci pour ta lecture attentive.
À très bientôt !
RedFuryFox
Posté le 03/05/2025
Très touchant: la petite soeur, le regard de Layla... Tu arrives à bien décrire ses pensées, ses émotions, elle commence à se surprendre elle-même quand elle le suit et ça on adore :)
Des passages que j'aime beaucoup:
- Mais il y a en lui un silence, un silence qui appelle le sien...
- Ses doigts s'agrippant autour du tronc, comme pour s'ancrer dans cette réalité inattendue.
Quelques suggestions qui me viennent:
- Sur la forme: Peut-être avoir un découpage plus clair sur tes paragraphes et les dialogues écrits plutôt avec le tiret cadratin plutôt que les guillemets. Cela va aérer tes chapitres :)
- Sur ce passage en particulier : "Bien sûr, mère. C'est la première chose que j'ai faite. Tu es malade et ne peux pas marcher, donc c'est à moi de m'en occuper. Tiens, p'tite sœur, apporte ça à maman, s'il te plaît. Sois brave." Je pense tu gagnerais à ne pas en faire un dialogue mais à le montrer: Ahmad répondrait "Bien sûr, mère", on entendrait un cloc cloc d'une canne, on verrait sa mère fatiguée, souffrir pour marcher les deux petits pas qui le séparent de son fils, et lui qui l'aiderait. Tu vois l'idée ;)

J'aime beaucoup ta manière d'écrire, tu arrives à étirer les moments simples, ça va très bien avec ton thème de l'histoire sur les silences.
Ardichi
Posté le 03/05/2025
Ravi que ces passages t’aient plu, ils m’ont parlé à moi aussi, surtout : “Mais il y a en lui un silence, un silence qui appelle le sien…”
Pour la forme, tu as totalement raison. Honnêtement, je ne sais tout simplement pas comment faire. Il y a un alinéa obligatoire sur Plume d’Argent à chaque retour à la ligne (je ne connais pas le terme exact), du coup j’ai du mal à aérer mon texte correctement. J’ai préféré poser un pavé indigeste… désolé :p
Et pour ta remarque sur le dialogue avec la mère : je ne sais même pas pourquoi ça ne m’a pas traversé l’esprit (pour quelqu’un qui veut faire parler des silences… c’est un comble !). Ce que tu proposes est mille fois plus impactant : par la vision d’une femme fébrile, Layla serait encore plus touchée.
Et sans te mentir, j’ai dû faire une sorte de pirouette littéraire (nouvelle expression !) pour faire comprendre que la mère est malade. Ce dialogue manque cruellement d’authenticité. En vrai, un simple :
“Bien sûr, mère. C’est la première chose que j’ai faite. Tiens, p’tite sœur, apporte ça à maman, s’il te plaît. Sois brave.” aurait largement suffi.
D’une pierre deux coups…
Merci vraiment beaucoup pour ce précieux commentaire. Je ne manquerai pas de modifier ce passage si je réécris un jour ce roman (ce qui est très probable, vu que je ne suis jamais satisfait ;p).
Merci encore infiniment pour le temps que tu m’as accordé et pour toutes tes suggestions.
Je te souhaite une bonne lecture, et surtout, n’hésite pas à me faire remonter tout ce qui cloche, sur le fond comme sur la forme.
Bonne journée à toi !
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