2. Domyrade

Par Hinata

Son visage ruisselait de larmes. Elle s’était efforcée de les contenir, d’être aussi brave que les héros dans les récits d’aventure. Mais très vite, Domyrade avait lâché prise et les sanglots avaient eu raison d’elle.

 Elle ne pouvait plus empêcher sa bouche de se tordre, ses paupières de se crisper, son nez de couler. Depuis le lit, sa mère expira un soupir laborieux. Elle devait l’entendre pleurer, peut-être même qu’elle la distinguait vaguement, accroupie dans un coin sombre de la pièce. Mais elle ne pouvait rien faire pour la réconforter.

Domyrade aurait tellement aimé qu’elle se lève, qu’elle vienne la prendre dans ses bras et lui promette que tout irait bien, elle était guérie, il n’y avait plus à s’inquiéter, la vie allait redevenir comme avant. Ses pleurs redoublèrent. Elle était pathétique. Une bonne personne aurait au moins eu la décence d’aller chialer dehors pour épargner à sa mère agonisante ce pitoyable spectacle.

Elle allait enfouir son visage dans ses bras quand un mouvement lui fit au contraire redresser la tête. La forme allongée sur le lit se relevait lentement dans un marmonnement de paroles inintelligibles. Domyrade bondit sur ses pieds et se précipita au chevet de sa mère.

− Non, ne te lève pas, implora-t-elle en la forçant à se recoucher. Je suis là. Reste allongée, je t’en prie.

Un simulacre de sourire affleura sur les lèvres décharnées de sa mère. Elle se laissa faire mais ses doigts tremblants vinrent tout de même attraper la manche de Domyrade.

− Je reste là, ne t’inquiète pas.

Elle s’essuya rapidement les joues et renifla un bon coup avant de poser une main rassurante sur celles de sa mère, et l’autre sur sa joue.

− Tu dois économiser tes forces, d’accord ?

Sa mère secoua mollement la tête et Domyrade dut se mordre violemment les lèvres pour ne pas se remettre à pleurer.

− Si. Prends soin de toi. Fais-le pour moi.

− Tu dois partir…

La voix de sa mère s’était tant atténuée au cours des derniers jours que Domyrade devait restée penchée tout près d’elle pour l’entendre.

− Qu’est-ce que tu racontes ? souffla-t-elle avec un petit rire nerveux. Je vais pas te laisser toute seule.  

Elle passa tendrement les doigts sur la tempe de sa mère. Sa fresk y traçait une constellation de tâches rousses qui disparaissait dans ses cheveux. Domyrade aurait aimé que la sienne soit aussi discrète, plutôt qu’étalée sur ses joues. La poigne de sa mère se resserra autour de son bras dans un spasme.

− Domy, il n’y a rien pour toi ici.

La jeune fille détourna les yeux. Son regard tomba sur l’intérieur de leur maison. Cette pièce n’était pas grande, il n’y avait qu’un seul lit, et la petite fenêtre peinait à laisser entrer convenablement la lumière du jour. Malgré tout, c’était leur foyer, l’endroit où Domyrade était née, où elle avait dormi chaque nuit depuis, pendant quatorze longues années.

Un faible râlement de gorge lui fit aussitôt ramener son attention sur sa mère.

− Je ne veux pas que tu te retrouve seule dans cette ville…

Elle reprit péniblement sa respiration.

− Tu dois aller le retrouver, Domy.  

Ce n’était pas la première fois qu’elle lui parlait d’aller vivre avec son père. Son père… Méritait-t-il ce nom ? Un homme qui habitait à l’autre bout du monde, loin de la femme aimée et de son enfant, pouvait-il vraiment être appelé ainsi ?

− Je t’ai déjà dit que je ne partirais pas d’ici sans toi.

− Oh, ma grande fille…

Une larme perla au coin de ses yeux mi-clos. Domyrade l’essuya aussitôt du bout du pouce, prolongeant son geste d’une caresse sur les joues si pâles et si froides de sa mère.

− Tu as encore une famille. Rejoins ton père… Je ne supporterai pas…

Son filet de voix s’interrompit dans un gémissement à peine perceptible.

− Maman, arrête de parler, j’ai entendu. J’ai compris, reste tranquille maintenant.

− Les orphelinats…

L’idée que sa fille se retrouve dans un de ces endroits la tourmentait depuis un certain temps, et avec raison : c’était là que venaient se servir les agriculteurs en quête de main d’œuvre gratuite à exploiter. Sous couvert d’adoption, les pires individus de la campagne réduisaient ainsi des enfants déjà malmenés par la vie à une servitude qui leur laissait rarement le temps de vieillir et se rebeller.

− Je sais, Maman. Je ne me retrouverai pas là-bas, ne t’inquiète pas.

Les mains crispées de sa mère se détendirent légèrement et retombèrent avec lenteur sur la couverture, comme des feuilles mortes. Sous l’œil fatigué de la malade, Domyrade réarrangea un peu les couvertures et s’installa un peu mieux au bord du matelas.  

Au cours de sa vie, elle avait souvent eu l’occasion d’envisager des retrouvailles avec son père. Son histoire n’avait jamais été un secret. Elle connaissait depuis toute petite les circonstances de son départ : forgeron médiocre, il avait été forcé de quitter Zandiar, et même le royaume des humains pour trouver un emploi susceptible de pourvoir à ses besoins et ceux de sa famille. Quelle idée aussi de se lancer dans le métier sans être Révélé. C’était ce que répétaient les habitants du voisinage dès qu’ils évoquaient leur petit drame familial.

Heureusement, dans les contrées étrangères où le Don ne constituait pas une concurrence, le savoir-faire de son père avait finalement été apprécié ainsi qu’il l’escomptait. Il avait trouvé du travail au village de Golath, loin dans les montagnes de l’Edelstein. Lorsqu’il aurait gagné assez, il reviendrait à Zandiar. C’était du moins ce qui était prévu. Depuis treize ans, il forgeait là-bas pour les nains de la vallée, et envoyait de l’argent au début de chaque saison pour faire vivre sa femme et son enfant. S’il avait su écrire, il aurait pu y joindre des lettres, donner des nouvelles. Expliquer pourquoi il ne revenait pas. Les inviter à venir vivre avec lui à l’autre bout du monde. Non, elles n’avaient eu droit à rien de tout ça. Cela ne les avait pas empêchées de vivre heureuses toutes les deux, dans leur petite pièce.

Domyrade ne regrettait rien de son existence passée entre ces murs avec sa mère. Bien sûr, elle avait tout de même entretenu cet espoir qu’un jour, ils seraient réunis. L’idée de quitter Zandiar ne lui plaisait pas particulièrement, pas plus que celle de vivre avec des personnes non-humaines, mais l’image rassurante de sa mère avait toujours largement compensé cette crainte de l’inconnu.

Son père constituait d’ailleurs la pièce-maîtresse de cette vision obscure et mystérieuse de l’avenir. Il était parti moins d’un an après sa naissance, elle ne gardait donc aucun souvenir de cet homme et ne connaissait de lui que ce que sa mère et quelques vieilles connaissances lui en avaient dit. Jamais elle n’avait imaginé le rejoindre sans sa mère à ses côtés. Encore maintenant, elle refusait d’y songer.

− Domyrade…

− Je suis là, Maman.

Elle s’efforçait de garder un ton de voix tranquille, mais ne put empêcher ses mains de serrer fiévreusement celles de sa mère qui tâtonnaient dans sa direction. Un pressentiment plus horrible que jamais lui déchirait la poitrine à coups de griffes.

− … ton Don… ?

Domyrade n’avait réussi à distinguer qu’un seul mot dans ces quelques paroles chuchotées à bout de souffle. Cela lui suffisait amplement pour comprendre ce que demandait sa mère. Elle l’aida à se hisser légèrement en position assise contre la tête de lit. Le bois était troué de partout par les termites. Domyrade aurait aimé avoir des coussins à caler derrière le dos de sa mère. Non, ce n’était plus le moment de s’apitoyer sur leur misère. De toute façon, à ce stade, même tout l’or du monde ne la sauverait plus. Il ne lui restait plus qu’à faire de son mieux pour la distraire. La rendre heureuse encore quelques jours. Quelques instants…

La jeune fille leva deux mains tremblantes devant elle. Pourvu que l’anxiété n’empêche pas son pouvoir de fonctionner. Elle fut vite rassurée sur ce point : déjà l’air de la pièce se mouvait autour d’elles. Ce n’était pas facile d’exercer son Don dans un espace clos, mais elle pouvait bien faire un effort pour sa mère. Les mouvements de l’air tourbillonnèrent un peu plus rapidement jusqu’à soulever du sol des volutes de poussière qui se mirent à onduler joliment dans la lumière de la fenêtre.

Près de Domyrade, sa mère expira un soupir de ravissement. Depuis son apparition deux ans auparavant, elle n’avait jamais cessé d’être impressionnée par le Don étrange de sa fille. Cela n’avait pas été facile pour Domyrade de recevoir ce pouvoir qui non seulement lui était révélé à l’âge anormalement précoce de douze ans, mais en plus ne correspondait pas à celui de sa race. En tant qu’humaine, son Don aurait dû lui donner le contrôle du métal. Une telle abilité aurait d’ailleurs été d’une aide précieuse pour travailler à la forge avec son père. D’un autre côté, son pouvoir sur l’air avait au moins toujours eu le don d’émerveiller sa mère. Elle n’aurait échangé cela pour rien au monde.

− Merci, souffla sa mère.

Elle eut un léger toussotement qui se mua rapidement en une quinte de toux alarmante. Domyrade cessa aussitôt d’exercer son Don et la poussière retomba doucement. La jeune fille allongea de nouveau sa mère sous les couvertures, lui prodiguant quantité de caresses et de paroles réconfortantes. Sa mère souffrait, mais le regard qu’elle posa sur elle lui sembla toutefois dénué de l’inquiétude qui l’avait saisie un peu plus tôt, au point d’essayer de se lever.

Lorsqu’enfin la toux se fut calmée, elle leva les mains vers jusqu’au visage que Domyrade gardait penchée vers elle. D’un geste tendre mais maladroit, ses doigts osseux balayèrent les boucles brunes et emmêlées qui lui tombait devant les yeux. Cela faisait des jours que Domyrade ne les avait pas lavés, et des années qu’elle ne les avait pas coupés. Avant qu’elle ne tombe malade, c’était sa mère qui se chargeait de les épointer et de les coiffer. À présent, sa chevelure mal entretenue recouvrait ses épaules étroites et tombait en désordre dans son dos jusqu’à ses reins.

− Tu es si belle, murmura sa mère.

Domyrade ferma les yeux pour retenir ses larmes et s’abandonna un moment, dans la pénombre de ses paupières, aux caresses de sa mère.

− Je t’aime plus que tout.

La douleur fusa si fort dans son cœur que Domyrade en eut le souffle coupé. Pas les adieux. Pas déjà. La panique lui fit rouvrir brusquement les yeux. À travers le flou de ses larmes, elle distingua le sourire de sa mère. Un vrai sourire, comme ceux d’avant.

− Tu as les mêmes yeux que ton père. Si bleus…

Ses mains lui enveloppaient toujours le visage quand ses yeux à elle se fermèrent lentement, l’ombre de son sourire encore sur ses lèvres. Puis ses bras retombèrent. La douleur et la peur submergèrent Domyrade.

− Maman… 

Elle lui toucha le bras, l’épaule, hasarda une main sur ses cheveux, son visage. Plus le moindre sifflement laborieux ne s’extirpait d’entre ses lèvres décharnées. Mais cela ne voulait pas dire…

− Maman, reste… je t’en prie…

Sa gorge était si serrée que chaque mot lui faisait mal. Elle déplia deux doigts sous la gorge blanche de sa mère, chercha une pulsation aussi infime soit-elle.

− Ne me laisse pas, je t’en supplie…

Prise de hoquets douloureux, Domyrade s’effondra sur le lit et se recroquevilla misérablement contre le corps sans vie. Ses larmes se tarirent plus rapidement qu’elle l’aurait cru, la laissant creuse et silencieuse comme une coquille vide. Son regard fut le premier à sortir de cette inertie, dérivant malgré elle du mur nu à la fenêtre. La lumière avait considérablement baissé, c’était déjà la fin d’après-midi.

Si elle ne se dépêchait pas, les portes de la ville se fermeraient avant qu’elle ait pu en quitter l’enceinte. Et si elle ne partait pas dès ce soir, La nouvelle du décès imminent avait déjà dû se répandre dans le quartier. Les voisins viendraient jeter un œil dès le lendemain matin au moment d’aller laver leur linge au bassin. Les autorités seraient prévenues. Elle deviendrait la propriété de l’orphelinat, son sort ne dépendrait plus d’elle. Oui, c’était exactement ce qu’il se passerait si elle ne bougeait pas tout de suite de ce vieux lit mangé par les termites.

Mue par une volonté qui lui semblait presque extérieure, Domyrade se redressa mollement et marcha jusqu’à la table. Tout ce qu’elles possédaient tenait largement sur cette planche de bois montée sur pied. Un geste après l’autre, elle rassembla dans un sac la nourriture qu’elle avait achetée pour les jours à venir. Elle n’aurait pas cru qu’elle lui servirait de provisions pour un voyage à l’autre bout du monde. Cela ne suffirait pas à la nourrir jusqu’en Edelstein.

En prenant soin de ne pas poser les yeux sur la silhouette allongée sur le lit, Domyrade alla chercher d’une main agile la réserve de pièces cachée entre le matelas et le sommier. Cette poignée d’économies rejoignit le peu d’argent qu’elle gardait déjà dans sa bourse, elle-même soigneusement dissimulée sous ses habits. Elle fourra dans son sac son unique tenue de rechange et la gourde qui lui avait servi à désaltérer sa mère tous ces mois durant. Domyrade secoua la tête et alla décrocher le manteau suspendu derrière la porte. Le tissu gris lui sembla plus élimé que jamais. Cela non plus ne suffirait pas à lui tenir chaud jusqu’en Edelstein. Elle aurait dû être désespérée par sa situation, mais n’y parvenait pas. Plus rien n’avait réellement d’importance.

Alors qu’elle ouvrait finalement la porte pour partir, Domyrade n’y tint plus et se retourna vers sa mère. Elle observa longuement ses mains blanches, son visage impassible, sa poitrine horriblement immobile. Alors que l’espoir fou de la voir remuer menaçait de s’emparer d’elle, la partie rationnelle de son esprit reprit le contrôle de ses émotions. C’était fini. Sa mère avait raison : il n’y avait plus rien pour elle ici désormais. Sentant son cœur sur le point d’exploser, elle s’enfuit dehors et détala dans la ville.  

Malgré la souplesse de ses bottes en cuir, chacun de ses pas claquait bruyamment sur les pavés tandis qu’elle courait comme une forcenée dans les ruelles étroites de son quartier. Elle devait atteindre la porte la plus proche avant la tombée de la nuit. La lumière s’effaçait à vue d’œil derrière les hauts remparts de la capitale. Concentrée à la fois sur sa course et celle du soleil, Domyrade faillit ne pas remarquer l’autre disque rougeoyant dans le ciel. C’était le soir de la lune rousse d’automne. Ce détail futile lui sembla rassurant à sa façon. Selon certains, l’astre accordait chance et courage durant cette nuit de l’année. Deux bénédictions dont Domyrade aurait bien besoin.

Elle arriva finalement à destination dans les temps, le souffle-court et les habits mouillés de transpiration. Les deux immenses battants de la porte Sud laissaient passer dans leur ouverture les derniers rayons du soleil couchant. La lumière était si belle que Domyrade n’avait qu’une envie : sortir de cette enceinte fortifiée qui plongeait la ville dans une ombre grandissante. Seules les silhouettes hérissées de plusieurs gardes postés à l’entrée la dissuadèrent d’aller s’engouffrer immédiatement par l’embrasure. Domyrade s’avança près d’une rangée de tonneaux pour pouvoir observer discrètement les lieux tout en reprenant sa respiration.

À en juger par le nombre de personnes qui continuaient d’entrer et sortir sans avoir l’air de particulièrement se presser, il restait encore un peu de temps avant la fermeture nocturne des portes. Les soldats interpelaient régulièrement des passants, mais seulement les étrangers. Tous les humains, quel que soit leur âge ou leur statut, pouvaient apparemment circuler sans aucun problème.

Alors qu’elle allait quitter l’ombre des tonneaux, un individu surgissant d’une rue attira son regard. C’était un nain, et qui plus est pas des plus robustes qu’elle ait pu rencontrer. Sans sa moustache, Domyrade aurait pu le prendre pour un humain de son âge. Habillé avec simplicité et dans des tons plutôt ordinaires, il se distinguait surtout par des cheveux d’un rouge sanglant. Même si presque tous les humains étaient blonds, Domyrade avait déjà croisé le chemin d’un certain nombre de rouquins. Aucun, toutefois, dont la pigmentation eût pu rivaliser avec celle de ce nain.

Il avançait d’un bon pas vers la porte et Domyrade s’attendait déjà à le voir en franchir le seuil quand les gardes interceptèrent la marche décidée du jeune homme. Ils n’eurent pas besoin de la moindre démonstration de force : le nain qui avait semblé si pressé quelques secondes plus tôt n’hésita pas un instant à s’arrêter. Il était peut-être de nature docile, ou alors les lances sur lesquelles s’appuyaient les vigiles avec nonchalance avait suffi à l’intimider. Tout en continuant d’observer la scène de loin, Domyrade se rapprocha à son tour des battants.

Les gardes interrogeaient le nain avec un regard méfiant. Les mains calées sur les bretelles de son sac à dos et le menton levé pour leur parler, il n’avait pourtant rien d’intimidant. À y voir de plus près, c’était peut-être le sourire légèrement insolant qui pointait sous ses moustaches qui déplaisaient tant aux soldats.

− Es-tu Révélé, oui ou non ? l’interrogea l’un d’eux d’un ton exaspéré.

− Non, je ne le suis pas. Et même si je l’étais, ça ne voudrait pas dire que je suis pyromane. Et même si j’étais comme ce fou furieux, cela ne vous causerait aucun tort puisque je n’entre pas dans votre ville, j’en sors.  

Domyrade n’était pas la seule que cet échange avait intrigué. Une poignée de personnes s’était même arrêtée à portée de voix pour écouter la conversation. Elle ralentit à leur niveau sans cesser de tendre une oreille curieuse.

− Tu crois que parce que nous habitons à la capitale, on se fiche de ce qui se passe dans le reste du royaume ? répliqua un garde avec humeur.

− Non pas du tout. De toute façon vous n’avez pas à vous inquiéter : je jure que je ne suis pas Révélé et je m’en vais même quitter votre royaume.

Domyrade passa machinalement son manteau grisâtre sur ses épaules, dissimulant son sac à l’abri des regards. Elle dut rejeter en arrière sa masse de boucles brunes pour pouvoir nouer l’habit au niveau de son cou.

− Pour aller où ? s’enquit le garde sans détours.

− En Edelstein. Je rentre chez moi.

Domyrade s’arrêta dans un sursaut et lorsqu’elle posa de nouveau les yeux sur lui, regarda le nain aux cheveux rouges sous un tout autre jour.

Elle ne pouvait espérer trouver son chemin toute seule jusqu’en Edelstein. Elle n’avait pas de carte et probablement pas les moyens d’en acheter une. Du reste même si on lui en faisait cadeau, elle serait de toute façon bien incapable de la déchiffrer correctement. Elle serait d’ailleurs tout aussi démunie face aux rares indications placées à la croisée des routes. Sa mère avait quelques rudiments d’alphabet, mais n’avait jamais réussi à les lui léguer. Domyrade connaissait seulement l’écriture des chiffres et la valeur de la monnaie. C’était le plus utile, après tout.

Sauf que, sans carte ni panneaux, elle ne traverserait jamais le monde sans s’égarer. Or, au vu de ses maigres provisions et du contenu plus maigre encore de sa bourse, elle devait à tout prix voyager sans faire de détours, si minime soient-ils. Un guide à suivre résoudrait absolument tous ses problèmes.

Or ce nain aux cheveux rouges voyageait vers l’Edelstein, et donc vers son père. S’il ne se rendait pas jusqu’aux montagnes et s’arrêtait, par exemple, à la capitale naine, ce n’était pas un problème. Domyrade n’aurait alors que l’embarras du choix pour se choisir un autre nain à suivre jusqu’à Golath. Jusqu’à son père.

− C’est bon, qu’il s’en aille, céda l’un des gardes.

− Merci bien, dit le nain, et bonne soirée à vous.

Les soldats lui répondirent d’un concert de marmonnements fatigués. Un seul semblait plus enjoué que les autres et plaça une main en porte-voix.

− Ne vas pas te couper un doigt avec ta hachette ! déclara-t-il au nain qui s’éloignait déjà.

Domyrade, qui s’était remise elle aussi en marche vers la porte, craignit soudain que le nain ne se retournât, la vît et devinât ses intentions. Il se retourna bel et bien, mais ce fut seulement pour adresser un signe amical de la main au soldat. Son regard ne passa même pas un instant sur elle.

Domyrade remarqua l’outil qu’avait mentionné le garde. La hache accrochée à la ceinture du nain aurait semblé ridicule à n’importe quel bûcheron, tout juste bonne à couper des branchages. Même une lame de boucher était plus impressionnante que celle-ci.  Au moins cette arme était à la hauteur de son propriétaire. Et puis, quoi qu’on en dise, c’était toujours mieux que rien, surtout s’il savait la manier. Domyrade, pour sa part, ne possédait qu’un simple coutelas, dont elle ne s’était d’ailleurs jamais servi que pour découper les légumes en rondelles.

Elle passa la porte Sud quelques instants après le nain aux cheveux rouges. Le coucher du soleil irradiait tellement qu’elle dut plisser les yeux pour retrouver sa silhouette parmi celles des autres personnes qui quittaient Zandiar. La plupart des gens rentraient simplement chez eux après une longue journée de travail. L’image de sa maison lui revint brusquement à l’esprit mais Domyrade la chassa aussitôt. Ses pensées se portèrent toutes entières sur le voyage qui l’attendait et le nain qu’elle suivait.

Domyrade ne connaissait pas ce peuple. Elle n’avait jamais côtoyé aucun étranger, en réalité. Comment était-elle censée persuader ce nain d’être son guide ? Et s’il abusait d’elle ? Elle n’avait que quatorze ans et qui plus est un corps sans aucun attrait, mais cela n’avait pas empêché un bon nombre d’individus ces derniers mois de lui adresser des commentaires déplacés dans la rue. Tout le monde disait qu’il fallait se méfier des inconnus, encore plus des étrangers. L’avertissement était d’autant plus valable sur les routes.

Non, c’était décidé : elle le suivrait, mais à son insu. De loin, discrètement, s’arrêtant aux mêmes endroits, empruntant les mêmes routes, sans qu’il ne puisse soupçonner sa présence.

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Notsil
Posté le 05/06/2020
J'adore tes choix de prénoms ! Une mignonne petite à l'histoire tragique, et on sent que ce voyage ne va pas du tout se passer comme prévu :) Enfin, je suppose qu'il va vite se savoir pister, et je suis curieuse de la réaction qu'il aura.
Hinata
Posté le 06/06/2020
Mercii ! J'ai d'ailleurs très personnellement un faible pour celui de Domyrade justement, haha
C'est chouette que tu sois intriguée, et merci beaucoup de prendre le temps de commenter au fur et à mesure de ta lecture, c'est toujours très sympa de voir un peu les réactions/ressentis/ attentes :)
Alice_Lath
Posté le 18/04/2020
Eh ben, j'ai également beaucoup aimé cette partie, puis je ne sais pas pourquoi, mais j'imagine bien la capitale des humains comme Moscou il y a quelques siècles huhu, je trouve qu'il y a la même ambiance, avec notamment les loyers très élevés. Sinon, je croise les doigts pour que son voyage se passe bien, parce qu'en effet, il promet d'être long et compliqué. Mais j'ai hâte de découvrir un peu plus sur ces contrées lointaines héhéhéhé
Hinata
Posté le 18/04/2020
Haha bah grave avec le palais impérial et le climat hivernal, ça peut bien aller avec Moscou d'une autre époque ^^
Oui, ce voyage là est pas près de se terminer XD
Merci pour ta lecture et tes commentaires, à la prochaine j'espère ;) bise
_HP_
Posté le 14/04/2020
Coucou !

On voit que les deux personnages ne sont pas les mêmes, et c'est un bon point. Si tous les personnages que tu avais se ressemblaient, je crois qu'on ne s'en sortirait pas ! XD En tout cas ils sont attachants !
On découvre chaque univers, petit à petit !
J'ai hâte de savoir comment va se dérouler ce voyage !

Comme pour Helgrind/Helmer, dans ce chapitre tu dis que la capitale des humains est Xandiar, or dans ton lexique c'est Ziandar ^^ Il faudrait peut-être changer au moins dans le lexique, et après tout rechanger si jamais tu fais une relecture ^^
Hinata
Posté le 14/04/2020
Yeah trop cool que tu sentes la différence ! ^^
Dans la première version ils se ressemblaient tous un peu trop justement, et j'ai essayé de travailler à leur donner à tous un ton et un caractère particulier, j'espère que ça aura fonctionné !

Ah oui, bah pareil que dans mon autre réponse de comm, faut que je change aussi Xandiar en Zandiar (tu verras normalement au bout de quelques chapitres la mise à jour sera faite et le texte s'aligne sur le lexique, désolée encore pour ce petit couac >°<

Et un grand merci pour ce deuxième commentaire :*
Jinane
Posté le 11/04/2020
Hello ! Pour ma part, j'ai senti une différence de caractère entre Salysse et Domyrade, c'est du bon travail ! Les deux sont courageuses, mais Domyrade a l'air plus sensible (après, peut-être que Salysse cache mieux ses émotions). En tout cas, j'ai beaucoup aimé, les deux personnages ont leur propre personnalité :)
Hinata
Posté le 14/04/2020
Salut !
Ah je suis contente si la différence entre les personnages se sent bien !!
Merci pour ton commentaire ^^
Mart
Posté le 08/12/2019
Coucou Hinata !

J'ai hâte de voir comment va se passer ce voyage !
Les adieux étaient touchants, bien que peut-être un peu trop "scriptés". Enfin, entre la maman qui d'abord (et même dans le noir) ne fait que regarder sa fille et ensuite n'arrive plus à garder les yeux ouverts, sur quelques minutes d'intervalle (ou alors j'ai mal marqué le passage du temps), ça m'a semblé un peu forcé. Enfin, perso ça m'a poussé (rétrospectivement) à croire qu'elle fermait les yeux pour faciliter le départ de sa fille.
Toujours de nouveaux petits détails sur l'univers, un personnage à l'histoire et aux motivations bien définies... Top!

PS : Et donc les nains parlent allemand ? (Edelstein signifie pierre précieuse en allemand, mais j'imagine que tu le savais...)
Hinata
Posté le 08/12/2019
Hey! :)
C'est le moment d'avouer que j'ai sauté (par flemme. on peut le dire je crois) la réécriture de ce chapitre, oups. Donc ça ne m'étonne pas que la scène manque de naturel, voire de vraisemblance... Je vais y revenir, ton avis me sera utile, merci ! ^^

Contente que ça te plaise anyway, merci de me lire et de commenter !
PS: oui je le savais haha, et non, les nains ne parlent pas allemand (si j'avais du courage, j'introduirais des différences d'accent ça serait cool, mais trop laborieux je crois), on a juste (ma sœur et moi) puisé dans cette langue pour l'onomastique du royaume (et d'un nain en particulier, you'll see ;))
Mart
Posté le 08/12/2019
Je me réjouis de lire ça !
Et franchement, ça se lit bien, pour un chapitre qui n'a pas été retravaillé ^^ (enfin, je ne sais pas trop ce que tu changes, vu que je n'ai pas connu la première version des autres chapitres)
Xendor
Posté le 05/11/2019
Bon chapitre :) Domyrade fait vraiment contraste avec Salysse. Le fait qu'elle soit une fille du peuple et qu'elle traverse de telles épreuves : respect pour elle. À côté Salysse paraît se préoccuper de choses d'importance plus futile, bien que ce ne soit pas vrai. Hâte de savoir comment les deux person,ages seront amenés à interagir.
Hinata
Posté le 05/11/2019
Merci pour ce deuxième comm !
C'est chouette de voir que tu gardes le chapitre précédent à l'esprit ^^ Par contre sans vouloir casser tes attentes, l'histoire se construit autour d'un grand nombre de personnages, dont beaucoup ne se rencontrent pas du tout (ou pas dans ce premier tome en tout cas héhé)
Merci encore pour ta lecture, à bientôt j'espère !
Xendor
Posté le 05/11/2019
Oui bien spur :) Ce n'est qu'à la fin que tout sera "révélé" :)
VavaOmete
Posté le 25/06/2019
Chapitre intéressant, courageuse Domyrade ! J'espère qu'elle va s'en sortir sans trop de domages ! (et que son père s'est pas fait une autre famille tranquilou à Golath...).
Par contre, c'est compliqué de garder en tête que Domyrade à 13 ou 14 ans en la voyant tout le temps être appellée "la petite fille" ou "la fillette", qui renvoie plutôt à une enfant de 6 à 10 ans et non pas à une adolescente, du coup... @_@ ça fait bizarre quand on doit l'imaginer.
Hinata
Posté le 25/06/2019
 
 Ah, je comprends, c'est un sujet de débat entre ma soeur et moi...c'est que je trouve que "jeune fille" ça fait plus 16-20 ans (l'âge des autres personnages) et donc je mettais "fillette/petite fille" pour faire contraste avec justement cette tranche d'âge vingtaine qui est majoritaire dans le bouquin. Du coup "jeune fille" ça irait quand même pour son âge selon toi ? Ou alors tu as une autre idée ? 
PS : sans vouloir ignorer le problème (auquel je vais m'atteler, parce que ce n'est pas la première fois qu'on me le signale) les dessins des héros (dont Domy) arriveront sous peu sur mon JdB ... ça pourra peut-être t'aider à imaginer ;)  
Merci pour ta lecture et tes commentaires !  
VavaOmete
Posté le 17/07/2020
Poulpy !
Maintenant qu'on peut répondre aux commentaires :D
Je ne sais plus si j'avais répondu a ta question, mais "l'adolescente" ou "la très jeune fille/femme" pourraient faire l'affaire non ?
Hinata
Posté le 17/07/2020
Hey!
Oula ça date de l'ancien FPA en effet XD
Bah tu vois finalement j'ai suivi ton conseil, et je la désigne en tant que "jeune fille" (et les autres un peu plus âgées "jeune femme") ^^ Et puis en fait c'est même pas souvent vu que ma réécriture se rapproche plus du pov interne visé et donc très souvent j'emploie tout simplement leurs prénoms ou juste les pronoms ^^
Merci pour ton petit retour ici en tout cas ;)
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