Elle rêvait d’un corps contre le sien.
Elle n’osait pas bouger de peur qu’il disparaisse. Un inconnu. Une présence réconfortante, douce et sûre. Un souvenir que son corps aurait gardé sans en reconnaître l'origine. Derrière elle. Elle sentait son torse dans le creux de son dos, une main posée doucement sur sa hanche, remontant lentement le long de son bras nu, jusqu’à son épaule.
Chaque mouvement était lent, précis, il écrivait quelque chose sur sa peau. Une langue oubliée. La chaleur du souffle sur sa nuque la faisait frissonner, mais sans peur. Il n’y avait rien de brusque, rien de possessif. Juste ce poids délicat d’un corps qui n’exige rien. Qui est là.
Et elle, dans ce rêve, se laissait aller. Ses muscles, d’habitude si tendus, avaient abandonné la garde. Ses doigts cherchaient les siens. Ils se trouvèrent. Ses paupières battirent un instant. Elle aurait voulu rester là. Juste un peu plus.
Juste… une minute de plus.
Mais l’aube la tira doucement hors de cette parenthèse.
Elle se réveilla avec cette sensation étrange d’avoir perdu quelque chose qu’elle n’avait jamais vraiment eu, mais dont l’absence lui pesait déjà.
Le silence autour d’elle était trop net.
Elle se leva, grogna quelque chose d’inintelligible à son reflet dans la vitre et entra dans sa cuisine. Le contrat était là. Posé sur son comptoir. Bien en vue. Elle s’en approcha lentement, avec la prudence qu’on réserve aux chats errants : mi-curieuse, mi-prête à reculer d’un bond.
Elle le prit. Relu les premières lignes. Toujours cette encre bleue, calligraphiée, douce et menaçante à la fois.
Vous avez jusqu’au 25 décembre pour vous retrouver. Au-delà, certaines données personnelles pourraient être effacées : souvenirs, sensations, émotions. Tout ce qui fait de vous, vous.
— Très Black Mirror, mais version téléfilm de Noël, murmura-t-elle.
Mais elle ne riait plus vraiment.
Elle tenta de rationaliser. Clarisse de la com’, sans aucun doute. Toujours à chercher le concept original pour les campagnes RH. Les entretiens de fin d’année approchaient, il fallait se démarquer. Mais là… Nora avait du mal à voir l’intérêt. Un genre de storytelling introspectif ? Une thérapie de groupe en mode corporate ?
Ridicule. Mais crédible. Après 3 départs pour cause de « je vais monter ma boîte » comprendre pour « burn-out » mais en politiquement correct, ils doivent être prêt à tout pour redorer leurs blasons.
Manteau. Sac. Bonnet. Parée. Elle ouvrit la porte en grand et son regard fut attiré par une chaussette de Noël. Elle pendait joyeusement à la poignée. Rouge, molletonnée, accrochée avec soin.
Elle l’observa longuement et la prit à deux doigts, pièce à conviction de sa propre folie. Tout en jetant un oeil sur le palier pour voir les témoins. Personne.
À l’intérieur : une boule à neige avec écrit Paris sur son socle, des flocons de neige, la Tour Eiffel et une silhouette floue sur un pont. Il y avait un mot. Calligraphié à l’encre bleue.
« À ce soir. 18h. Chez toi. »
Elle s’immobilisa. Pas de signature. Juste cette phrase. Inoffensive. Absolument flippante. Elle enfourna la boule et le papier dans son sac, jeta la chaussette sur son meuble d’entrée et partit au travail avec la vitesse d’une femme qui veut prouver à l’univers qu’elle a mieux à faire que de sombrer dans un délire saisonnier sponsorisé par l’esprit de Noël.
Au bureau, elle arriva à 8h03. Pas mal, après une nuit semi-blanche. Elle salua deux collègues sans les regarder, répondit à un mail en entrant son mot de passe à l’aveugle, et s’arrêta net devant un post-it collé sur l’écran :
« Merci encore pour hier ! »
C’était quoi cette nouvelle tendance des petits mots ? Mais celui-ci était signé : Mael.
…Mael ? Elle plissa les yeux. Un flash lui traversa l’esprit : un garçon à lunettes, un rire discret pendant une réunion, une main qui lui tendait un café. L’image s’échappa aussitôt.
Le stagiaire ? Oui. Peut-être. Ou pas. Elle l’avait oublié. Pendant un instant, elle crut l’avoir sur le bout de la langue. Mais, rien. Nom, visage, aucun souvenir.
Elle haussa les épaules. Manque de sommeil. Rien d’étonnant. Sophie apparut à ce moment précis, aussi appréciée qu’une mauvaise surprise sous cellophane.
— Tu peux me renvoyer ta dernière version du dossier Orzella ? Je préfère le relire avant vendredi.
— Je viens de te l’envoyer, il y a une demi-heure, répondit Nora sans lever les yeux.
Elle y avait passé la nuit dessus.
— Tu sais comment je suis, lui sourit faussement Sophie. J’aime bien avoir les choses sous les yeux. Surtout avec l’annonce qui arrive.
— Quelle annonce ?
Sophie lui jeta un regard en coin.
— Pour le projet du 25. La personne qui le pilotera sera révélée ce soir. J’imagine que tu fais partie des shortlistées. En tout cas, tu es très observée. Puis elle ajouta :
— Mais ne le prends pas mal si ce n’est pas toi.
Nora sourit. Avec le même sourire qu’on réserve à une araignée. Autour d’elles, ça s’agitait. Des appels, des échanges de calendriers, des « je t’envoie ça ASAP », des « on se cale un point », offerts au dieu omniscient de la productivité. L’entreprise entière vibrait au rythme du mois de décembre, ce moment magique des sourires de façade pendant qu’on enterre les projets non bouclés de l’année.
Elle pensa à la boule à neige dans son sac. Au mot. À ce rendez-vous fixé chez elle. Stupide. Absolument hors de question de quitter le bureau plus tôt pour… quoi ? Une mauvaise blague ? Le rendez-vous d’un psychopathe en bonnet de Noël ?
Et pourtant, une pensée la frappa. Elle ne se souvenait plus vraiment de la tête de Mael. Et si ce n’était pas juste de la fatigue ? Et si c’était autre chose ?
Ah, la fameuse boule de Noël laissée mine de rien comme invitation à un rendez-vous galant… On sent l’ambiance téléfilm de fin d’année : plaid sur les genoux, chocolat chaud dans une tasse démesurée, et un inconnu aux yeux profonds qui surgit avec une guirlande dans la main et un lourd passé sentimental.
Sauf que là… on est plutôt dans "Crimes au marché de Noël" que dans "Coup de foudre au chalet". Je comprends Nora : recevoir une décoration de Noël en guise de convocation secrète, ça sent plus le harceleur créatif que le prétendant maladroit. À moins que ce ne soit un psychopathe romantique ? Là, tu tiens un concept rare. L’homme qui assassine… mais en alexandrins.
Bref, ça donne envie de voir jusqu’où ce mélange douteux de guimauve et d’instinct de survie va nous mener.
A très vite ! Ou plutôt devrais-je dire "Asap" !
Nora c’est l’experte du quotidien en mode survie : elle ne relève la tête que pour les bonnes résolutions du Nouvel an. Alors cette boule à neige, ce message un peu flippant que n’importe qui aurait pris comme une alerte à signaler aux autorités… pour elle, c’est presque un soulagement. "Enfin", il se passe quelque chose dans sa vie.
Mais tu as mis le doigt sur quelque chose d'important, tu me fais réaliser qu’il faut que je glisse plus tôt dans le récit ce petit parfum de magie : des lumières qui clignotent, des paillettes, un air de chanson de Noël démodé… je ne sais pas encore le « comment » mais en tout cas mieux préparer le lecteur a basculé dans un "et si?" légèrement fantastique.
Parce qu’en effet si tu t’attends à l'histoire d’un psychopathe qui assomme à coup d’alexandrins, et que je te sers du pull moche avec des tasses à café, on va être vite en dissonance 🤣 Merci beaucoup pour ton retour, ça va m’être fort utile pour affiner cette bascule lors de la réécriture.
On se capte ASAP 😉
Une Nora qui oscille entre rêve et réalité. Une semi-blanche passée à rêver du Mael et l'autre à potasser le dossier. On dirait plutôt le dossier rêvé et le Mael travaillé là, intriguant.
J'adore toujours ton rythme très "open space". Nora survit dans la jungle urbaine, n'accordant que peu de temps à toutes ces alertes autour d'elle. Les références et les mots-clés sont percutants. On a beaucoup d'introspectif, ce qui peut plaire comme dérouter puisque tu insistes sur le "tell" et peu sur le "show". Pour moi, ça colle à la Nora donc j'adhère :)
Hâte de voir se finir la journée donc. À ce soir 18h donc ?
Ravie que le rythme te plaise ! Je lui laisse peu de répit :p
C'est une très bonne remarque sur le côté introspectif, sur ce chapitre en particulier c'est vrai qu'il y a comme un côté "en différé", elle agit comme un robot : rendement, efficacité, pas le temps pour les émotions, pas le temps pour ressentir mais dans sa tête, ça s'agite, ça bouillonne, ça se questionne.
Hihi oui 18h - est-ce que tu aurais été de ceux qui rentrent chez eux à 18h pile pour voir ce qu'il se passe ? 😋
Juste cette phrase. Inoffensive. Absolument flippante."
On est aussi intrigué à la fin du chapitre lorsque elle commence à oublier des choses : cela se peut il vraiment que quelqu'un lui fasse oublier ses souvenirs ? Ou quelque chose ? En tout cas hâte de lire la suite !
Oui, le contrat ne rigole pas et le tic tact a déjà bien commencé :)
Pour commencer, une interrogation : pourquoi narrer à la troisième personne et au passé ? J'aime beaucoup, ce n'est pas le sujet, c'est surtout que c'est rare, dans ce genre. C'est plus souvent à la première personne, et quasiment tout le temps du présent (je dis quasiment car le contraire doit exister mais je n'en ai pas lu). La narration est toujours un parti pris littéraire, d'où le fait que je classe cette remarque comme une question : pourquoi, donc, ce mode de narration ? Qu'apporte-t-il de spécifique par rapport au point de vue que les lecteurices du genre ont l'habitude d'avoir ? Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réponse à ça, seulement une question de choix. Je ne sais pas quels sont tes projets avec ce roman, mais si un jour tu souhaites l'adresser à des professionnels, il se peut qu'ils regardent ce point-là. Sauf si ce roman a une intrigue romantique mais n'est pas, en soi, une romance ?
Sur la forme, ensuite : je trouve que ton histoire a un ton très singulier, une voix forte et une promesse d'intrigue très intéressante. Toutefois, commencer un roman par le protagoniste qui se réveille, ça reste très classique. Je peux comprendre pourquoi tu as commencé là (elle croise quelqu'un en sortant de chez elle, elle a des journées de dingue, etc.), mais je souhaitais le dire, au cas où : est-ce que ce début de roman aurait pu être plus "unique" dans sa première action ? D'autant que ce chapitre 2 commence également sur un réveil. Il y a donc, outre la question du sujet du moment choisi, une répétition dans la forme d'ouverture sur ces deux premiers chapitres.
Ce sont là des pensées, des pistes de réflexion, mais ça n'enlève rien à ce que j'ai ressenti sur ce début et que je t'ai partagé dans mon autre commentaire : je suis intriguée, j'adore la plume, et il me tarde de savoir la suite. Et hop, dans ma PAL !
- 18h ? Avec les journées qu'elle a, ne pourrait-elle pas d'entrée savoir qu'elle n'y sera pas et qu'elle ignorera cette invitation ? (Ou pas, et alors, ça lui demandera de faire une entorse à ses horaires)
- la porte de son appartement : attention, ceci est une projection 100% personnelle mais si quelqu'un faisait ça à ma porte, je crois que j'aurais un peu peur de me faire stalker, ou que ce soit un harceleur, ou si c'est quelqu'un de gentil et qu'il ne me plaît pas, il a quand même mon adresse ?! Enfin, je ne suis pas Nora, c'est clair, mais je trouve que globalement, cette action a été très anodine et a entraîné peu de réaction de sa part
Tu mets vraiment le doigt sur plein d’aspects hyper intéressants, alors je me lance :
- Sur la narration : j'ai beaucoup hésité. Mais je voulais sortir de l'immédiateté de la première personne et garder aussi un souffle introspectif et un brin de poésie. La troisième personne me semblait mieux s’y prêter. Mais tu as tout à fait raison : ça sort des codes du genre, et ça pourrait rebuter des maisons d’édition. C'est un pari pour l'instant 😊
- Sur l'ouverture : ta remarque est hyper juste. Tu me donnes vraiment envie de retravailler ce début pour le rendre plus marquant. Merci pour ce regard affuté !
- Sur l’horaire et l'arrivée à 18h : j’avais voulu montrer son tiraillement : entre l'envie secrète que quelque chose bouge dans sa vie et son incrédulité pragmatique. Elle ne choisit ni vraiment d'y aller, ni vraiment d'ignorer : elle part en avance mais arrive trop tard. Je vais essayer d’affiner son état d’esprit pour que ce soit plus clair.
- Sur la boule à neige : c’est aussi une super remarque. Je vais réfléchir à renforcer soit sa méfiance, soit au moins son cynisme pour avoir quelque chose de plus réaliste émotionnellement.
Merci encore pour ton retour si riche, ça va m’aider à avancer !
La forme est excellente, t'as vraiment une plume délicate dans les moments de tendresse comme le rêve par exemple, un vrai bonheur duquel on ne veut pas se réveiller. Tes comparaisons sont très justes, marquantes, comme ce moment "magique" à l'approche de Noël, où on fait tous semblant d’être joyeux alors qu’on enterre les projets pas finis de l’année.
Sur le fond, si tu ne l'avais pas dit, je l'aurais quand même mentionné ici, ça a une ambiance de Black Mirror, flippant, par son étrangeté mais très réussi.
Tu laisses bien le suspense de l'intrigue nous questionner tout en nous ramenant à la réalité du quotidien, pressé et stressant.
Rien à dire si ce n'est : chapeau !
Hâte de lire la suite.
Belle continuation à toi :)
J'ai adoré travailler le moment du rêve, je voulais vraiment un moment entre deux mondes, un moment où Nora est enfin vulnérable et où elle espère autre chose que finir de cocher les cases de sa to-do list !
Merci pour ta remarque sur le suspense, ça me touche. Je trouve que c'est vraiment le plus dur et le plus gratifiant quand on arrive à maintenir vraiment le lecteur happé. J'espère garder le niveau :)
Et pour le suspense, je comprends, c'est dur de jongler entre phase d'intrigue, phase émotionnelle comme le rêve et phase descriptive comme son taf. Pour ma part, c'est réussi (après, je ne suis personne, donc mon avis vaut ce qu'il vaut :p)
Bonne continuation et bon courage pour garder le niveau ;)