2. Itinérance

Par Mawie

Plus encore que la chaleur, ce sable était infernal ! Il s’infiltrait dans chaque ouverture, son tabard de cuir en était plein, il remplissait les éprouvettes et semblait même s’infiltrer par les pores de sa peau. Icarion en était recouvert de la tête au pied. Sa bouche gercée crissait alors que sa langue râpeuse tentait d’humidifier ce micro désert. Il rêvait avec ardeur de retrouver l’accueillante et civilisée Roche-Ciel pour y prendre un bon bain glacé.

Parcourir les terres avait été une expérience édifiante. Hormis les trésors qu’il avait dénichés, le jeune homme avait appris une grande leçon : rien n’est plus appréciable que le confort de son laboratoire ! D’autant que le sien était particulièrement imposant.

Ça avait des avantages d’être le fils d’un maitre-alchimiste de renom. Chacun dans la vallée connaissait son père. Il était à l’origine de quantité remèdes miracles. S’il avait guéri de terribles maladies, c’est la recette de l’élixir de jeunesse qui faisait sa notoriété. Ses clients les plus privilégiés pouvaient bénéficier d’une version frelatée du produit, ce qui garantissait au maitre une fidélité à toute épreuve. Le roi lui-même s’offrait les services de l’alchimiste.

Du moins, c’était le cas avant...

Sur ces terres sauvages où le sable ondulait à perte de vue, sa vie citadine ne semblait plus qu’un lointain songe. Le genre de rêve qui, au réveil, demande quelques minutes pour comprendre qu’il était irréel et une seconde de plus pour être frappé d’un profond chagrin. Ici, le désespoir le matraquait, mais il s’accrochait. Il n’avait pas le choix.

 

« Un arbre... »

 

Des mirages apparaissaient sur les dunes et laissaient entrevoir la menaçante mer acide qui bordait la péninsule désertique comme on borde un enfant fragile.

La Griffe, comme on la nommait, était la seule bande de terre qui n’était pas protégée par la Barrière. Les vapeurs du volcan sous-marin géant qui l’avait façonnée des millénaires plus tôt se dissolvaient dans les airs sans pouvoir franchir la chaine de montagnes.

Insouciants, les habitants de la vallée profitaient de sa sécurité. Ils ignoraient tout du danger permanent qui planait aux portes de leur pays depuis des temps immémoriaux. Ils se contentaient de suivre leur petit quotidien navrant par sa redondance en fermant allègrement les yeux sur tout ce qui pourrait le menacer.

 

« Où pourrais-je trouver un arbre dans cette sècheresse omniprésente ? »

 

Ses pieds s’enfonçaient dans le sol, chaque pas était éreintant. Il fallait se rendre à l’évidence, il n’avait rien d’un athlète : il était bâti comme un bâton avec des bras exempts de biceps et des jambes aussi fines qu’une brindille... Chez lui, le seul muscle à avoir été travaillé se trouvait dans sa boite crânienne.

Et il en était fier de ce muscle[1] ! L’excès de louanges durant son enfance lui avait apporté une confiance à toute épreuve. On pouvait lui mettre le nez directement sur ses erreurs, il ne les admettait que s’il pouvait en tirer la gloire de la rectification.

Son père lui avait répété sans cesse que l’erreur était la juste façon d’apprendre. Avide de flatteries, le garçon n’avait jamais pu entendre raison. Il se sentait invisible sans elles, inexistant, comme il l’était pour son père.

Cette figure paternelle imposante, accaparée par les personnalités les plus notoires du royaume, ignorait tout de l’horreur que ça avait été de vivre dans son ombre. Icarion s’était construit tout seul, avait appris par lui-même et voulait se forger un nom sans la moindre aide hypocrite d’un père indifférent. Peut-être au fond de lui espérait-il attirer l’attention du maitre, mais il manquait de maturité et avait un égo beaucoup trop gonflé pour l’accepter.

Dans le sac du jeune homme, quelque chose s’agitait.

— Arrête ! ordonna-t-il en donnant de petits coups à son paquetage. C’est déjà assez pénible de traverser ce désert sans que tu émettes ton opinion à tout bout de champ.

Le sac s’immobilisa.

Les mouvements devenaient de plus en plus difficiles. Le sable alourdissait l’attirail du garçon qui commençait à fatiguer. Il se sentait lesté du poids de la culpabilité, du remords... Ces pieds prenaient du retard alors que sa tête, tirée par l’ambition et la curiosité, menait la danse.

 

« Où est ce maudit arbre ? »

 

Il plaça une main devant son visage en guise de pare-soleil. Au loin, une ombre à contre-jour offrait un mince espoir : il pouvait bien s’agir de l’arbre, mais il était impossible de savoir s’il s’agissait d’une illusion ou de la réalité, ni la distance à parcourir pour en avoir le cœur net.

Le jeune homme hésita : est-ce que cela en valait vraiment la peine ? Tous ces griefs enfouis, ces non-dits, cette rancœur... N’aurait-il pas été plus simple de communiquer et d’exprimer ses sentiments ? Est-ce qu’il devait pousser l’ambition jusqu’à risquer sa propre vie ? « Mille fois oui ! » songea-t-il. Il ne venait pas supplier lâchement un père insensible de l’aimer, il venait prendre sa place et le laisser tomber dans l’oubli.

 

Son pied dans le sable heurta quelque chose. Il fut déséquilibré et manqua de s’étaler sur son précieux matériel. La gymnastique impromptue émit un vacarme de cuisine. Le jeune homme battit des bras pour retrouver contenance et son sac en profita pour laisser échapper un vieux livre qui tomba mollement dans le sable.

Le jeune homme retrouva enfin l’équilibre, sans dommage, et se félicita d’avoir l’agilité d’un petit singe. En ramassant le bouquin, il trouva le responsable de sa chute : un panier tressé était enseveli dans le sable et paraissait tout à fait incongru dans ce lieu abandonné. Le garçon voulut le ramasser, mais l’objet résistait avec une étonnante élasticité. Il insista davantage et jura sous l’anicroche.

— Saleté...

— Reste poli ! répondit une petite voix vigoureuse.

Le jeune homme en resta coi et tomba franchement sur son séant. Étrange petite chose que ce panier qui parle... Il essaya une nouvelle fois de le soulever, mais il retira vite sa main quand la corbeille se mit à grogner.

La curiosité de l’érudit était piquée au vif. Il approcha prudemment la tête et jeta un œil entre les brins. On n’y voyait pas grand-chose, ils étaient bien serrés, mais il lui sembla distinguer une créature au pelage blanc se pelotonner dans le sable. Pris d’audace, il souleva le bord du panier. Des griffes lui sautèrent au visage ! Des griffes ? Non... une main. La petite main d’un enfant.

Il se redressa avec un sourire mystérieux sur les lèvres. Il allait rester là un petit moment.

 

 

 

 

[1] Simple figure de style : le cerveau n’est bien sûr pas un muscle.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Nyubinette
Posté le 16/11/2020
Bonjour Mawie,

Je viens juste faire un petit commentaire ici. Je me suis permise de lire deux chapitres de suite avant d'écrire car je voulais avoir une véritable idée de la manière dont tu écrivais.

J'ai trouvé dans ton premier chapitre (en dehors de ton prologue) un sentiment un peu étrange, tu contes beaucoup sur les noctambules, tu parles d'histoire et de passé, étrangement le passé et le présent se mêlent et j'ai été un peu surprise. Maintenant que je lis ce chapitre, je me rends compte qu'il s'agit sûrement d'un effet de style souhaité ? Pour donner une sensation différente du point de vue du temps pour les Noctambules par rapport aux humains ?

J'ai beaucoup aimé ton chapitre avec Icarion, j'ai l'impression d'être plongée avec lui dans ce qu'il vit. Dans la chaleur qu'il ressent. Dans fatigue qui l'accable.

Alors qu'avec Evir j'étais un peu perdue entre présent, passé, ça punition et les jours qui passent.

Je vais attaquer les chapitres suivants pour continuer de me faire un avis. Merci de ta publication.

(Il ne s'agit pas de béta-lecture mais plutôt juste d'un sentiment, nous discuterons pas MP de ça)
Mawie
Posté le 17/11/2020
Coucou Nyubinette,

Oui, c’est en effet volontaire. Je pense (j’espère) que tu comprendras pourquoi en lisant la suite. Cela dit, je note précieusement ta remarque. Si jamais ça continue de te perturber, n’hésite pas à me le faire savoir. Je me lancerais bien de plus amples explications, mais je risque de casser mes éventuels effets ou de me priver de ton regard neuf…

Concernant le chapitre sur Evir, penses-tu que je suis trop floue dans les passages passé/présent ? Ou que c’est trop dispersé et que regrouper en un bloc « passé » avant de revenir au présent serait plus clair ?
(Arf ! J’arrive pas à m’exprimer clairement…)

On peut en discuter en MP.
De tous gros mercis pour ta lecture et ce commentaire !
Mawie
Posté le 17/11/2020
Coucou Nyubinette,

Oui, c’est en effet volontaire. Je pense (j’espère) que tu comprendras pourquoi en lisant la suite. Cela dit, je note précieusement ta remarque. Si jamais ça continue de te perturber, n’hésite pas à me le faire savoir. Je me lancerais bien de plus amples explications, mais je risque de casser mes éventuels effets ou de me priver de ton regard neuf…

Concernant le chapitre sur Evir, penses-tu que je suis trop floue dans les passages passé/présent ? Ou que c’est trop dispersé et que regrouper en un bloc « passé » avant de revenir au présent serait plus clair ?
(Arf ! J’arrive pas à m’exprimer clairement…)

On peut en discuter en MP.
De tous gros mercis pour ta lecture et ce commentaire !
Eulalie
Posté le 13/11/2020
Salut Mawie,
encore une fois ton histoire m'attire. Le personnage d'Icarion me semble moins sympathique et plus flou que celui d'Evir. J'ai du mal à cerner sa personnalité. Et de manière plus générale sa culture, sa société, alors que je trouvais cela plus clair avec Evir. Mais peut-être ma lecture était moins attentive.
Je vais attendre d'avoir la fin de leur rencontre et de pouvoir porter un regard sur la totalité de l'événement avant de te donner mon avis plus en détail. Mais je suis inquiète pour Evir, je ne voudrais pas qu'elle finisse grillée. Comment se comportera le scientifique Icarion face à sa nouveauté ? Et surtout, qui est dans son sac !
A la prochaine !
Eulalie
Mawie
Posté le 13/11/2020
Salut Eulalie,
C'était plus ou moins l'effet escompté et tu comprendras vite pourquoi. Ton commentaire est donc plutôt rassurant, mais je suis curieuse de voir ce que tu en penseras.
C'est génial de voir l'effet que produisent ces quelques pages en vrai. Un grand merci !

A tout bientôt ! :-)
Vous lisez