2 - Ivory House

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

Whitehaven était un labyrinthe merveilleux découpé en différents quartiers aussi époustouflants qu’étonnants. On y retrouvait des endroits tel que Bloom Burrow et ses boutiques huppées, Saint-Mathew’s et son grand temple d’albâtre ou Lumen Hall, le quartier des magiciens.

Eliabelle avait toujours adoré ce dernier. L’on y croisait des boutiques étranges regorgeant de curiosités comme des souvenirs en pots ou des tempêtes en bouteille. Les bâtiments aussi y étaient incongrus, bordé de cascades sans sources, d’arbres-murmureurs ou de roses rieuses. Certains toits du quartier étaient couverts de gazon, de cristaux, ou même décoré de mâts dont on avait étiré les voiles de sorte à faire de l’ombre aux petites terrasses qui l’entouraient.

La Tour Tempête ne faisait par exception avec ses tuiles couvertes de gemmes dont les excroissances opalines renvoyaient la lumière comme un millier de minuscules phares. Des nuages tournaient lentement autour du dernier étage, crachant parfois un éclair ou un arc-en-ciel selon l’humeur du Maitre des lieux.

Eliabelle l’admira avec envie alors que leur fiacre dépassait Moonlight Street pour s’enfoncer dans Bloom Burrow Avenue.

À côté d’elle, Anabeth et sa mère s’émerveillaient devant les boutiques chics qui jalonnaient la rue et ses rangées de hêtres majestueux. Des guirlandes de papier et de soies en décoraient les branches, parsemés de petites lanternes en vue du festival. Il y avait déjà foule à cette heure, si bien qu’il leur fallut une demi-heure pour traverser le centre et entrer enfin dans White Hollow où les rues se firent plus calmes et moins encombrées.

Les jumeaux ne tenaient plus en place lorsqu’ils parvinrent enfin dans Goldgrove Street. Le fiacre fut à peine arrêté que les enfants se précipitèrent dehors.

Ellie fut la dernière à descendre, seulement pour se voir fascinée par l’immense demeure qui lui faisait face.

— Voilà donc Ivory House… souffla-t-elle pour elle-même.

L’hôtel particulier était superbe. Certainement pas le plus richement paré, mais assurément le plus beau aux yeux d’Eliabelle. Ses hauts murs ivoires s’élevaient sur trois étages et arboraient d’antiques moulures aux formes élégantes. La moitié de la façade était dévorée par un épais lierre enchanté dont les fleurs blanches étaient closes.

La famille Deering fut accueillie par M. Dickinson, le majordome qui s’occupait également de la gérance d’Ivory House en l’absence du vicomte. Ellie lui trouvait quelques airs de vieux papi gâteux avec sa moustache en brosse et son crâne légèrement dégarni. Ses mains noueuses étaient respectueusement placées sur son cœur et dans son dos alors qu’il s’inclinait devant l’oncle Phineas.

— Monsieur, dit-il en se redressant peu après, c’est un plaisir de vous revoir.

Et Ellie n’aurait pu lui donner tort tant le regard qu’il posa sur la petite famille était baigné de tendresse.

Il indiqua à la famille d’entrer et prit soin de rapporter les dernières nouvelles au vicomte alors que des femmes de chambres montraient leurs appartements aux enfants.

— Si mademoiselle veut bien me suivre, sourit aimablement une domestique au côté d’Eliabelle.

Cette dernière sursauta légèrement, s’arrachant à la contemplation du grand hall et de ses voûtes marbrées.

— Je vous suis, répondit Ellie en reprenant contenance.

Si les enfants furent installés au premier, on conduisit Ellie au deuxième étage dans une chambre à peine moins grande que celle qu’elle occupait à Wisteria Hall. Des meubles aux riches boiseries attendaient patiemment qu’on en prenne possession, mais ce ne furent ni les assises damassées, ni le grand lit à baldaquin ou même la jolie bibliothèque qui couvrait le mur du fond qui attira l’attention d’Ellie. Ce ne furent pas non plus les grandes fenêtres en ogive ni même le petit balcon qui donnait sur la cour intérieure du manoir, mais un tableau. Le seul, à la vérité, et qui surplombait la cheminée et son manteau reluisant.

Eliabelle ne put s’empêcher de s’en approcher. Elle oublia complètement la domestique derrière elle qui remplissait son armoire en acajou de ses robes, elle oublia même pendant un instant les cris des enfants qui chahutaient déjà dans quelque salon à l’étage inférieur.

— Maman… souffla-t-elle si bas qu’elle s’entendit à peine.

Car la peinture qui lui faisait face était un portrait de sa mère dans ses jeunes années, sûrement à l’époque où elle vivait elle-même dans ce manoir.

Oncle Phineas avait hérité de l’hôtel particulier du précédent vicomte mais avait préféré le mettre aux enchères afin de garder celui-ci. Il y avait grandi avec sa sœur, Roxana, et y gardait de tout évidence nombre de souvenirs de cette dernière.

Ellie prit un moment pour l’observer de plus près. Elle avait toujours été fascinée par la beauté de sa mère, une beauté qui lui avait causé nombre d’ennuis mais dont elle arrivait à se sentir fière malgré tout.

Ellie avait peine à se souvenir de son visage. Les seules images qui lui revenaient étaient ses longues boucles du même or que celles de l’oncle Phineas. À cet instant, la jeune femme redécouvrait que sa mère avait aussi des yeux d’un bleu céruléen, plus vif et pétillant que ceux de son frère. Son visage était également plus ovale, comme celui d’Eliabelle et ses traits d’une infinie douceur.

La jeune femme se surprit à se toucher la joue, comme pour comparer. Elle était un peu triste de se dire que des traits de sa mère, elle n’avait pas hérité de grand-chose. L’auburn de ses cheveux ne prenaient pas même le moindre petit reflet doré à la lumière du jour, seulement un roux flamboyant. Elle n’avait pas non plus ses yeux en amande, ni sa petite taille.

Je lui ressemble tellement… se dit-elle sombrement en laissant retomber sa main. Lui avait des pommettes saillantes et des traits coupés à la serpe. Il avait ces mêmes légères tâches de son sur le nez, la même silhouette longiligne et les mêmes boucles sombres.

Ce constat lui fit mal au cœur.

Elle en fut arrachée par les hurlements des jumeaux. Nicolas semblait avoir encore arraché un ruban à Hyacinthe. Ellie entendit la voix d’Anabeth se joindre au concert de plainte qui suivit, sans doute après que l’un d’eux eut renversé quelque chose dans sa chambre en s’y précipitant.  

Lorsqu’Eliabelle parvint au petit salon où les retenait tante Laura, cette dernière paraissait au bord de la crise de nerf.

— Oh Ellie, tu tombes à point, souffla-t-elle alors que la jeune femme s’approchait. Voudrais-tu bien les emmener faire un tour dans les environs ?

— Un tour ? répéta-t-elle avec curiosité.

Autour de la vicomtesse, les enfants s’étaient brusquement tus.

— On va faire un tour ? interrogea Hyacinthe avec enthousiasme.

Elle semblait avoir complètement oublié les malheureuses boucles blondes qui lui tombaient sur les épaules dans une disymétrie parfaite.

— Si Ellie le veut bien, précisa la vicomtesse avec l’air de quelqu’un priant les cieux pour que ce soit le cas.

Trois paires d’yeux intéressés se braquèrent sur Ellie dans un si bel ensemble que cela lui arracha un sourire amusé.

— Je n’ai pas d’objection, répondit très calmement Ellie et tante Laura parut se dégonfler comme un ballon. Mais, ajouta-t-elle en stoppant un peu l’engouement des enfants, avant j’aimerai vous voir vous changer. Vous ne voulez certes pas apparaître pour la première fois fagotée ainsi ?

Elle ponctua sa question d’un savant haussement de sourcil. Les enfants étudièrent leurs tenues avec une attention renouvelé, mais si Nicolas n’y voyait aucun problème, ses sœurs s’affolèrent de leur état.

— Par les étoiles, tu as raison ! s’affola Anabeth en rougissant férocement. Viens Hyacinthe !

Et elle emporta sa sœur dans un tourbillon de jupons. Elle parti si vite que, dans son empressement, elle en oublia même sa jambe malhabile qu’elle traina à peine.

Ne restait plus que Nicolas, qui, sous les regards de sa mère et sa cousine, leva les yeux au ciel en soupirant :

— Les filles…

Un sourire mutin monta aux lèvres d’Ellie alors qu’il se trainait à son tour vers sa chambre pour se changer.

Devant elle, tante Laura parut soulagé.

— Merci Ellie, tu me sauves la vie.

— Avec plaisir, sourit la jeune femme en proposant sa main à sa tante alors qu’elle prenait place sur le sofa.

— Ne veux-tu pas te changer, toi aussi ? demande-t-elle alors qu’Ellie lui servait le thé.

— Je n’ai pas tant transpiré, et mes jupons ne sont pas si froissés.

Puis, après avoir chipé un biscuit dans le petit plateau qu’on avait porté, elle ajouta :

— Dois-je me quérir d’une limite lors de notre promenade ?

Tante Laura parut se souvenir d’un détail et reposa rapidement sa tasse.

— Merci de me le rappeler, commença d’emblée la vicomtesse. Je voulais justement te le dire : ne dépassez pas les frontières de White Hollow. Il y a bien assez à voir et c’est plus tranquille que Bloom Burrow. Je te demanderai juste de revenir à temps pour le souper.

— Bien, approuva Ellie avec un vigoureux hochement de tête.

Tante Laura se fendit d’un sourire plus tendre en regardant sa nièce. Elle lui tapota la main un peu maladroitement.

— Tu es une brave fille, j’ignore ce que nous ferions sans toi.

— Sans doute dépenser quelques sommes en une suite sans fin de gouvernantes, répondit Ellie avec autant d’assurance que d’humour.

Sa tante ouvrit de grands yeux scandalisés avant de faire la moue. Mais derrière son expression outragée, Eliabelle percevait l’éclat de rire qui se reflétait dans ses yeux.

— Voilà qui ne se dit pas, ronchonna la vicomtesse pour la forme.

— Vous m’en voyez navrée, répondit Ellie avec légèreté.

Au même instant, Annabeth revenait dans le salon avec les jumeaux, un immense sourire aux lèvres.

— Y allons-nous ?

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