2- Le Comité des cieux

« C'est insensé ! »

Personne ne lui répondit. Tomas se sentit encore plus minuscule que jamais. Autour de lui trônaient les différentes et gigantesques silhouettes des membres du Comité des cieux. Il avait exigé une audience à corps et à cris, acceptée de mauvaise grâce. Et voilà qu'il venait d'achever son monologue avec toute la fougue d'ange gardien — et poussé par un peu de ce sentiment interdit, verrouillé bien à l'abri au fond de son cœur. Haletant, légèrement transpirant, l’être ailé redescendait lentement vers le sol nuageux. Son dernier mot donnait l’impression de résonner encore dans ses oreilles, tant sa voix avait été virulente. Sa poitrine se soulevait encore par accoups, l’oxygène manquait dans ses poumons.

Depuis sa position, il n’apercevait que les genoux et bas des toges des personnes qui l’écoutaient. Rare étaient les audiences où l’on pouvait les entendre directement d'ailleurs. La plupart du temps, le Comité des cieux s’exprimait par le biais de phénomènes naturels. Un coup d’éclair suivit d’un orage signifiait un refus net et précis, alors qu’un ensoleillement enchanteur assurait un soutien sans faille. Mais là, le demandeur était encore dans l’expectative. Et cette position s’avérait assez inconfortable. Par nervosité sa main passait et repassait dans sa nuque, là où la naissance de ses boucles brunes prenait vie sauvagement et lui collait à la peau. Il en eut les doigts moites.

Le silence s’éternisait, son angoisse s’installait quant à elle dans son âme comme un poison qui vous glace le sang. Il avait tenu bon tout au long de son discours, argumentant avec passion que les tentatives de meurtres menées contre son protégé ne relevaient pas de l’ordre du Hasard - quoique celui-ci pouvait être particulièrement farfelue quand on lui laissait trop de marge de manœuvre. Tomas l’avait déjà rencontré, pour son plus grand malheur, et ne reconnaissait pas son style. Pour ce qui est du dossier de son mortel, ce ne pouvait être de ce fait hasardeux. Non, une force plus sournoise était à l'œuvre. Et cela venait déjouer trop souvent le plan de vie qui devait être suivi coûte que coûte, pour le salut de cette belle âme en pleine quête d’apprentissage. Chaque accident - déjà six en trois mois ! - avait coûté à Tomas plusieurs descentes sur Terre; et cela n’est pas sans conséquence. Chacun, chacune savaient qu’une manifestation terrestre coûtait énormément d’énergie éthérique. Pour une journée en bas, il fallait compter une semaine en haut pour s’en remettre pleinement. En cas de manquement à cette règle, c’est le corps de l’ange qui s’en retrouve directement impacté. De sombres histoires de difformités ou encore d’esprits égarés faisaient tressaillir les plus vaillants d’entre eux dans leur mission.

Tomas n’avait aucune preuve, si ce n’est ce manque de chance qui suivait son protégé depuis quelque temps. Et ce pour aucune raison. Si quelqu’un avait osé soudoyé la Malchance, alors c’était pour une bonne raison. Il craignait que son secret pourtant bien gardé ne fût tombé dans de mauvaises oreilles, et qu’on cherche alors à vouloir les nuire. Tous les deux. L’ange sentit un frisson doux parcourir ses ailes, lesquelles battaient frénétiquement - à l’image de ses pulsations cardiaques artificielles.

Soudain, un grondement lointain le sortit de ses pensées inquiètes. Il redouta le verdict, et eut raison. Une explosion de lumières comme il n’en avait jamais vu l’éblouit, tandis qu’un enchaînement de tambour vint retentir contre ses tympans.

« NON ! »

La réponse tomba. Implacable. Ne souffrant d’aucune protestation. Un orage d'une rare violence l'étouffa alors; la réponse était ferme.
L’ange, furieux, tapa du pied pour bondir dans les airs avec la volonté de fendre cet épais manteau laiteux et faire face directement aux visages de ce Comité.

Au même instant, la voix de son ami Fil tinta dans son esprit « Le Comité est intransigeant. Malheur à ceux qui ont la folie de vouloir les provoquer ! ».

Au même instant un éclair parmi d’autres se détacha du groupe, qui fonçait vers la Terre, pour le toucher en plein dos dans un claquement sinistre. Tomas hurla de douleur, sentit une douleur insupportable et tomba dans l’inconscience la plus obscure. L’orage reprit alors sa route, pour aller déverser toute sa violence.

Quelques jours plus tard, Fil marchait d’un pas hâtif dans un couloir où le blanc régnait en maître. Même les flammes suspendues près des murs diffusaient une lumière blême. Ses ailes reposaient sagement dans son dos, derrière ses mains jointes. Malgré le calme apparent, son sourcil gauche tressautait irrégulièrement — par tracas sans nul doute. Une fois devant une somptueuse porte de fumée opaque, tout au bout de ce corridor, il passa la main et ouvrit le passage. Il s’enfonça dans cette entrée sans substance pour se retrouver dans une chambre de repos. Il y avait une piscine creusée au centre de la pièce, une cheminée sur la gauche — là où brûlait un feu couleur de neige — et un lit au creux d’une alcôve sur la droite. Les murs n’étaient que des parois vitrées qui donnaient vues sur la Cité Angélique. On apercevait des structures de marbre, des silhouettes volantes et beaucoup de nuages de toutes sortes. Le sol quant à lui était égal à du coton moelleux sur lequel il faisait bon de s’enfoncer.
Fil s’avança près du lit, l’air soudainement plus soucieux. Son ami commençait à s’agiter, d’où sa venue. Il patienta, prêt à être présent pour son réveil.

« Je… Qu’est-ce que… Par tous les cieux j’ai si mal…

— Doucement mon ami, redresse toi lentement. Ne force pas surtout... »

Rassuré par cette voix familière, Tomas l’écouta et finit par se mettre en position assise — et cela contre plusieurs gémissements sourds. Les yeux bien ouverts, il regarda alors Fil avec une expression réelle de panique.

« Que s’est-il passé ? Ne me dit pas qu’ils m’ont retiré le dossier ? DIS-MOI QUE JE LE REVERRAI ! »

Fil serra les lèvres, et détourna le regard. Sa voix annonça la vérité, toute la vérité avec un ton on ne peut plus peiné.

« C’est au-delà de ça, Tomas. Je… Ils… Je n’arrive pas à te le dire... C'est... C'est impensable... Je suis si désolé... Tes… Tes ailes. »