2 | Le monde fadasse

— Je m’attendais à mieux.

— Parce que vous vous attendiez à quelque chose ?

— Je viens de vous le dire : à mieux.

— Il y a une demi-heure, vous me disiez que vous ne saviez pas franchir une porte.

— J’ai jamais dit ça.

— Et le cirque sur la jetée avec du “Oh la la, la porte elle grésille, j’ai peur” ?

— Déjà, je pense pas avoir dit que j’avais peur.

— Vous n’en avez pas eu besoin, ça se sentait à des kilomètres.

— Et franchement, je m’attendais à mieux.

— Vous vous attendiez à quoi ?

— A mieux.

— On tourne en rond. Vous vous attendiez à quoi exactement ? Et si vous me répondez “à mieux”, je vous en colle une.

— Bah, là, comme ça, c’est un peu fadasse, quoi.

— Cette rue est fadasse ?

— Cette rue, ces arbres, cette lumière. Non, franchement, c’est quoi, le délire avec la lumière ?

— Elle est très bien, la lumière.

— Elle est fadasse.

— Normal, la porte grésillait.

— Et… ?

— Et quand une porte grésille, c’est que les couleurs manquent de l’autre côté.

— Ah bah oui.

— Ca me paraissait évident.

— Vous êtes bien la seule.

— Bon, vous comptez rester planté là longtemps ?

— Vous voulez que je fasse quoi ?

— Je n’en sais rien. Bougez ?

— Pour quoi faire ?

— Pour faire avancer ce dialogue qui est bien trop long.

— Si je bouge, c’est moi qui avancerai, pas le dialogue.

— Vous me faites de l’esprit ?

— Je vous énonce une évidence. Pourquoi je voudrais bouger ?

— Parce que vous avez franchi la porte.

— J’ai franchi la porte parce que vous m’avez dit de le faire.

— Et maintenant, je vous dis de bouger.

— Mais pour aller où ?

— Devant. Sur le côté. Même en arrière.

— En arrière ? Vers la porte ?

— Quelle porte ?

— Celle qui grésille.

— Il n’y a pas de porte.

— Quoi ? Mais elle était là il y a une minute. C’est par elle qu’on est arrivés. Et…

— Et… ?

— Et comment on va repartir ?

— Qui vous dit qu’on va repartir ?

— Je comptais pas rester ici, moi.

— Qui vous dit que vous avez le choix ?

— J’ai pas le choix ?

— Je n’en sais rien. C’est à vous de le décider.

— Et comment je fais pour décider ? Parce que j’ai pas envie de rester ici, moi. C’est tout… tout…

— Tout quoi ?

— Tout fadasse. Même la comète au-dessus de nos têtes, elle est fadasse.

— Aucune importance.

— Quoi, la comète ?

— La comète et tout ce qu’il y a au-dessus de nos têtes.

— Même les nuages ? Et s’ils ramènent un orage ?

— Vous pensez qu’ils vont ramener un orage ?

— Ils pourraient. Ils sont tout… tout…

— Tout fadasses ?

— Tout orageux.

— Logique pour des nuages d’orage.

— Donc vous aussi, vous pensez qu’il va y avoir un orage ?

— Je ne pense rien du tout. C’est à vous de penser ici.

— Et vous, vous allez faire quoi ?

— Vous suivre.

— Me suivre ? Vous ne devriez pas me guider ?

— Je vais vous suivre pour mieux vous guider.

— Pour l’instant, vous me guidez pas trop. Je suis complètement perdu.

— Parfois, il faut se perdre pour mieux se retrouver.

— C’est bateau, ça.

— Vous voyez un bateau ?

— Je vois pas de mer.

— Et cette rue ?

— Cette rue, c’est pas la mer. Mais j’imagine qu’on pourrait…

— Oui ?

— J’imagine qu’on pourrait y aller.

— Dans la rue ?

— Dans la rue. On pourrait ?

— C’est vous qui décidez où vous allez. Si vous voulez aller dans la rue, allez dans la rue.

— J’ai envie de faire demi-tour et de plus être ici.

— Ca, ce n’est pas possible. Alors, la rue ?

— Ouais, elle parait…

— Quoi ?

— C’est… c’est bizarre. J’ai l’impression que je dois la descendre.

— Allez-y.

— Mais pourquoi j’ai cette impression ? C’est juste une rue.

— Ce n’est pas juste une rue. C’est une rue que vous avez envie de descendre. Ca change tout.

— Alors, j’y vais ?

— Alors, vous y allez.