2 | Le Pensionnat (1/2)

NOVA.

— Avis au peuple du monde-au-proche : c’est votre pilote qui vous parle. Vous vous trouvez à bord du célèbre et point oublié Aéorolumia – Lulu pour les intimes – à destination de monde-au-loin. L’aéronef ayant déjà tenté le voyage à maintes reprises, et n’ayant dégringolé du ciel qu’un nombre limité de fois, à savoir toutes les fois où il a essayé d’arriver à bon port, vous n’avez aucune crainte à avoir. La personne qui se charge des réparations, c’est-à-dire moi, a eu tout le loisir de réparer ses quelques mineurs dysfonctionnements. Les chances à ce qu’il y en ait d’autres ne s’élèvent plus qu’à 95%. Chers amis du monde-au-proche, je peux vous l’assurer : c’est une première ! Les fois précédentes, mes estimations tournaient plutôt autour de 98%. C’est pour dire. Que de progrès, que d’envolées dans un ciel à peine capricant !

« Aujourd’hui, les conditions de vol sont excellentes. Le ciel, partiellement nuageux, à peine quelques noirs cumulonimbus à l’horizon, compte de nombreuses voies aéroviales. D’après mon ventiomètre, les fleuves de courants d’air qui s’ouvrent devant nous sont larges et ondoyants, de quoi garantir un agréable rythme de croisière après notre phase de lancement. Du moins, je l’espère. Si les risques d’orages, annoncés par la météo locale, sont élevés, cette donnée reste négligeable, notre aéronef étant équipé de paratempêtes. Et puis, nous n’allons pas repousser la date de l’expédition, tout de même ! Certes, nos chances d’arriver à bon port descendent à 4%. Ce n’est pas une raison pour ne pas croire en ces 4%. C’est toujours plus que la dernière fois ! Ainsi donc, le volage s’annonce un petit peu tourneboulé mais, encore une fois, n’ayez crainte : votre pilote, c’est-à-dire moi, est en maîtrise totale de la situation. J’ai toujours fluvolé avec grande adresse, tout est paré pour le décoco’vollage. Andiamo, vai vai Lulu bien aimé !

« Dernière chose : nous vous prions de ne pas garder vos ceintures attachées toute la durée du voyage. De toute façon, vous n’en avez pas, et puis cela vous contraindrait dans vos mouvements. Relativement fâcheux, n’est-ce pas ? Les explorants ne doivent en aucun cas être limités dans leurs remue-corps, ou ils meurent d’ennui et d’inertie. C’est bien connu. Bien ! C’est bon ? Cette fois, tout est opératoire ? Des questions ? Non ? Eh bien, parfait ! Prochain arrêt : monde-au-loin. Agrippez-vous à ce que vous pouvez, le décol’volement pourrait être un petit peu brutal. Toutefois, pas de quoi s’effrayer si jamais il y a des blessés. Des doct’douleurs de Lumiavol, c’est-à-dire moi, se trouvent à bord. Yey ! Larguons les vol’amarres ! Lulu adoré, à toi de jouer ! Tous les membres de l’équipage Lumiavol, c’est-à-dire moi, vous souhaitent un agréable voyage !

Une main en visière, l’autre tenant fermement mon mât, je me penche et regarde au loin, un large sourire flanqué aux lèvres. Devant la scène, les enfants continuent à rire. Corps tortillants sur leur chaise. Tous ils me regardent… attendent… vite la suite de l’histoire ! Giguant sur le plateau, je quitte mon nid-de-pie, spécialement façonné pour le spectacle. Direction le gouvernail. Lunettes d’aviateur réajustées. Mes mains s’emparent de la barre, je fais mine qu’elle est bloquée, leurs rires, je tente de la débloquer avec mon épaule, d’autres rires, je me couche, pousse avec mes pieds, non… toujours pas ! D’autres d’autres rires. Je me relève. Autre tentative en y mettant toute la force de mes bras. Là… vlop ça tourne ! Je tombe. Ça éclate leur risette. Ma face contre le parquet, je ronchonne et la salle s’enivre de gaieté. Je me relève en clopinant. Leurs rires-aux-larmes. Faussement grinche, j’époussette mon t-shirt bariolé, d’autres d’autres rires-ô-joie. Je racle ma gorge, retrouve ma place de pilote et je dis des choses comme explorat’heureuses, quel privilège nous avons aujourd’hui à navirer sur la légende de toutes les légendes des beaux bateaux ailés : l’Aérolumia ! Honneur et faveur ! Cap au ciel, on ne nous arrêtera plus, yihaaa !

Gouvernail tourné de façon excessive, peut-être un petit peu. À la pivote il tournique, pirouette violemment, tout un tas de fois, à la sauvette comme ça, et c’est comme si nous partions vraiment, au loin tout au nord, pour atteindre quelques contrées lointaines tel que l’océan dans le ciel, toucher les comètes.

Jouer au pitre, j’ai continué un bon bout de temps. J’improvisais ce que je pouvais, tout pour garder l’attention des enfants. Au vu des mains battues et des bouches entrouvertes, les pensionnaires s’amusaient tous plus ou moins. Il y avait juste l’idéelle, assise au premier rang, qui me perturbait un petit peu.

C’était un enfant efflanqué d’un peu moins de dix ans, qui portait une marinière et un bandana bleu de pirate, un cache-oeil au visage. Il suivait le spectacle comme les autres gamins. Mine aussi écarquillée qu’eux. Bouche rigolarde. Intenable sur sa chaise. Sauf que lui, il a le corps aérien, fantomatique. Il lumineuse. Surtout, personne d’autre ne le voit sinon moi. Présent et pourtant invisible au monde, il a les cheveux foncés, désordonnés, un teint hâlé, porte des traits fins, des yeux en amande, des pupilles chaudes, ambre gaieté. Et souvent je me dis : c’est dingue ce que physiquement il me ressemble ! Il est mon sosie en miniature, avec une petite dizaine d’années qui nous sépare. Du reste, à le surprendre avec une bougeotte assez gauche et un constant souffle rêveur au visage, l’air d’être ailleurs, jamais là où il devrait être, je me demande souvent si c’est aussi ainsi que les autres me perçoivent. Comme une personne décalée. Déphas’ l’orientation, venue d’un autre temps voire même d’un autre monde. À la nébuleuse sur sa galaxie, elle traverse la voie lactée… Je ne sais ?

Pour terminer mon numéro, après que nous avons chuté du ciel, tombés en pleine mer et que, rescapés sur une île, nous avons attendu les secours, j’exécute une vaste révérence. Les sourires se décochent. Les applaudissements montent. Certains excessifs se lèvent sur leur chaise, d’autres dansottent assis, tous gigotent. Très vite toutefois, mon public revient à la réalité. Trop vite, en fait. Les visages se chiffonnent. C’est que, voilà : à peine le spectacle achevé que tous se souviennent de l’arrivée imminente des Grisœils. Il y a la peur qui se coince dans les gorges et l’ombre qui passe dans les yeux. D’un seul mouvement, tous se lèvent, bien qu’un peu hésitants, puis sortent de la salle dans un gros fouillis de jambes précipitées. Très turbulents toujours, ils ont le souci en plus qui se bloque dans la poitrine. Frustrée, je descends de scène. Maman-Rosa, restée au fond tout au long de la représentation, va à contre-courant à s’avancer dans ma direction, ébouriffant au passage quelques tignasses. Pendant un court instant, les pensionnaires s’en ensoleillent, se dérobent néanmoins et la dépassent en courant. L’attroupement a filé autour de sa haute et robuste stature. Maman-Rosa est toute proche maintenant, avancée avec prestance, vêtue d’une ample robe aux couleurs carminées. Autour de sa tête, un bandeau cuivré retient une chevelure sombre et frisée. Frisotte-coiffotte. À ses oreilles, ses poignets, ses doigts, des bijoux d’or ennoblissent un teint sombre, lui donnent un air de sibylle. Grandiose la Dame.

Maman-Rosa me rend mes lunettes rondes. Je les enfile, gardant celles d’aviateur sur la tête. Puis je lui demande jusqu’à quel point ma plaisantine sur scène était ridicule ? Elle rit, elle m’informe que c’était pire que tout, surtout à la fin, lorsque nous guettions les secours à l’horizon et que, pour passer le temps, je jonglais avec des balles qui me tombaient invariablement sur la tête. Tu ne faisais pas exprès, n’est-ce pas ? se moque-t-elle. Je souris large. Fais mine d’être profondément blessée au coeur, comme si j’étais offusquée qu’elle puisse me penser inhabile avec mes mains. Non mais ! Je te rappelle, riposté-je, que je peux jongler les yeux bandés, en exécutant un triple-salto arrière, le tout sur un fil à trois mètres de haut. Excédée mais amusée, maman-Rosa se tourne en direction de la sortie. Tu viens ? Je viens. Mes mains dans les poches, la démarche assurée, je sifflote, je marche décontract’. Et puis je demande :

— Au fait, les Grisœils… ?

— Ils sont là en fin d’après-midi.

— Parfait ! Je vais voir avec les gamins quels pièges on peut encore monter et s’ils nous fabriqueraient pas quelques bombes à eau.

— Nova…

— Oui ?

— Tu sais très bien comment ça s’est fini la dernière fois.

Mes lèvres s’étirent.

— Oui, et ce fût absolument sensationnel, me souvené-je. Voir les Grisœils criblés de peinture, ça marque les esprits à vie. On a rentré ça dans les annales ?

— Mais à quel prix, dis-moi ?

Je tire ma chemise bariolée vers le bas, redresse mon dos, me masse les bras où j’ai encore quelques traces de brûlures.

— Tout a disparu.

— Il ne faut pas plaisanter avec ces gens-là.

— Que nenni ! Plaisanter, c’est précisément la tactique à adopter lorsqu’on fait face à ce genre de situation-là. On peut quand même pas laisser les Grisœils effrayer les gamins à chaque inspection ! Il nous faut riposter, contre-attaquer, à l’instar d’un combat à l’épée. Il nous faut de la stratégie et des intentions toute en ruse, comme là… Attends. Regarde et apprends…

Mimant une épée que je sors du fourneau, je me mets en position de garde. Je me rappelle les cours d’escrime que me donne Milan et je simule un duel :

— Départ : posture en fente. Et sans plus attendre… vlan ! Nous attaquons ! Passe avant, estoc et coup droit ! Mais l’adversaire pare et riposte. Nous esquivons in quartata, enchaînons avec un contre-arrêt. Parade, demi-volte du pied nous rompons avant de recroiser le fer. Présomptueux nous avançons : attaques simultanées, série d’offensives et nous touchons l’adversaire, peut-être, avant de revenir en position de garde, parés à contre-attaquer…

J’ai conscience de mélanger une série de termes dont je n’ai jamais réussi à mémoriser le mouvement qu’ils désignent, de ce fait je n’effectue pas vraiment ce que je dis. Je m’en fiche. Je bouge comme je veux, je parlote par-dessus. C’est formidablé amusant.

— … vois comme nous sommes personnes souveraines ? continué-je, un brin essoufflée. Fortes vaillantes ? Pointe en ligne et prise de fer. Là, dernière offensive… Mais l’adversaire nous repousse et repart à la charge… C’est le grand climax, le fameux moment où un choix doit être fait : abandonner ou continuer. Là où se joue ce qu’il reste de plus vaillant en nous. Et l’ennemi nous croit affaiblis, tout émoussés par le combat. Il est persuadé que nous avons exploité nos dernières ressources. La seule chose que nous ayons encore, pense-t-il, ce n’est rien de plus qu’un maudit coeur qui bat… mais justement !

Alors je me retourne d’une vive pirouette, observant maman-Rosa restée en retrait.

— Il croit que tout se gagne par la force de nos muscles… Pas un seul instant, il s’imaginera qu’en réalité, la meilleure riposte…

Écartant mes deux bras, je lui adresse mon plus large sourire.

— … c’est le rire ? conclué-je.

Silence. Je ne bouge plus. Et je reste là, au bout milieu du couloir, grande bêta dans toute sa splendeur. Maman-Rosa m’observe déroutée, un petit peu. Pendant un court instant, elle ne dit rien. Et je me sens… gênée ? Je ne sais ? Mes joues s’empourprent. Enfin elle réagit, même si ce n’est pas la réaction à laquelle je m’attendais : elle soupire, elle secoue sa tête. Soudainement lasse, elle passe une main sur ses paupières, les frotte, avant de relever la tête et de m’examiner avec, étonnamment, une sombre lueur dans les yeux. Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait encore ? D’ordinaire, maman-Rosa finit par s’amuser de mes pitreries, quand bien même elle montre, en même temps, un brin d’exaspération. Et je ne saurais dire quoi mais il y a quelque chose de nouveau dans sa voix lorsqu’elle lâche :

— Nova… Tu ne changeras donc jamais ?

Mon sourire tombe. Sa remarque m’irrite, c’est vrai. Je sais pourtant qu’elle n’est pas mal intentionnée, que maman-Rosa sait comment je suis et que, dans le fond, tout ceci n’est qu’une façon de parler. Mais tout de même ? Ça vous fait un petit coup lorsqu’à chaque jour qui passe, on est précisément en quête de sincérité, une façon d’être qui soit en concordance avec ce que l’on est, là, maintenant ; et que comme tout change constamment, jamais rien comme la veille, jamais rien comme demain, cela implique du renouveau ? Ce serait comme se rajeunir sans toutefois être étranger à soi-même ? Je suis autre et pourtant je reste moi. C’est un moi-oiseau aux couleurs mouvantes de l’océan. Et j’aime cette identité-là, celle d’emprunter toutes sortes de chemins. Alors forcément… s’entendre dire qu’on ne change pas ? Je ne comprends pas. Non seulement qu’on me le dise, mais le fait de vouloir se fondre dans une image immuable ?

Peut-être mon visage se rembrunit-il, parce que maman-Rosa s’excuse. Elle me dit ce n’est pas ce qu’elle avait voulu dire. Elle aimerait juste que je fasse attention à moi, c’est tout.

Attention à moi ? Surprise par sa réponse, je cligne des paupières. Maman-Rosa se remet en mouvement. Sophistiquée avec sa robe carmin et ses bijoux d’or, elle s’avance dans le couloir l’air grave, la démarche profonde, glissant sur le parquet avec à la fois grâce et lourdeur. Désirant réégayer la conversation, je dis :

— T’inquiète pas pour moi. Mes talents incomparables en escrime me tireront de n’importe quelle affaire.

— Nova : tu es plus gauche que le premier enfant rencontré en chemin.

— Quelle offense tu me fais là ! Ce n’est pas ce que me dit mon maître d’armes !

C’est faux bien évidemment. Tout le monde sait bien que je ne suis pas douée. Ayant grandi trop vite trop fort durant mon adolescence, je ne m’y suis jamais faite à cette silhouette filiforme, à ces deux bras ballants dont je ne sais jamais que faire. Et puis, il y a des jours où je déteste mon corps, comment dès lors parvenir à le maîtriser convenablement ? Je me regarde avec l’envie de m’arracher la peau et c’est dans ces moments où j’aimerais tellement avoir une autre apparence, trouver une personne dans le miroir qui exprime ce qu’elle est au fond d’elle-même. Si ce n’est pas toujours ainsi, il existera toujours une forme de dissension quelque part, je crois, et c’est ce qui me bloque parfois dans mes mouvements. Corps. engourdi. et pourtant à l’intérieur c’est comme une grande et éternelle vague qui floue toute ma tête. Conclusion : l’escrime, ce n’est pas mon fort. D’autant plus que voir ma main tenir une arme, ça me dégoûte et je sais d’avance que ce n’est pas moi. Alors bon ? Et je n’ai jamais compris pourquoi Milan et maman-Rosa insistent autant pour que je m’entraîne. Ils disent c’est pour mon bien, ils disent qu’un jour je comprendrai. Oui eh bien ce jour, je l’attends jour-tout !

Par petits pas, maman-Rosa et moi nous nous dirigeons vers le hall principal. Je tourne la tête. J’examine maman-Rosa, et si elle surprend mon regard, elle garde le sien rivé devant elle.

— Tu es soucieuse, relevé-je.

— Eh bien… C’est vrai que les choses s’enveniment au travail. Avec l’Onde qui mène toujours plus d’actions contestataires, l’O.V.E.A. renforce les mesures prises contre les porte-chaos et les Pensifs. Comme elle surveille les horoscopes qu’on publie dans le Firmament, ça a des impacts directs sur notre façon de lire le Ciel… Tu sais comment ça marche ! On ne contrôle jamais mieux les masses qu’en contrôlant leur représentation du monde.

— Maman.

— Oui ?

— Je n’ai pas peur des Grisœils.

— Je sais, et c’est bien ça le problème. Surtout qu’ils ne sont pas les seuls qui te voudront du mal.

— Comment ça ?

Enfin, elle a osé croiser mon regard. Et il était si lourd soudain, si rempli d’incertitudes que je me suis sentie égarée un court instant. Je déglutis.

— Les temps changent, Nova, me prévient-elle. Tous les thèmes astraux l’annoncent. On parle d’une guerre, déroulée dans le Ciel il y a une éternité, qu’on a crue achevée et qui pourtant ne l’était pas, et qui maintenant s’apprête à refaire surface. À côté de ça, mes interprétations me conduisent à penser que la ligne du Temps sera scindée, coupée en deux, confondant ainsi passé, présent, avenir. Pour tout te dire... je n’ai encore jamais vu la carte du Ciel ainsi. Aussi floue, peu stable et extrêmement mouvante, comme si toutes nos fixités et repères volaient en éclats. Le monde est à l’aube d’un grand retournement et c’est ceci qui m’inquiète : les temps changent mais ce sont des temps obscurs qui arrivent. Le Ciel… enfin. Beaucoup, à l’Observatoire, ne me croient pas, et toi tu penseras ce que tu veux mais… bon. Nova, ce que j’aimerais te dire : ta bulle de candeur, tu ne peux pas t’y enfermer éternellement. Tôt ou tard, tu devras te confronter à certaines réalités, comme celle de ton signe astrologique, et lorsque ce moment viendra, tu n’auras pas d’autre choix que de rester et d’apprendre à te battre si tu veux sauver ta peau. Tu le comprends ça ? N’est-ce pas que tu le comprends ?

En haut d’une cage d’escaliers, maman-Rosa s’est arrêtée. Elle m’observe avec expectative, un voile impénétrable sur le visage. Jamais encore elle ne m’avait tenu un tel discours. Un qui me pétrit comme ça le ventre, un petit peu. Parce que, tout de même ?

— Tu as évoqué la guerre, soufflé-je finalement, la guerre dans le sens la Belle Guerre ? Avec Naïa et… tout le reste ? T’es en train de me dire que ce sont toutes ces anciennes querelles qui remontent ?

— Aucune certitude là-dedans. Le Ciel parle d’un grand Retour, ça peut vouloir dire beaucoup de choses, tu sais ? Et ces querelles ne sont pas si anciennes, l’asservissement des signes demeurent encore et tu ne seras pas celle qui me contrediras là-dedans.

Je cligne des yeux, frissofrissonne. Mais très vite je me reprends, souris à la gaité ! et lâche :

— Je n’ai pas peur de Naïa. Qu’ils reviennent semer le chaos en Ville ! Je les dégommerai à coup d’hache et d’épée. Pas peur des Grisœils, ni rien ni personne !

— Nova…

— Oui, plaît-il ?

Secouette sa tête et maman-Rosa soupire. Une nouvelle fois.

— Rien. Je crois juste que tu ne t’imagines pas tout ce qu’il y a là-derrière…

— Là-derrière ?

Elle s’approche, pose un pouce sur mon front et me souffle, avec caverne dans la voix et des yeux si noirs :

— Là-dedans.

Je tressaille, sentant imperceptiblement qu’elle a chargé son mot et son geste d’un sens immense. Un sens auquel je n’ai pas encore accès mais que, d’une certaine manière, je comprendrai bientôt. Énigmatiquement, maman-Rosa sourit, avant de s’engager dans les escaliers les pieds plus souples, me laissant là, un petit peu éperdue, seule au milieu du couloir, avec des questions plein la tête. Mais il en a toujours été ainsi, avec maman-Rosa. C’est maman et un être d’énigmes et de la philosophie plein les phrases. Tout est constamment frappé de sens avec elle. Elle ne dit jamais rien à la légère, si bien qu’une forme de décalage en découle : maman-Rosa n’est jamais dans le même degré de compréhension que vous. Alors on doute et s’interroge, sans jamais obtenir des réponses bien claires. Sûrement tout ceci est dû à son poste à l’Observatoire. Chercheuse en astrologie, elle passe ses journées à émettre des prédilections en fonction du mouvement des astres. Alors comment s’étonner de sa façon d’être, après ? Aussi mystérieuse et sibylline ?