2. L'Ilmari

Par Neila

Saru dut frapper contre la porte à trois reprises pour réussir à tirer Hayalee du sommeil. Même sans fenêtre, elle sut à la fatigue qui l’écrasait et au calme des souterrains qu’il était tôt. Beaucoup trop tôt pour quelqu’un ayant pris l’habitude de se lever à l’heure qui lui plaisait.

— T’as intérêt à te bouger parce que si t’es pas prête, je pars sans toi, menaça Saru, qui avait passé la tête à l’intérieur de la chambre.

Hayalee bondit hors du lit et attrapa ses affaires sitôt qu’elle se souvint de l’expédition qui les attendait.

— J’t’attends à la taverne, dit Saru, la laissant sur un bâillement.

Située au cœur des souterrains, la taverne tenait plus de la grande salle à manger que d’une réelle taverne. Les rebelles pouvaient s’y retrouver à toute heure pour se restaurer, boire et se détendre sans avoir à débourser un seul joyau. Hayalee aimait cet endroit, avec ses tables dépareillées et ses coins salon, ses lustres bricolés dans des roues de chariot et son plafond voûté. Les armories de l’Alliance pendaient fièrement au-dessus de la grande cheminée, aux côtés d’autres broderies et peintures représentant des épisodes d’Histoire – l’Histoire de l’Alliance.

Si la taverne n’accueillait pas beaucoup de monde avant le lever du jour, Hayalee et Saru n’étaient pas les seuls à s’y retrouver de bonne heure. Plusieurs rebelles étaient déjà – ou encore – debout, qui discutaient à voix basse devant un petit-déjeuner. Hayalee réclama un lait chaud au comptoir, attrapa un petit pain, du fromage et un pot de miel, puis alla rejoindre Saru. Comme à l’accoutumée, il s’était installé à la table basse la plus excentrée de la pièce. Il releva à peine les yeux quand Hayalee se laissa tomber dans le fauteuil d’en face, occupé à relire le parchemin contenant tous les détails utiles à leur mission.

— Il est quelle heure ? s’enquit Hayaleeen éventrant son pain pour y fourrer miel et fromage.

— Doit être un peu plus de cinq heures trente.

Détachant son regard du document, il bâilla, avala une gorgée de thé et dit :

— J’ai récupéré l’autorisation signée par Iltaïr pour qu’on embarque. Par contre, je suis désolé mais j’ai pas pensé à lui demander pour ton matricule, va falloir repasser le voir…

La bouche trop pleine pour parler, Hayalee hocha la tête de gauche à droite et secoua la chaîne qui pendait à son cou.

— Oh, fit Saru. J’avais pas vu.

Elle déglutit.

— Il me l’a déposé dans ma chambre hier soir.

Saru détailla les petites plaques de métal et dit :

— Une vraie rebelle.

— Tu te moques ? marmonna-t-elle en cachant le matricule sous son col.

— Non, pas du tout.

Il n’avait effectivement pas l’air de rigoler. Ce qu’Hayalee regretta presque. Son sérieux avait quelque chose d’inquiétant. Que pensait-il de sa décision de participer à cette expédition ? Ne trouvant pas le cran de lui poser ouvertement la question, elle lâcha plutôt :

— Est-ce que c’est bien prudent de la part de l’Alliance de nous envoyer, nous, pour une mission à l’autre bout du monde ? Je veux dire, on est quand même que des gamins.

— Des gamins qui peuvent assommer des adultes ou raser des forêts juste en clignant des yeux. C’est quand même pas rien. L’Alliance serait bête de nous laisser de côté juste parce qu’on est jeunes. Après… tout le monde nous aurait peut-être pas confié cette mission pour autant, c’est vrai. Mais Iltaïr, c’est loin d’être tout le monde. J’imagine qu’à son époque, les jeunes de notre âge devaient plus être considérés comme des gamins.

Hayalee ouvrit grand la bouche et s’exclama :

— Il est immortel, c’est ça ?

Saru éclata de rire. À son premier jour d’entraînement, Hayalee avait interrogé Iltaïr à propos de ses pouvoirs, mais ce dernier s’était contenté de lui poser une devinette sans lui apporter de réponse. Frustrée et curieuse, Hayalee avait essayé de tirer les vers du nez à Saru. Elle s’était dit que le garçon se montrerait moins énigmatique et farceur que le commandant. Après trente jours passés à le harceler, elle comprenait l’ampleur de son erreur. Saru était encore pire que le commandant. Il trouvait plus amusant de la faire tourner en bourrique en la laissant deviner. Hayalee avait fini par se laisser aller aux hypothèses les plus folles.

— Aaah, souffla-t-il. Pas vraiment, non.

— Comment ça « pas vraiment » ? Soit il l’est, soit il l’est pas. C’est pourtant pas si compliqué !

— Ben, si justement, c’est plus compliqué que ça.

Hayalee se renfrogna pour de bon.

— Allez, c’est bon, bougonna-t-elle. Dis-moi, quoi !

Son agacement sembla contaminer Saru, qui rétorqua :

— Pourquoi tu lui demandes pas directement si ça t’intéresse tant ?

— J’ai déjà essayé, il m’a pas répondu.

— Alors c’est peut-être qu’il veut pas que tu saches ? Si c’est le cas, ce serait pas correct de ma part de te le dire dans son dos.

Hayalee roula des yeux.

— Comme si c’était pour ça que tu te taisais. Ça t’amuse de me laisser mariner, c’est tout.

Elle commençait un peu à cerner le personnage.

— Pour qui tu me prends ? s’offusqua-t-il – avec un peu trop de ferveur pour être crédible. Tu crois que j’ai aucun principe ? Je pense vraiment que c’est pas à moi de te le dire. Bon et puis… c’est vrai : j’ai pas envie de gâcher la surprise, admit-il en retrouvant le sourire. Rien que d’imaginer ta tête quand tu le verras… ah ah ! Je veux pas rater ça !

— T’es vraiment pas sympa.

— J’ai jamais dit le contraire.

Hayalee persista à négocier des informations supplémentaires tout en finissant d’engloutir son petit-déjeuner. Lorsque la clochette en bout de salle carillonna pour annoncer six heures, ils débarrassèrent la table, s’emmitouflèrent dans leur cape de voyage et prirent la direction du hall sud, sac sur le dos.

Les souterrains ne comportaient que trois issues : le monte-charge qui conduisait sur la plate-forme d’envol, l’escalier du hall nord, qui débouchait du côté inhabité de l’île, et enfin la sortie du hall sud qui amenait en plein cœur de Ryilni. Là aussi, l’escalier en colimaçon était gardé par des sentinelles qu’ils saluèrent avant d’entamer l’ascension vers la surface.

— Ça a un rapport avec son âge, fit Hayalee, reprenant ses réflexions à haute voix tandis qu’ils gravissaient les marches.

— Ouais, soupira Saru.

— Il a pas l’âge qu’il paraît, c’est ça ?

— C’est ça.

— Mais… il est pas immortel ?

— Nop.

— Alors… il ne peut pas mourir de vieillesse ?

Saru lui jeta un regard en coin, l’air de se demander si elle était stupide ou si elle se fichait de lui.

— Est-ce qu’on est sûr d’avoir la même définition « d’immortel » là ?

— Ben, « immortel », pour moi, c’est quelqu’un qui ne peut pas mourir de vieillesse ou être tué.

— Oui, fit Saru sur un ton qui cachait mal son exaspération. J’ai donc déjà répondu à cette question, mais je vais le refaire : il peut mourir de vieillesse et il peut être tué.

— Pff, soupira Hayalee en s’ébouriffant les cheveux. Ça a aucun sens ce que tu dis ! J’y comprends plus rien !

Ils s’arrêtèrent en haut de l’escalier, face à un pan de mur bardé de leviers et de rouages, semblable à celui qui masquait la sortie nord. Saru déverrouilla le mécanisme et fit pivoter le mur à la façon d’une porte. Ils émergèrent de l’âtre d’une cheminée, dans un joli salon lambrissé où veillaient deux autres sentinelles. Le fond de la cheminée se referma derrière eux et l’entrée des souterrains se fondit totalement dans le décor. Les gardes les saluèrent sans manifester aucune surprise ni leur demander aucun compte – quitter les souterrains ne nécessitait pas d’autorisation particulière – et ils laissèrent le salon derrière eux pour s’engager dans un couloir sombre et désert.

— T’as vraiment rien remarqué alors ?

— Non, fit Hayalee, un peu sèche. Ça se voit sur sa tête ?

— Plus ou moins.

— « Plus ou moins », ça m’aide. Tu m’énerves avec tes charades.

— C’est pas une charade, lui fit remarquer Saru, ce qui eut le don de l’agacer encore plus.

Hayalee renonça. Elle n’avait pas envie de se disputer avec lui, surtout pas alors qu’ils s’apprêtaient à partir pour une expédition de plusieurs décades à l’autre bout du monde.

Ils tournèrent à un angle et atterrirent dans le hall, aux côtés d’un grand escalier. Ici, le plafond était presque aussi haut que dans une église et la pièce aussi vaste qu’une place de marché. Les murs étaient flanqués d’imposantes fenêtres qui, en journée, déversaient des torrents de lumière. Pour l’heure, le soleil n’était pas encore levé et il n’y avait que les flammes des braseros pour faire danser leur lueur sur le parquet verni.

Ce bâtiment, qu’on appelait le Poste, jouait le rôle d’interface entre les habitants de l’île et l’organisation. La partie visible de l’Alliance et accessible à tous. Tandis qu’en bas, dissimulés sous terre, les rebelles tentaient de régler des problèmes à l’échelle mondiale, discutaient de la meilleure façon de résister au gouvernement de Psamias, des litiges rencontrés avec l’Empereur d’Hinode, des marchandises exportées en toute illégalité depuis Mas ; en surface, ils s’efforçaient de maintenir l’ordre sur l’île. L’Alliance faisait office de dirigeant, de veilleur et de juge.

Hayalee et Saru passèrent près de l’énorme sablier qui trônait sur une colonne de pierre, à côté de l’accueil. Dans deux heures, les premiers employés arriveraient pour prendre leur poste et le hall fourmillerait de vie. D’ici là, il n’y avait que deux sentinelles ensommeillées pour monter la garde.

Elles leur ouvrirent les portes et Hayalee et Saru descendirent les quelques marches du perron. La fraîcheur du matin les enveloppa et Hayalee frissonna. Le ciel s’éclaircissait à peine et la place était déserte, en dehors du préposé à l’éclairage public qui passait éteindre une à une les lampes de la ville.

Si Ryilni abritait une majorité de Psamiens, on y rencontrait des réfugiés venus des quatre coins du monde : Aravans aux cheveux décolorés et à la peau ocre ou noire, Massaniens à l’accent chantant et aux poignets ornés de bijoux chamarrés, en passant par les Hinodiens aux yeux bridés, drapés dans de longues vestes aux manches amples. Même après un mois de visites régulières, Hayalee continuait à s’émerveiller de la richesse culturelle qu’offrait la petite ville des réfugiés. Dans les rues se défiaient toutes les architectures, se mêlaient les senteurs de toutes les cuisines et s’élevaient les clameurs de toutes les langues du globe. Mais Ryilni ne devait pas son caractère unique qu’à la diversité ethnique de ses habitants : il y avait également les Descendants.

Les générations qui s’étaient succédé avait apporté leur pierre à l’édifice. Certains bâtiments, comme l’académie et la bibliothèque, avaient été pensés et construits par des Descendants dont les pouvoirs avaient permis de donner naissance à des structures autrement irréalisables. Ici, on défiait les lois de la nature, dans une certaine limite.

Le monument qui trônait sur la place, entre le Poste et l’église, était là pour en témoigner. Les gens l’appelait la Porte Brisée : l’œuvre ratée d’un Descendant de Yahotyar – l’ange des arts et de la création. Les Descendants de ce clan avaient le pouvoir d’insuffler des propriétés de leur choix à leurs créations. La porte avait été bâtie dans le but d’offrir un passage instantané entre l’île et le continent, mais ça n’avait pas fonctionné. Aujourd’hui, il ne restait plus qu’une arche à demi effondrée, érodée par le temps.

Hayalee trouvait cette histoire – et l’idée qu’on puisse parcourir des lieues en franchissant une simple arche en pierre – complètement folle, mais Saru lui avait assuré que les Descendants de Yahotyar étaient capable de prouesses folles.

— La tunique que je porte est l’œuvre d’une Descendante de Yahotyar, lui avait-il confié. Elle est spéciale. Quand je rabats la capuche, elle reste en place et me protège de la pluie et du vent. Je peux voler et me manger des rafales, j’ai rien dans la face.

Hayalee avait dû mettre le vêtement à l’épreuve pour le croire.

— Si j’avais pu choisir, j’aurais voulu être un Descendant de Yahotyar, avait conclu Saru.

Ils longèrent la place et s’engagèrent dans la grand-rue qui descendait vers le port. Hayalee ne l’avait jamais connue si calme. D’ordinaire, les passants se pressaient entre les bars et les commerces, les éclats de voix, les claquements des sabots et les ronflements des forges rebondissaient contre les façades des maisons et il fallait redoubler d’attention pour ne pas se faire bousculer ou couper en deux par une charrette. Mais dans les premières lueurs de l’aube, la ville et ses avenues leur dévoilaient un tout autre visage ; si paisible qu’on percevait la rumeur de l’océan derrière le chant des oiseaux et si vide qu’on pouvait compter les pavés. L’odeur du pain chaud qui s’échappait des boulangeries se disputait à la fragrance salée de l’océan et Hayalee se laissa submerger par ses envies d’aventures. Elle qui commençait à peine à s’habituer à l’île des réfugiés, la voilà qui partait à nouveau vers l’inconnu.

Les nuages se teintaient de rose lorsqu’ils passèrent sous l’arche en pierre marquant l’entrée du port. Contrairement à la ville, le port de Ryilni ne dormait pas. Les mouettes se croisaient au-dessus des pêcheurs qui se préparaient à prendre la mer ou en revenaient, tous déjà bien éveillés. Le gros du tumulte venait du plus imposant des bateaux, un magnifique galion à quatre mâts. Hayalee le dévora des yeux, émerveillée. Les navires fluviaux qu’elle avait pu voir à Karakha n’avaient pas l’envergure de celui-ci. La coque, énorme et couverte de mousse, craquait comme les articulations d’un vieil animal. Les mâts qui se dressaient vers le ciel étaient plus épais que des troncs d’arbres centenaires et une multitude de cordages filaient dans les hauteurs. Une mystérieuse créature faisait office de figure de proue, mi-femme, mi-poisson.

— Ça doit être notre bateau, dit Saru.

Ils approchèrent à pas timides, se faufilant entre les marins qui s’affairaient à charger le navire. Aucun d’eux ne leur prêta attention, tout à l’effervescence du départ, et Hayalee dut bondir une à deux fois de côté pour éviter de finir aplatie sous un tonneau. Le dernier écart lui valut de se cogner à un grand lascar penché sur une pile de sacs. Le marin se retourna pour la transpercer de son regard clair.

Waa, je peux aider ? demanda-t-il avec un fort accent.

— Pardon, euh…

— On voudrait embarquer, intervint Saru.

L’homme finit de hisser un sac de farine sur son épaule, les considéra avec curiosité et dit :

— Attendez ci.

Il disparut sur le pont. Quelques minutes plus tard, un homme à la mine revêche descendait sur le quai, aboyant des ordres à droite et à gauche. Arrivé à leur hauteur, il baissa ses petits yeux sur Hayalee et Saru et lâcha :

— Qu’est-c’est que ça ?

Hayalee se recroquevilla. Cet homme devait être le capitaine. Sans être excessivement vieux, il avait l’air d’en avoir vécu, des choses, sur cet océan. La peau précocement ridée, il lui manquait un morceau de nez et une tache de vin recouvrait la partie droite de son visage, se perdant sous sa barbe.

— Il faut qu’on aille à Mas, déclara Saru.

Le capitaine haussa un sourcil.

— Euh, pour une mission, compléta-t-il. C’est l’Alliance qui nous envoie.

Saru fouilla ses poches et en sortit l’autorisation écrite par Iltaïr. Tendant une main lézardée de cicatrices, l’homme récupéra le rouleau de parchemin qu’il parcourut brièvement des yeux. Il les jaugea de longues secondes, puis grommela :

— Restez pas plantés là. Si ’voulez monter à bord d’mon bâtiment, ce sera pas les mains vides.

Il fourra le papier dans les mains de Saru et les dépassa sans plus de cérémonie, criant sur un matelot qui avait eu la maladresse de renverser une caisse.

— Eh ben, je sens qu’on va pas s’ennuyer, marmonna Saru.

Résigné, il partit ramasser un cageot de pommes et Hayalee se chargea de deux lourdes cordes. En montant sur la passerelle, elle jeta un coup d’œil anxieux à l’espace lugubre qui séparait la coque du quai et où l’eau s’agitait dans un flop joyeux.

Arrivée sur le pont, Hayalee fit de son mieux pour ne pas céder à l’excitation. C’était la première fois qu’elle grimpait sur un bateau et sentir le sol tanguer sous ses pieds était aussi amusant qu’étrange. L’équilibre un peu instable, elle chercha un endroit où déposer son fardeau. Son attention fut retenue par un jeune homme.

Il ne faisait rien de particulier – c’était même le seul à ne rien faire. Négligemment assis sur le bastingage, il observait le large sans se soucier du remue-ménage dans son dos, ses cheveux noirs et bouclés agités par la brise.

— Me semble qu’il s’appelle Cogh, lui signala Saru, qui avait suivi son regard.

— Comment tu sais ?

— Je l’ai déjà croisé dans les souterrains, c’est un Descendant. Un membre de l’Alliance. Je crois que son boulot, c’est de protéger les navires.

— Ooh, fit Hayalee.

Comme s’il les avait entendus, le jeune homme tourna la tête de côté. Hayalee aperçut brièvement ses yeux clairs au milieu de son visage à la peau bronzée avant de détourner le regard. Quand elle revint sur lui, deux secondes plus tard, elle constata qu’il les dévisageait. Il les fixa longtemps, assez longtemps pour que ça en devienne gênant.

— Dis donc, Cogh, ça t’tuerait d’donner un coup de main ? lança un marin qui venait de finir d’attacher une rangée de barils.

Le jeune homme consentit à lâcher les deux adolescents des yeux pour se tourner vers son camarade.

Aa, répondit-il.

Puis il se laissa glisser par-dessus bord. Le marin jura.

— Il est fou ! s’exclama Hayalee. Il va se noyer !

— Je pense pas, dit Saru. Me semble que c’est son truc, l’eau. En tout cas, vaut mieux l’éviter. De ce que j’en sais, ce type est un sale con.

Ils s’enquirent auprès d’un matelot de l’endroit où déposer les cordes et le cageot, se débarrassèrent de leurs propres affaires et retournèrent au travail. Sous les invectives du capitaine, ils aidèrent l’équipage à remplir les cales. Lorsque la dernière caisse fut enfin chargée, Saru suait à grosses gouttes et les bras d’Hayalee tremblaient de fatigue.

— Si tu veux changer d’avis, c’est maintenant ou jamais, souffla Saru tandis que sur le quai, plusieurs marins larguaient les amarres.

L’imminence du départ eut beau la terrifier, Hayalee hocha vigoureusement la tête.

— Et rater l’occasion de visiter Mas ? Hors de question !

Sans parler du reste. Hayalee avait besoin de se prouver et de prouver à Iltaïr qu’elle pouvait s’en sortir, qu’elle était prête à prendre des risques pour retrouver sa famille. Ils échangèrent un regard, puis un sourire, et Hayalee comprit que Saru partageait ses appréhensions autant que son impatience. Pour lui aussi, cette mission était une épreuve à ne pas rater.

— L’vez l’ancre et hissez les voiles, grommela le capitaine qui passait près d’eux. Freyja, cap à soixante-dix degrés.

— Bien capitaine !

Les sous-officiers transmirent les ordres en y ajoutant une infinité de détails et les hommes, déjà tous à leur poste, s’exécutèrent avec une rapidité méthodique. La passerelle fut rentrée, l’ancre remontée, les voiles se déployèrent le long des vergues et, tout doucement, le bateau commença à glisser sur l’océan.

Hayalee et Saru restèrent dans leur coin tout le temps que durèrent les manœuvres, en compagnie d’une poignée de membres de l’Alliance qui, comme eux, avaient embarqué pour se rendre dans l’archipel. En se retournant, les petits yeux du capitaine s’arrêtèrent sur ses passagers et, pour la première fois, ses lèvres tordues se fendirent d’un rictus.

— Bienvenue à bord de l’Ilmari !

Quand le bateau quitta enfin le port pour voguer vers le large, le soleil avait crevé l’horizon.


 

L’immersion dans le monde des marins fut encore plus difficile que ce que s’était figuré Hayalee. Une fois la terre disparue et son enthousiasme usé par les premiers jours de découvertes, elle s’était heurtée à la réalité. Une réalité qui se résumait à une poignée d’hommes confinés sur un navire trop petit perdu au beau milieu d’un océan trop grand. Peu importait le jour, peu importait l’heure : il n’y avait rien en vue hormis une vaste étendue bleue. Hayalee ne s’était jamais sentie à ce point coupée du monde.

Cet isolement prolongé lui inspira d’abord des sentiments plaisants. Il y avait quelque chose d’apaisant dans le calme de l’océan, de reposant. Son âme de poète ne mit pas plus de trois jours à la déserter. Très vite, l’apaisement se mua en ennui et la beauté infinie de l’océan devint angoissante. Le ciel avait beau se voiler, la pluie tomber, le brouillard les envelopper et les jours défiler, le paysage restait le même : de l’eau, partout, tout le temps. Hayalee avait l’impression que le galion tournait en rond. Et la vie à bord du bateau n’était pas reluisante.

Sous le pont, tout était sombre, humide et exhalait le renfermé. Il n’était pas question de gaspiller de l’eau douce pour prendre un bain et les aliments frais furent vite consommés avant d’être perdus. Mais Hayalee ne regretta véritablement sa décision qu’au septième jour de voyage, quand la tempête les frappa.

L’océan se déchaîna si fort qu’elle crut mourir. Abandonnant l’équipage et Saru qui luttaient contre l’orage, elle se réfugia au fond des cales, entre Tjaya la chèvre et Nùis la poule, où elle pria dans l’espoir de revoir un jour le soleil. La pire nuit de son existence. Saru eut du mal à la déloger de son tas de foin, même une fois le danger passé.

Après cet épisode, Hayalee eut la conviction qu’ils n’arriveraient jamais vivants. Les marins avaient beau lui assurer régulièrement qu’ils suivaient le bon cap, elle restait persuadée qu’ils allaient se perdre et mourir, soit de faim et de soif, soit coulé par une tempête. Le jour, elle arrivait à se raisonner et repousser cette pensée angoissante, mais la nuit, au fond de sa couche, l’idée revenait la hanter. Chaque fois que le bateau tanguait ou craquait un peu trop fort, elle croyait sa dernière heure arrivée.

Hayalee n’était pas faite pour naviguer, c’était évident. Même lorsque l’océan demeurait calme, elle était régulièrement prise de nausées ou se sentait vidée de son énergie. Toute cette eau, cette humidité permanente, la rendait malade.

Malade ou non, il n’y avait pas de place pour les fainéants à bord du bâtiment du capitaine Dick. Si l’on voulait profiter des provisions des marins, il fallait se rendre utile. Ici, il n’était plus question d’appartenance à l’Alliance, tout le monde était logé à la même enseigne et prié d’obéir aux ordres du capitaine, seul maître à bord. Hayalee et Saru ne mirent pas longtemps à connaître le pont dans ses moindres recoins à force de l’astiquer. N’ayant tous deux aucune connaissance en navigation, les tâches qu’on leur confiait consistaient souvent à vider les poissons pêchés, laver des montagnes d’assiettes ou nettoyer le navire. Ç’avait l’avantage de passer le temps. Mais faire face à un Saru armé d’intestins de poisson, d’un balai ou d’une éponge n’était pas sans danger : Hayalee goûta plus d’une fois aux tripes et à la serpillière – au sens propre – et les hommes finirent par ne plus se formaliser des éponges volantes et des hurlements. Du moment qu’ils nettoyaient tout après la bataille, personne ne s’en plaignait.

Les autres membres de l’Alliance avaient eux aussi droit à leur lot de travail, bien que les tâches qu’on leur attribuait soient plus gratifiantes qu’une séance de ménage. Ils assistaient les marins de bonne grâce, les aidant à manipuler les voiles, rafistoler le bateau ou encore transporter des objets lourds. Hayalee ne manqua pas de remarquer la familiarité qui régnait entre certains rebelles et les membres de l’équipage : ceux-là n’en étaient pas à leur première traversée. Le seul à se montrer froid et distant était Cogh. Il passait le plus clair de son temps à nager près du navire, dormir ou observer l’océan. Dug, le cuisinier, dut le harceler des jours durant pour qu’il consente à user de son pouvoir et les aide à pêcher quelques poissons quand la nourriture fraîche vint à manquer. Cogh était, semblait-il, capable de se faire obéir de n’importe quelle créature marine. Sous son impulsion, les poissons se jetèrent en masse dans leurs filets et les hommes, heureux d’avoir autre chose à se mettre sous la dent que de la viande séchée, des fruits secs ou des conserves, pardonnèrent pour un temps la paresse de leur camarade.

Cogh était un drôle de type, cynique et solitaire, pas franchement agréable. Hayalee et Saru avaient pris l’habitude de l’éviter. Chaque fois qu’Hayalee se trouvait en sa présence, elle éprouvait un sentiment de malaise qui, inexplicablement, la gagnait avant même qu’elle se soit rendu compte de sa proximité. Lui aussi leur jetait des coups d’œil lorsqu’il les croisait. Ce n’était pas la première fois depuis qu’elle était arrivée sur l’île des réfugiés qu’Hayalee se retournait sur une personne qu’elle ne connaissait pas, des fourmillements au creux du ventre. Mais, chaque fois qu’elle avait le temps de réfléchir à la question, elle se laissait vite distraire par d’autres occupations à la portée intellectuelle discutable.

Même avec tous les poissons de l’océan à vider, il arrivait toujours l’instant fatidique où Hayalee et Saru se retrouvaient dans la minuscule cabine qu’on leur avait attribuée – leur unique privilège – avec plus rien d’autre à faire que de se regarder dans le blanc des yeux. Si Hayalee apprit une chose de cette traversée, ce fut que l’ennui pouvait pousser à un degré d’idiotie effrayant. Le grand jeu du voyage consista à se lancer des défis dont le crétinisme alla croissant. Saru appelait ça « faire travailler son esprit créatif ». Le perdant s’engageait souvent à faire les corvées de l’autre, histoire de pimenter les choses. Ce fut de cette glorieuse façon qu’Hayalee se retrouva coincée à mi-hauteur du plus grand des mâts, après avoir parié pouvoir atteindre le sommet. Saru lui avait lancé ce défi en toute sournoiserie et elle n’avait pas eu la sagesse de refuser, trop orgueilleuse pour admettre sa défaite. Ça n’avait pas raté. Sa peur du vide, combinée à la vue de l’océan, l’avait laissée paralysée sur les cordages. Il avait fallu de longues minutes et l’intervention d’un brave marin grimpant à son secours pour parvenir à la faire descendre de là. Saru en avait ri aux larmes.

L’équipage aussi. L’anecdote fit le tour du navire et les taquineries poursuivirent longtemps Hayalee. Pour autant, l’ambiance n’en était pas détestable, loin de là. Hayalee et Saru avaient fini par trouver leur place au milieu des marins qui s’étaient habitués à les voir faire les pitres, glousser ou se disputer. Les hommes de l’Ilmari étaient bien plus chaleureux et amicaux que leur apparente rudesse le laissait penser. Malgré sa réserve, Hayalee réussit à se faire quelques amis. Comme Naarii, l’homme qui les avait mis en contact avec le capitaine le jour de l’embarquement. Ce fut lui qui l’aida à descendre de son perchoir après qu’elle se soit pendue au mât.

Naarii était originaire de Mas, comme beaucoup de membres de l’équipage, et Hayalee ne comprenait pas toujours ce qu’il disait, mais elle appréciait sa compagnie. Il se montrait calme et patient en toutes circonstances et il lui apprit toutes sortes de choses sur la navigation. Il y avait aussi Freyja, la maître pilote, qui lui fit partager sa science des courants marins et des vents ; ou encore Dug, le coq, qui prenait son travail très au sérieux et tenta de transmettre sa passion à Hayalee et Saru. Sans grand succès, mais s’essayer à la cuisine aux côtés de Saru – dont l’esprit créatif ne connaissait aucune limite – valait son pesant de joyaux.

Lorsque la nuit tombait, apportant avec elle un peu de fraîcheur sur les peaux brûlées et couvertes de sueur, tout ce beau monde se réunissait sur le pont et bière et rhum coulaient à flots. Breïs sortait son violon et l’équipage se mettait à chanter et danser. Chaque soir ou presque semblait propice à la fête. Hayalee avait du mal concevoir qu’on puisse tenir un tel rythme. Car, quels que soient la frivolité de la veille ou le nombre de chopes vidées, chacun était à son poste en temps et en heure, ce bien avant le lever du soleil si nécessaire. Le zèle avec lequel les marins effectuaient leurs tâches quotidiennes la laissait sans voix. Le capitaine n’empêchait jamais ses hommes de s’amuser – il se joignait même volontiers à eux – mais il ne tolérait aucun écart pour autant.

En dépit des tempêtes, des corvées, de la mauvaise nourriture, du manque d’hygiène et d’intimité, Hayalee prit du plaisir à côtoyer ces gens. C’était agréable et étrange, ce sentiment d’appartenir à une communauté où chacun avait un rôle à jouer. Si seulement les nausées et les crises d’angoisse n’avaient pas été là pour lui empoisonner l’existence. À défaut de pouvoir s’en débarrasser, elle avait fini par développer une ou deux astuces pour rendre ces moments moins pénibles : un bon bain de soleil, à ses heures les plus chaudes. C’était le meilleur des remèdes.

Au matin du dix-huitième jour, Hayalee trouva donc refuge sur le pont après avoir nettoyé le compartiment des animaux. Avachie sur le bastingage, elle attendait que son estomac veuille bien s’apaiser et que ses forces lui reviennent.

Sur l’Ilmari, l’atmosphère avait changé depuis quelque temps. Un mélange d’impatience et d’anxiété gagnait l’équipage. D’après eux, l’archipel se rapprochait. Hayalee, pour sa part, ne voyait toujours rien d’autre que l’océan, désespérément calme et lisse, brillant sous le soleil de Yahohan. Toute à sa contemplation, elle ne remarqua pas l’arrivée de Saru qui la saisit par les épaules et fit mine de la pousser à l’eau. Hayalee s’agrippa des deux mains au bastingage.

— Toujours malade à ce que je vois, se moqua-t-il.

— Refais plus jamais ça, gronda-t-elle en se redressant, l’œil brûlant de menaces.

Saru sourit, content de sa plaisanterie.

Il n’y avait pas que les marins et les membres de l’Alliance qu’Hayalee avait appris à mieux connaître. Saru n’était plus l’étranger qu’elle avait rencontré deux mois plus tôt. Bien qu’ils aient déjà l’habitude de traîner ensemble sur l’île, ça ne valait pas la proximité qu’ils connaissaient maintenant sur le navire. Ils avaient connu leurs premières vraies disputes ; disputes qui les avaient amenés à bouder ou se séparer pendant plusieurs heures. Côtoyer quelqu’un jour et nuit pouvait devenir usant, ils en avaient fait l’expérience. Saru n’avait pas toujours la patience de supporter la maladresse d’Hayalee ou sa bêtise, Hayalee n’encaissait pas toujours sa mauvaise humeur et ses commentaires.

Aujourd’hui néanmoins, Saru paraissait de bonne humeur, et sûrement venait-il sortir Hayalee de sa morosité.

— Pain ? suggéra-t-il en rompant le morceau qu’il tenait. C’est la dernière fournée, le stock de farine est à sec.

Hayalee accepta, sans pouvoir dire si son estomac gargouillait de faim ou d’une envie de vomir.

— On en a encore pour longtemps ? interrogea-t-elle alors que Saru fourrait une grosse boule de mie dans sa bouche.

— ’on é pu ’rès lin, articula-t-il.

Il avala et ajouta :

— Naarii dit qu’on devrait bientôt arriver dans les eaux de l’archipel.

— Tant mieux.

Hayalee reporta son attention sur l’océan, promenant son regard le long de l’horizon en espérant voir la terre s’y dessiner. En vain. Elle picora le pain encore chaud et le regretta quelques secondes plus tard alors qu’une nouvelle vague de nausée la submergeait.

— Ça n’aurait pas été plus rapide d’aller à Mas en volant ? maugréa-t-elle.

— Les chevaux et les aigles de Bùsen ont besoin de se poser, qu’est-ce que tu crois ? Même les plus endurants et les mieux entraînés des chevaux peuvent pas voler plus de deux heures d’affilée. Les aigles tiennent plus longtemps et ils sont plus rapide, mais c’est toujours pas suffisant.

— Dommage.

— J’aurais bien aimé essayer avec Gaya, ajouta-t-il en s’attaquant à la croûte de son pain. Les mallets sont très endurants, ils parcourent des distances énormes. J’ai lu dans un bouquin qu’ils migraient jusqu’au pôle Sud.

Hayalee essaya de s’imaginer volant au-dessus de l’océan, coincée sur un cheval ou un aigle pendant plusieurs jours. Pas sûr que l’expérience soit plus agréable. Saru avala son petit pain en un temps record. Il épousseta les miettes sur le devant de sa chemise, fit craquer ses jointures puis déclara, comme s’il venait d’arriver à une conclusion mûrement réfléchie :

— En fait, t’as peur de l’eau.

Hayalee lui décocha un regard outré.

— Où t’es allé pêcher ça ? Je me lave très souvent si tu veux savoir et je ne me fais pas dessus à chaque fois pour autant.

— Tu sais très bien que c’est pas ce que je veux dire. T’as peur des eaux profondes – de l’océan.

— Ça a rien à voir ! Je suis malade parce que j’ai le mal de mer. Ça arrive à des tas de gens. C’est pas l’eau le vrai problème, juste… ce fichu bateau qui n’arrête pas de remuer !

— Il remue pas tellement, aujourd’hui.

Ça. Parfois elle détestait ça, chez Saru : cette manie qu’il avait de toujours trouver des arguments pour la contredire. Ce qu’elle détestait surtout, c’était qu’il avait toujours raison. Elle soupira, sans rien cacher de son agacement.

— C’est déjà arrivé qu’un bateau étranger tombe sur l’île par hasard ? fit-elle après un court silence, prenant l’initiative de changer de sujet avant qu’il ne s’entête. Comment fait l’Alliance dans ce cas-là ?

— On peut pas tomber sur l’île « par hasard », déclara Saru d’un ton catégorique.

Hayalee fit la moue :

— Sûr qu’une île au large des côtes d’un pays civilisé, il y a peu de chance pour que des bateaux tombent dessus.

— L’île n’est pas sur une route maritime. Si tu pars des côtes de Psamias et prends direction plein est, tu finiras par atterrir dans l’Empire Serv. Sauf que pour aller là-bas, c’est bien plus rapide de passer par l’ouest. Après, il y a aussi une histoire de courants et de récifs. Je m’y connais pas vraiment, Freyja serait mieux placée que moi pour t’en parler… Tout ce que je sais, c’est qu’il y a une zone dangereuse pour la navigation entre les côtes de Psamias et l’île. Même les membres de l’Alliance ne font jamais la traversée en bateau pour rejoindre le continent. C’est contraignant, mais ça nous protège, d’une certaine façon.

— Je comprends mieux.

— De toute façon, reprit Saru, si quelqu’un voulait nous attaquer, il faudrait déjà qu’ils sachent où se trouve l’île. Et comme elle est répertoriée sur aucune carte…

— Comment l’Alliance a fait pour trouver une île pareille ?

— Sais pas. Faudrait demander à Iltaïr, si quelqu’un doit le savoir, c’est lui ou personne.

Le silence retomba et Hayalee inspira une grande bouffée d’air salé et tiède. Elle se sentait mieux. Parler avait l’avantage de lui faire oublier où elle se trouvait.

— Ça fait combien de temps que tu es membre de l’Alliance ?

C’était une de ces questions qui taraudaient Hayalee depuis un moment et l’instant lui parut propice. La réponse se fit attendre. Saru s’avachit sur le bastingage et son expression s’assombrit.

— Ça dépend ce que t’entends par là. Ça fait longtemps que je vis sur l’île, presque aussi loin que remontent mes souvenirs. J’ai pu accompagner Iltaïr quelques fois sur le continent, mais ça fait que quelques mois qu’ils ont accepté que je rejoigne vraiment leur rang.

Hayalee fixa son profil, sa curiosité piquée au vif.

Ce n’était pas la première fois qu’elle y songeait mais, une fois encore, elle se fit la réflexion qu’elle n’avait croisé aucun autre membre comme Saru. Tous les jeunes gens qu’elle avait pu apercevoir dans les souterrains n’étaient plus en âge d’aller à l’académie. En acceptant le matricule et le voyage pour Mas, Hayalee était une exception, avec Saru. Sauf qu’Hayalee n’avait aucune famille sur l’île, pas de parents qui auraient pu lui interdire de prendre une initiative aussi dangereuse que partir à l’autre bout du monde pour le compte d’une organisation rebelle. Qu’en était-il de Saru ? Il avait sa propre chambre dans les souterrains et n’avait jamais évoqué de parents, de frère ou de sœur, d’oncles ou de grands-parents… Hayalee avait bien une ou deux idées sur la question mais, jusqu’à présent, elle n’avait pas osé s’aventurer sur ce terrain. C’était peut-être l’occasion.

— Comment ça se fait que tu vives tout seul sur l’île ? Tes parents sont restés sur le continent ou bien… ?

Peut-être était-il comme elle ? Peut-être avait-il dû fuir sa ville natale en laissant derrière lui sa famille ? Saru garda le regard braqué sur l’horizon.

— Non. J’ai plus de parents. Ça fait assez longtemps qu’ils sont morts.

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1 mois de la Chance

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