Papa l’avait sauvé.
Il avait surgi de nulle part et Malo s’était empressé de tout lui raconter.
— Vous avez vraiment tué un canard devant lui ?
Le voisin éluda la question.
— Dix lapins, bordel ! Dix ! Il voulait m’les faucher, le p’tit con !
— Les sauver, rectifia Papa.
— Jouez pas avec les mots, l’écrivain ! S’il voulait pas m’voir abattre un canard, l’avait qu’à pas être là vot’ gosse !
À l’abri entre les jambes de Papa, Malo retenait ses larmes. Les adultes ne criaient pas mais c’était comme s’ils se battaient. À cause de lui. Soudain, Papa avança d’un pas.
— Je vous conseille de ne plus approcher Malo.
— Et moi, j’veux plus d’vot’ mioche sur mon terrain ! répliqua le voisin en reculant.
Puis il s’en alla, Papa avait gagné.
Malo pouvait-il en être soulagé ? Il avait fait une bêtise, une grosse, mais quand il se retrouva seul avec son père, Papa ne leva pas la voix. Au contraire, il s’agenouilla à sa hauteur et demanda calmement :
— On va te changer, mon grand ?
Malo hocha la tête. Il avait honte. Il s’était fait pipi dessus. Pipi de peur.
Après être passé à la douche et avoir enfilé des vêtements propres, Malo eut droit à un goûter improvisé sur la terrasse. De là, il pouvait garder un œil sur le portail ouvert.
— Il ne reviendra pas, lui assura son père, sinon il va me trouver. Qu’est-ce qui t’a pris, Malo ?
— Mais...
— Non ! Pas de "mais". Même si je préfère que tu sois dehors plutôt qu’enfermé dans ta chambre, c’est pas une raison pour faire n’importe quoi. C’était très noble de ta part mais...
Son père chercha ses mots.
— ...il y a des choses qu’on ne peut pas changer. Tu ne dois pas te mettre en danger, jamais.
Le visage bas, une larme roula sur le nez de Malo.
— Il a dit que le canard était mort mais pas autant qu’il l’espérait.
Son père lui releva la tête.
— Il a dit ça ?
— Oui.
— Alors n’écoute pas ce type. Il ne sait pas utiliser les mots.
Papa posa une main sur son épaule mais Malo préféra s’engouffrer de nouveau entre ses jambes. Cette fois, c’était pour dire merci.
— On ne se sera pas beaucoup vu ce week-end, pas vrai ?
Malo desserra son étreinte et acquiesça.
— Pardonne-moi, mon grand, j’ai beaucoup écrit ces derniers jours... Mais raconte-moi, comment ça va à la maison ?
— Ça va.
— C’est tout ?
— Ché pas. On a pas revu Guillaume depuis mercredi et Maman est triste.
— C’est normal ça. Il doit avoir du boulot.
— D’habitude, Maman le sait quand il rentre pas.
— Faut pas t’inquiéter, c’est compliqué la vie d’adulte. On fait croire aux enfants que c’est facile mais, la plupart du temps, on ne sait pas vraiment ce qu’on fait. On répond juste à des obligations.
— Oh ! Mais c’est trop nul ! J’croyais que les adultes pouvaient tout faire, moi !
— Pas tout, non. Il va réapparaitre votre Guillaume. Il n’est pas magicien à ce que je sache !
Malo secoua la tête en rigolant.
— Bah non ! Il m’apprendrait des turcs sinon.
— Des trucs, mon cœur.
— C’est ce que j’ai dit !
Fort de sa mauvaise foi, son sourire s’élargit. Papa avait une solution pour tout, Malo adorait ses mots. C’était comme des bisous. Peut-être auraient-ils le temps de partager un jeu avant que Maman n’arrive ?
Pendant qu’il mangeait sa tartine et que des miettes tombaient sur la table, il repensa à l’intimidation de son père. Il n’y avait pas qu’avec les mots que Papa impressionnait.
— Comment tu fais ?
— Comment je fais quoi ?
— Peur aux gens ?
— Avec mes livres, tu veux dire ?
Un mouvement de la tête suffit pour que Papa cherche une réponse.
— Je ne sais pas. Pour être honnête, je ne pense pas que ce soit moi qui les effraie.
— C’est qui alors ?
— Eux-mêmes. Ce sont leurs propres peurs qui prennent vie dans leur tête.
Malo était perplexe.
— Tu veux dire que les gens font ton boulot ?
Papa rit avant de nuancer.
— Pas tout le boulot, attention, mais...
Papa mit un certain temps avant de trouver la comparaison adaptée.
— En gros, je les plonge dans une histoire et ils font le reste. Un peu comme un marionnettiste agite un pantin, tu vois. Il y a des fils, on sait que c’est faux et pourtant on jurerait que la marionnette est vivante...
— Et qu’elle danse !
— T’as tout compris !
— Woaaaah !
Malo figea les traits de son visage avant d’agiter les bras en l’air.
— T’es magicien en fait !
— Alors, je ne peux pas faire apparaitre des lapins dans un chapeau mais...
Papa imita un geste de baguette magique dans les airs.
— ...je pourrais faire apparaitre Maman !
Malo en lâcha son bout de tartine.
— Oh non ! S’il te plait, pas déj...
Tut, tut.
Malo tourna la tête et vit la voiture rouge de sa mère remonter l’allée.
— T’as triché !
— Un écrivain triche toujours un peu, tu sais, même si les émotions des lecteurs existent, ce ne sont que des histoires après tout, des petits mensonges.
— Comme les cauchemars !
— Exactement, mon grand, comme les cauchemars.
Papa fit un clin d’œil complice mais la voix de sa mère brisa l’instant.
— Malo, trésor ! Va récupérer ton sac, s’il te plait !
Depuis qu’elle n’était plus amoureuse de Papa, Maman ne voulait plus avoir à lui parler.
Elle ne descendait même pas de la voiture. Ça le rendait triste, un peu, mais c’étaient des histoires d’adultes. Et comme venait de lui confier Papa, la plupart du temps, les adultes ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Peut-être que Maman tomberait une nouvelle fois amoureuse de Papa. L’idée n’était pas à exclure. De toute façon, les amoureux de Maman finissaient toujours par la quitter.
— Allez, écoute ta mère, mon grand, file chercher tes affaires !
Ta plume est fluide, c'est doux et en même temps il y a un certain suspense. La fin est vraiment inattendue, c'est un coup de maître. Ce texte mériterait de gagner un concours de nouvelles ;)