Le lendemain, je profitai de notre dernière journée de libre avant les cours pour me rendre dans l’un de mes lieux favoris sur le campus : la bibliothèque universitaire. Arrivée devant les portes vitrées, je les poussai avant de pénétrer à l’intérieur. L’éclat du jour se déversait par le puit de lumière, inondant le hall. Je me dirigeai vers l’escalier. Alors que j’atteignais le second étage, mon ventre se noua et mes yeux balayèrent l’espace de travail un peu en retrait. J’espérais ne pas faire face à la même déception que deux jours auparavant. Mon pouls s’accéléra en avisant une silhouette attablée côté fenêtre. Je n’étais pas encore assez proche pour discerner ses traits. Je sillonnai les rangées de livres et en caressai les tranches tout en déchiffrant les titres. J’en saisis un avant d’aller m’installer à la place que j’affectionnais. Je m’autorisai un rapide coup d’œil vers la personne installée deux tables plus loin. Une chaleur traîtresse se diffusa dans mon corps, se répercuta sur mes joues. Je baissai vivement la tête.
Il était là.
Il se tenait à la même place que l’année précédente, solitaire comme toujours. Un livre de poche entre les mains, il semblait absorbé par sa lecture. A force de coup d’œil, je réussi à déchiffrer le titre. L’appel de la forêt.
Les fourmillements dans mes mains rendirent mes mouvements gauches. J’essayai de me concentrer sur l’ouvrage choisi. Le soulagement m’envahit. Cette année, je pourrais encore saisir ces visions brèves du garçon qui avait capté mon attention. Je continuerais à soupirer dans mon coin, bien trop timide pour l’approcher.
Ma main vint distraitement frotter le poignet autour duquel s’enroulait le bracelet offert par Cassie. Une légère irritation marbrait ma peau à cet endroit, certainement une petite réaction allergique. Je remis ma manche par-dessus sans plus y prêter attention.
— Aylyn !
Je sursautais en entendant cette exclamation. Cassie. Je me tassais sur moi-même en attendant que mes amis arrivent jusqu’à moi. Pour la discrétion, c’était raté.
— Eh Aylyn, reprit-elle à renfort de grands signes de la main. Elle est là-bas, Ethan. Je t’avais bien dit qu’on la trouverait ici.
Affichant un air contrit à l’intention des autres usagers de la section, je fis un rapide signe de la main à mon amie. L’inconnu releva la tête, un sourcil arqué marquant sa surprise. Je soufflais un « désolé » à son attention. Un sourire étira ses lèvres puis, il replongea dans sa lecture au moment où mes deux amis arrivaient dans l’allée. Je priais pour ne pas avoir les joues trop rouges.
Cassie s’asseya à côté de moi, son sac négligemment posé sur la table. Elle attrapa mon livre et en observa la couverture. Du coin de l’œil, je surpris sa moue sceptique.
— Ayl, la semaine de rentrée sert à reprendre ses marques, un peu comme une transition entre vacances et travail. En plus, il fait un temps super pour se balader sur le campus. J’ai réussi à traîner cet ermite, je compte bien renouveler l’exploit avec toi. Cette année, Aylyn Galdon, pas question de rester tous les jours cloîtrée entre quatre murs.
— Je vais faire un effort, promis.
J’interceptai le sourire en coin d’Ethan. Comme moi, il savait que la meilleure façon de l’arrêter dans son élan, était d’aller dans son sens.
— Alors pourquoi t’enfermes-tu ici aujourd’hui ? Ne va pas me dire que ce bouquin est intéressant à ce point.
— Il l’est, affirmai-je.
Même si ce n’était pas la raison première de ma présence. Ma colocataire me rendit le livre avant de se rejeter contre le dossier de sa chaise et m’observa un instant avec minutie. J’essayai de donner le change et de me replonger dans la culture des anciens peuples du grand nord. Je sentis son attention bifurquer vers le reste de la salle. Quand elle se pencha vers moi avec un air de conspiratrice, je sus que j’allais y passer.
— Pour le plaisir, hein ? chuchota-t-elle à mon oreille.
Je fis semblant de ne pas comprendre son allusion, tout en maudissant mon incapacité à cacher mes émotions.
— Mon petit doigt me dit qu’il n’y a pas que les bouquins qui sont intéressants ici.
Je soupirai. Elle ne lâcherait pas l’affaire. Je ne voulais qu’une chose : qu’elle n’attire pas plus l’attention sur nous, son arrivée avait largement suffi. Je l’adorais, mais parfois son exubérance me gênait.
— Allez, raconte. Tu ne vas pas me laisser sur ma faim.
— Cassie, la suppliais-je à mi-voix, tout en me tassant sur ma chaise. Moins fort et il n’y a rien à dire.
— Vraiment pas mal en tout cas, si on aime le genre ténébreux.
Je ne pus m’empêcher de suivre son regard. Il semblait plongé dans sa lecture, le dos appuyé contre le dossier de sa chaise, ses yeux parcouraient la page avec une attention intense. Je me surpris à m’imaginer en être l’objet. Un coup de coude m’arracha à mes pensées.
— Rien à dire, hein ? Il a l’air de te plaire. Tu veux que je lui demande son prénom ?
Mes yeux s’écarquillèrent alors que je lui agrippais le bras pour l’empêcher de bouger. Je devais être aussi rouge que son chemisier à cet instant.
— Cassie, intervint Ethan. Laisse-là tranquille.
— OK, OK. Je la laisse gérer. Bon, on te laisse à tes occupations, Ayl. Tu nous rejoins à la cafét ? Quand tu auras besoin d’un petit coup de pouce, n’hésite pas.
Sur ces mots, elle attrapa son sac et se leva. J’opinai de la tête, feignant de ne pas avoir remarqué son sous-entendu. Ils s’éloignèrent et je repris la lecture du chapitre entamé. Une fois terminé, j’enchaînai sur le suivant avant d’aller le ranger dans sa section, ne pouvant l’emprunter. J’en profitai pour sélectionner d’autres références sur le même thème. Trois reposaient déjà sur mon bras et un quatrième me faisait de l’œil sur la plus haute étagère. Sur la pointe des pieds, j’étirai mon mètre soixante et des poussières vers lui. Le bout de mes doigts agrippa la tranche du livre. Une petite saccade et le livre vint vers moi. Sauf qu’il ne vint pas seul. J’esquissai un pas en arrière, déséquilibrée par le poids des livres portés, ma position précaire et les documents qui se mirent à chuter vers moi à la suite de ma prise. Le bruit des livres heurtant le sol me fit momentanément fermer les yeux, mortifiée. Je me retrouvais dans une situation que je détestais, celle d’être le point de mire de l’attention.
— ça va ?
Je rouvris les paupières, accrochai dans un premier temps un tee-shirt noir moulant parfaitement un torse bien masculin, avant de remonter vers un visage inquiet. Son visage. Le sang se retira du mien avant d’y revenir en une vague brulante. Ses prunelles. D’une couleur d’un marron lumineux, elles me fixaient avec inquiétude. Je me forçai à lui répondre.
— Je… Oui. Ça va. Désolée… pour le bruit.
Je coupai la connexion visuelle, bien assez chamboulée par sa présence toute proche.
— Attends, je vais t’aider, proposa-t-il alors que je m’accroupissais pour ramasser les livres épars.
Sa voix. S’il fallait quelque chose pour me faire perdre pied davantage, ce fut le coup de grâce. Je récupérai mes futurs emprunts, mes doigts fébriles manquant de coordination. Il prit l’initiative de remettre les autres à leur place avant de me faire face, un léger sourire aux lèvres.
— La prochaine fois, n’hésite pas à demander de l’aide.
Je tentai de sourire mais les muscles de mon visage semblaient ne plus savoir comment faire.
— Oui. Merci pour tout.
Je n’attendis pas qu’il réponde et tournai les talons en direction de l’escalier. Les battements désordonnés de mon cœur résonnaient dans ma tête et j’eus à peine conscience de ce qui m’entourait jusqu’au moment où je rejoignis mes amis.
*
Attablée à la cafétaria, je grignotai mon muffin tout en m’intéressant au programme qu’Ethan suivait. Les coups d’œil de Cassie étaient limpides. Elle se doutait de quelque chose et me tirerait les vers du nez dès que nous serions seules. Je disposai d’un petit répit avant de subir son interrogatoire. Je me concentrai donc sur les explications de mon ami. Il adorait son cursus et cette année, il comptait intégrer un club d’informatique. Il nous avoua qu’il hésitait encore un peu, appréhendant d’être dans un groupe d’inconnus. J’essayai de le rassurer même si je n’étais pas la mieux placée pour lui donner des conseils.
— Que tu aies l’envie de le faire montre que tu es prêt, lui dis-je. Rencontrer d’autres passionnés ne peut-être qu’enrichissant.
— Et puis tu ne signes pas un contrat de mariage non plus. Si ça ne te plaît pas, tu quittes le club et tu passes à autre chose, conclut Cassie.
Je ne pus m’empêcher de rire devant le pragmatisme de ma coloc et Ethan me suivit. Plus détendu, il termina son café et discuta un peu de la rentrée avant de se rendre aux inscriptions pour les activités. Il avait à peine franchi les portes de la salle après un dernier salut qu’elle embraya.
— Alors ?
Je terminai mon thé pour retarder de quelques secondes l’inévitable. Les bras croisés, Cassie attendait la fin de mon petit manège. Je soupirai tout en me rejetant contre mon siège.
— Alors… Je me suis ridiculisée devant lui, voilà.
Elle haussa un sourcil, réprimant un sourire amusé.
— Quoi ? Tu as essayé de l’aborder et tu as bégayé ?
Je secouai la tête. Qu’elle pense que j’ai eu le courage d’aller à sa rencontre me fit rire.
— Moi ? Aborder un garçon ? Je n’ai absorbé aucune potion magique me débarrassant de ma timidité. Non, je me suis juste assommée avec des bouquins.
— Ah oui. Beaucoup plus plausible pour le coup.
Je lui adressai une moue vexée.
— Oh, allez ! ça ne devait pas être aussi gênant que ça. Il t’a aidé ?
Je hochai la tête alors que la scène se rejouait dans mes pensées.
— Un vrai chevalier servant, commenta Cassie, un grand sourire aux lèvres. Du coup, son prénom ?
— Je l’ignore, marmonnais-je.
— Ah, il va falloir enquêter alors. Laisse-moi faire, inspectrice Cassie va te trouver l’infos en moins de deux.
J’esquissai un sourire devant sa détermination.
S. Keller
J'espère vraiment que la suite te plaira autant.
Un chapitre sympathique :)
Au précédent, je voyais venir une romance entre Aylyn et Ethan, et du coup je me suis visiblement trompée haha. Ils ne sont donc qu'amis. Eh bien va pour le beau brun ténébreux de la bibliothèque.
Je trouve que tu décris bien le côté timide d'Aylyn, j'espère juste qu'elle ne sera pas trop clichée avec trop de maladresses avec ! Mais ici c'est vrai que ça tombait bien, ça lui permet de parler une première fois à ce garçon.
J'ai noté une phrase un peu redondante "Attablée à une table de la cafétaria".
À bientôt :)
Et non, pas avec Ethan 😉. Normalement, je n' ai pas décrit Aylyn de façon cliché (je l'espère en tout cas 🫣), sinon n'hésite pas à me le faire remarquer.
C'est un petit bonbon de frissons d'adolescence ton récit 😊. J'aime toujours autant la fluidité dans tes descriptions. Le personnage masculin semble un peu convenu, mais franchement, ça ne me dérange pas. Et puis ce n'est que le début. Je me trompe peut-être. Et si pas, encore une fois, ça ne me dérange pas.
Cassie s’assied à côté de moi, son sac négligemment posé sur la table. -> Cassie s'asseya
feignant de ne pas avoir remarquer son sous-entendu -> remarqué
Je te laisse ici. Trajet voiture fini.
un grand bravo à toi, j'ai hâte de pouvoir me plonger dans les lignes gracieuses de ton histoire.
Bravo pour ce développement subtil et bien orchestré !
GoatWriter...