Il avait commencé à pleuviner quand il est arrivé. Des cheveux blancs tombant en tresses dans son dos.
Il avançait lentement, un pas après l’autre. Il était vêtu d’un pantalon ample rouge bordeaux, d’un col roulé moutarde, d’une longue écharpe immaculée faisant au moins trois ou quatre fois le tour de son cou. Les gouttelettes de pluie se frayaient un chemin parmi ses rides, zigzaguant longuement. Il ne semblait pas s’en faire.
Je détournai mon regard.
Le vent pulsait en vagues douces, tintant contre la gouttière. Il remontait à mes narines l’odeur sereine de la pluie sur la terre, me rapportait tel un espion des échos inaudibles de conversations. Les gouttes, métronomes, sautillaient sur mon parasol en de légers « ploc » réguliers. Quelques bandes de brume s’osaient dans l’avenue, s’y enfilant élégamment comme de longs chats siamois. Elles restaient là, un instant. Mais le vent semblait les presser, les chasser de son cher territoire.
L’écharpe tournoyait nerveusement, au gré du vent et de ses caprices. L’homme s’était assis sur le banc public d’en face, faisant fi de la pluie. Qui le détrempait. Il restait là pourtant, en position du lotus, serein. Les yeux clos. On passait devant lui, le dévisageant parfois, l’ignorant souvent. Je détournai mon regard.
La pluie semblait s’alourdir, les gouttes grossir. Des nuages carnassiers à l’horizon. La masse grise des gens qui se mouvaient vers leur quotidien accéléra. Et ma rue se vida vite, ne laissant qu’un clochard ramassant tristement sa gamelle où gisaient tristement quelques solitaires piécettes. Et l’homme à l’écharpe.
Un sourire malicieux se dessinait sur ses lèvres, bravade fière aux éléments. L’eau de pluie s’accumulait aux commissures, comme retenue par son audace. L’homme se détachait, tel une tache bariolée dans la grisaille environnante, presque incongru. Il pleuvait à grosses gouttes désormais. L’averse s’infiltrait partout en ses vêtements, les gorgeant d’eau et leur donnant une teinte plus sombre, plus profonde. Les canons amples du pantalon infusaient dans une flaque sombre, secoués par intervalles irréguliers par une rafale de vent.
L’homme ne se départissait pas de son sourire insolent. J’en étais sûr, maintenant. C’est à moi qu’il était destiné. Il me posait mille questions, en silence: « Qui est tu? », « Que fais tu là, bien à l’abri? », « Serais-tu prêt à braver la pluie? » Je n’avais pas de réponse…
Je noircis mon cahier, nerveusement. Comme toujours lorsque j’étais perdu. Et qu’importe le sens. Rez-de-chaussée, mouche, eau de javel. Biceps. Écharpe.
La pluie s’était calmée, laissant comme uniques souvenirs de son passage de minces résidus dans les interstices des pavés. Alors l’homme se leva. Il repoussa en arrière quelques mèches mutines. Et il me regarda. Me sonda.
Ses pupilles brillaient d’un vert malin et un souffle ardent semblait danser à l’intérieur. À bien y regarder on ne savait plus si la flammèche dansait ou boitait, fatiguée. Un mélange, sûrement… Le vieux continuait de me regarder de cet air faussement naïf, profondément dérangeant. L’écharpe était maintenant secouée de soubresauts imprévisibles.
Il se redressa. Et fit claquer, fuser chaque mot:
« Que fais tu là ?»
Ce passage est superbe, très évocateur, avec une ambiance mélancolique et mystérieuse à la fois. La pluie, l’écharpe blanche, l’homme au regard vert malicieux, tout cela donne une atmosphère presque hypnotique. On sent cette tension subtile, ce jeu muet entre le narrateur et cet inconnu qui semble l’interroger sans parler !
Merci beaucoup, c’était l’intention d’avoir quelque chose de mystérieux, tout en se rendant compte qu’il manque des choses, qu’une mélancolie latente traîne par là…
Merci pour tout ces compliments 🤩