2- Un monde inconnu

 

Nour se réveilla avec la sensation d'avoir dormi pendant des semaines, le corps ankylosé, comme cloué au sol. Il faisait sombre, mais quelques rais de lumière lui parvenaient à travers les interstices du plafond. Elle tâta le sol, frais sous ses paumes, et fit rouler quelques grains de sable entre ses doigts. Elle n'était clairement pas dans son lit, ni même dans sa chambre. Elle cligna plusieurs fois des yeux, inspira profondément, avant de palper ses bras, son visage, puis elle remua les jambes. Où pouvait-elle bien se trouver ? L'avait-on enfermée ici ? Et où était-elle ? Une grange, un cachot ? Non, tenta-t-elle de se rassurer rapidement, pourquoi l'aurait-on mise dans un cachot, c'était ridicule.

Que s'était-il passé ? Elle se rappelait une partie de billes, un petit déjeuner. C'était tout, son cerveau butait contre une masse noire d'où rien ne surgissait.

Combien de temps avait-elle dormi ? Pourquoi sa mère n'était pas à ses côtés ? Sa gorge se serrait à mesure que les questions s'accumulaient. C'était à n'y rien comprendre. Ou peut-être était-elle simplement en train de rêver ? Elle expira l'air qu'elle avait trop longtemps retenu sous le coup du stress, et esquissa un rictus. Après quelques minutes, où elle attendait que le rêve la ramène dans son lit, elle ressentit une légère démangeaison au niveau du creux entre les clavicules. Elle passa la main son sous tee-shirt, sentit une boursouflure, et tout lui revint brutalement. Elle se redressa brusquement, et le médaillon revint se positionner sur son torse. Alors, elle ne rêvait pas. Elle se leva. La remise, car rapidement elle décida que ceci était une simple remise, sentait l'humidité et la terre. Il n'y avait aucune fenêtre, seulement une porte en bois. Ses yeux s'habituèrent à la pénombre, et en y regardant mieux, elle vit des sacs en toile de jute amoncelés dans le fond de la pièce. À l'extérieur, des gens parlaient, riaient. Elle tritura machinalement le bout d'une de ses tresses, avant de porter ses doigts à sa bouche, il ne restait plus d'ongles à grignoter.

Elle se tint un moment devant la porte, les mains moites, les jambes flageolantes. Les minutes s'écoulèrent sans qu'elle parvienne à prendre une décision, que trouverait-elle à l'extérieur ?

Alice au pays des merveilles, puis Dorothée du magicien d'Oz lui vinrent à l'esprit. Oui, tout irait bien, forcément. Non ? Elle déglutit, avant de tourner la poignée. Quand elle ouvrit la porte, celle-ci grinça lugubrement.

La lumière l'aveugla. Le bruit, les couleurs et les éclats de rire emplissaient l'air. Rapidement, elle jeta un oeil à gauche, puis à droite. La rue était pavée et propre, les bâtiments en pierre blanche, tous de deux étages, s'alignaient parfaitement, et des cordes à linge étaient tendues d'une bâtisse à l'autre. Elle fit quelques pas hésitants parmi les passants, remonta sa capuche et mit les mains dans la poche de son sweat. Par chance, elle s'était habillée plus tôt dans la matinée pour descendre les poubelles, sinon elle se serait retrouvée à déambuler dans les rues en pyjama, comme dans certains de ses cauchemars. Devait-elle demander de l'aide ? Ces gens avaient une bonne figure. Mais comment savoir ?

Au hasard, elle bifurqua à droite. Une bonne odeur lui chatouilla les narines, plusieurs boulangeries s'alignaient dans la ruelle, collées les unes aux autres. Elle inspira profondément, et ouvrit grand les yeux. Chacune avait sa spécialité, et devant elle s'étalait des montagnes de brioches, de tartes, et de flans, qui lui mirent l'eau à la bouche. Les douces effluves sucrées embaumaient l'air. Son ventre gargouilla. Elle bifurqua dans une autre rue, pas la peine de s'attarder ici en salivant devant toutes ses bonnes choses. Là, l'ambiance était tout autre, il n'y avait que des artisans. Des chaises, tables et luminaires s'amoncelaient devant les vitrines.

Elle observa les gens autour d'elle, et remarqua que sa tenue contrastait franchement avec l'allure austère des badauds. Tous portaient des pantalons ou des jupes culottes, des chemises ou des vestes en lin gris, beige ou marine. Les vêtements étaient sobres dans leurs coupes, et dépourvus de fioriture. A la réflexion, il était impossible pour elle de demander où elle se trouvait, chacun se devait de savoir où il était. Se perdre en voiture passait encore, mais là, et sans adulte, cela paraîtrait suspect à n'importe qui. Elle devait se débrouiller toute seule. Elle erra un moment. Puis, arrivée à une intersection, elle regarda sur la droite, il n'y avait pas âme qui vive, sur la gauche c'était tout le contraire, des tables étaient disposées le long des maisons, et des hommes jouaient aux dominos, ou aux cartes. Elle prit cette direction, si elle écoutait suffisamment les gens parler, elle en apprendrait certainement sur cet endroit. Les gens parlaient fort, riaient, c'était rassurant, et Nour se prit à sourire. Un peu plus loin, un petit groupe attira son attention. Plusieurs hommes et femmes semblaient captivés par ce que leur racontait un vieil homme aux cheveux hirsutes et à la voix rauque. Nour se rapprocha.

– Tout ça est inquiétant, c'est certain, disait l'homme.

– Ca touche que les conseillers, pourquoi s'en faire ? intervint un autre en haussant les épaules.

– Tu n'as vraiment pas cœur, c'est honteux, s'insurgea une vieille dame.

– D'autant que ça pourrait bientôt toucher NOS enfants, reprit le premier homme.

Tout à leurs affaires, personne ne remarqua Nour. Enfin, pas tout à fait. Un garçon, sans doute de son âge, blond comme les

blés, se tenait là, à quelques mètres, et lui jetait régulièrement des coups d'yeux.

— Combien ont disparu ? demanda quelqu'un d'autre.

— Trois, en deux mois. Pauvres gosses, on peut seulement espérer qu'ils soient toujours en vie.

Nour avait peur de comprendre cette conversation. Des disparitions d'enfants ? Elle jeta un oeil vers le garçon blond, qui à présent esquissait un léger rictus dans sa direction. Devait-elle lui parler ? Se confier à un enfant serait plus facile, sans doute, sauf s'il ameutait la foule alentour.

— Savez-vous où en sont les recherches du Conseil ?

— Nulle part, répondit le premier homme. La soldatesque patrouille sans cesse à la recherche d'un homme, un seul, mais le pays est immense, autant chercher une aiguille dans une botte de foin.

Des enlèvements d'enfants ? Mais où j'ai atterri ?

– Le rapteur n'est pas un homme à ce qui paraît, enfin pas tout à fait, révéla une jeune femme. On raconte qu'il maîtrise la nécromancie, et …

– Faribole, tonna le vieux homme, commence pas à faire peur à tout le monde avec tes idioties.

Mais c'était trop tard, la petite assemblée paraissait terrorisée, Nour en tête. Elle fit un pas en arrière, bien décidée à fuir au plus vite, puis un pas de côté, et répéta l'opération jusqu'à s'extirper du groupe. Elle déambula une nouvelle fois, prit une rue, puis une autre. Il n'y avait aucun panneau d'indication, et il lui semblait impossible de sortir de la ville. Elle déboucha enfin sur une place. Carrée, assez grande, avec de grands platanes. Sous les bâtisses se trouvaient des arches qu'abritaient des échoppes qui couraient tout autour. Ici, l'animation régnait. Elle fit un tour sur elle-même, la ville était construite sur une colline, ou quelque chose comme ça, les rues étaient pentues. Il lui suffisait donc de descendre pour sortir de la ville.

J'aurais dû le remarquer avant, mon cerveau est au ralentit !

Cette ville était un véritable labyrinthe, mais enfin, après plusieurs minutes elle se retrouva devant une passerelle en bois. De l’eau courait en dessous, qu’elle suivi du regard. La petite rivière se commuait en immense étendue d’eau. Elle traversa prudemment, avant de faire volte-face. Une île. Toute la ville tenait sur ce petit bout de terre. La mer l'encerclait et s'étendait jusqu'à l'horizon. Nour trouva bien curieux d’établir une cité sur une aussi petite île, alors que les berges étaient spacieuses, aménageables et bordées par la forêt. Elle distingua deux bâtisses plus imposantes, placées au plus haut de la ville.

Un petit port de pêche se détachait de l'île par un large ponton. Les barques étaient alignées comme des sardines dans les boîtes. Elle examina les environs, la forêt s'étendait d’un côté, et se distinguait par ses arbres immenses, dont le bas des troncs étaient dénudés, ainsi les fougères et les jacinthes foisonnaient sous la faible lumière du soleil des sous bois. Les champs de tournesol, plus loin, longeaient la mer. Le jaune éclatant tranchait avec le bleu marine de l'eau et l'azur du ciel. Elle connaissait la mer uniquement par la télévision, et savait qu'elle était salée, mais jamais elle n’avait senti cet air iodé auparavant.

C'est sûrement ça l'odeur des vacances.

Quand, plus loin dans la prairie, une structure attira son attention, elle s'en approcha lentement, craintive. De larges pierres, ressemblant à des menhirs, étaient disposées en cercle, un peu comme à Stonehenge. En son centre trônait la statue en bois d'un homme. Grand, mince, enveloppé dans une cape à capuche, ses yeux étaient marqués, presque vivants, Nour y décela de l'espièglerie et une grande intelligence.

Elle déchiffra l'inscription gravée plus bas : « Au grand Myrddin, en remerciement pour tous ces bienfaits ».

Myrddin ? Myrddin. Comme Merlin l'enchanteur ? Non, impossible.

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Baladine
Posté le 08/12/2022
De très belles descriptions, et dans le parcourt que fait Nour, toute une géographie imaginaire se dessine qu'on aura loisir à parcourir et à reparcourir. La conversation surprise est une manière très habile d'amener la quête sans que Nour sache qu'elle sera concernée de près par le problème. J'aime bien que notre blondinet préféré ne fasse que passer, on se dit qu'ils vont se rencontrer, mais que ce n'est pas tout à fait le moment, et c'est crédible qu'ils n'osent pas s'aborder immédiatement. Il va y avoir une nouvelle rencontre.
Des remarques :
- Ses yeux s'habituèrent à la pénombre => si elle avait les yeux fermés, normalement ils n'ont pas besoin de s'habituer à la pénombre. Et ils sentent l'ombre avant même d'être ouverts (quand on se réveille en plein soleil, les paupières renvoient une lumière rouge).
- tu n'as vraiment pas coeur => il doit manquer un "de"
-lui jetait régulièrement des coups d'yeux. => des coups d'oeil ;)
- mon cerveau est au ralentit => ralenti
-dont le bas des troncs étaient dénudés, => était dénudé (le bas)
- les menhir sont "plus loin dans la prairie", Nour s'approche "lentement". Ça m'interroge un peu : si c'est "loin", ça dépend à quelle distance exactement, mais si elle s'approche lentement de quelque chose qui est dans la prairie, le chemin doit durer un peu plus longtemps, ou alors ce n'est pas si loin, et elle peut s'autoriser la curiosité de s'approcher. Si le monument est un peu plus loin, elle peut marcher plus vite, mais il faut quand même qu'elle ait bien envie d'y aller pour s'aventurer dans la prairie, d'autant que ce mouvement qui la détache de la ville pourrait attirer l'attention sur elle. Y a-t-il un chemin qui mène au monument, ou faut-il se faufiler parmi les herbes hautes ?
C'est un peu étonnant que la choupette sache que Myrrdhin (ou Myrrdin) est l'ancien nom de Merlin. Elle peut savoir si elle est experte passionnée du personnage, mais bon, on le trouve quand même dans des textes en latin médiéval...
En tout cas ce n'est que des détails, très beau passage, bravo pour ta réécriture !
sifriane
Posté le 08/12/2022
Salut Claire,
Pour Myrddin tu as raison. J'ai beaucoup hésité, je vais ajouter un petit quelque chose dans le premier chapitre, mais je veux pas qu'elle soit passionnée par Arthur et la table ronde, et comme par hasard elle se retrouve là. Je dois être plus subtil (si tu as une idée).
Toutes tes remarques sont très justes c'est pas très clair tout ça (t'es un véritable oeil de lynx, MERCI) Je vais corriger de ce pas.
Merci encore pour ton aide :)
MichaelLambert
Posté le 31/10/2022
Bonjour Sifriane,
J'ai bien aimé ce deuxième chapitre qui se lit agréablement car ton écriture est fluide. Étrangement, je me suis imaginé un décor un peu égyptien au début, à cause du sable sur le sol et de l'alignement de maisons blanches. Puis j'ai été surpris par les vêtements des habitants. Et un peu perdu quand tu parles de la forêt, de l'île et de la place sur les rivages. Je me suis demandé ce que pensais Nour, où elle croyait être, à quoi ce lieu lui faisait penser.
J'ai trouvé très intéressante la discussion que Nour surprend et les enjeux qui se préparent. J'ai été un peu déçu qu'elle n'aie pas plus d'interactions avec les habitants ou au moins avec le garçon blond.
Et à la fin, je me suis demandé si c'était crédible qu'une fille de son âge sache que Myrddin est le vrai nom de Merlin.
Au final, je me réjouis toujours autant de découvrir la suite !
sifriane
Posté le 31/10/2022
Re,
Ravie de voir que tu poursuis ta lecture.
Tu constateras par la suite que j'ai du mal avec les descriptions. C'est un monde parallèle, j'ai envie qu'il soit incohérent et déstabilise le lecteur.
C'est vrai que je devrais plus développer le ressentit de Nour face à ce monde.
Pour Myrddin tu n'as pas tort, mais certains enfants sont parfois étonnants. Je verrais ce que je peux faire si on me fait de nouveau la remarque.
J'espère que la suite te plaira, et encore merci pour ton aide :)
Vincent Meriel
Posté le 28/10/2022
Bonjour,
Voilà une lecture encore sympathique.

Fautes de frappe :
- Je pense qu'il y a un saut de ligne de trop à "blond comme les blés".
- "A la réflexion" il manque un accent sur le "a".

Sur le fond : (pas beaucoup à dire c'est bien)
- C'est très clair. On sent bien la "gueule de bois" du début et on n'a pas le temps de s'ennuyer ensuite. Pas mal de promesses narratives s'ouvrent, pour le moment je ne vois pas encore comment elles sont reliées (ce qui est bien ^^). Je suppose qu'on entendra à nouveau parler du "rapteur", mais je ne sais pas si ce sera en bien ou en mal.
- Un point météo aurait pu être cool avant la fin du chapitre (d'autant que tu ne fais pas beaucoup appel au sens du toucher).
- Je ne comprends pas (mais je ne sais pas si c'est volontaire), pourquoi elle a du sable dans les mains alors que la remise sens la terre et serait de mon sens en terre battue du coup.
- Si tu avais envie de rajouter un peu de vie à tes descriptions (sauf si c'est fait exprès), un port sur une île devrait compter pas mal de mouettes (un peu étrangement absentes).

Sur la forme : (Elle est globalement assez loin de ce que j'ai l'habitude de lire, mais une fois qu'on est habitué à lire les pensées de la PP et à voir apparaitre des "?" dans le texte ça passe plutôt bien. Du coup je vais me concentrer sur quelques propositions de fluidifications)
- "Rapidement, elle jeta un oeil à gauche, puis à droite." => le fait d'être rapide est induit lorsque l'on "jette un oeil".
- "Il lui suffisait donc de descendre pour sortir de la ville." => troisième répétition du mot ville dans le paragraphe "Il lui suffisait donc de descendre pour EN sortir" pourrait suffire.
- "vieux homme" => "vieil homme"
- Pour le dialogue, il faut faire attention à ne pas surcharger en incises et éventuellement alterner avec des petites descriptions et des phrases externes pour introduire les interlocuteurs.
Voilà pour cette fois.

Bonne continuation, j'attends la suite maintenant !
sifriane
Posté le 29/10/2022
Salut,
Vraiment merci pour tes commentaires qui me font réfléchir.
Pour le sable tu as raison, c'est de la terre qu'elle prend dans les mains. J'avoue je n'avais pas pensé aux mouettes, je vais ajouter des oiseaux, mais quelque chose de plus exotique
Toutes tes autres remarques sont pertinentes, ça va m'aider pour la suite.
Vincent Meriel
Posté le 01/11/2022
C'est chouette si cela t'aide ! Bon courage ^^ (quel dur travail que la relecture)
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