2- Une faim de Loup

Notes de l’auteur : Le premier commentaire est enfin là!
Voici la suite de cette histoire.

C’était le moment où je regrettais plus que jamais mes profonds sommeils, l’instant où je reprenais les rênes de ma vie et que la nuit m’apportait les cris de la misère.

 

Je m’extirpai du canapé usé, détachai le plaid de mes épaules. Il glissa, rebondit sur mes fesses et leva un frisson sur ma peau. Je pivotai dans le salon ombragé par le bâtiment en face, contemplai le ciel sombre. La lune ronde m’accueillit de son cynisme. Derrière elle, un voile de nuages flottait sous le vent déployé. Je me redressai, avisai mon reflet dans la fenêtre. C’était bien moi que j’y retrouvais et pas le flou habituel. Un sourire se dessina sur mes lèvres, satisfait d’observer mon corps. Ainsi, mes doigts parcoururent ma peau, mes blessures d’antan. J’allongeais mon bras du creux de mes joues jusqu’à ceux de mes fesses. C’était intéressant de se retrouver, sans vraiment s’être quitté. J’avais seulement dormi, après tout. Mais combien de temps ?

Je m’avançai vers le balcon, l’air s’enroula autour de mes membres et apporta à mes narines l’odeur de la terre humide et du bitume gorgé de pisse. Je plissai le nez incommodé par la puanteur qui émanait de part et d’autre du cul-de-sac où j’avais pris domicile. Un coin moins nauséabond m’aurait mieux convenu que cet endroit de débauche où tout le monde pouvait entendre les putains racoler ou se faire malmener

 Le regard en contrebas, j’observais un jeune homme en haillons. Il s’appuyait contre la façade crasseuse de la boulangerie. Le garçon tendit une main vers un couple bien alcoolisé, il fut ignoré et s’en satisfit. Cette fois-ci, personne ne l’avait battu ou humilié.

De mon piédestal, je voyais toutes les bassesses de l’esprit humain.

La lune, bien que sinistre, était ma foi, plus agréable à regarder.

À mesure qu’elle progressait dans le ciel, je sentais de moins en moins l’envie de faire des efforts dans mon quotidien. À quoi bon ? Il suffisait de poser les yeux sur l’époque pour désirer la fuir sans lui verser un mot aimable au creux de l’oreille. J’éprouvais même une certaine lassitude à toute cette peine, cette violence… je n’ignorais pas d’où me venait cette impression méprisable de l’univers et des humains. J’étais pleinement conscient que mon passé dirigeait mes pensées, mes pas, mes actions.

La cruauté. La dégénérescence de l’âme. Les pires actions.

Le souvenir des scènes d’antan s’anima dans mon crâne, je ne voulais pas les revoir et en même temps, il n’y avait qu’elles qui pouvaient réveiller mes plus sombres desseins. Réveiller la bête qui sommeillait en moi.

Un nouveau cri sanglant. Le son d’une cravache qui sciait l’air.

Mes doigts se serrèrent sur la rambarde, un nœud se forma dans ma gorge et tordit hargneusement mes entrailles. L’envie de hurler brûla mon thorax. Je le contins quand, un tintamarre me vola l’attention de la nuit et des bougres qui y déambulaient. La taverne longeant la rue malfamée débordait d’ivrognes et de bandits de seconde main. Un brouhaha en ressortit suivi de vulgarités et de cris de bastonnade. Les frères Gourdine se battaient de nouveau, entrainant avec eux une farandole de n’importe quoi. Ça giflait, ça crachait, ça grognait…

Un long soupir s’échappa de mes lèvres et je me détournai des festivités.

 

Le corps étiré, les épaules malaxées, je jetais un coup d’œil au chien jaune qui m’avait suivi depuis la ville d’Ordine à Hongaria. Il avait certainement pris le train lui aussi. Quel étrange animal ! Pourquoi rester sur mes talons ? Était-ce parce que j’avais tué son maître ? Celui qui prenait plaisir à le torturer lui et les petites demoiselles du quartier Sidone. Cet homme, que les Hogariens appelaient Le fabricant de poupées, n’était rien de plus qu’un fou qui aimait les petites filles sages et tranquilles. Pauvres petites. Qui sait ce qu’il faisait avant de les embaumer et de les poser dans ses vitrines ? Quelle surprise pour les parents d’autres enfants, lorsqu’ils comprirent que la poupée grandeur nature offerte à leur tout petit, n’était autre que le bambin d’un couple bien triste. Les horreurs balafraient ma route

 

Je secouai la tête, reposai mes yeux sur le chien. J’imaginai qu’un compagnon ne me ferait guère de tort. J’aurais au moins quelqu’un avec qui parler.

Peut-être, devrais-je lui donner un nom ?

Féroce ? Mange-Tout ?

Je le scrutais encore un peu. Sa truffe remuait, ses petits yeux furetaient dans ma direction, emplis de malice et d’intelligence, sa queue frétillait et son poil hirsute, couleur paille, me mena sur la piste. Dans l’ombre des réverbères, l’animal trouva un nom : Jaune.

Bientôt, nous irons chasser, lui, la bête et moi.

 

***

Que la chasse commence !

 

— Tu viens avec moi Jaune ? On va chercher notre dîner. Ce soir, se sera un grand festin. Tu es partant ?

Les cils du chien papillonnèrent, puis il ancra un regard fixe dans mes yeux. Sa queue frétillait de contentement. C’était chouette d’avoir un acolyte avec qui passer le temps.

 

Sous le voile brumeux, je déverrouillais mes aptitudes, sentais en moi bouillir le sang de l’homme enragé par la vie. Une fine brise s'enroula à ma nuque et parut murmurer à mon oreille : "passe un bon moment". Son souffle tiède était pareil à un baiser délicat, une promesse de me récompenser prochainement. 

— J'y compte bien, très chère.

J’allais reprendre mon jeu d’assassin, après une longue période d’absence. Avais-je manqué au monde ? De quoi parlait-on dans les journaux ? Je n’aimais guère qu’on me vole la vedette. Qu’importe je ferai bientôt les gros titres.

 

Jaune sur les talons, j’arpentais Fragrance, la capitale de Francessia, ville des poètes et de la romance. L’animal ne me lâchait pas des yeux, frôlant par moment mes jambes, comme pour être certain de ma présence. Croyait-il que je l’abandonnerais ? Comment pouvait-il l’imaginer, alors que je le conviais à ma table ? Je n’avais encore jamais invité personne.

 

Dans le manteau long et noir, je longeais la ruelle Des Vagues à l’Âme, et m’amusais de l’ivresse de mon bon monsieur Gédéon – la trentaine, plutôt agréable à regarder quand il faisait du gringue à ses futures victimes. Jaune et moi, l’avions rencontré quelques jours plutôt. Un vulgaire proxénète, friand du malheur d’autrui. En une nuit, il nous avait tout montré. Jeunes hommes, jeunes femmes, mères de famille, humains accros à la cocaïne, Gédéon les tenait tous entre ses mains. Gédéon était parfait pour la bête… pour le Loup. J’en avais assez vu. Puis, j’avais faim depuis mon réveil. Jaune pouvait bien manger dans les poubelles, je n’avais guère l’intention de l’accompagner dans ces festins.

Pas à pas, nous le suivions. Il titubait. Mon odorat surgit, appâté par le pouvoir qui s’activa plus violemment. Je ressentais une douleur profonde dans mon estomac. Elle martelait mon cœur, et agitait mes intestins. Ma gorge brûlait, agressée par le parfum de mon repas. Tout proche, je respirais l’alcool imbibé sur sa peau, à l’intérieur de ses veines, je flairais ce qu’il avait mangé au déjeuner et pouvais lister toutes les marques de liqueurs et de vins rouges qu’il avait ingurgités.

— Faim…murmurai-je, presque envoûté.

Ce n’était pas le moment de se laisser emporter. Je détestais me jeter sur la nourriture à l’instar d’un affamé, incapable de contrôler mes instincts primaires.

 

À chaque enjambée qui me rapprochait de Gédéon, je ressentais le pouvoir augmenter. Il ébouriffait ma folie, la titillait, lui donnait plus de droit que je lui refusais immédiatement. La bête n’aurait le contrôle. Elle ne l’avait jamais.

J’arborais en quelques minutes le visage et le corps d’un beau jeune homme aux cernes creusés, à la blancheur maladive, à la silhouette frêle. Je gardais ma forme originelle, seulement je trompais l’œil, le mien parfois, quand je désirai devenir un autre. Il m’arrivait d’être agacé par ma figure, alors d’un claquement de doigt, j’effaçais, de ma logique mon faciès, et en dessinais un autre, souvent plus avenant, pour lequel mon cœur aurait pu avoir de l’égard.

 

J’attendis un petit moment avant que Gédéon ne se retourne, conscient d’être suivi. Jaune me jeta une œillade, trouvant le temps long, puis il s’écarta de moi, comprenant que le jeu allait commencer. Son intelligence me surprenait. Il saisissait tout, à croire qu’il était, lui aussi, un sorcier d’Hongoria. Et si c’était le cas ?

J’étouffai un rire, me ressaisis et posai à nouveau mon intérêt sur Gédéon. Il marchait plus vite. Son cœur battait plus fort, le stress qu’il véhiculait fit trembler mes nerfs. Du calme !

 Il n’était pas fou. Sensible à ce qui l’entourait, ce type savait reconnaître le danger, pas forcément au bon moment. Cependant, il le connaissait pour l’avoir côtoyé. Le danger !  J’adorai la charge émotionnelle que cela éveillait chez moi.

 

Gédéon accéléra le pas. Il se tournait plus souvent. Son regard vitreux croisa le mien dont j’accentuai l’indifférence. Un véritable jeu du chat et de la souris s’engageait sous ce ciel dévêtu de nuages. L’homme, les cheveux fins et tombants sur les yeux, chercha une ombre derrière moi, n’ayant pas la conviction qu’un jeune homme aussi fragile d’apparence ne puisse lui faire du mal. Il avait la carrure pour lui briser les os. Fascinant cette confiance en lui, tout de même. C’était comme s'il ne voulait pas croire que cette illusion puisse cacher l'esprit d’un détraqué.

Combien j’aimais jouer avec les a priori des gens !

Jaune éternua, marchant toujours sur le trottoir d’en face. Gédéon lui lança un regard en coin, soucieux. Se pourrait-il qu’il eût plus peur de Jaune, que de moi ? Impressionnant !

 

Arrivé aux abords de son appartement aux couleurs criardes – même sous la lumière tamisée de la nuit – il s’arrêta, jugea enfin mon air suspect et me scruta de la tête aux pieds. Un sourire incrédule tatoua ses lèvres fines où une entaille peinait à cicatriser. L’amusais-je ? Était-ce à ce point improbable que mon apparence puisse lui dérouiller la caboche ?

 Une lueur brilla dans ses yeux injectés de sang. Je frissonnais d’excitation et de dégoût. Sa confiance finirait par le trahir. Comment pouvait-il imaginer me battre ? Comment pensait-il pouvoir me posséder un jour, une seconde ? Amusant…

 

Le désir de lui sauter à la gorge agitait mon index, mon cœur fredonnait une mélodie enivrante, une chanson rythmée et désaccordée. Néanmoins, la façon dont il détaillait ma nouvelle apparence me donna envie de vomir, c’était viscéral, comme un souvenir de mon enfance, un rappel de ma souffrance. L’amusement céda sous la colère.  Que représentais-je pour lui dans ces habits empestant l’innocence ? Avais-je bien joué la timidité, l’avais-je amadoué avec mon immobilité et mon stress apparents ? Je n’avais plus envie de rire.

Mon sang battait mes tempes. La bête avait de plus en plus faim. La douleur dans mon ventre s’accentua tout comme le brasier qui flambait dans ma gorge.

Du sang ! De la viande ! Que l’on me nourrisse !

Patience, me serinai-je. Jouons encore un peu. Juste un peu.

 

Gédéon lui ressemblait. Il avait la même pourriture dans le regard que mon bourreau. Le même besoin de posséder tout ce qu’il trouve, et de les marquer afin qu’on n’oublie pas son pouvoir sur nous.  Malheureusement pour lui, cette pensée, dont je devenais l’album-souvenir, ne l’épargnerait pas. Bien au contraire, son regard, son désir de me vouloir venaient de signer son arrêt de mort.

Faussement craintif, je m’avançai vers Gédéon et lui offris le luxe de sourire un peu plus. Il mordait à l’hameçon comme les autres, incapable de se contrôler devant une proie à pigeonner, une âme à dévorer. Il cédait sous ses pulsions, se foutait du mal qu’il provoquerait.

Parfois, la pratique me paraissait si facile qu’elle me laissait déprimer pendant des jours. Puis, le goût du sang revenait semblable à un manque atroce, un manque qui me tordait l’estomac et asséchait ma gorge.

— Salut, mon joli. T’n’as pas l’air bien. Tu rentres chez toi ?

À deux pas de moi, les prunelles pétillantes de mauvaises pensées. Il souhaitait m’emmener dans son bordel. Une évidence ! Son haleine putride et alcoolisée me fit plisser le nez. J’avais un peu de mal avec les odeurs trop fortes.

— Je… je ne sais plus, avouai-je, en exagérant ma supposée déroute.

— Ah ! Tu ne sais plus. Tu as un nom, garçon ? T’n’as pas l’air bien.

— Je… je m’appelle Véric. Pas vraiment… je suis fatigué, dis-je avec un air accablé plaqué au visage.

J’avais tout le luxe de m’observer dans la vitre du maroquinier en face. Comme je jouais bien ! Comme mes doigts se tortillaient à la perfection !

Approche-toi, mon lapin. Laisse-toi caresser, prends confiance… J’ai besoin de toi, besoin de manger.

—Viens avec moi, mon tout beau, je vais te présenter des amis. Ils auraient bien une piaule pour toi.

Bouffon.

Gédéon glissa sa main dans mon dos. Jaune grogna, je le calmais d’un simple regard. Il se tut.

— C’est ton chien ? demanda le proxénète.

— Non.

— Ah ! Tu me rassures. J’n’aime pas les chiens. J’les trouve vicieux. On dirait qu’ils portent le mal en eux.

Sans déconner ? Et c’est lui qui disait cela. La bonne blague.

— Hum ! vous avez raison. Ils me font un peu peur à moi aussi. Mais avec vous, je ne crains rien, pas vrai ?

Prends confiance, gave-toi de mes boniments.

— T’inquiète, je t’protège. Viens-là, colle-toi un peu plus à moi. Sens ma force.

— Merci…

Je ris, donnant la sensation d’être bourré ou sous stupéfiant. Gédéon se lécha les lèvres. Ô combien j’étais à son goût ! J’étais le genre d’esclaves parfaits auxquels on ne pouvait résister plus de quelques minutes. Je sentais clairement le désir de Gédéon et ça me révulsait.

Il appuya plus encore sa main. Son contact leva en moi un amas de dégoût et de haine profonde. J’avais une sainte horreur qu’on me touche, surtout ce genre d’homme. L’idée de lui tordre le bras s’anima en moi. Je me contrôlais du mieux que je pouvais, et serrais les dents, toutefois les tremblements nerveux agitèrent mon corps.  Je devais trouver un coin encore plus obscur que celui où nous étions. Et vite ! Le Loup ne tarderait plus à faire son entrée.

Gédéon traîna ses doigts un peu plus bas dans mon dos, un tic nerveux s’empara de mon œil gauche. J’étais content de ne pas lire dans la tête des gens. Mais bien que ce ne fût pas mon pouvoir, je devinai les vulgaires desseins qui nageaient dans son esprit pourri. Sa main me narrait toutes les choses qu’il voulait me faire…

Contrôle-toi.

J’étais à mes limites. Je luttais un instant pour que Loup reste encore un peu dans sa cage, d’ombres et d’ossements.

 

Gédéon rebroussa chemin en me poussant en direction de la rue Carrée. Celle où les maisons closes bourgeonnaient et où les lumières criardes éclairaient hommes et femmes masqués. Une coutume dans ces endroits-là. Où que j’aille sur le continent d’Eurobia, la pratique était la même. Les gens faisaient leurs courses à visage caché et achetaient leurs poupées. Les corps anciennement pourvus d’âme, n’étaient plus rien que des boîtes injectées de substances malsaines et de jus empoisonnés.

Avant que nous vissions l’éclairage, ou que nous passions la rue parallèle et le pont qui y accédait, je trouvais un coin propice pour mettre à exécution mon plan, à peine ébauché.

Je me détachai de l’homme et m’enfonçai dans le noir d’un cul-de-sac étroit. Aucun bruit ne transparaissait. Un silence pesant et morne y prospérait. Parfait.

— Eh, gamin, ce n’est pas ici. Viens, suis-moi.

— Je ne me sens pas bien.

—T’inquiète, viens avec moi et tout ira bien.

L’homme ramena ses cheveux en arrière, le visage peu avenant. Il commençait à s’impatienter et attrapa mon poignet, l’enserra sans douceur, puis me tira vers lui d’un coup sec.

Mauvaise idée, mon gars !

— Allez, on y va, dit-il, un brin agacé.

— Oui, allons-y, murmurai-je dans son oreille, tandis que mon apparence revenait à la normale.

J’adorais montrer ma forme originelle à mes victimes, à mes morts. Seuls eux auraient la chance d’assister à la naissance du loup blanc. Ils emporteraient mon secret dans la tombe.

Une chaleur s’éveilla plus tonitruante qu’auparavant. Mon sang bouillonna dans mes veines, ma chevelure poussa, se natta d’elle-même, mes ongles se durcirent, mes mains s’épaissirent, ma bouche s’élargit… Je me transformais en tueur. Les yeux de Gédéon s’agrandirent, ses lèvres s’entrouvrirent et aussitôt, je vis la peur caresser le fond de ses iris bleus. Peut-être était-ce le fait que je le surplombais d’une bonne tête et demie ou bien à cause de la rotation de mes iris ?

— Qui êtes-vous ? baragouina-t-il, la voix presque éteinte.

On aurait dit qu’il allait s’étouffer avec sa salive. Il avait la même expression que les autres.

Excellent !

Je souris, dévoilant la longueur de mes dents et leur nombre doublé. La panique s’amoncela en lui, je le sentais. Son odeur avait changé, brula ma gorge, ma trachée. Elle m’étourdissait, me laissait haletant. Son cœur tambourinait, je l’entendais, désormais. Quel bruit sensationnel !

Palpitant !

— Oh ! Mais tu le sais. Je suis la déité de la mort. Je viens te chercher, chuchotai-je, la voix plus bestiale.

— La mort ne ressemble pas à un monstre…

— Oh ! Tu crois… Pourtant un chien géant portant dix-huit cornes de cerf peut être assez impressionnant. Moi, je ne suis pas une image peinte sur les murs, je suis réel et je t’assure que je ne suis pas si effrayant.

Un rire guttural s’échappa du fond de ma gorge. Comme la peur sentait bon ! J’avais envie de me rouler contre lui, aspirer cette fragrance dévastatrice qui pulsait dans l’air, égale à une friandise. Un besoin accablant de le toucher percuta mes sens, aussi je l’attrapai par les épaules, sentis la raideur de ses muscles et le va-et-vient du sang qui circulait. J’avais envie de lui, de goûter chaque parcelle de son corps, de sa chair.

 Gédéon se figea, incapable de hurler. Je le plaquai contre moi, sans pour autant le broyer, et plongeai mon visage dans son cou. Quelle chaleur ! Quel parfum appétissant !  Aussitôt, je l’inhalais, perdu dans un monde nouveau. Le dégoût pour cet homme disparut dès le moment où mon cerveau le compara à un pâté en croute.

— Tu sens si bon. Te l’a-t-on déjà fait remarquer ?

Gédéon ne répondit pas, préférant se pisser dessus. Soit ! Je ne mange jamais l’extérieur d’un corps !

Sans attendre, je glissai mes mains sur son torse, puis les remonta à son cou. D’un geste élégant, je le propulsai contre le sol, m’épanchai sur lui, ressentis encore sa terreur. Ses yeux se brouillaient de larmes, son visage grimaça. À aucun moment, il ne se défendit, pétrifié par mon poids.

D’une simple pression, je l’étouffai, appréciant la rougeur de sa figure et le mouvement de ses jambes qui s’agitaient. Un craquement résonna entre les murs ternis par les années. Pas un volet ne s’ouvrit. La plupart des fenêtres étaient condamnées, de toute façon. La nuque venait de rompre. Oup’s !

— Voix-tu, Jaune, parfois, je ne laisse aucune chance à ma proie d’ouvrir la bouche. Maintenant à table.

Le chien se posta à mes pieds, s’assit et leva le museau vers moi. Ses petits yeux noisette me scrutèrent, impatients. Alors, dans un mouvement souple et élaboré, je durcis une de mes mains et l’enfonça dans la chair, exécutant une longue ligne droite. L’ouverture dévoila les entrailles de Gédéon. Quelle splendeur ! Si rouges. Si tentatrices.

Je plongeai mes doigts dans sa chaleur, dans des zones humides, visqueuses, caressai tendrement les os de sa cage thoracique et les brisai, un par un. La salive coula au bord de mes lèvres, le besoin compulsif de sang me rendit fou pour les dix minutes suivantes. Les battements de mon cœur s’accélèrent et la tête me tourna d’ivresse à la senteur de ce mets délicat et ferreux. Rien n’était plus succulent que ce corps allongé sur une nappe rouge, dévoilant ses moindres secrets. Gédéon se montrait plus beau que jamais, plus sensuel. Sa peau pâle soulignait sa nouvelle pureté, ses lèvres entrouvertes acceptaient le bout de mes doigts et la texture du sang qui venait les colorer.

—Te voilà bien obéissant. Plus de bêtises, maintenant.

 Mon corps trembla de tout ce temps à patienter. Cela semblait faire des années que je n’avais pas touché à un cœur fiévreux de peur, encore palpitant. Sous la dent, la consistance de l’organe me paralysa les sens. Mais rien ne valait le goût doux et réconfortant de la viande crue. Une excitation plus violente dévora ma raison, et la joie m’envahit, semblable à la lueur du soleil défiant un feu ardent. Je dévorais le cœur, le foie et la rate avec un délice presque oublié. [ Les morceaux d’organes glissèrent en moi, lentement, efficacement. Ils longeaient l’intérieur de mon corps. C’était fameux comme ces soirs, où je devenais mon propre amant.] Il y avait un quelque chose d’orgasmique dans ce repas… Dans les autres. Était-ce le fait que je mangeais des humains ? Est-ce que tous les omnivores avaient ce goût-là ? Une chair douce et un arrière-goût épicé. Le Loup prenait plus de place encore. C’était qu’il pouvait être incontrôlable livré à lui-même.

Une fois notre repas terminé, j’invitai mon ami canin à remplir son estomac gargouillant avec le reste. Il y avait de quoi nourrir une famille entière pendant plusieurs jours.

— Jaune, tu as l’air affamé. Prends, ne te gêne pas. Promis, je ne grognerai pas contre toi comme la dernière fois. Nous sommes de la même famille, désormais. Je ne peux décemment pas te laisser mourir de faim. Qui serais-je ?

Après l’invitation, le chien plongea sur le corps et s’attaqua aux entrailles. Il était presque aussi vif que moi.

— Bon appétit !

 

 

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Zig
Posté le 25/11/2021
Et voilà, j'enchaine ! Et mes impressions du prologue se confirment un peu : tu donnes énormément d'informations, mais sans vraiment de construction. En même temps on découvre :
- Un personnage
- Un univers qu'on suppose fictif, mais sans être tout à fait fixés non plus
- L'existence possible de la magie (pas vraiment fixée auparavant ?)

Mais, paradoxalement, on n'arrive pas vraiment à définir dans quelle direction part l'histoire. Un premier chapitre c'est très important pour poser une ambiance et donner des pistes au lecteur. Le prologue donne envie de continuer, le chapitre 1 (quel qu'il soit), pose les bases de la suite. Ca peut être fait de manière directe (incipit traditionnel), ou de manière plus mystérieuse (In médias res). Ici, mon problème c'est que j'ai déjà l'impression de lire des chapitres plus avancés, sans avoir pu vraiment entrer dans l'univers. C'est peut-être en partie dû au résumé, qui ne colle pas avec ce que je trouve. On sent que tu rames un peu à poser tes registres : Fantastique ? Merveilleux ? Policier ? Fantasy ? SF ? Je ne sais pas où tu vas. Pas du tout.

Par contre, le personnage me parait vraiment très intéressant, et ce que j'entrevois de l'univers me semble vraiment cool ! J'arrive à comprendre qu'on est dans un monde urbain, très sombre et un peu glauque, dans l'ambiance série noire. Je me demande si le chien jaune est une référence à Simenon :p

Peut-être que ton prochain chapitre permettra de bien lier ton ensemble (c'est le souci de commenter au fur et à mesure, peut-être que tu vas complétement me détromper par la suite !), mais pour le moment j'ai l'impression que tu veux faire trop de choses. Travailles-tu avec un brouillon, ou au fur et à mesure ? Comment as-tu construit tes personnages ? Comment planifies-tu la suite ?

Voilà ! Surtout, que mon avis (personnel, je le rappelle), ne te démoralise pas ! Je continuerai à venir lire, pour voir comment ça évolue ! Peut-être que tu vas complétement me surprendre et me détromper par la suite !
NM Lysias
Posté le 25/11/2021
Coucou
J'etablie un plan toujours avec les idées de bases et ça pour chaque chapitre. Le personnage est tracé sur papier j'y liste ses manies son caractère ect...
Si le premier chapitre reprend la fin du prologue avec quelque pressission sur le loup est ce que ce debut de chapitre passera mieux.
Ici je veux instaurer une ambiance de malaise et de reveil puis ajouter à cela une traque.
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