Pourquoi trouvait-il toujours un malin plaisir à la contrarier ? Il devait avouer qu’il était de plus en plus troublé à son contact. Il éprouvait une sorte de besoin primitif de sentir sa peau, sa chaleur, son odeur... Et depuis qu’il avait pu gouter sa bouche, la vue de ses lèvres délicatement ourlées déclenchait systématiquement un élan de désir qu’il se dépêchait de réprimer. Il devait être fou. Il scruta Jorys qu’il apercevait au dehors à travers une fenêtre. Elle était d’une beauté fascinante, sa taille fine mettait joliment en valeur ses formes voluptueuses. Son teint de porcelaine et ses yeux clairs contrastait joliment avec l’éclat sombre de ses cheveux noirs. Iliana ne supportait pas la comparaison, néanmoins, en cet instant, c’est elle qu’il aurait souhaité mettre dans son lit. Et cette pensée lui semblait aussi obscène que de souhaiter se retrouver au lit avec sa propre sœur.
Jusqu’ici le meilleur moyen qu’il avait eu de calmer son désir était d’y succomber, mais est-ce que sa faim se calmerait une fois qu’il l’aurait possédé ? Comment pouvait-il ne serait-ce qu’y penser ? D’une part il s’agissait de la princesse du royaume mais plus encore, il s’agissait d’elle ! …Cette peste égocentrique et maladroite ! Et si cette prophétie avait « prédit » qu’il fut l’homme de sa vie, l’inverse n’avait en soi pas été évoqué ! Qu’elle soit condamnée à l’aimer, certes mais il était soulagé que la réciproque ne fût pas vrai.
Par ailleurs, il y avait bien des choses plus urgentes à gérer, l’apparition et la nature de cette magie en tête !
Dans tous les cas, cela devait cesser ! Il se refusait à se comporter comme un animal affamé de sa chair. Il devait arrêter de la désirer, c’était simple…Mais comment ? Mettre de la distance…Coucher avec elle…La jeter dans les bras d’un autre…Coucher avec elle…La tuer…Coucher avec elle…Merde !
Ses pensées furent alors interrompues par le cri de Jorys. Il se précipita immédiatement à l’extérieur pour découvrir celle-ci, la main aux lèvres observant Iliana allongée sur le sol, entourée d’une dizaine de loups.
« Surprenant n’est-ce pas ? » s’exclama-t-il flegmatique quand il comprit, soulagé, après quelques secondes, que le sujet n’était pas tant l’état d’Iliana, dont la guérisseuse semblait estimer qu’il ne méritait pas une quelconque action, mais bien la scène en elle-même. Jorys…Peut-être était-elle une partie de la solution…En plus de sa grande beauté, la jeune femme bénéficiait d’un esprit affuté. Elle aurait les idées bien plus claires que lui sur la situation…
« Je te présente la princesse Iliana d’Hasgor… » ajouta-t-il dans un soupir, les faisant bondir toutes les deux !
« SAAD ! » lui cria Iliana, révoltée, faisant fuir les loups.
« Quoi ?!! » s’écria en même temps Jorys dont le regard hébété passait de l’un à l’autre.
« Mais ces pouvoirs ?! »
Il hocha la tête silencieusement, en haussant les épaules.
Iliana se releva tant bien que mal et le toisa d’un regard assassin.
« Au nom de quoi vous sentez vous le droit de divulguer mes secrets ? » lui cracha-t-elle à la figure.
« Vos secrets ne sont pas des plus discrets Iliana… » lui rétorqua-t-il d’une voix calme. Et s’approchant, il ajouta tout bas à son attention : « Vous devriez être dans les limbes d’Oro à cette heure pour haute trahison et meurtre…Je ne discuterais pas de ce que j’ai le droit ou non de faire si j’étais vous…Vous êtes libre alors que mon devoir serait de vous enfermer. »
Elle ouvrit de grands yeux ronds alors que sa respiration stoppa immédiatement devant la menace à peine déguisée…Le loup gris se rapprocha et se mit à grogner. L’air était électrique. Ses lèvres tremblaient de rage…ou de peur…Il avait envie de l’embrasser.
« Qui d’autre est au courant ? » demanda Jorys en s’interposant entre eux, interrompant ainsi cette pensée inopportune.
« Personne d’autre que les êtres doués de parole de cette assemblée… » répondit-il. Il enregistra le soupir de soulagement émis par la princesse.
« Donc il n’y a que moi, je te remercie de ta c… » commençait Jorys mais il la coupa en secouant la tête.
« Non…eux, et ils étaient au courant bien avant que je ne le sois... ! »
De nouveau, les deux jeunes femmes eurent un même mouvement, se retournant d’un même souffle. Iliana fit immédiatement volte-face et s’agrippais brièvement a lui alors qu’elle chancelait puis se ressaisissant, lui lança un regard interrogatif.
« …les loups ? Ce sont des Fenrir ? » s’exclama Jorys en s’avançant vers eux. Iliana se retourna de nouveau, plus prudemment cette fois et dévisagea la meute qui se tenait devant elle, Lorens en tête.
« Maintenant que les présentations sont faites…Pourrais-tu m’expliquer comment j’ai failli la tuer ? Comme tu peux désormais t’en rendre compte, les conséquences auraient pu en être fâcheuses ! » Jorys se tourna vers lui toujours abasourdie, puis jetant un regard à Iliana, fronça les sourcils et attrapa le bras de Saad. « Viens…marchons ! »
Jorys lui raconta les événements avec précision. Elle ne semblait n’oublier aucun détail. Depuis l’état d’épuisement magique dans lequel il s’était retrouvé à la suite de son dernier sort, son mensonge pour obliger Iliana à exposer sa magie, les conséquences de celui-ci, et la simplicité du sort qui était venu la libérer de l’avidité de son flux magique.
« J’ai simplement utilisé un sort de fermeture… » s’étonna-t-elle. « Elle est amoureuse de toi, mais tu le sais déjà, n’est-ce pas… » ajouta-t-elle également ce qui l’agaça profondément. Oui, il ne le savait que trop, cela sautait aux yeux, Iliana et sa désarmante et dangereuse sincérité. Il soupira et à son tour, il lui conta la veille femme, la prophétie, la magie…
Il n’omit qu’un point qu’il jugea inutile bien qu’il fût source d’une partie de ses tourments : il désirait Iliana. Ce n’est pas le genre de détail que l’on partage avec une maîtresse comme Jorys, pensa-t-il intérieurement.
« J’aurais besoin que tu puisses vérifier son flux magique… » lui demanda-t-il alors qu’ils s’étaient arrêtés au bord d’un ruisseau qui s’écoulait insolent entre un chaos de pierres et de branchages. Elle le regarda surprise. « Tu sais bien mieux que moi lire dans les flux magiques… » lui lança-t-elle, mais le plissement de ses yeux indiquait qu’elle comprenait que si la demande lui en était faite, c’est bien qu’il y avait une anomalie…
« Justement, je ne ressens rien. Aucune magie circulante, aucun sort… » répondit-il, s’accroupissant au bord de l’eau, plongeant sa main ouverte à mi surface pour jouer avec le courant.
« …Ce n’est pas possible, la magie native a disparu avec les Norkhas… » rétorqua-t-elle le visage soucieux.
Les Norkhas…Même éteinte depuis des années cette civilisation maudite peuplait toujours les récits des villageois comme des hauts dignitaires…On lui attribuait toutes les réussites et tous les échecs, au point qu’il était difficile désormais de délier l’histoire du fantasme collectif.
Jorys s’accroupit auprès de lui, cherchant son regard avant d’ajouter après quelques instants.
« Ce n’est pas tout à fait juste n’est-ce pas ? Certains d’entre nous en ont gardé quelques vestiges, mais c’est extrêmement rare ! Et il me semble que c’est ton cas, Saad ? » Elle posa la main sur sa joue.
Il la fixa un instant, c’était le genre de souvenir qu’il préférait oublier et il détestait qu’on le rappelle à lui. Il n’avait pas besoin de pitié, plus maintenant ! Il se releva brusquement, son contact lui étant devenu soudain insupportable. Il hocha la tête néanmoins. Effectivement, c’était cette magie native qui lui avait permis d’être recueilli alors il était enfant, abandonné et affamé, par la confrérie des mages du palais. Et Jorys n’y était pour rien, sa colère se trompait de cible. Elle s’était relevée aussi, la tête penchée sur le côté et un sourire désolé aux lèvres. Elle comprenait, Jorys comprenait toujours tout ce qui le concernait. Il lui rendit son sourire avant d’ajouter calmement :
« C’est pourquoi j’ai besoin d’avoir ton analyse…Les implications politiques pourraient être plus graves que ce qu’elles ne sont déjà… » ajouta-t-il.
« Tu penses que la famille royale… »
« Je ne pense rien, je m’interroge…La magie native ne s’acquiert pas… »
Jorys ouvrit de grands yeux avant de finir la phrase qu’il avait laissé en suspens : « …elle s’hérite ! …Oh ! Par les cieux, Saad ! »