Je les regardais s’éloigner dans la forêt, le bras de Jorys délicatement posé sur celui de Saad. Un poids s’abattit immédiatement sur ma poitrine et mon cœur, cet imbécile, s’arrêta quelques battements avant de reprendre difficilement. Ressaisi toi ! Arrête, tu n’es rien pour lui. J’essuyais rageusement mes yeux soudainement humides et je me détestais d’être à ce point touchée.
Devant moi, les loups allaient et venaient, semblant m’indiquer de les suivre, de quitter les lieux tant que cela m’était permis. La tentation était forte…Je ne comprenais rien…Mais eux savait, si j’en croyais les propos de Saad. Ils connaissaient mes pouvoirs, ils m’avaient appelé ce jour-là lors du bal, pour que je les rejoigne. Des Fenrirs, c’est ainsi que Jorys les avait appelés. Cela ne me disait rien, je regrettais de ne pas avoir été plus attentive aux propos de mon précepteur lors des leçons d’histoire et de sciences naturelles et magiques… Saad communiquait avec eux par l’esprit…Que savait-il encore que j’ignorais ? Il avait des informations que je n’avais pas, c’était certain, car effectivement, si je n’étais plus dans cette prison, c’est que quelque chose l’avait influencé. Saad n’était pas homme à avoir des regrets.
« Je vous présente, Lorens, votre loup. » « Il me surveille…afin qu’il ne me prenne plus l’idée saugrenue de vous faire du mal. » Ses paroles me revenaient à l’esprit. Les loups, c’étaient forcément les loups !
Mes jambes me portaient à peine, mais je décidais d’essayer de trouver quelques indices dans la bibliothèque de Jorys. Tout mage qui se doit a une bibliothèque, il fallait juste que je la trouve, et que je ne me fasse pas prendre à fouiller. Peut-être trouverais-je un moyen de communication ? L’idée était saugrenue…Qu’espérais-je ? Une méthode de discussion loup-humain ? Je ne savais pas que chercher, mais tout, tout, pour ne pas rester dans l'attente de leur retour, comme cela avait été le cas avec Sophia…Je sentais le bourdonnement de magie s’immiscer en moi, j’entrais rapidement et me mettait en quête de livres.
Et effectivement, le livre était le propre du mage…La yourte recelait de bibliothèques plus ou moins improvisées où siégeaient différents ouvrages, des plus récents aux plus anciens, plus ou moins reliés. Malheureusement pour moi il ne semblait pas y avoir de méthode de rangement particulière et de nombreux titres étaient dans un langage inconnu de moi.
C’est quand prise d’une grande lassitude, j’abandonnai ma recherche que j’aperçu un détail sur une reliure : la silhouette d’un loup gravée couleur or sur gris. J’attrapais délicatement le livre. Il était épais de plusieurs centaines de pages. « Je n’aurais jamais le temps de le lire… » me disais-je. ....
Je n’avais jamais rien pris de ma vie entière sans qu’on m’y autorise au préalable…
…Non, c’était faux ! Je l’avais embrassé. J’ai embrassé Saad. Je secouais la tête pour éloigner cette pensée de mon esprit. Un baiser, cela n'a rien d'un vol ! Je n'allais quand même pas...
« Il y a un début à tout… » murmurais-je en glissant le livre sous ma chemise, bien calé par la ceinture de mon pantalon. Je sortis furtivement de la yourte. Les loups étaient partis, seul Lorens se tenait assis sagement à me regarder la gueule ouverte, un filet de bave s’échappant pour s’étirer inéluctablement vers le sol. « Toi et moi, il va falloir qu'on trouve un moyen de discuter..» lui adressais-je à voix basse.
Juste à temps ! J’apercevais les bosquets frémir alors que Saad et Jorys étaient de retour, chuchotant tous les deux, l’air soucieux. J’en fus étrangement soulagée, ils n’auraient pas cette tête s’ils avaient passé leur temps à se bécoter ou pire ! Lorsque je vis leur regard se lever vers moi de concert, il m'apparut instantanément qu’il aurait été préférable qu’ils partagent un moment d’intimité…Et je rougis en détournant les yeux…Savaient-ils que j’avais volé un livre ? Saad s’avança vers moi.
« Iliana… » Il hésitait, il jeta un coup d’œil à Jorys puis se racla la gorge et repris : « Regardez-moi… ». Je me tournais timidement vers lui. Il me dévisagea d’un air grave…Puis son expression changea, il plissa les yeux d’un air suspicieux et baissa son regard vers ma taille alors que je venais instinctivement de resserrer le livre contre moi. Et je vis immédiatement que j’étais découverte. Il secoua la tête en émettant un long soupir, avant de se rapprocher encore, un léger sourire aux lèvres. Il murmura à mon attention seule : « Ce n’est pas bien Iliana… ». Je demeurais interdite comme l’enfant fautive que j’étais en cet instant. Il avança encore et quand il fut assez prêt, il porta la main discrètement à ma taille, tâtant les contours du livre, sans décrocher son regard du mien. Son sourire s’étira encore et il chuchota à mon oreille : «…ce que je disais, jamais très discrète… ».
« Saad ! Est-ce vraiment le moment de faire le joli cœur ? » la voix de Jorys retenti tranchante. Et il se retourna pour lui jeter un regard froid. J’en profitais pour me dégager et reculer d’un pas.
« J’ai demandé à Jorys de vérifier votre flux magique… » s’exclama-t-il, se tournant de nouveau vers moi, le visage fermé.
« Pourquoi ? »
« Je dois vérifier quelque chose… »
« Pourquoi ne pas le faire vous-même ? »
« Je l’ai déjà fait, mais la réponse ne me satisfait pas ! »
« Comme souvent quand il s’agit de moi n’est-ce pas ? » lui rétorquais-je, gratuitement, le ressentiment montant de nouveau du plus profond de mon être.
Il me regarda surpris, puis se ressaisit et dit simplement « Oui ». Un abîme de violence absolue en 3 lettres. Et de nouveau cette sensation de chute soudaine alors que je sentais la magie refluer en moi. Jorys s’interposa.
« Il n’est pas toujours très malin quand il s’agit de sentiments, n'est-ce pas ? » me dit-elle en lui lançant un regard noir. Elle me prit par les épaules et plongea son regard bleu dans le mien.
« Allez-vous en … » murmurais-je entre mes dents. « …elle arrive et je ne sais pas la contrôler… »
Saad la tira brusquement par le bras pour la protéger mais elle le repoussa.
« Mais, laisse-moi faire ! » lui cracha-t-elle. Et il leva les mains en signe d’abandon en reculant, avant de se raviser et de se positionner une main sur son épaule et l’autre ouverte vers moi. Jorys leva les yeux au ciel, puis revint accrocher mon regard en relevant mon menton vers elle.
« Regardez-moi princesse ! » Je levais les yeux à contre-cœur, son regard était ferme, sans crainte. L’inconscience à l'état pur... Elle me sourit et ajouta :
« Vous l’avez contrôlée tout à l’heure, quand c’était important pour vous…Vous l’avez sauvé ! Cet imbécile arrogant ! Je ne veux pas croire que c’est pour le blesser à nouveau. »
Je fermais les yeux, je tremblais, tentant de contrôler le flux de plus en plus pressant. J’entendis la note d’avertissement quand Saad murmura : « Jorys… »
Elle fit non de la tête et ajouta à mon encontre : « Je peux vous aider Iliana, dites-moi juste si vous pouvez encore l’apaiser ou si vous devez l’évac… » Elle n’eut pas le loisir de finir sa phrase car je la poussais violemment avant de me recroqueviller mes mains coincées sous mes aisselles pour essayer d’étouffer le flux de mon propre corps. J’eu tout juste le temps d’entendre le « non ! » rugit par Saad avant que tout s’éteigne autour de moi.
*
Lorsque je repris mes esprits, tout était calme. J’étais allongée dans un grand lit aux odeurs de violette, le ciel étoilé au-dessus de moi. Je me relevais difficilement mais je n’avais mal nulle part. Des bruits de voix s’élevaient de l’extérieur.
« …non, il n’en est pas question ! En revanche, je peux me joindre à vous ! »
« Je ne crois pas que ce soit non plus une bonne idée… »
« De quoi as-tu peur Saad ? Je pense au contraire que je ne serais pas une diversion superflue vu ton inclinaison évidente ! »
« Tu te méprends, il n’y a aucune inclinaison ! »
« A quelqu’un d’autre Saad, je te connais… »
« Qu’en pensez-vous ? » demanda Saad. Une autre personne ? Les loups? Il me sembla entendre une voix métallique qui m’était inconnue.
« Vous le savez déjà… »
Je m’avançais dans l’embrasure de la porte quand retentit un bruit de fuite. La nuit était tombée et un feu crépitait. Je m’avançais prudemment encore engourdie. A ma vue, Saad se releva brusquement les traits tirés et se précipita vers moi comme s’il voulait me tuer. J’eu à peine le temps d’amorcer un mouvement qu’il m’attrapa rudement par les épaules en me secouant, me forçant à le regarder. Son regard était noir et il tremblait de rage. « Ne refaites. Plus. Jamais. Ça ! » prononça-t-il dans un souffle.
Jorys vint décrocher un à un ses doigts de mes épaules alors que je restais interdite, terrifiée par la rage que je lisais dans ses yeux. Elle se tourna vers lui et lui souffla : « …évidente ! »
Elle me prit par le bras et me guida vers le feu tandis que Saad restait immobile, les mains sur la tête, à haleter et à jurer comme un taureau enragé.
Elle m’invita à m’asseoir et retira son châle pour le poser sur mes épaules.
« Iliana, m’autorisez vous à lire votre flux magique ? Comprenez, vous ne devriez pas avoir de pouvoir. Pour ce qui est de la raison pour laquelle je vous fais cette demande. Saad… Vous vous connaissez depuis l’enfance. Et il pense, surement à juste titre, que ses perceptions sont perturbées par…comment dire…votre relation. » m’expliqua-t-elle d’une voix douce.
Je concentrais mon regard sur les flammes qui dansaient sous la fine brise, tentant en vain de calmer mes battements de cœur. Pourquoi me détestait-il à ce point ?
« Que pensez-vous y voir de plus ? Saad a déjà testé la magie en moi…et à plusieurs reprises qui plus est, il n’y a rien. » lui répondis-je après quelques instants.
Il émit un long soupir d’agacement et se rapprochant de nous dit calmement en se frottant le front : « …justement, Iliana, la magie étant indéniablement présente, il ne devrait PAS…ne rien y avoir ! » Je levais vers lui un regard agressif. « Donc vous vous êtes trompé…ça ne vous arrive jamais n’est-ce pas ?!! »
« Iliana, ne le provoquez pas ! C’est justement car il espère se tromper qu’il demande mon aide ! » dit Jorys en attrapant mon menton pour m’obliger à la regarder.
« Allez-y, vous semblez effectivement bien plus maître de vos émotions que cet individu qui se fait passer pour le plus grand mage de son temps… » ajoutais-je provoquant un grognement de Saad qui se retournait en serrant les poings de rage.
Elle hocha la tête et posant ses mains délicates autour de mon visage, elle ferma les yeux et entonna une mélopée qui tenait plus de la vibration que du chant. J’observais silencieuse son visage, ses beaux traits délicats, puis elle fronça les sourcils et appuya un peu plus la pression de ses mains, stoppant le chant et retenant sa respiration. Elle serra les yeux avec force comme si elle se concentrait ou qu’elle refusait de regarder quelque chose de monstrueux. Un mauvais pressentiment montait en moi…Puis elle me lâcha doucement en grommelant : « Par les cieux…Saad… ». Et elle resta bouche-bée en me dévisageant de ses grands yeux bleus. Je relevais la tête vers lui oscillant entre crainte et surprise, il me dévisageait également, interdit.
« …C’est bien une magie native, putain de merde ! » murmura-t-elle dans un souffle avant de se relever et de reculer de trois pas. L’effroi que je lu dans leurs yeux conjugués me coupa la respiration.