21 : Désolées

Demain, nous commencerons à vous entraîner.

La tête ronchonneuse d’Eustache hantait ses rêves. Judy voulait tout sauf retourner à une séance de quatuor. Mais le soleil bleuissait déjà le dortoir ensommeillé, la tirant de ses draps.

Judy se leva. Le lit de Kateline, à côté de la fenêtre, était vide. Son père venait d’être inculpé pour l’assassinat de centaines de Connectés. Quand elle reviendrait à Otaïla, une école de Connectés par excellence, elle se ferait conspuer. Elle ne serait plus la jeune fille bourgeoise qui suscitait l’admiration, bien que Judy doute qu’elle ne laisse sa confiance inébranlable et son charisme froid au tribunal. (Les Lombrics avaient le privilège de passer sous l’œil des juges très rapidement). Judy connaissait les procès parce que Sigmund avait été avocat – et même s’il les avait trahis, elle était à peu près sûr qu’il n’avait pas menti à ce sujet.

— Salut, dit Gabriella.

Judy sursauta. C’était la première fois que Gabriella initiait la conversation. Elle se tenait sur le bord de son lit et laçait ses bottines.

— Salut, répondit-elle en enfilant une paire de chaussettes – avant de reculer, troublée, car elle réalisa que c’étaient celles violettes que Mémé leur avait donné.

— Tu es de retour.

— Oui.

— Et Kateline est toujours partie.

— Oui.

Judy ne savait pas quoi répondre d’autre.

— Je commençais à me sentir seule.

— Ah, fit Judy. Tu as progressé ?

— En maîtrise du Feu ? Oh. Eustache s’en satisfait.

Gabriella haussa les épaules. Un lourd silence s’abattit sur le dortoir.

— Tu ne manges pas ? s’enquit Judy, pour une raison qui lui restait obscure.

Peut-être n’avait-elle pas envie de se retrouver à nouveau seule, maintenant que Pierre et Nathanaël ne lui parlaient plus.

— Non, dit Gabriella avec un sourire chaleureux. Je ne mange jamais le matin. À tout à l’heure.

Elle passa devant elle, un manteau sur l’épaule et la porte se referma derrière elle.

À tout à l’heure…

Judy tira son emploi du temps des pochettes froissés en vrac sous sa table de chevet. La poussière s’était amalgamée dessus.

Quelle journée l’attendait…

 

Le réfectoire bruissait de commérages. Comme elle s’y attendait, les journaux annonçaient l’inculpation du ministre de Creux et son procès prochain, dans le courant de l’hiver. Judy n’avait pas mesuré à quel point ils avaient de la chance d’être passés sous les radars des journalistes. Elle n’osait pas imaginer les conséquences de son nom à côté de ce bouleversement politique.

Nathanaël discutait avec animation à ses amis. Parce que Nathanaël était ami avec tout le monde, n’est-ce pas ? Judy baissa les yeux pour ne pas croiser son regard, pour ne pas hésiter à aller recoller les pots cassés ou à fuir en quittant le réfectoire. Elle s’assit à une table avant que l’indécision ne l’emporte d’un côté ou de l’autre, loin de Nathanaël et loin de Pierre, assis comme elle, à une table, seul.

 

— Alors, cet enchaînement du héron ?

Le vent faisait claquer les blousons mais la tempête de neige se tut subitement lorsque Gabriella referma la porte de la Tour de l’Eau derrière elles. Eustache les attendait à l’entrée de sa salle de cours. Il avait eu pitié de leurs doigts aujourd’hui, ce qui n’était pas le cas souvent. Il disait préférer l’air marin à l’air renfermé des salles d’entraînement. Il devait bien être le seul à donner ses cours en extérieur, même quand les températures chutaient férocement.

— Je le maîtrise. Enfin, j’y arrive.

— Très bien. Aujourd’hui, nous verrons la technique du coup de pied renversé.

— Oh.

Gabriella sourit comme si elle savait déjà de quoi il en retournait.

Eustache les invita à entrer dans la pièce au parquet luisant et aux murs moulés, croulants sous les disques rouge, bleu, gris, marron des cibles de tir. Des bougies entouraient deux longs couloirs d’eau et de sable et une sorte de tapis rembourré trônait au centre. Eustache se lança aussitôt dans la démonstration du « coup de pied renversé », pied nu, comme se pratiquait les danses des éléments. En fait, ils apprenaient à danser avec les éléments, ça ne devrait même plus la surprendre.

Il prit position : pied ancré dans le sol, genoux légèrement pliés, prêts à n’importe quelle impulsion ou déplacement, les bras armés. Puis il changea habilement d’appui. On aurait dit qu’il survolait le tapis. Il cogna le tapis d’un pied puis le souleva. Un bloc de terre s’extirpa du sable et de l’eau, puis Eustache se retourna et fouetta l’air de son autre pied. Le bloc de terre s’écrasa sur l’une des cibles accrochées au mur. Pile dans son visuel marron.

Voilà un tir élémentaire digne de ce nom. Judy passait de l’enchaînement du héron à… ça ? Pas de demi-mesure, donc. Eustache aurait de quoi se pincer le nez d’exaspération !

— J’adore cet enchaînement, lui souffla Gabriella.

— Je vois ça, marmonna Judy.

         

Un mois plus tard, Judy arrivait à faire l’enchaînement du coup de pied renversé sans se tromper, mais à une lenteur et avec une concentration implacable. Sans cela, elle échouait systématiquement. Gabriella y arrivait elle aussi enfin, mais, au contraire, elle parvenait à aligner les pas avec une aisance époustouflante. Certainement à rendre Kateline verte de jalousie. C’était ce qu’aimait imaginer Judy.

Judy sortit de la salle de cours. La séance de quatuor – de trio, depuis un mois, donc – avait eu lieu tardivement. Le froid calme et doux de la fin d’hiver l’enveloppa et elle se laissa aller à son étreinte obscure.

— Salut, dit-elle à Gabriella.

Un bol de soupe l’attendait dans le réfectoire, mais ses pas la guidèrent dans la forêt, chemin qui menait vers la mer des sept îles. Elle ne voulait pas abandonner la quiétude de la nuit.

Elle arriva devant la cour est. La cour où Juan avait failli l’étrangler et avait repris le monocle. Judy se figea ; entre les frémissements des feuilles et l’immobilité du kiosque, une forme humaine bougeait. Judy arrivait presque à percevoir sa chaleur. Encore une technique d’Eustache pour chercher son élément qui faisait ses preuves d’une façon inattendue.

— Je n’y arriverai jamais.

Pierre était recroquevillé contre les barrières du kiosque, la tête enfoncée entre ses bras. Judy sentit sa gorge se serrer.

— Ils finissent tous par réussir. Sauf moi.

Il serra les poings.

— Pourquoi ?

Il leva la tête vers le ciel, entre le toit du kiosque et les branches dénudées des arbres. Des sillons humides barraient ses joues. Judy regarda les étoiles qu’il devait regarder, peut-être sans les voir.

— Je suis désolée, souffla-t-elle si bas qu’elle seule pouvait s’entendre.

Pierre se redressa, épousseta son pantalon et quitta le kiosque. Il disparut entre les bosquets sans la remarquer.

Judy resta des minutes entières, plantée-là.

C’était vraiment un rêve pour lui aussi. Devenir maître-connecté.

La mer soufflait au loin, mais Judy ne suivit pas son appel. Au lieu de cela, elle rentra à son dortoir. Pourquoi ? Elle se le demandait aussi. Aussi. Elle n’avait jamais vu Pierre si triste, si tourmenté, si désespéré. Ce ne pouvait pas être lui. Qu’est-ce qu’il s’était passé à la Cérémonie des Esprits ? Elle avait de la peine à croire que les affreux propos que lui avait adressés Aster soient la véritable cause de sa douleur.

Judy étouffa la petite flamme que Gabriella avait allumé sur une bougie pour lui éviter de trébucher sur les meubles. Elle s’emmitoufla dans la couette. Elle avait la drôle d’impression de ne pas être au bon endroit. Ailleurs serait un meilleur endroit qu’ici, dans le confort protecteur d’Otaïla.

         

— Tu me passes la carafe d’eau, s’il te plaît ? demanda Judy à Gabriella.

Il était sept heures, tout au plus. Le réfectoire était plein mais personne ne parlait, encore hanté par la nuit. Gabriella lui tendit la carafe.

— Pas de jus d’orange ?

Les Calamités étaient reconnues pour leur culture d’orangers. Et ce n’était pas si loin d’Otaïla ; les îles plus au Nord en regorgeaient et…

— Judy ?

— Pardon. Je pensais aux orangeraies. Je n’y suis jamais allée. Mais non.

— Mais non ?

— Je ne veux pas de jus d’orange, je veux dire.

— Ah.

Gabriella descendit d’une traite sa tasse de thé brûlante.

— Bon. On se retrouve en cours.

Gabriella se leva et un gouffre de solitude s’ouvrit dans le cœur de Judy. Gabriella était sympathique, mais ce n’était pas une amie. Elles n’étaient pas vraiment sur la même longueur d’onde. Elles ne se comprenaient pas bien. Pas comme Pierre et Nathanaël. Le sourire solaire de Nathanaël lui manquait et même l’humeur massacrante de Pierre lui laissait un souvenir amer quand elle regardait sa tablée vide. Elle soupira avant de remarquer que Gabriella s’était figée, une main sur sa chaise.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Judy, amusée.

Soudain, le réfectoire remua, et une cacophonie étrange s’empara des lieux.

— Lombrics de merde…, s’échappa d’une tablée à sa gauche.

— Et elle revient comme si de rien était ? Elle croit vraiment qu’on va accepter ça ?

— Tel père, telle fille, des sacs à morts.

— Elle revient pour détruire Otaïla, chuchota une autre.

— Retourne d’où tu viens, ver de terre ! cria un garçon dans le fond de la salle.

— Tu ne mérites pas de vivre !

Toute la salle se mit à la huer.

Judy se retourna. Kateline marchait, les cheveux soigneusement ramenés dans un chignon, les yeux rivés au sol, impassibles.

— La revoilà, dit Gabriella.

Elle semblait méfiante, elle qui l’avait toujours admirée pour sa maîtrise hors norme lors de leur séance de quatuor.

— Il faut croire qu’on sera au complet aujourd’hui, répondit Judy.

Est-ce que Kateline avait aidé son père pour le compte des Lombrics ? C’était sûr. Méritait-elle toute cette haine ? Judy fixa son omelette. Peut-être pas.

Ça lui coûtait de l’admettre, mais elle avait vu Aster. Kateline n’avait pas de chance. Comment désobéir à son père ? Comment renier ses origines ? Ils – tous ceux qui l’insultaient dans ce réfectoire – ne savaient pas. Ils ne connaissaient pas les dessous de l’histoire.

— Salut, Judy.

Judy sursauta.

— Bonjour, Kateline.

— Je peux m’asseoir à ta table ?

Judy serra la mâchoire, pour éviter ses yeux de faire un aller-retour vers l’intérieur de la salle et sa propre table. Elles n’étaient pas censées s’apprécier. Un instant, elle fut tentée de refuser. De mettre la supériorité qu’elle tirait de la situation à exécution. Si elle acceptait, c’était certain, elle en subirait les conséquences. Les regards torves.

Et puis, elle repensa à Pierre et Nathanaël qui l’avaient abandonnée. Qui n’étaient même pas revenus pour tenter de rafistoler leur amitié. Après tout, ils avaient accepté de l’accompagner, malgré les risques. Ce n’était pas comme si elle avait pu les forcer !

— Bien sûr, dit Judy, en tapotant la chaise à son côté.

Elle eut même un sourire. Peut-être pas le plus sincère des sourires, mais un sourire quand même. Kateline lui sourit en retour, un peu froidement d’abord et puis s’asseyant :

— Il reste de l’omelette ?

— Tiens.

Judy lui servit une assiette.

— La recette traditionnelle de Madame Gustave.

— La meilleure, répondit Kateline.

Judy termina son assiette en silence. Elle n’osait pas demander à Kateline « ça va ? ». Pourtant, ça lui brûlait, elle n’arrivait pas à faire abstraction des dernières nouvelles : ARMAND ASTER CONDAMNÉ À LA PERPÉTUITÉ PAR LA COUR SUPRÊME.

— C’est pas facile, tenta-t-elle enfin, la voix enrouée, les bras ballants devant son repas achevé.

— C’est pas facile ? s’enquit Kateline, un sourcil froncé.

— Tout ça.

Kateline resta immobile, le visage plongé dans de lointaines pensées.

— C’était ce qu’il y avait de mieux à faire. La prison. Il la méritait.

Judy hocha la tête, prit une inspiration puis se ravisa. Puis lâcha.

— Il a pris ma famille.

— Je suis désolée. La garde d’Edel a ouvert une enquête. Ils ont déjà retrouvé un tas de prisonniers dans les souterrains.

Sa voix était neutre. Implacable.

— Ils finiront par retrouver les tiens.

Kateline releva le menton.

— Moi aussi, il m’a pris ma famille, tu sais.

— Ah, répondit Judy. Je comprends. Je suis désolée.

— On est tous désolés, dit Kateline en quittant la table. Merci.

Judy la regarda sortir. Kateline n’avait pas perdu son assurance, sur ça, elle ne s’était pas trompée. Elle se laissa aller à ses pensées. Géologie et hydrologie l’attendaient à la sortie du réfectoire. Cela paraissait si futile, maintenant. Pourtant, avant que la cloche des heures ne sonne, elle réussit à trouver le courage de faire comme Kateline : comme si tout était normal.

À la sortie d’hydrologie, Judy comptait sur ses doigts les litres d’eau qu’elle pouvait déplacer avec une somme inconnue d’énergie. Elle était sur le pont, en direction de la falaise pour assister à sa séance de quatuor, un pain-tranché dans la main pour combler un petit creux. Eustache ne rigolait pas avec les horaires. Elle accéléra le pas en avalant de travers de temps à autres.

— Judy !

Nathanaël engloutit la distance qui les séparait en quelques enjambées.

— Nathanaël, quelle surprise, dit Judy d’une voix morne. J’allais aux falaises.

— Je vois ça, dit Nathanaël. Tu n’aurais pas vu Pierre ? Il m’inquiète en ce moment.

— Tu crois que j’en sais plus que toi ? Maintenant, c’est toi qui es censé être son ami, plus que moi.

— Judy…

— Mes excuses, marmonna-t-elle.

— On dirait Pierre.

— Il faut bien que quelqu’un le remplace quand il n’est pas là…

Ils passèrent la forêt et traversèrent les champs. Ils longèrent la falaise, où des nuées d’oiseaux de mer, des mouettes et des goélands, se bectaient et criaient comme s’il y avait un prix pour celui qui se feraient entendre le mieux. Même quelques dodilons – des oiseaux un peu « bouboules » qui perdaient leurs plumes en fin d’hiver, ce qui les empêchaient de voler jusqu’à ce qu’elles repoussent – se prélassaient sur les rochers en contrebas.

— Aussi paresseux qu’un dodilon emmerdeur, cette expression ne vient pas de nulle part.

— T’as intérêt à cacher ton pain-tranché, se moqua Nathanaël. Ils ne sont pas emmerdeurs pour rien.

— Oui, je vais m’empresser de l’avaler.

Joignant son geste à la parole, Judy engloutit les derniers morceaux. Lorsqu’elle eut fini, le phare se découpait dans le ciel dégagé, malgré le vent de plus en plus violent.

— Pourquoi tu me fuis ? demanda-t-elle de but en blanc avant que le courage ne lui manque.

Nathanaël parut surpris par sa question.

— Je ne te fuis pas.

— Ah bon ? J’aurais cru.

— C’est juste que… Je ne sers à rien, c’est tout. Je pensais que… enfin, j’en sais rien. Je ne me sens pas à ma place, tu comprends. Entre toi et Pierre… c’est trop compliqué et…

— Je comprends.

— N’importe quoi, comment tu peux comprendre ? Vous, vous êtes importants. On vous considère.

Importants ? Eux ? Ils frisaient la déconnexion ! C’était le monde à l’envers.

— Et toi, tu maîtrises la Terre. Pierre et moi, on ne sait quasiment rien faire avec nos éléments. Tu es plus utile que nous. Les Connectés ont toujours été plus importants, Nathanaël. Ah, les voilà.

Elle pointa du doigt la silhouette austère d’Eustache sous le phare, accompagnée de Lunaé, immanquable dans sa tenue jaune et orange.

— C’est eux les idiots de te faire croire ces bêtises. Ils sont aveugles. Ils ne voient que par l’Anti-lumière. C’est stupide, si tu veux mon avis.

— Ça fait beaucoup d’idioties dans une même phrase, se moqua Nathanaël. Mais c’est gentil, je me sens moins seul.

— C’est vrai, rétorqua Judy.

— Mouais.

Ils arrivèrent au pied du phare, luttant contre le vent. Gabriella était déjà là, ébouriffée par les rafales marines. Ils l’étaient tous un peu. Kateline arriva quelques minutes plus tard.

— Bon, fit Lunaé. Je vois que Nathanaël est en avance. Très en avance.

— Ce qui est rare, chuchota-t-il à Judy. (Et plus fort :) J’avais envie d’assister au cours sur les bâtons en avance. Pour m’avancer.

Lunaé lui fit un clin d’œil.

— La séance d’aujourd’hui consistera à utiliser un bâton comme extension de notre corps. C’est pour vous faire comprendre comment se connecter à votre élément : comme une extension de vous-mêmes.

— La tempête est proche, non ? s’enquit Kateline.

Un gros nuage noir s’avançait vers eux. Il n’était pas encore là il y avait dix minutes.

— Ah oui, fit Eustache.

Il soupira.

— Vous avez gagné. On va à la Tour.

Eustache et Lunaé ramassèrent les bâtons qu’ils avaient entreposé dans le phare délabré. Judy suivit le petit groupe qui s’en allait sur le sentier.

— Attendez, dit Kateline.

— Quoi ? dit Eustache en se retournant.

— Il y a un bateau.

— Par cette tempête ? s’exclama-t-il. Rémi vérifie toujours la météo avant d’y emmener ses élèves.

Rémi était un marin maître-connecté à l’Eau. Judy devait bientôt se rendre sur son petit voilier, d’ailleurs.

— Je crois que ce n’est pas Rémi et qu’il est tout seul, continua Kateline qui n’en démordait pas.

Eustache plissa les yeux.

— Ma parole.

— C’est un fou, dit Lunaé.

— C’est Pierre, dit Nathanaël d’une voix blanche. Je savais qu’il complotait quelque chose.

Un voilier se perdait dans les vagues, de plus en plus grisâtres, de plus en plus hautes. Il disparaissait par moment, on ne voyait plus que son drapeau. Les voiles s’entrechoquaient. Et Pierre allait de la proue à la poupe et de la poupe à la proue en tirant éperdument sur les cordages.

— Gabriella va chercher Rémi et des renforts, ordonna Lunaé.

— Terre, terre, terre, feu, feu…, compta Eustache en les pointant du doigt chacun à leur tour et s’arrêta sur Judy. Eau.

Tous les regards se braquèrent sur elle, alors que leur dernier espoir partait en courant chercher les secours.

— Je ne maîtrise par l’océan, se défendit-elle, affolée. Je ne peux pas le sauver.

Eustache haussa un sourcil.

— Il a besoin d’aide. La question n’est pas de savoir si tu peux, Judy.

Mais ce que tu dois.

Judy tourna la tête vers l’orage. Le voilier s’éloignait dangereusement de la côte.

— Pierre, pourquoi tu as fait ça ? se lamenta Nathanaël.

— Il est malade, dit Kateline.

— Probablement.

Judy s’approcha de la falaise. Soudain, la silhouette trempée de Pierre fut propulsée hors de l’embarcation dans les flots. La panique lui coupa le souffle. Elle n’entendait plus que le grondement du tonnerre et les battements saccadés de son cœur. La question n’est pas si tu peux. Mais ce que tu dois.

Elle ferma les yeux. De l’eau, il y en avait partout. Dans le ciel, qui pleuvait, et sur terre, là, devant elle, c’était immense, ça l’écrasait. Et il y avait un trou. Là où le corps de Pierre se faisait ballotter.

Je dois.

Pouvoir n’était plus une option.

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