« Mais Dodo, il est seize heures! Tu avais dit qu’à seize heures, ce serait le gouter.» Britannicus s’écria, et je manquai de lever les yeux au ciel. Il n’avait pas bien appris sa leçon de géographie, et cela faisait un bon dix minutes qu’il faisait trainer les choses dans l’espoir que je lâche l’affaire.
Malheureusement pour lui, Lizzie étai passée avant lui. Elle s’était montrée assez imaginative -on notera la fois ou elle avait avancé d’une minute l’horloge à chaque fois que je lui tournais le dos, ce qui avait fini par se voir quand Mathurin et Madame Catherine étaient rentrées de leurs travail à dix-sept heure- et assez impitoyable en manipulation émotionnelle. En conséquence, j’étais parée.
« Il est seize heures moins cinq, et tu as encore tout un paragraphe à me réciter. » Je répliquai tranquillement avant de prendre une gorgée de thé. Nous étions bien installés dans le salon bleu, qui demeurait tout de même la pièce la plus confortable de la maison.
Normalement, cela n’aurait pas vraiment été possible car Mafalda y avait passé la semaine entière à bachoter ce livre de magie spectrale, mais elle était actuellement absente. Le chaman en chef du sanatorium de Rocam lui avait donné rendez-vous et elle était partie en début d’après-midi. En théorie, elle n’aurait pas du, étant donné que j’étais supposée demeurer sous surveillance et que Scetus n’avait toujours pas donné signe de vie. Mais bon, elle pouvait difficilement manquer un pareil rendez-vous et cela m’aurait semblé vraiment moche de prendre la poudre d’escampette alors qu’elle allait rendre visite à sa fille inconsciente.
Ça et aussi le fait que je commençais à bien m’entendre avec Mafalda. Bon, cela ne serait pas l’amitié du siècle, il ne fallait pas en rajouter, mais depuis que j’avais été mise au parfum pour Cassiopeia, je comprenais un tout petit peu plus son comportement.
Elle était également de bien meilleure humeur quand elle n’avait pas à côtoyer Britannicus. Ça, c’était vraiment moins drôle, mais c’était un fait.
« Mais c’est pareil! » Britannicus protesta, en tapant même du pieds. À sa décharge, j’avais passé l’après midid à l’interroger sur toutes ses leçons. Numérologie, histoire, littérature, et même un tout petit peu de salemni -pas trop, il ne fallait pas abuser- et maintenant géographie. Ses joues étaient rouges d’efforts et cela faisait une heure qu’il en avait assez.
« Si c’est pareil, on peut faire durer jusque seize heures cinq. »
« Ah noooooon! » Il gémit de désespoir.
« Plus vite tu l’as récité, plus vite tu auras fini. »
Résigné, le petit garçon croisé les bras dans son dos, leva le menton et prit une inspiration.
« Notre Terre tourne autour d’une géante gazeuse nommée Soterio, révolution qu’elle réalise en vingt quatre heures. La géante elle-même se plait à danser de manière similaire autour d’un système de deux étoiles en 347 jours, communément nommées Meriel et Nerub. Le Meriel est une étoile massive et rouge, enflammant le ciel à la chaude saison. Le Nerub quand à lui est une étoile noire, cernée d’un disque bleu lumineux et foudroyant, principale raison de la froide et mortelle saison. » Britannicus déclama et pour l’instant je ne comprenais pas vraiment pourquoi il avait tout entrepris pour ne pas avoir à le faire. Il ne manquait pas un seul mot.
« Mais c’est très bien tout ça! »
« On peut arrêter maintenant? » Il me demanda d’un air si déconfit que je décidais de céder.
« Je t’interroge demain sur les lignes imaginaires et la géographie de la Medelvie. » Je dis et Britannicus se laissa tomber sur le sol avec panache et une pincée de drame.
« Mon esprit a surchauffé, il, est, fichu! » Britannicus s’écria d’un air si grandiloquent, tout occupé qu’il était à faire l’étoile de mer sur le tapis bleu que j’éclatais de rire.
Cela ne lui plus pas vraiment de voir sa mise en scène si peu prise au sérieux, et il pinça des lèvres.
« Je souffre le martyr. » Il insista.
« Et un gouter, ça te ferait dé-souffrir? »
« De quel niveau de gouter parle-t-on? »
« Lait à la cannelle, tartine confiture, pomme, l’habituel. » Je dis, et il fit une petite moue contrie.
« Tu peux pas faire un gateau? » Il demanda d’une petite voix et je retenais un petit soupire. Si auparavant je passais mes journées à m’ennuyer ferme, ces moments d’oisiveté n’étaient plus qu’un lointain souvenir. Désormais, mes matinées c’était danse, puis remise en état du Manoir -et ça avançait bien d’ailleurs, mis à part la colonie de d’arachnées logées sous l’escalier en colimaçon, dont je refusais de m’occuper, le rez-de-chaussé avait été nettoyé de fond en comble, les tapis et les rideaux lavés. L’aspect était encore défraichis et révélait un besoin criant de peinture, mais au moins maintenant nous ne vivions plus dans la poussière. L’après midi, je m’occupais des leçons de Britannicus pendant que Mafalda mettait au point ses connaissances spectrales. En théorie, la pacification spectrale de la maison était implémentée entre quatre et sept heures de l’après-midi mais comme elle était absente aujourd’hui, et que cela m’étonnait qu’elle soit d’attaque pour aller pourfendre le spectre après une telle visite, je m’étais prévue un petit temps de pause.
Bon, Britannicus me jetait des regards de chien battu. Je suppose que cela serait pour une autre fois.
« D’accord, mais demain, cette leçon de géographie, tu me la récites impeccablement. »
« Ouais! Ouais, ouais ouais! Trop bien! » Il bondit sur ses pieds « Je fais le thé! »
« Fais attention! »
« Mais ouiiiii. »
Je ne pouvais pas me plaindre, tout d’abord parce que personne ne me forçait à le faire, j’agissais de mon propre chef, et ensuite parce que tout était préférable à l’ennuis. J’avais après tout craqué deux fois en moins d’une journée, et il était hors de question que cela se reproduise. Et puis, j’aimais bien mon emplois du temps.
Madame Catherine disait toujours que faire me ménage remettait les idées en place et j’étais assez d’accord avec elle et comme c’était actuellement le bazar dans mon esprit, un grand ménage ne pouvait que m’être bénéfique. Je n’avais pas oublié cette impression que j’avais ressenti dans le parc, et tentais tant bien que mal d’en trouver l’origine.
Je passais en boucle mes conversations avec Lazarus, sans trouver pour autant.
Pour l’instant.
Mais je trouverais. Vu la montagne de travaux encore à réaliser dans ce manoir, cette idée là finirait par être rangée.
Nous nous mîmes donc au travail -tant qu’à faire, autant que Britannicus apprenne à faire un gâteau- et en musique. L’ésodio était désormais allumée et posée sur une des étagères de la cuisine, harmonisée sur la Dépêche de Rocam. Cette émission avait l’avantage non négligeable de ne pas, mais pas du tout parler de politique. Ça c’était un véritable soulagement, car si à mon ‘départ’, l’ambiance était explosive, elle était désormais abominable. Mafalda avait pour habitude d’écouter la Voix Sacrée vers vingt heures et je m’arrangeais toujours pour faire autre chose car si d’ordinaire les débats n’avaient pas pour habitude de faire dans la dentelle, désormais ils frôlaient les duels de pugilat. Littéralement. Mais ce n’était pas cela le pire. Le plus abominable, c’était que -Voix Sacrée oblige- il y avait toujours sinon un entretien avec Lazarus, à minima une citation de ses déclarations. Il était fort, vraiment fort, pour apparaitre calme, voir raisonnable.
Non sans raison d’ailleurs.
Monsieur était donné favori pour le Bureau Miroir, certains allant même que Commodus devrait lui laisser sa place de Chancelier.
Dire que cela me donnait des crises d’angoisses était un euphémisme.
Bref.
Nous cuisinions donc en musique, Britannicus veillant sur les pommes caramélisées et moi tâchant de préparer une pâte pas trop nulle, le tout en chantant à tu-tête la nouvelle syncopée de Melvin le Roi du Frisqué. Le réulstat était actuellement en train de cuire dans le four et une odeur réconfortante de cannelle et de sucre commençait à se répandre dans la cuisine. Je pense que nous l’avions plutôt bien réussi, même si cela ne pourrait jamais se comparer aux oeuvres d’arts de Daniel.
Il y en avait pour une vingtaine de minutes, et Britannicus était tellement ravis qu’il s’était installé sur le tapis du salon bleu, répétant silencieusement les noms inscrits sur le grand Atlas. Je pus donc enfin me laisser tomber sur le fauteuil moelleux et abandonnais tout projet de lecture. J’avais en effet décidé de me mettre sérieusement au salemni -tant qu’à faire- mais actuellement je n’avais plus d’énergie.
Je préférai m’étirer tranquillement, tout en écoutant sans grand sérieux l’ésodio, qui, magnanime à souhait, enchainait sur une émission de plus d’une heure sur les girouettes -et oui ennuyeux mais je préférais largement ennuyeux à-
Le ronronnement du journaliste s’arrêta net.
« Nous interrompons cette émission pour vous annoncer un évènement de la plus haute importante. » Une toute autre voix, secouée à souhait, me hérissa la nuque.
Même Britannicus leva la tête et me jeta un regard assez inquiet.
« Aujourd’hui, à seize heure explosion a retenti dans le quartier du Trocadéro, soufflant une dizaine de maisons rue des Chênes. L’origine, ainsi que les instigateurs de cette attentats sont pour l’heure inconnu, les secours ont été dépêchés sur place-»
« Scetus il va souvent dans ce quartier là. Ça ne plait pas à Mafalda, et ils se sont énervés mais il y retourne quand même.» Britannicus dit alors, la voix plus fluette que d’ordinaire, les yeux écarquillés, et je ne savais vraiment pas quoi répondre à ça. Ma nuque se glaça encore davantage, mon esprit fut balayé par un tourbillon de pensées, que Cassini merci, je n’y connaissais personne, puis que Scetus non plus ne pouvait pas s’y trouver. Cela serait absurde, pour un Cohortier de se trouver au milieu de l’après midi dans le quartier le plus… olé olé, dira-t-on, de la ville. C’était même impossible, car s’il avait le temps de faire ça, il aurait donné des nouvelles bien avant-
« Dodo, il va bien, n’est-ce pas? » Britannicus répéta en me tirant la manche et je me revis sur les quais, l’air du large en pleine face, à attendre. J’avais été seule, si seule. Même papa n’était pas là, et sa mère à lui, elle n’avait jamais aimé maman alors…
« Viens. On va l’attendre. »
« Je ne veux pas- je veux, je veux qu’il aille bien, je veux le revoir, je veux y aller, maintenant. Je veux faire quelque chose, je-»
Britannicus éclata en sanglot, et avec lui, ce fut au tour de mon coeur d’éclater. Ce n’était pas un sanglot de tristesse, c’était cet horrible sentiment d’impuissance qui le saisissait à la gorge. Je devais avouer, que je ne savais pas trop quoi dire. Le rassurer c’était impossible. On m’avait assurée qu’elle rentrerait, et encore aujourd’hui, je les frapperais sans hésiter. Alors je le pris dans mes bras. Il s’agrippa à moi et pleura toutes les larmes de son petit corps.
« Ton frère n’est pas seul, il y a beaucoup de monde là-bas, et ils font tout leur possible. » Je dis doucement, quand il se fut un peu calmé.
« Je veux pas leur possible, je veux Scetus. Il peut pas me laisser, Mafalda, elle me mettra à la porte, et j’aurai nul part ou aller, et-»
« Mafalda ne te mettra pas à la porte, pour commencer-»
« Si, elle me déteste, elle l’a déjà dit! Elle me déteste, parce que Maman a fait un bisous à son mari et maintenant je suis là. Je vais me retrouver tout seul-»
« Jamais de la vie. » Je l’interrompis doucement mais fermement. « Tu ne vas pas- je ne le permettrai jamais. »
« Mais tu arrêtes pas de dire que tu vas rentrer chez toi, et t’occuper de Lizzie-»
« Et alors? »
« Jure-le moi, que tu ne me laisseras pas tomber. »
« Je te le jure. » Je dis doucement « Mais rien ne dit que ton frère- on va l’attendre avec du thé, tu veux bien? »
Et ce fut ce que nous fîmes. Britannicus était roulé en boule sur une chaise, fixant le sol ou la porte. Sur le comptoir, la musique n’était plus qu’un lointain souvenir et désormais le présentateur faisait office de liaison entre les envoyés dépêchés à la Colline et ceux sur les lieux. Ce n’était pas comme la Magiversité cependant. Cette fois-ci, les secours ne peinaient pas à arriver sur les lieux à cause de runes magiques.
« …sans nouvelles de leur présidents respectifs, les milices du Syndic et de la Cohorte refusent le cessez-le-feu de circonstance et s’adonnent à des combats de rue d’une violence inouïe. La maréechaussée de Rocam semble quant à elle dépassée par les évènements, et peine à contenir cette horde ectoplastique d’origine inconnue-»
Attendez une petite minute, une horde?
Je glissai un petit regard à Britannicus, qui Cassini merci ne le remarqua pas. Ça puait le conjurateur, Mais à nouveau, Scetus ne pouvait pas se trouver là-bas. C’était, à nouveau, un quartier fréquenté par… une certaine clientèle, dira-t-on, et de surcroit acquis à la Vox Populi. Cela devait pulluler de Syndic, et personne, pas même ce crétin là, n’aurait été assez idiot au point de se pointer seul dans un pareil guet-apens.
De toute manière je m’en fichais, magicalement.
N’est-ce pas?
Le minuteur retentit dans la cuisine- ah, oui, le gâteaux. Je me levais donc, les jambes engourdies, et plantait un four dans la pâte. Il revint net, il était cui.
Cela serait après tout assez stupide que j’en ai quelque chose à faire. Mon genoux avait beau se réparer, ma jambe droite était pour l’heure aussi souple qu’une biscotte et je prenais des mauvaises habitudes de danse. Nul doute que mon Maitre de danse me ferait quelques petits commentaires bien senti quand je reviendrais, et connaissant son caractère, je n’avais pas vraiment hâte.
Est-ce qu’un genoux valait une vie-
« Aoutch! » Je rugis en lâchant rapidement le plat. Une douleur vive s’installa au creux de mes paumes, sans que je ne parvienne à comprendre-
Je jetai un petit coup d’oeil à ces dernières. La peau y était rouge et enflée à souhait, et pour ma plus grande stupeur, je vis des cloques apparaitre-
Et oui, généralement, quand on sort du four à main nue il fallait s’attendre à ce genre de joyeusetés.
J’étais décidément une génie ce soir.
Britannicus sortit brièvement de sa contemplation pour m’apporter de la gaze et m’enrubanner mes mains. Le résultat était assez proche d’une momie, mais je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. Quelle idiote, vraiment…
Je l’installais ensuite à table et lui en servit quelques tranches. En temps normal, ce gâteaux aurait été bon, mais en cet instant, il avait un gout de cendre, La faute à mes mains enflammées par ma débilité et le discours apocalyptique de l’ésodio -les présidents avaient enfin décidés de sortir de leur grotte et avaient fait dépêcher des délégués sur place pour calmer le jeu, mais c’était trop tard. Le sortilège était en marche.
Les heures défilèrent, toujours sans la moindre nouvelle ni de ce crétin, ni de Mafalda. Quand même, ils avaient une captive chez eux, ce silence ésodio de leur part, cela faisait vraiment amateur et absurde.
Bon, tant pis.
Le tout était désormais d’établir une stratégie afin de convaincre Britannicus d’aller se coucher-
La sonnette de l’entrée retentit, très vite suivie par des martèlement insistant. Je bondis de ma chaise, tant de peur et d’adrénaline et eut à peine le temps de rattraper Britannicus. Ce dernier s’était précipité dans l’entrée et tentait d’ouvrir la porte.
« Non, recule. » Je dis fermement. Nous ne savions après tout pas ce qui se trouvait derrière cette porte, et même si les ghoules sonnaient rarement aux portes et que nous étions éloignés de la ville… personne n’ignorait que les Regiris étaient de la Cohorte et il y avait visiblement des enragés en liberté ce soir.
« Qui est-là? » Je demandai simplement.
« Mafalda, Cassini ait pitié, ouvre cette fichue porte, Scetus, il a besoin d’aide-»
Britannicus se mit à sautiller, à me tirer la manche, et sans cela je serais demeurée forte et n’aurais rien lâché. Ce ne fut pas le cas cependant, et je déverrouillais alors la porte avant de l’ouvrir à toute volée.
Devant moi se trouvait un homme, grand, le visage étrange, et tenant à bout de bras un Scetus ensanglanté et inconscient.
Ça faisait un moment que je n'étais pas venue lire :( J'ai quelques chapitres à rattraper ! J'arrive plus à lire ni même écrire autant que je voudrais ces temps-ci !
J'en reviens à ton chapitre :
J'adore la relation qui se crée entre Sidonie et Britannicus.
Je note autre chose que j'ai trouvé hyper sympa : la récitation de Britannicus. Une description niquel, qui ne fait pas forcé, qui s'insère super bien dans le récit, c'est top.
"La peau y était rouge et enflée à souhait, et pour ma plus grande stupeur, je vis des cloques apparaitre-" -> le hasard fait que je me suis fait une vilaine cloque hier soir en cuisinant (goutte d'huile dans mon cas) et je ressens doublement sa douleur.
"Devant moi se trouvait un homme, grand, le visage étrange, et tenant à bout de bras un Scetus ensanglanté et inconscient." -> qui dit inconscient dit vivant.
Ce serait dur pour Britannicus qui se sent très seul, et j'espère donc qu'il va s'en sortir sans trop de dommage. Et puis, bien qu'il soit un peu rustre, je n'ai pas le sentiment que Scetus est profondément méchant...
Je reviens vite lire la suite !
Ah tes retours me font toujours trop plaisir ^^
Ravie que la relation Sidonie/ Britannicus passe bien (le petit, il était temps que quelqu'un s'occupe vraiment de lui). à la base je voulais utiliser ses leçons pour faire du worldbuilding, mais bon, comme toujours, mes plans, je me suis un peu assise dessus (oups).
Oh non j'espère que ça va ^^' (les blessures de cuisine, c'est vraiment nul)
Oh Scetus, il en faudrait vraiment beaucoup pour en venir à bout (et j'ai trop de plan le concernant pour m'en débarrasser de suite éhéhéhéhéh)