La première chanson de la setlist venait de mettre le feu. Le public, déjà dans l’ambiance, vibrait à l’unisson. Moi, je ne cherchais qu’un visage dans cette marée anonymes, sans l’avoir trouvé pour le moment. Peut-être n’avait-elle pas réussi à gagner le premier rang. Même sans la voir, c’est pour elle que je donnais tout ce que j’avais ce soir. Après concertation avec le groupe, j’avais inclus dans notre prestation ses titres préférés dont celui que je réservais pour le final, Memory. J’espérais l’apercevoir d’ici là. Je voulais me noyer dans son regard en l’interprétant. Emporté par l’énergie de la salle, je m’immergeai dans la rythmique percutante donnée par mes acolytes. La sueur ne tarda pas à imbiber mon tee-shirt. Je ne l’ôtai pas pour autant. Je n’étais pas de ces personnes prêtes à tomber le maillot devant le public. Je ne faisais pas de la musique pour impressionner ou faire tourner la tête des filles. Je vivais de ma passion, point. Une passion qui me permettait de ne pas sombrer.
Un dernier tour du regard pour essayer de la voir. La salle s’éclairait légèrement, sortant de l’anonymat cette marée humaine. Déçu, je tournais les talons pour regagner l’arrière-scène. Mes acolytes s’étaient déjà évanouis derrière la porte. Je me laissais une poignée de secondes supplémentaires pour ravaler mon inquiétude. Je rejetai mes cheveux humides en arrière et attrapai une serviette au passage. Au moment d’ouvrir le battant vers le couloir, j’entendis un brouhaha. En avançant, je vis l’un des vigiles en pleine conversation avec Link et Seth. Vu son air soucieux, un problème avait dû survenir. Je n’avais pas la tête à m’en préoccuper. Toutes mes pensées se focalisaient sur Zoey, sur son absence. Mes oreilles accrochèrent les mots « ambulance » et « agression ». Je comptais me poser sur le canapé de la salle de repos et consulter mon téléphone. Vu l’agitation, obliquer vers la sortie arrière semblait plus sage. Je dépassai donc le petit attroupement tout en jetant un coup d’œil par réflexe. Quelqu’un était étendue sur le fauteuil. Michael s’écarta pour venir me parler. Son mouvement me dévoila le visage de la personne inconsciente. Je me figeai, incrédule. Des mèches d’un blond polaire s’étalaient tout autour. Le sang rua à mes oreilles, m’empêchant de saisir les paroles que mon frère m’adressait.
Zoey. Son prénom franchit mes lèvres, puis je me précipitai vers elle, écartant brutalement les personnes agglutinées devant. Je me laissai tomber à genoux devant le canapé. Mes doigts tremblants effleurèrent son visage, repoussèrent quelques mèches lui barrant le visage. Je déglutis avec difficulté. Mes yeux balayèrent les marques ombrant sa peau pâle, sa lèvre fendue, le coup à sa tempe. Putain. La rage montait. Mes poings se crispèrent alors que les images s’imprimaient sur mes rétines.
Je sentis une main se poser sur mon épaule. Nul besoin de me retourner pour savoir qu’il s’agissait de Mike. Il s’accroupit à mes côtés.
— Les secours arrivent. Ils vont s’occuper d’elle.
Les mots entraient, sortaient, peinaient à faire sens. D’un mouvement sec, je me dégageai. Je sentais les regards curieux des autres gars. Je me relevai, passai la main dans mes cheveux, la regardai encore. Je détestai être autant impuissant. Je ne pouvais pas la laisser…
— Que s’est-il passé ? Qui lui a…
Ma voix s’enroua. Putain, même le dire me retourner les tripes. Qui l’avait agressé ? La sirène de l’ambulance me ramena à l’instant. Dans un état second, je vis deux infirmiers entrer. Mike leur résuma la situation.
Le vigile s’avança vers moi. Je le regardai à peine, mon attention focalisée sur la civière que l’on déplaçait vers l’ambulance. J’arrivai à peine à respirer, la poitrine comprimée.
— Un gars voulait l’embarquer. Si elle n’avait pas crié, je n’ose pas imaginer ce qui se serait passé.
Mon cerveau, lui, ne manquait pas d’imagination. Les scénarios se succédaient dans mon esprit manquant de me faire exploser.
— Elle a appelé son petit ami, je pense. Le même prénom que le tien. Ça m’a marqué. Faudrait peut-être faire une annonce dans la salle au cas où…
— Pas besoin, articulai-je d’une voix blanche. Il est au courant.
— Ah bon ? Comment…
Mon regard noir lui cloua le bec. Il leva les mains en signe d’apaisement. Ouais, merci de ne pas en rajouter mon gars, songeai-je. Le véhicule des secours s’ébranla. Je restai planté devant la porte, déchiré. Mon frère choisit ce moment pour me rejoindre.
— Reprise dans dix minutes, Trev. Quatre chansons et tu sautes dans un taxi. Jimmy en appellera un pour toi. Tu es avec moi ?
Je croisai son regard inquiet. J’acquiesçai avec réticence. Impossible de lui faire faux bond. Il en avait assez bavé par ma faute par le passé. Je n’avais pas le droit de me montrer égoïste, pas avec lui.
— On a légèrement modifié la setlist, tu auras de quoi te défouler.
Je réussi à lui lâcher une ébauche de sourire. Une brève accolade avant de nous rendre sur scène. Mon frangin m’avait cerné en une poignée de minutes, rien qu’à ma réaction devant Zoey. Le final prévu n’aurait pas lieu. Ce n’était que partie remise.