Rose et Rachid avaient quitté les basses montagnes d’Irlande pour rejoindre celles d’Allemagne.
Après avoir traversé Francfort, la voiture escaladait les routes du Taunus entre sapins et vallées. Une seule route escarpée pouvait les mener jusqu’à la maison de repos, trop fine pour laisser passer un camion dans ses virages. D’ailleurs, un vieux pont de fer dissuadait n’importe quel véhicule trop lourd de passer dessus. Le passage en était même limité à un seul véhicule, et c’est avec une certaine appréhension que Rachid s’engagea dessus, s’efforçant à ne pas trop fixer les arches en fer rouillé. Le paysage était néanmoins superbe et reposant, avec ses rivières pures qui serpentaient au dessous d’eux, les cascades qui reluisaient sur la roche, et ses animaux sauvages qui ne semblaient en aucun cas dérangés par leur passage.
Après quelques kilomètres sur cette route torturée, ils arrivèrent enfin à destination. Ténébreuse dans sa structure en granit noir, la maison de repos avait l’allure d’un immense château, à la fois froide et austère à l’extérieur, mais douillette et sécurisante à l’intérieur, d’une paisibilité tangible. Le temps gris d’Allemagne qui grondait au loin rajoutait une touche impétueuse aux environs. Les jardins étaient entretenus au brin d’herbe près, les fleurs luxuriantes s’épanouissant à l’ombre de haies taillées en carré. Les pavés gris qui menaient jusqu’à l’entrée, ruisselants de l’air humide, s’entouraient de rosiers pâles et piquants. Un parfait ensemble, mais comment expliquer ce sol aussi traître pour une résidence composée à 95% de personnes du troisième âge ?
Rose mit cette question pour plus tard, et pénétra dans le hall d’accueil, suivit pas Rachid, petit derrière elle, ne sachant où se mettre. Et ne parlant pas un mot d’allemand, il laissa le loisir de la présentation à Rose.
Une femme, dans sa quarantaine, le sourire pincé et le chignon des plus serré, dont pas un cheveu ne dépassait, leva à peine les yeux quand Rose s’accouda à son guichet. Rose se racla la gorge pour capter son attention, ce qui eut l’air d’irriter la dame de l’accueil.
— Bonjour madame ; excusez moi de vous déranger, je cherche la chambre de monsieur et madame Brasi s’il vous plait.
La dame de l’accueil la dévisagea comme si c’était la pire des manantes, sans même bouger la tête. Puis elle se redressa, et afficha un sourire glacial et forcé.
— C’est à quel sujet ? C’est pour une visite prévue ?
— Non, nous venons à l’improviste, c’est une surprise, s’excusa Rose.
— Vous êtes de la famille ? l’interrogea la dame avec une moue moqueuse.
— En quelque sorte.
— En quelque sorte, répéta la guichetière agacée. Elle pinça les lèvres, et Rose resta impassible. Devant son regard intransigeant, la guichetière se releva et tendit bien malgré elle la main vers un dossier.
— Votre nom ?
— Rose. Rose Finn.
La femme sortit le registre, tourna sèchement les pages et suivit les lignes avec le bout de son stylo. Observant le nom de Rose, elle pinça encore plus les lèvres, visiblement chafouin, observant de nouveau Rose comme de la plèbe. Résignée, elle continua en décrochant le téléphone :
— Vous êtes dessus, effectivement. Je dois juste vérifier que monsieur Brasi n’est pas en soin.
Elle patienta à l’autre bout du fil, replaçant ses lunettes, tandis que Rose savourait. Quand elle raccrocha, la guichetière semblait au bord de l’implosion.
— Le prochain soin de monsieur Brasi ne sera fait que cet après midi. Leur appartement est le 313, au troisième étage.
Avec le bout de son stylo, la femme pince-sans-rire pointa la porte de l’ascenseur.
— Merci beaucoup madame, bonne journée à vous, répondit Rose en jubilant.
La femme ne répondit rien et reposa les yeux sur l’écran de son ordinateur.
Rose et Rachid prirent l’ascenseur ; tout l’intérieur du bâtiment avait été modernisé, pour facilité son accès à ses résidents, bien que parfois, l’ergonomie des meubles en bois laissait à discuter ; bien plus baroque que pratique. Du bois sombre, des plantes grasses, des tableaux aux paysages obscurs, et même des armures au métal poli égayaient (si l’on pouvait dire ainsi), les couloirs aux fenêtres carrées, leurs armatures en fer forgé noir retenant des carreaux aux verres épais et granuleux. Un brin lugubre, et plus étonnamment, reposant.
Enfin, au bout du long couloir recouvert d’un tapis cramoisi, la porte de bois où était inscrit « 313 » se révéla à eux, Rose se plantant devant avec une certaine appréhension. Elle attrapa la poignée du heurtoir d’appel, en forme d’ours, mais hésita un instant.
— Nerveuse ? lui demanda Rachid.
— Un poil. Cela fait dix ans tout de même.
Elle l’observa, la dégaine non assuré.
— Nerveux aussi ?
— Un poil, dit-il en souriant et en abaissant la tête.
Rose toqua trois fois le heurtoir contre la porte. « J’arrive ! » s’écria alors une voix féminine derrière, en allemand. Le bruissement des pantoufles précéda le son des verrous, puis la porte en bois s’ouvrit et laissa percevoir les traits nobles d’une femme au crépuscule de sa vie et qui, observant Rose, resta stoïque un moment. Ses yeux s’écarquillèrent, et un large sourire illumina son visage aux rides pleines de sagesse.
— Rose ? C’est bien toi ? dit-elle en français.
— Bonjour Hilda, répondit Rose en lui rendant son sourire.
Luigi, dans son fauteuil, dormait paisiblement, son torse gonflant et se dégonflant au rythme du respirateur artificiel. Hilda s’affairait dans la cuisine à préparer du thé, tandis que Rose, assise sur une chaise, observait les alentours de l’appartement ; sur une commode, trônait une photo de famille avec Hilda, Luigi, leurs trois enfants et leurs cinq petits enfants. La photo était relativement récente, et Luigi y semblait en bien meilleure santé. Sur le mur au dessus, il y avait une affiche du film « Blackfire and the Mirmillion », avec les autographes des acteurs ; dans son coin inférieur droit, une photo représentait Hilda et Luigi à côté de leur doublure du grand écran, posant tous les quatre en costume. Rachid, lui, se tenait dans un coin, à l’ombre, observant en retrait son mentor à la santé précaire. Bien qu’ayant connaissance de sa maladie depuis longtemps, cela n’en demeurait pas moins perturbant pour lui. Le seul son que l’on entendit pendant ce court laps de temps était un carillon qui cliquetait de son pas régulier, et profitait du silence pour donner de la voix. Hilda revint avec le thé, et s’assit dans un fauteuil, en face de Rose, à côté de Luigi.
— Assis toi, dit-elle à Rachid.
— Je… Oui madame Brasi.
— Ne dit pas madame. C’est comme si j’étais la plus vieille !
Rose sourit. Hilda était une des seules personnes dont elle acceptait les blagues sur son âge. Peut être parce qu’elle était une des seules à comprendre à quel point cela était un fardeau. Rachid attrapa une chaise en osier et s’installa à côté de Rose. Il fixa un instant le respirateur artificiel qui apportait une surdose nécessaire d’oxygène avec un sifflement doux. Un frisson parcourut son échine. Hilda trempa ses lèvres dans son thé trop chaud, et observa avec malice Rose.
— Tu n’as pas changé. C’est toujours pour moi un étonnement.
Ses yeux sombres scrutèrent Rose de part et d’autre, la scannant avec une bienveillance presque palpable.
— Même si je le sais que tu ne vieillis pas, c’est toujours impressionnant. Alors que moi…
Rose l’observa à son tour. Oui Hilda avait quand à elle vieillit, et oui cela lui faisait toujours aussi mal au cœur. Mais malgré ses 80 ans bien tassés, elle paraissait encore solide. Ses cheveux gris étaient longs et soyeux et sa taille fine d’ancienne athlète n’avait rien de chétive. Elle ne s’était même pas ratatinée, gardant toute sa hauteur. Son visage blême et marqué par le temps était encore dépourvu de tâches de vieillesse. Enfin, ses yeux intensément sombres semblaient toujours aussi perçants lorsqu’ils se posaient sur vous.
— La vieillesse ne t’as pas encore trop submergé non plus, lui répondit Rose, un brin pincée.
Hilda pouffa.
— Oh détrompes toi, je vieillis. (Elle haussa les épaules). Mais je fais avec.
La vieille dame but encore une gorgée de son thé trop chaud, sans que cela ne la gêne pour le moins du monde. Rachid s’y tenta lui aussi, mais se brûla les lèvres. Sur le buffet, la photo de famille tiqua Rose qui la fixa de plus près.
— Ce sont tous tes petits enfants ? demanda-t-elle à Hilda.
La vieille dame fit oui de la tête.
— Oui, ils sont beaux hein ? La grande à bientôt dix-huit ans. Le temps file à une vitesse.
— Et la petite ?
— Lucillia ? Elle va avoir six ans.
Rose inspecta plus en détail la photo. Un élément manquait.
— Aucune n’est comme toi ?
Hilda fit cette fois-ci non de la tête.
— Aucune d’entre elles, répondit-elle avec amertume, en soufflant sur son thé. Je crains être la dernière des pyromanciennes.
Rose cacha un sourire satisfait. Elle détourna son regard de la photographie, cherchant son sac à dos des yeux.
— Hilda, j’ai quelque chose à te demander.
Elle se pencha en avant, les coudes sur les genoux, l’air sérieux et grave.
— Tu as vu ce qui s’est passé chez nous ?
— Le monstre que vous avez combattu ? Oui j’ai vu. Et si je ne t’avais pas reconnu, j’aurais eu du mal à y croire. Chouette équipe que tu as par ailleurs.
— Merci, répondit Rose avec satisfaction.
— C’était un combat difficile ?
— Plutôt oui. Une force ancienne dont moi-même je n’avais pas connaissance.
Hilda releva un sourcil intrigué.
— Mais ce n’est pas cela qui m’inquiète. Du moins, pas autant que ça.
Rose ouvrit son sac à dos et en sortit le dossier.
— En plus de ce monstre, continua-t-elle, des météores sont tombés récemment.
Hilda s’adossa sur son dossier, leva sa tasse vers sa bouche sans boire.
— Les cycles de météores tu les gères très bien Rose. Viens-en aux faits.
— Je veux reformer l’UESH.
Hilda fit une moue méfiante.
— Pourquoi ?
Rose lui tendit enfin le dossier jaune. Hilda posa sa tasse sur la commode à côté d’elle, et inspecta les premières pages.
— Qu’est ce que c’est ? demanda Hilda.
— Ce que je crains. D’après ce dossier, les accords de Nagasaki ne sont plus respectés par un congloméra d’entreprises depuis près de vingt ans. Et le pire dans tout cela, c’est que des gouvernements sont leurs clients.
Hilda parcouru du doigt quelques lignes, et s’arrêta sur le logo en forme d’Ibis.
— Je ne connais pas cette entreprise.
— Moi non plus. Mais j’ai vu ce logo en Afrique. Sur un container remplis de jeunes femmes prêtes à être vendues.
Hilda se racla la gorge, fronçant les sourcils sur le dossier.
— La source ?
— Pierre est parti s’assurer de sa sureté. Mais elle semble des plus solides. C’est pour ça que je veux remonter une équipe. Même si ce n’est que temporaire. Je veux m’assurer de ne pas avoir trop de trains de retard.
— Je vois, répondit Hilda sans lever les yeux du dossier. D’où ta venue ici. Mais nous ne sommes plus vraiment dans le coup avec Luigi, je ne sais pas si tu l’as remarqué ?
Elle pencha la tête en direction de son mari branché sur respirateur.
— Si.
— Alors pourquoi tu n’en cherches pas d’autres ?
— C’est ce que nous faisons en ce moment avec Rachid. Nous sommes allés sur l’île au dragon pour trouver des balises actives.
Hilda releva les yeux du dossier, soudain intéressée.
— Oh, et elle est en bon état ?
— Pratiquement comme nous l’avions laissé.
Hilda eut un sourire en coin, les doigts toujours accrochés aux deux extrémités du dossier.
— Et les balises ? reprit-elle en reposant ses yeux sur les pages.
— Quelques unes sont actives. Dont la votre.
Hilda soupira.
— Luigi insiste pour qu’on l’active tous les mois.
— Vous pourriez être utile.
— Oh, je ne pense pas, répliqua Hilda d’un ton cinglant.
Rose ne plongea pas dans sa remarque. Elle attendrait plus tard.
— Quelque chose de bizarre s’est produit, reprit-elle. Deux des balises que nous avons visité n’ont pas été activé par la personne concernée.
Hilda ne releva toujours pas les yeux.
— Il n’y avait pas de guide ? demanda-t-elle.
— Aydan n’a vu personne, donc il n’a pas pu guider. Et pour Salamata, la jeune fille qu’on a démarchée au Sénégal, personne ne l’y a emmené. Elle n’avait même pas connaissance de la balise.
— Une tierce personne ?
— J’en doute.
Hilda sembla réfléchir un instant, puis haussa les épaules. Un bref silence s’installa tandis qu’elle dévorait le dossier, ses tempes vibrantes de concentration.
— Au fait, dit-elle, si vous comptez allez voir la balise d’Oslo, c’est inutile. On l’a comme qui dirait… cassé avec Luigi.
— Ah… répondit Rose, déçue.
— Si ça te perturbe, c’est que tu as peu de personnes.
— Une des pistes est froide. J’ai recruté Salamata comme je te disais, et je suis pratiquement sûre qu’une fille à Caen à reçu un don, mais je dois encore la trouver. Avec mes deux nouvelles recrues, et Anticipation, nous sommes sept. Neuf avec vous.
— Nous…
— Hilda, la coupa Rose, je ne vous demande pas de combattre. Je le sais très bien que vous n’en n’êtes plus capable. J’aimerais juste que vous soyez là pour enseigner aux nouvelles recrues. Parler de vos histoires, de votre expérience. J’ai besoin de votre aide.
Luigi s’agita quelque peu dans son sommeil. Hilda se tourna vers lui, pleine de compassion, posant sa main ridée sur la jambe de son mari, réajustant un plaid posé sur ses genoux pour ne pas qu’il ait froid. Rose observa cela le cœur fendu.
— Ecoute, Hilda, on va te laisser lire le dossier. Avec Rachid nous allons faire un petit tour en ville et nous reviendrons quand Luigi sera réveillé.
Hilda se contenta de la regarder et de hocher la tête. Rose et Rachid la laissèrent, partant faire quelques emplettes dans la ville la plus proche.
Ils ne revinrent que quelques heures plus tard, leurs manteaux dégoulinant de pluie. La tempête annoncée pour la nuit était arrivée plus vite que prévu, et déjà, les caniveaux se gonflaient d’eau alors que le vent se brisait sur les volets de la bâtisse. La charmante dame de l’accueil leur infligea son regard le plus assassin quand ils frottèrent leurs chaussures boueuses sur le tapis et essorèrent une partie de l’eau qui les recouvrait.
De retour à l’étage, Rose tapa de nouveau trois fois le heurtoir contre la porte, et Hilda leur ouvrit avec un large sourire. Rose et Rachid entrèrent, déposant leurs vêtements trempés sur un portant proche.
— Luigi est réveillé ? demanda Rose en enlevant ses chaussures.
Hilda lui ramena une paire de pantoufles que fournissait la maison de repos, la mine paisible.
— Oui, et il est en forme. Il est dans la chambre, installez vous pendant que je vais l’aider à finir de se préparer.
Hilda tendit une serviette à Rose et à Rachid, et s’éclipsa au fond de la pièce. Rose se sécha précautionneusement ses cheveux, retirant sa queue de cheval, sa tignasse trempée et libérée chutant jusqu’en bas du dos. Rachid n’eut besoin que de deux passages dans sa touffe de cheveux bouclés, ces derniers n’absorbant pas l’humidité. Il observa une photo qu’il n’avait pas remarqué le matin-même, juste à côté de la porte d’entrée. Dessus il y avait Rose, Jeanne, Hilda et Luigi devant un Spitfire.
Ils entendirent les roues de la chaise roulante grincer sur le parquet et Rose et Rachid se retournèrent en même temps.
Luigi avait bien meilleure tête que dans la matinée. Bien droit, la moustache fine et en pointe impeccable, blanche comme ses cheveux délicatement coiffés sur le côté, son visage maigre était élégant. Ses yeux noisette avaient un éclat vif. En voyant Rose et Rachid, il eut un large sourire, et son regard se fit malicieux. Rachid l’observa, soudain alerté ; il connaissait trop bien son mentor ; une forme familière se dessinait sous le plaid, et il n’eut que le temps d’ouvrir grand les yeux de stupéfaction.
Avec une rapidité surprenante, Luigi dégagea un tromblon du plaid, et tira en plein sur le torse de Rachid avec une salve de plomb. Rose sursauta, incrédule, son cœur bondissant contre sa poitrine. Rachid fut projeté en arrière, tombant au sol dans un bruit sourd, glissant sur le tapis qui recouvrait le parquet. Il regarda le plafond, posant ses mains sur son torse, le plomb accroché à son t-shirt. Il toussa pour reprendre son souffle et observa ses mains ; elles ne comportaient aucune trace de sang. Reprenant son esprit, il se remit sur son séant, observa plus longuement ses vêtements troués.
Luigi éclata d’un énorme rire sonore, la tête penchée en arrière, le tromblon toujours sur son giron.
— Mon pull ! se plaignit Rachid en le tenant par le col.
— HAHAHA !
Hilda pouffa derrière, et même Rose se détendit et sourit. Luigi se calma peu à peu, étouffant une quinte de toux venu du fond de la gorge, se séchant les yeux du bout de l’index.
— Mais ce n’est pas drôle ! se plaignit Rachid.
Luigi toussa de nouveau, puis repris au fur et à mesure son souffle. Il prit alors un visage sérieux, un doigt accusateur.
— Jeune homme, quel est la première leçon ?
Rachid lâcha son col, baissa la tête et enfin soupira.
— Toujours être sur ses gardes.
— Toujours être sur ses gardes, répéta Luigi d’une voix professorale.
Il regarda son protégé, l’expression de son visage pleine de tendresse.
— Allez, approche mon gars.
— Tu ne vas pas me retirer dessus ?
— Non.
Rachid se leva, et s’approcha du fauteuil. Luigi puisa de toutes ses forces pour se lever, et après un effort colossal, les bras tremblants sur les accoudoirs du fauteuil, il se teint debout. Il s’était ratatiné avec l’âge, avait perdu la totalité de sa carrure musclé, si bien que quand Rachid l’entoura de ses bras, il le sentit trop frêle et eut peur de le casser.
— Content de te voir, dit Luigi en lui tapotant le dos.
— Moi aussi, vieux fou. Tu me dois un pull.
— Tu parles ! Tu devrais plutôt me remercier de lui avoir abrégé ses souffrances. Il était déjà dans un état lamentable.
Luigi eut une nouvelle quinte de tout douloureuse en se rasseyant, reprenant avec difficulté sa respiration. Quelqu’un frappa par coups précipités à la porte.
— Madame Brasi ? Madame Brasi ? Tout va bien ? On a entendu un gros « boum » !
Hilda accourut à la porte et parla à travers :
— Non Angela c’est rien ! J’ai… j’ai fait tomber une casserole !
— Vous êtes sûre ? demanda Angela soupçonneuse.
— Oui, ne vous en faites pas Angela !
— Bon…
Les pas claquèrent en s’éloignant progressivement dans le couloir, et Hilda souffla.
— Tu as encore failli nous valoir des ennuis Luigi ! gronda Hilda.
— Eh bah, au moins ça les décoincerait du cul à cette bande d’empâté.
Rose et Rachid échangèrent un regard amusé.
— Luigi ton langage !
— Bah quoi c’est vrai ! C’est comme si on était déjà mort. C’est même pire, je pense que la mort est moins ennuyeuse que cet endroit !
Il toussa de nouveau dans sa main, puis quand cela se calma, il attrapa le dossier qui était posé sur le meuble à côté de lui. Hilda se plaça derrière lui, les mains serrées sur le dossier du fauteuil.
— Rose. C’est quelque chose de très grave, en effet. Ce que contient ce dossier c’est… La guerre assurée. Elle est déjà là Rose, je le crains.
— C’est pour ça que…
Luigi la coupa d’un geste de la main.
— Je sais ce que tu vas dire. Mais nous ne pouvons pas. Rose, c’est louable à toi de faire appel à nous pour guider les nouveaux. Mais nous avons la même expérience que toi ; tu en as même plus. Nous ne serons pas très utiles, surtout dans l’état dans lequel nous sommes.
Il souffla.
— Ah moins que…
Rose leva bien haut les oreilles.
— Ah moins que tu aies quelqu’un à former.
Il s’appuya profondément dans son fauteuil, et croisa les mains devant lui.
— Mais même dans ce cas, je pense que Rachid sera désormais bien plus utile que moi.
— Je suis un piètre professeur, rétorqua le concerné.
Luigi fit un mouvement de la tête, puis ouvrit les bras au ciel.
— De toute façon, est ce que vous avez trouvé un nouveau bouclier ?
Rose fit non de la tête, baissant le menton vers le sol.
— Alors affaire réglée, dit-il en refermant les bras.
Rose resta un moment les yeux fixés au sol, avant de répondre :
— Non, effectivement, je n’ai aucun bouclier à faire former.
Elle tata la poche de son jean. A l’extérieur, le vent se fit plus fort, et la pluie tombait de plus en plus drue, résonnant sur les pavés de l’allée jusqu’à l’étage. Le silence s’était fait dans la pièce, jusqu’à ce que Rose reprenne :
— Mais je n’ai pas personne à former.
Rose sortit une photo de sa poche, et la tendit à Luigi, qui la brandit de loin, essayant d’observer ce qu’il y avait dessus. Il n’eut pas le temps de faire le point qu’Hilda lui arracha des mains, se relevant de toute sa hauteur, elle se mit sous la lumière et tendit la photo pour mieux l’observer, une main tremblante devant la bouche.
— Ce n’est pas possible… ce n’est pas possible…
Rose eut un sourire jusqu’aux oreilles et se leva tranquillement de sa chaise, se dirigeant vers Hilda.
— Ce n’est pas possible… j’étais la dernière de la lignée, il n’y avait personne…
— A croire que non, murmura Rose derrière elle, diffusant son aura de victoire.
Hilda observa longuement la photo, ses yeux sombres brûlant d’une intensité surnaturelle. Ses yeux n’étaient pas noir ; il était rouge, mais d’un rouge si profond qu’on ne le percevait que sous un certain angle.
— Qui est-ce ? demanda Hilda en se retournant vers Rose, les pupilles brûlantes d’envie.
Rose plaça ses deux bras derrière le dos, et vint d’un pas sautillant à côté d’elle.
— C’est Samantha. Tu te rappelles, lors du combat, le chevalier ? C’était elle.
Cette fois-ci, c’est tout le corps d’Hilda qui se mit à trembler, et fébrile, elle due s’assoir sur la première chaise qu’elle trouva. Rose s’accroupit près d’elle.
— Elle… elle est au courant ? Elle a conscience de ce qu’elle est ?
Rose fit non de la tête.
— Non, elle n’a pas conscience d’être pyromancienne. D’ailleurs, personne ne le sait à part nous quatre. Elle-même et les autres prennent ses yeux pour une bizarrerie… qui n’est rien comparée à son armure « magique ». Après (Rose pencha la tête), elle est amnésique.
Hilda se remettait difficilement de ses tremblements.
— Quel âge a-t-elle ?
— Mmm, question difficile, évalua Rose. Elle est restée enterrée sous terre pendant plusieurs siècles, coincée dans son armure. Son corps indique une vingtaine, mais elle a probablement au moins quatre-cents ans de plus.
— Oh ! Tu as une concurrente ! s’amusa Hilda.
Rose hocha la tête.
— Mais en plus d’être pyromancienne elle est… comme toi ?
— Non, c’est son armure qui lui donne ce pouvoir.
— Vraiment ?
Rose hocha la tête.
— Il nous reste bien des mystères à découvrir, je crois.
Hilda approuva. Elle s’affala sur son siège, caressant la photo du bout des doigts. Un coup de tonnerre gronda au loin, et des rafales de vents firent claquer les volets contre le chambranle des fenêtres. Dehors, les trombes de pluies étaient désormais un déluge.
— Dispense-t-elle déjà les effluves ?
— Oui. Je fais passer ça pour des fuites de gaz, mais plus elle s’entraîne, et plus ça empire.
Rose se leva, se plaça derrière Hilda et posa une main sur son épaule, qu’elle serra délicatement.
— Elle est prête Hilda. Elle n’attend que toi.
Hilda scruta la photographie dans les moindres détails. Elle avait espéré toute sa vie trouver quelqu’un comme elle. Qu’elle puisse lui transmettre son savoir, comme Luigi l’avait fait avec Rachid, et quelques autres avant lui. Elle souhaitait tellement ne pas être la dernière, jusqu’à ces dernières années… Et là, au crépuscule de sa vie, son souhait se réalisait enfin !
— Samantha… murmura Hilda.
— Alors ?
Hilda se releva avec grâce et lenteur, et attrapa Rose dans ses bras, l’empoignant avec joie, la photographie toujours à la main.
— J’accepte ! Grand dieu j’accepte !
Avec le sourire, Rose se dégagea doucement de la poigne de sa vieille amie, et sonda son visage. Les yeux d’Hilda brûlaient passionnément.
— Merci… murmura-t-elle.
Rose fit une petite révérence, et se recula de quelques pas pour se retrouver entre Hilda et Luigi. Ce dernier ne masquait pas la joie de voir la flamme vitale de sa femme se raviver ainsi, et le signifia à Rose d’un subtil clin d’œil.
— Il faudra par contre venir jusqu’à l’île au dragon, est ce que cela vous pose un problème ? Bien sûr, on adaptera l’endroit pour vous.
Hilda se tourna vers son mari, les yeux suppliants. Il haussa les épaules, comme s’il devait se forcer.
— Bah, ça sera toujours mieux que cet endroit remplit de gens dont le derrière sert de placard à balais. Bien sûr qu’on y va chérie.
Hilda s’approcha de son mari et l’enlaça tendrement. De ses bras fébrile, ce dernier l’imita. Rose interrompit ce moment en se raclant la gorge.
— Mmm mmm, tu va pouvoir former quelqu’un, encore faut-il que tu saches encore faire du feu !
Hilda se dégagea de son mari, et se retourna, les yeux pleins de défis. Elle s’approcha d’une commode sur lequel étaient disposés des objets des anciennes gloires qu’ils étaient : il y avait le casque de gladiateur et le grand bouclier indestructible de Luigi, et à côté d’une paire de lunette de soudure aux verres semi teintés, Hilda attrapa une sorte de mitaine en cuir disposant d’un mécanisme compliqué en son centre. Elle l’enfila et se plaça au milieu de la pièce, entourée des trois autres. Elle fit un mouvement qui ressemblait vaguement à un claquement de doigt, et une étincelle embrasa une flamme au creux de sa main. Une flamme en nuance de noir, dont l’enveloppe fuligineuse renfermait un cœur gris sombre. La flamme dansa au creux de sa main, pas plus haute qu’une pomme, mais était d’une telle intensité qu’elle réchauffa la pièce en quelques secondes. Rose observa cette flamme comme le trophée d’une victoire.
La tempête s’enragea encore pendant la nuit, provoquant des sommeils épars chez les convives. Au petit matin, un joli ciel bleu avait prit place, le soleil haut miroitant le sol humide dans un calme agréablement retrouvé. Sur les coups de 9h, chaque résident fut invité à venir dans le grand réfectoire pour une annonce exceptionnelle. Le directeur, un homme guindé aux cheveux d’un blanc de neige, s’éleva sur une estrade pour parler à la cinquantaine de résidents.
— Mesdames, Messieurs, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Les flots provoqués par la tempête de cette nuit ont eut raison du pont de fer. La route est coupée temporairement.
Un léger brouhaha s’éleva dans l’atmosphère, circonspect et inquiet.
— Cependant, reprit le directeur en faisant un signe de silence de la main, j’ai eu au téléphone les autorités ce matin ; ils espèrent rétablir la route d’ici quatre jours, au plus tard la semaine prochaine. En attendant, ne vous inquiétez pas, nous avons assez de vivres pour au moins un mois. Sur ce, je vous souhaite tout de même une agréable journée.
La foule se dissipa à la vitesse qui lui incombait (c’est-à-dire, mollement) et quand la salle fut presque vide, Rachid attrapa le fauteuil roulant de son maître, et ils prirent le chemin du retour. Rose et Hilda marchaient tranquillement derrière.
— Eh bien, dit Rose, on dirait que notre séjour avec vous se prolonge un peu. Ça ne vous dérange pas ?
Hilda, les bras derrière le dos, semblait au contraire heureuse.
— Bien sûr que non ! C’est plutôt pour vous. Je pense que vous ne vouliez pas trop vous attarder ici.
— La prochaine étape c’était la Norvège, alors si comme vous dites ça ne sert à rien d’y aller…
Hilda hocha la tête.
— On va pouvoir discuter un peu plus de ce dossier.
— Et de Samantha ?
Hilda sourit.
— Tu me connais trop bien.
— Ta subtilité est en effet devenue trop évidente pour moi.
Le portable de Rose sonna, et elle arrêta sa procession, laissant les autres avancer de quelques mètres. Voyant qu’elle ne les rejoignait pas, Hilda se retourna, toujours les mains derrière le dos, et vit le visage de Rose hébétée.
— Que se passe-t-il ?
Rose releva les yeux de son portable, toute joyeuse.
— Je… je suis marraine !
Hilda pencha la tête, exprimant l’envie d’en savoir plus.
— Elle s’appelle Rose aussi ?
Rose hocha la tête. Sur le grand balcon de l’appartement, elle fumait une cigarette avec Hilda, une sale habitude qu’elles avaient depuis leur première rencontre. Après le repas du midi, Rachid et Luigi s’étaient retirés dans une salle commune de la résidence pour discuter entrainement et tactique. La fin d’après midi s’entamait, séchant de ses rayons traînards les dernières parcelles d’humidité de l’extérieur.
— Oui. Une jeune fille, si belle, si gentille. Elle m’a fait mal eu cœur. J’ai passé un peu de temps avec elle. On dirait qu’elle a apprécié.
Hilda regardait au loin les collines humides qui réfléchissaient ce soleil bien agréable.
— Ta bonté te perdra un de ces jours tu sais. Comment s’appelle l’enfant ?
— Maureen.
— Joli prénom. Bien irlandais.
— Elle est magnifique.
Rose montra la photo de sa nouvelle filleule, et Hilda remarqua l’envie dévorante dans ses yeux.
— Ça t’irait bien.
— De quoi ?
— D’être mère.
Rose devint blanche, et regarda l’horizon, fronçant les sourcils.
— Je ne peux pas, tu le sais.
— Toi non. Mais ta compagne…
Rose pointa son nez au ciel, et souffla.
— Je n’ai pas le loisir d’avoir un enfant.
— Pourquoi ?
— Parce que je dois m’occuper des déviants, coupa Rose.
Hilda soupira. Rose esquivait, elle le savait. La vieille dame posa ses coudes sur la barrière du balcon, inspira une grande bouffée de fumée, et lança un regard sérieux sur Rose.
— Rose, mon cœur, je vais être un peu crue, mais c’est pour ton bien. Tu m’as trouvé quelqu’un à former, et je t’en suis infiniment reconnaissante. J’avais hâte de passer le flambeau.
Hilda marqua une pause, attendant la réaction de son amie, qui ne tarda pas.
— Où veux-tu en venir ? finit pas demander Rose.
— S’occuper des déviants. Moi je suis trop vielle pour ça. Alors que dire de toi ? J’ai hâte de passer le flambeau, alors pourquoi pas toi ?
— Je ne peux pas Hilda !
— Pourquoi ?
— Qui s’en occupera sinon ?
— Mais on s’en fiche ! Je veux dire, soit objective : regarde le nombre que l’on est. Regarde la taille de la potentielle menace qui nous pend au nez. Je sais que l’on a accomplit des miracles dans le passé ; mais je crois que l’on devrait laisser l’âge des suprahumains s’éteindre.
Rose baissa la tête, pesant le poids de ces mots.
— Tu as sans doute raison. Mais je refuse de voir le monde dégénérer, sans rien faire, alors que je respire encore.
Hilda souffla une longue traînée de fumée, qu’elle observa s’envoler dans les airs, avant de reprendre :
— L’immortalité.
Rose baissa les épaules, et lâcha un profond soupir.
— Un vrai fardeau.
Hilda posa une main sur son épaule.
— J’aimerai juste que mon amie pense un peu à elle. Cela fait trop de temps que tu diriges cette entreprise.
Rose respira fortement, s’approcha de la barrière, et regarda le ciel, avant de baisser les yeux vers ses pieds. Sa gorge tremblait, et de fines larmes commencèrent à couler le long de ses joues. Hilda s’approcha d’elle et la prit dans ses bras.
— Ma chérie, qu’est ce qu’il y a ?
Rose enfonça sa tête contre son épaule, et pleura contre sa vieille amie.
— Hilda, j’aimerai tellement être comme toi. Vieillir avec celle que j’aime. Arrêter de voir les gens autour de moi partir au fur et à mesure. J’en ai marre que le temps prennent ceux que j’aime, mais ne me prennent pas moi.
Hilda la serra un peu plus fort contre elle.
— Ça va avec Sophie ?
— C’est formidable. Je ne crois pas avoir autant aimé quelqu’un depuis Margareth. Et cela me fait peur Hilda. Cela me fait peur…
Hilda la berçait doucement dans ses bras.
— Pourquoi ?
— Tu parlais bébé tout à l’heure. Elle veut fonder une famille. Et je ne peux lui apporter ça. Je dois… je dois la laisser partir.
Hilda la serra un peu plus fort contre elle, sifflant pour la réconforter.
— Non Rose, tu ne dois pas. Tu l’aimes. Tu dois penser à elle, mais aussi à toi.
— C’est trop dur.
— Pense à toi, répéta Hilda en la serrant un peu plus fort. Ce n’est pas parce que tu lui survivras que tu dois la perdre maintenant. Patiente un peu. N’utilise pas ton combat comme une excuse pour partir. Passe ce foutu flambeau.
Rose resta quelques temps dans les bras d’Hilda, pesant chaque mot que lui avait dit son amie ; elle n’avait pas vraiment tord. Hilda n’avait jamais tord. Après quelques instants suspendus, elle se dégagea doucement, fit un ou deux pas en arrière, un peu penaude. Regardant toujours ses pieds, elle replaça sa mèche de cheveux, se comportant comme une jeune fille qu’on venait de gronder, avant de se ressaisir et de regarder Hilda droit dans les yeux.
— Je… j’ai peut-être quelqu’un à qui passer le flambeau.
Le visage ridé d’Hilda s’illumina.
— Ah ?
— Quelqu’un qui à cette once d’humanité qui manque cruellement au reste du monde.
— Vraiment ? Plus que Rachid ?
— Je pense oui. Rachid n’est pas un leader.
Hilda posa un doigt sur ses lèvres, avant d’approuver d’un haussement d’épaule.
— Et qui est donc cet élu ?
Rose observa un peu les collines, leurs verdures apportant un réconfort ineffable.
— Edmond. Celui que j’ai pris sous mon aile l’année dernière. C’est lui qui envoie des ondes.
— Météore ?
— Oui, le même type que Jeanne je pense. C’est la première fois que je vois un don comme celui-là. Mais ces météores sont rares.
Des personnes dehors sortaient dans le jardin, profitant du beau temps d’après la tempête. Certain firent un coucou à Hilda qui leur répondit.
— Et qu’est ce qui te fait dire qu’il serait à la hauteur ?
— Il a… Rose s’arrêta, se remémorant la scène de sa rencontre, fixant l’horizon. « Il était prêt à sacrifier sa personne pour sauver une inconnue. Enfin, il s’est battu à un contre trois alors qu’il avait vraiment peu de chance de s’en sortir en fait.
— Ou il est stupide.
— C’est ce que j’ai pensé au début. (Elle ricana). Il l’est sûrement un peu mais…
Rose s’arrêta encore, pencha un peu la tête sur la côté, essayant de se rappeler la scène dans le moindre détail, avant de se retourner vers Hilda.
— Bon pour que tu comprennes, je vais reprendre depuis le début.
Hilda attrapa une chaise proche d’elle, et s’assit en face de Rose, tout ouïe. Rose prit une autre chaise pour être à sa hauteur.
— Un soir de surveillance, alors que je guettais sur un toit, j’ai entendu les appels à l’aide d’une jeune fille. Trois enfoirés qui voulaient… tu vois quoi (elle fit un geste de la main). Enfin, les mœurs ne changent pas.
Hilda haussa un sourcil, affirmant ses dires.
« La pauvre était acculée, et j’étais prête à intervenir de ma hauteur. Et puis ce type, Edmond, est arrivé tout penaud, avec son pauvre tuyau et son casque jaune. Je me suis dis « aucune chance », et je m’apprêtais à venir l’aider. Je ne sais pas ce qui m’a prit, mais j’ai hésité une seconde, et je l’ai laissé se débrouiller. Il n’était pas très doué, mais guidé par l’obligation de sauver cette jeune fille des griffes de ces enc… (Hilda grimaça en entendant l’insulte). Et il a réussi le bougre, avec une détermination hors du commun. Il a salement mangé, mais il a réussi. Il s’est battu comme un chien pour sauver une parfaite inconnue, de façon totalement désintéressée.
— Il t’a redonné un peu foi en l’humanité où je me trompe ? l’asticota Hilda.
Rose se surprit à sourire.
— Non, je crois que tu as raison. Il est ma lueur d’espoir.
Hilda posa une main sur ses genoux, et lui lança une mimique d’approbation.
— Et la jeune fille alors, qu’est elle devenue ?
Les pommettes de Rose prirent une teinte écarlate.
— Bah euh… il l’a ramené chez elle et puis… ils sont ensembles maintenant.
Hilda éclata d’un rire communicatif.
— « Totalement désintéressée » ! Effectivement je vois ça !
— Oh ça va, ce n’était pas vraiment prévu ! se défendit Rose, alors qu’Hilda riait aux éclats. Et puis ils sont bien tous les deux. Ils s’occupent l’un de l’autre.
Hilda eut une toux sonore, qui fit résonner ses poumons. Elle se remit peu à peu de son fou-rire.
— Je te charrie, je te charrie, dit-elle en tapotant la cuisse de Rose. Tu as l’air plutôt confiante. C’est rare de te voir comme ça. Et c’est bon signe.
Rose fit un oui d’approbation.
— Et Samantha alors ? continua Hilda qui se leva et se mit à inspecter les ficus et les bégonias de son balcon. La forte pluie en avait amoché plus d’un.
— C’est une crème. Elle est naïve mais curieuse ; elle apprend vraiment vite. A côté de ça, quand elle enfile son armure… la vivacité, la puissance qu’elle dégage. Une vraie force de la nature. Enfin, même sans armure, elle en est une.
Rose se leva, et regarda Hilda inspecter ses fleurs, les mains dans le dos.
— Ce sera une très bonne élève.
— J’en suis ravie. Je…
La porte d’entrée de l’appartement s’ouvrit avec fracas, les surprenants toutes les deux. Rachid entra, en nage, préoccupé. Il les chercha pendant un moment avant de les trouver sur le balcon.
— Rose ! Il faut que tu viennes voir !
A peine avait-il dit cela qu’il se dirigea dans le salon et chercha la télécommande. Rose regarda Hilda qui demanda « où est Luigi », ce à quoi Rose répondu en haussant les épaules, et elles se dirigèrent ensemble vers le salon. Rachid était agité, nerveux. Il appuya frénétiquement sur les touches de la télécommande.
— Qu’est ce qui se passe à la fin ? demanda Rose.
La télévision s’alluma enfin, et Rachid mit une chaine d’information.
— Il y a une attaque sur Caen !
Le sang de Rose se glaça. Ce n’était pas possible. Pas aussi tôt ! Les images arrivèrent enfin, diffusant en direct une prise d’otage. Rose plissa les yeux pour mieux observer quand son téléphone sonna.
C’était Edmond.