Le jour s’était levé. Ni Mélusine ni Ephrem, ni même Selfyn n’avaient réussi à fermer l’œil de toute la nuit. Ils étaient restés dans leur chambre, à se morfondre, à s’inquiéter, à réfléchir… et à pleurer.
Ephrem fut le premier à bouger. Il s’était décider à préparer ses affaires, lentement, en silence.
Quand enfin il arriva dans le petit salon, Selfyn et Mélusine l’y attendaient. Cette dernière se précipita dans les bras de son frère et le supplia de ne pas partir. Ne sachant quoi dire, le jeune homme se contenta de passer une main dans les longs cheveux blonds de sa sœur pour la calmer.
— Mélusine, murmura Selfyn d’une voix caverneuse, lointaine, j’ai des choses à dire à Ephrem avant qu’il ne parte. C’est très important, insista-t-il en voyant que sa fille ne bougeait pas.
À contrecœur elle lâcha Ephrem, qui s’avança en direction de son père adoptif.
« As-tu toujours l’intention de partir à la recherche de tes parents ? voulut savoir le vieux sage. C’est toujours ce que tu souhaites faire, n’est-ce pas ?
— Papa, je n’ai pas changé d’avis, dit-il en pensant avec peine qu’il n’aurait bientôt plus l’occasion de l’appeler ainsi.
— Bien ! répondit simplement Selfyn. Je suis navré d’aborder ce sujet, mais nous devons garder en tête la possibilité que tes parents ne soient plus de ce monde. Alors c’est à moi, continua l’Elfe, que revient la lourde tâche de te parler de ta naissance.
— Sa naissance ! s’exclama Mélusine dont les yeux bouffis et injectaient de sang s’écarquillèrent.
— Cela concerne la promesse que j’ai faite à tes parents, admit Selfyn. Ils m’avaient supplié de leur laisser le privilège de te révéler certaines vérités eux-mêmes.
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— Qu’avait ma naissance de si particulier pour que mes parents en fassent un mystère ? s’inquiéta Ephrem.
Selfyn aurait préféré garder ce secret pour lui. Pour le moment en tout cas, car il savait que ce qu’il était sur le point de révéler à Ephrem allait lui causer encore plus de souffrance, et le faire s’interroger davantage.
— Le jour où tes parents sont venus à Yggdol, se remémora Selfyn, ils nous ont expliqué les raisons qui les poussaient à vouloir laisser leur unique enfant à un peuple différent du leur. Comme tu le sais à présent, continua Selfyn en regardant Ephrem, ils étaient d’un âge très avancé. Mais ce qui a surtout motivé leur geste, c’est le fait plutôt inhabituel d’avoir un enfant ayant des pouvoirs magiques. Malgré notre scepticisme, nous devions nous rendre à l’évidence : tes parents ne mentaient pas. Mais dès l’instant où il ne nous fut plus permis de douter de tes pouvoirs, des questions se posaient !
— Comme d’où venaient mes pouvoirs par exemple ? réfléchissait Ephrem à haute voix, impatient d’apprendre enfin pourquoi il était différent des autres Humains.
La curiosité avait momentanément fait oublier ses malheurs à Mélusine, qui s’était assise pour écouter les révélations que son père s’apprêtait à faire. Même Ephrem, dont le cœur battait si fort qu’il sentait le sang circuler dans ses veines, avait préférait s’assoir pour ne pas risquer de s’évanouir.
Un nouveau silence, long et teinté de mystère, s’était installé. Mélusine et Ephrem étaient suspendus aux lèvres de leur père, attendant avec impatience de connaitre la suite de l’histoire de la naissance d’Ephrem.
— Trud et Joch se connaissaient depuis leur plus tendre enfance, raconta Selfyn. Ils avaient grandi côte à côte, partagé les mêmes journées de labeur, traversé peines et joies main dans la main, sans jamais se quitter. Chaque jour, leurs chemins se croisaient, jusqu’à ce qu’il devienne évident qu’ils ne feraient plus qu’un. Alors, naturellement, ils se sont mariés et ont vécus ensemble, Bas du formulaireheureux pendant longtemps, jusqu’à ce qu’ils se rendent compte qu’ils leur manquaient quelque chose : un enfant ! Ils ne possédaient ni bien, ni richesse à léguer, mais ils avaient de l’amour à revendre, et de cela leur futur enfant n’en manquerait pas. La décision était prise, ils allaient essayer de concevoir la vie ! Mais jour après jour, semaine après semaine, mois après mois et finalement années après années, rien n’arrivait. Les voisins et les enfants des voisins devenaient parents à leur tour, mais pour eux, rien n’y faisait. Au bout d’un certain temps, ils durent s’efforcer à voir la vérité en face : ils étaient devenus trop âgés pour espérer avoir un enfant ! Leurs dieux n’avaient pas écouté leurs prières, et ils retourneraient à Origine avec des regrets.
Mélusine s’essuya une larme, tandis qu’Ephrem, penché en avant, était accroché aux lèvres de son père.
— Leur déception, continua le vieux sage, et leur chagrin, les avaient changés. Les rendant moins joyeux et plus renfermés. Les voisins, inquiets, leur rendaient parfois visite. Mais rapidement, ils sont passés à autre chose. Leur temps étant essentiellement consacré à de durs labeurs, seul moyen qu’ils avaient à leur disposition pour avoir de quoi se nourrir.
Selfyn prit une petite pause pour tirer sur sa tigerette, et précisa que cette partie, racontée par la mère d’Ephrem, était connue également par les autres membres du Conseil.
— Un soir, reprit-il, alors qu’ils dormaient, Trud s’était réveillé en sursaut. Elle entendait, d’après ses dires, les pleurs d’un bébé.
— Il n’est pas né comme ça tout d’un coup quand même ? intervint Mélusine interloquée. Elle n’avait pas remarqué qu’elle était enceinte ?!
— Tu te trompes Mélusine, Ephrem n’est pas né de cette façon.
— Alors comment ? s’impatienta le jeune homme.
— J’y viens, répondit Selfyn en se penchant lui aussi en avant. Comme je le disais, Trud avait été réveillé par les pleures d’un bébé. Elle chercha d’abord dans le lit, mais il n’y avait rien. Elle chercha ensuite dans la maison, et encore une fois rien. Joch, qui avait un sommeil lourd, continuait à dormir. Quant à Trud, croyant finalement avoir rêvé, remontait déjà dans son lit, quand une nouvelle fois, elle entendit clairement les pleures d’un bébé. Cette fois elle réveilla son mari, qui l’assura qu’elle avait fait un mauvais rêve. S’en suivit une discussion dont je vous passerai les détails. Ce que nous devons retenir, c’est que le mari finit par suivre sa femme à l’extérieur de la maison, à la recherche d’un bébé.
Ephrem s’était penché au maximum, au point qu’un faux mouvement l’aurait sûrement fait basculer. Selfyn, de son côté, ne marquait plus aucune pause. Il déroulait son récit d’une voix égale, répétant presque mot pour mot ce que Trud lui avait confié autrefois.
— Pour faire plaisir à sa femme plus que par conviction, Joch continuait à chercher un bébé dans les parages. Quand il en eut assez, il se tourna vers sa femme pour la ramener chez eux, mais elle était partie en direction du fleuve Basiliceus, qui se trouve à l’ouest du village de Luctès. Quand il la rattrapa, il fut étonné d’entendre lui aussi les pleures d’un bébé.
Ephrem, dont le cœur battait de plus en plus vite, craignait de comprendre. Il était sans doute un bébé abandonné.
— Encore d’autre parent à retrouver, se dit-il en masquant sa peine.
— Alors, poursuivit Selfyn, il la laissa continuer ses recherches en la suivant de très près. Et c’est là, au bord du fleuve, qu’elle vit enfin ce qu’elle cherchait.
— C’est scandaleux ! s’emporta Mélusine en se levant. Quelqu’un aurait abandonné un bébé au bord d’un fleuve ? Les Humains sont vraiment horribles !
— Je n’ai pas terminé Mélusine ! gronda Selfyn. Oui, Trud et Joch ont trouvé un enfant au bord d’un fleuve. Pour te dire la vérité Ephrem, ils pensaient que tu étais un cadeau offert par une divinité !
— Comment ça, rétorqua Mélusine avec un sourire moqueur, un cadeau offert par une divinité ?
— Voilà sans aucun doute le moment le plus étrange de l’histoire, continua Selfyn sans relever les railleries de sa fille. La raison pour laquelle il pense que leur trésor est un fruit divin : Le nourrisson était emmailloté dans une épaisse brume de lumière ! Une brume aussi épaisse que de la laine de mouton, qui l’enveloppait comme de solides langes, et qui laissait s’échapper de la lumière.