Après la révélation de Selfyn sur les circonstances de sa lumineuse apparition, Ephrem se sentait encore plus perdu que jamais. Au lieu d’éclaircir les points sur sa naissance, sur ses parents, et sur lui-même, Selfyn lui révélait qu’en réalité, personne ne savait d’où il venait. Trud ne l’a pas mis au monde grâce à un quelconque miracle, elle l’avait juste trouvé dans la nature !
Mélusine l’observait, inquiète. Elle le sentait sur le point de s’effondrer.
— Ephrem ? appela-t-elle doucement, est-ce que ça va ?
— Pas vraiment, répondit-il d’une voix aiguë et enrouée. Après tout, je découvre que je suis seul !
— Tu n’es pas seul Ephrem, s’empressa de corriger Selfyn. Tu ne l’as jamais été et tu ne le seras jamais, crois-moi.
— Vraiment ? murmura-t-il avec un petit rire ironique. Admettons. Je me retrouve avec plus de questions qu’avant : les deux personnes qui m’ont élevé au début de ma vie, et que je pensais être mes parents il y a encore quinze minutes, que sont-ils pour moi dorénavant ? Mes parents sont peut-être des Dieux ? plaisantât-il. Une divinité, ayant pitié de pauvres Humains m’aurait déposé sur leur chemin ? Pourquoi ? Est-ce pour cette raison que j’ai des pouvoirs ? Je devrais être le plus heureux des hommes ! J’ai des parents Humains, des parents Elfes, et des parents divins.
Selfyn et Mélusine s’échangeaient des regards inquiets, désarçonnés par les paroles d’Ephrem.
— Ridicule ! siffla le jeune Humain. Qu’est-ce que je suis censé faire maintenant ? Demanda-t-il, le visage enfoui dans ses mains.
Selfyn fit disparaître sa tigerette quelque part dans ses vêtements.
— Je suis désolé Ephrem, dit-il honnêtement, je n’ai aucune réponse à te donner. Mais je suis sûr d’une chose, tu ne trouveras pas la réponse ici.
Mélusine et Ephrem levèrent la tête vers leur père en même temps.
— Non papa, gémit Mélusine, qui avait compris. Pas toi aussi !
— Ce qui fait avancer un homme, assura Selfyn, c’est sa détermination à suivre un but. Tu t’étais fixé un but, je crois ! Je pense que tu devrais aller jusqu’au bout.
— Papa ! pleura Mélusine.
— Ma fille, tu es intelligente. Je suis sûr que tu comprends parfaitement bien qu’Ephrem ne peut pas rester. Il a des choses à faire. Nous ne pouvons et nous ne devons pas l’empêcher de grandir ! Je t’assure que pour moi aussi c’est difficile. Ephrem doit quitter Yggdol. Pas parce qu’il n’est pas un Elfe. Pas parce qu’il n’est pas de notre famille. Mais parce qu’il a une mission à accomplir ! Et aimer, c’est aussi laisser partir ! Conclus le vieux sage.
Mélusine réfléchissait à ce que son père venait de lui dire. Elle lui avait toujours fait confiance, et savait qu’il agissait toujours pour le bien de tous. Elle se releva, observa son père puis Ephrem dans les yeux, et fini par dire :
— S’il doit retrouver ses parents, il doit au moins savoir à quoi ils ressemblent, s’exclama la jeune Elfe.
Mélusine commençait à retirer ses gants, quand son père lui demanda ce qu’elle s’apprêtait à faire.
— Je vais aider mon frère, dit-elle d’un air résolu. Je vais chercher les visages de ses parents dans son passé, puis je les lui dessinerai afin qu’il sache à quoi ils ressemblent. Ainsi, sa tâche sera plus simple.
— Ça ne sera pas nécessaire Mélusine, dit Selfyn en lui tenant le bras. J’ai une solution beaucoup plus simple et élégante. Mais j’apprécie le geste, Ephrem aussi j’en suis convaincu.
La jeune Elfe vit effectivement qu’Ephrem avait retrouvait un semblant de sourire. Certes timide, mais sourire quand même ! Il était en fait ému devant l’initiative de Mélusine. Alors qu’elle s’était battue bec et ongles pour ne plus jamais être le témoin du passé des autres, elle avait d’elle-même proposé de l’aider, et pour Ephrem, cela était un merveilleux cadeau.
Il continuait d’observer et d’écouter son père et sa sœur du monde Elfe, sentant son courage lui revenir peu à peu.
— Que proposes-tu ? interrogea Mélusine, en remontant ses lunettes.
— Attendez-moi ici, leur demanda Selfyn en disparaissant dans sa chambre d’un pas vif et gracieux.
Mélusine et Ephrem n’eurent pas à attendre longtemps. Selfyn les avait de nouveau rejoints, tenant dans ses mains une sorte de petit médaillon d’un beau violet améthyste. Il leva haut la main qui tenait le petit objet pour que Mélusine et Ephrem puissent le voir correctement.
— Cet objet a été créé par Enithya, commenta-t-il.
— Maman ! s’étonna Mélusine.
— En effet, confirma Selfyn. Comme tu le sais, elle était un véritable génie ! Elle créait des objets de toute sorte, et même des formules magiques. C’est grâce à elle par exemple que les Elfes n’ont plus à porter de lunettes, dit-il en faisant un clin d’œil à Mélusine, qui redressa aussitôt les siennes sur son nez. D’autant plus que celles-là ne sont pas à ta taille !
— Je sais, dit-elle en faignant l’exaspération, mais elle me rappelle maman.
— Ce petit objet que je tiens dans le creux de ma main est donc l’une de ses nombreuses créations.
— A quoi sert-il ? demanda Ephrem dont la curiosité avait été piquée.
— Ce petit objet est capable de capter les souvenirs d’une personne, expliqua Selfyn, et de les projeter sur l’une de ses surfaces réfléchissantes.
— C’est curieux, commenta Ephrem, mais on ne dirait pas un peu ce que Mélusine fait ?
— Oui, répondit Selfyn hésitant, un peu. Tout comme Mélusine, Enithya était capable de plonger dans le passé d’une personne ou d’un objet grâce au toucher. Ce médaillon ne voyage pas dans le passé, mais il reçoit et affiche les souvenirs qu’on lui déverse. C’est un peu comme une fenêtre sur nos souvenirs. Mais il a une particularité : il ne nous montre que des visages !
— Ha ! s’écria Mélusine tout excitée, j’ai compris ! Comme tu as déjà rencontré les parents d’Ephrem, tu vas utiliser le médaillon de maman pour nous montrer leur visage !
— C’est bien mon intention, approuva Selfyn avec un sourire ravi.
Le visage du vieux sage se durcit un instant, le temps nécessaire pour se concentrer et retrouver les visages qu’il recherchait dans sa mémoire. Mélusine et Ephrem, qui avaient cessé de respirer, fixaient intensément le médaillon ouvert dans la main de leur père, et attendaient fébrilement que des visages s’y dessinent dans chaque partie. Des formes commençaient à se dessiner : dans la partie de gauche, on pouvait voir le visage d’un homme, dont les quelques rares cheveux d’un blanc terne étaient éparpillés sur le sommet du crâne. Le front, tombant et ridé, lui donnait un air déçu. Ses lèvres, épaisses, ressemblaient à des petites saucisses. Trud, quant à elle, avait gardé les traces d’une beauté depuis longtemps disparue. Son visage rond et son nez fin étaient assez proches de ceux d’Ephrem. On aurait en effet pu les faire passer pour une mère et son fils !
En revoyant le visage de ses premiers parents pour la première fois depuis très longtemps, un sentiment de bonheur lointain, appartenant presque à un autre monde, gagna Ephrem. Et le visage de celui-ci s’illumina.
Selfyn, qui n’avait pas souvent eu l’occasion de voir cette expression sur le visage de son fils, la grava profondément dans sa mémoire.
— Tiens, dis Selfyn en tendant le médaillon vers Ephrem, il est à toi !
— Quoi ! s’exclama Ephrem. À moi ?
— Prends-le. Enithya l’avait fabriqué pour que je puisse voir son visage à loisir. Pour quand elle ne serait plus là. Je pensais l’offrir un jour à Mélusine, mais si tu es d’accord, demanda-t-il en la regardant, je préfère que ce soit Ephrem qui l’ait. De cette façon, il pourra revoir le visage de ses parents aussi souvent qu’il le souhaite, et même les montrer à autrui, ce qui te sera utile dans tes recherches.
— En plus, ajouta Mélusine, tu pourras nous voir chaque fois que tu en auras envie. De cette façon tu ne nous oublieras jamais.
Ephrem accepta volontiers le médaillon d’Enithya. Selfyn avait raison, il lui serait sûrement d’une grande aide.
— Avant que tu partes, je voudrais t’aider davantage.
— Tu en as déjà beaucoup fait papa, dit Ephrem reconnaissant.
— Oui, mais cet homme pourra sans doute en faire beaucoup plus, je pense.
— De quel homme tu parles papa ? demanda Mélusine.
— D’un Humain dont ta mère m’a parlé il y a très longtemps. Il s’appelle Mellas.
— Du royaume de Lognis ! s’exclama Mélusine surprise.
Maintenant que Mélusine le disait, Ephrem se rappelait avoir entendu ce nom quelque part sur le chemin qui les menait vers Luctès.
— Les personnes qui parlaient de lui l’appelaient le roi immortel, se rappela-t-il.
— Effectivement, acquiesça Selfyn, c’est un Humain immortel. Mais ce n’est pas le plus important. Ce qui compte à l’instant, c’est qu’il soit…, une connaissance dirons-nous. Dis-lui que tu viens de ma part, il sera obligé de t’aider.
Mélusine et Ephrem répondirent en même temps :
— Pourquoi ? demanda l’une.
— D’accord ! acquiesça l’autre.
La question de Mélusine ne fut jamais entendue !
Après avoir remercié son père et sa sœur une énième fois, Ephrem décida qu’il était temps de partir. Quant à Mélusine, elle faisait des efforts pour se contrôler.
Selfyn, qui avait déjà tout dit, ne trouva rien d’autre à rajouter. Pour sa part, Ephrem était envahi par des émotions contradictoires, comme l’angoisse, la tristesse, l’excitation, la détermination… Il partit donc sans un regard en arrière, car il était parfaitement concentré sur l’avenir.