JULES.
J’suis derrière lui. L’idéelle. C’est un homme d’taille moyenne, à l’allure majesté, qui marche vraiment pressé, très l’essouffle, sans courir toutefois. L’y boiti-boite un chouilla, tenant une longue canne noire-lustrée. Sa main la serre très compresse, l’autre ça os-craque les doigts quand il les remue. Ses habits : hypra la richesse. Redingote pis pantalon blancs qui contrastent avec sa peau foncée. Ses chaussures brillantent extra, à cause que l’milord a ciré ses souliers jusqu’à qu’ils soient des miroirs sombres. Gné, l’y restent moches ses godasses. J’m’accélère, l’dépasse pour voir sa figure. Et là : ça l’est un vieillard. Mais un vieillard qui s’entretient. Maintien fort du buste. Belle ch’velure grise qui frise, barbe claire jolie-taillée. Des grosses et rectanglo lunettes, une cravate rouge rubis qui bombe comme ça. Et tout l’ensemble, ça m’fait penser à un styliste d’mode qui est bien fier d’sa mode alors que c’est grave pétard. Beh bref, toujours l’type s’avance impérieux, sa respir’ sifflant par-dessus les vagues et les mouettes, ses jambes fouettant l’sable jaune. Ses yeux, noirs derrière ses verres, sont profondés à la détermination. Glacis à la sombrité.
Tout à k’, Océanette est là. Elle m’a suivie, aussi alarm’follée qu’avant. Ses fluvio-peau irisent particulio forts, surtout à ses joues, comme si l’bleu d’ses blyeux glissaient une tristesse des plus féroces. Ses ch’veux tombent plats, coulent extra longs jusqu’au postère, bougés par ses bras qui violentent dans les airs en disant : non ! Arrête-toi là ! C’est alors que j’remarque, à sa poitrine r’couverte par son habit vert d’militaire, une grande tache sombre. Tout s’congèle dans mes veines. J’ouvre grando les yeux. J’la fixe la bouche entrouverte, un virul’ mal d’tête qui crie soudain. Sans l’vouloir, j’ralentis un peu, d’plus en plus effarée d’voir la macule d’sang grossir sans qu’Océanette s’en rende compte, trop concentrée qu’elle est à virevolter ses mains, m’empêcher d’continuer. Voir la suite. Faut que j’la vois. Troublée, j’courotte, rattrape l’friqué-redingote tout en m’demandant : est-ce qu’un Anima ça peut crever ? Crever comme ça, j’dis ? Crevé au coeur ? Pis d’abord pourquoi qu’on la crèverait au coeur, Océanette ? Hein ?¡¡ Est-ce qu’on vient d’la blesser pis j’ai rien vu ¿¿?¡
On arrive sur une place publique. Vide. Personne s’balade par ici. Aucune voiture autour. Vide ou presque. Des silhouettes-idéelles, y’en a trois autres d’vant la haute fontaine là-bas qui clopiclope et qui est peinte en plein d’couleurs différentes. On s’arrête. L’une d’elle, c’est… c’est… Océane ! Abrupte, j’tourne la tête à ma gauche. La vraie est toujours là, enfin Océanette quoi. Elle a arrêté de s’agiter comme avant. Droite, ses deux bras qui molli-pendent, elle observe la scène toute déchirée, un rayon d’lune fiché dans ses blyeux profonds. Tristotrouille. La tache à sa poitrine, elle s’étend bruno-douce. Et moi, la gorge étroite, j’en sais rien de c’qui s’passe mais j’veux pas voir ça. Elle qui dépérit. Sa clams’agonie. Alors j’reporte mon attention devant, mes doigts qui s’croute-grattent entre eux.
Bien sûr, j’peux pas en être sûre, mais j’ai assez l’intuition que c’est une scène du passé qui s’joue là. Une idéelle-souvenir qui s’terrait dans la photo et qui vive-brillante maintenant d’vant moi.
Il y a la plage d’or qui a recouvert tout le square. Et les vagues bouffant les rochers non loin, s’écrasant contre l’littoral. Le vent la mer s’lèvent ensemble.
frrr-frrr-frrr-floc-vlooooouff-frrr-fffr
Il y avait le m’sieur cousu à la pompesse qui s’avançait altier vers la Fontaine, ses pieds traçant le sable luminé. Il essoufflait, un lampadaire grésille.
sss-fff-sss-fff-grk-fff-grrk
Il y avait Océane Libelle. Sa face c’est aucune ruisselle sur sa peau. Juste elle et une apparence de bobohème : longue jupe verte, crop-top bleu, bracelets, tatoovagues, ’tits traits peinturlurés à ses joues. Forte elle et des blessures de guerre : ecchymoses, estafilades, large plaie sur la mâchoire. Grande elle et une expression assassine : elle fusille d’ses oeils ‘sieur moche-stylé qui s’avance. Elle tient deux enfants par la main qui doivent avoir une dizaine d’années.
Laisse-moi ! Lâche-moi tu m’fais mal et t’as pas l’droit d’me garder comme ça !
Il y avait blondinette éflanquée. Noée Elévie. Dreadlocks, atébas, perles. Des pommettes dessine-colorées. Une robe violette déchirée. Vive elle et une décharge dans son corps-mouvement : elle veut décamper, essayant de s’dégager de la poigne d’sa mère. Ses pieds bradzinguent le sable à l’valser comme ça.
Toi t’es plus ma maman, alors laisse-moi retourner chez Jawad !
Il y avait un minus d’garçon engourdi. Une tunique d’pirate, un bandana bleu à ses ch’veux sombrouillés, une peau bronzée, des traits fins. Un cache-oeil, l’autre l’iris était chaude, terriblo chaude : elle bouillait un furiorage lorsqu’il a enlevé sa main d’celle d’Océane et qu’il a tiré un couteau d’sa poche. L’a planté fort ses pieds dans l’sable pour caler un extra bon appui. Et alors, sorti du fond d’la nuit, tout pendant qu’il observait costumo-blanc s’approcher, un sourire d’excitation a pendu à ses lèvres, combiné à une flammée-joie dans son r’gard ambré. Son expression m’a immédiat’ fiché la flipouille à cause que c’était pas normal, ça : vouloir lacérer-peau comme si ça l’était qu’un jeu. L’y faisait jongler son poignard d’une main à l’autre, tout au ravissement, à s’demander c’qu’on lui avait fiché dans la tête pour qu’il empoigne la violence si riant et si facile.
Léon ? Léon toi tu m’aides, dis ?
Soudain, Océane a violento’serré la main d’sa fille au point d’la faire taire et grimaçouiller. Sans un r’gard pour les deux mioches, elle a dit, et c’était la première fois que j’entendais Océane – c’était une voix caverneuse, impérieuse, brutale, une voix qui m’a stupeurée – elle a grondé : Léon, emmène Noée loin d’ici. Rentrez à la maison. Sauf qu’évid’ ça a protesté, entre Noée qui voulait fuir et Léon qui voulait rester s’battre. Océane, le buste tendu, les a alors dévisagés avec une telle houle dans ses lugu’blyeux qu’ils se sont aussitôt tus et figés. Noée lividait la surprise tandis que Léon s’emparait de la main de Noée avec furage, sa face ayant viré, le temps d’un battement d’paupières, à une noire aigreur qui tranchait avec sa claire euphorie d’avant. Sa bouche s’plie dans une grimace amère, avant qu’il crache aux pieds d’Océane. Il lui obéit toutefois et tire Noée là-bas, malgré blondinette qui criarde-nasillait non, non, non ! Laissez-moi retourner près de Jawad !
L’beau-vieux est là. Stylax dans son costume blanc, sa cravate rouge qui lustre-soie dans la funesto nuit. L’y s’appuie lourdement sur sa canne, récupère son souffle, lisse les plis d’son pantalon, s’redresse alors et vibre avec solennité :
— En toute franchise, je vous pensais morte depuis plusieurs années.
J’sursaute. Est-ce que ce serait pas la voix, massive et puissante, que j’avais une fois entendue quand un m’sieur apprenait Noée à s’idéeller ? Une voix d’stentor tout là ? Qui vient du fond du bedon et qui fait comme un chanteur d’opéra ? Et Océane qui rocaille :
— Eh bien, je suis dans le regret de vous annoncer qu’il faut plus qu’un coup de poignard pour me tuer.
— Mais ça n’a rien d’irrémédiable. Auriez-vous à présent l’amabilité de vous écarter ? Ce n’est pas vous que je veux.
— Je ne vous laisserai pas passer, Jawad. Trois ans durant lesquels vous avez maintenu ma fille prisonnière, mais aujourd’hui, il est temps que je récupère ce que vous m’avez volé.
Les sourcils du richto-luxure s’lèvent d’étonnement désabusé :
— Prisonnière ? Elle a toujours été libre de ses mouvements et n’a jamais manqué de rien. Nous l’avons élevée dans l’abondance et éduquée par nos plus fins précepteurs. Je ne vois pas en quoi cette vie est celle d’une « prisonnière ». Elle était heureuse et sera de toute façon mieux que…
Une moue d’dégoût tortille ses rides lorsqu’il désigne Océane avec sa canne.
— … que chez vous, complète-t-il. Dans votre monde de dégénérés.
— Dans un monde libre, l’corrige aussitôt Océane. Nous la ramenons dans un monde libre où personne n’est contraint de se conformer à de stupides idéaux.
Son soupir. Au m’sieur chicot. Mais c’tait un soupir vraiment lourd, comme s’il était extra las et qu’Océane, dans le fond, n’était qu’une vulgiot mouche : sacrém’ insignifiante, sans menace aucune, mais bordel c’qu’elle l’emmouscaille.
— Voyons, Océane… Chez vous aussi, il y a conformité. Vouloir s’affranchir de tout cadre idéologique est une idéologie en elle-même. Le Pandémonium, de ce point de vue-là, n’est pas différent de l’Eurythmie : il assujettit les gens par ses dogmes, et en l’occurrence, il les assujettit à la liberté.
Elle gravèle un rire en secouant sa tête et vaguant ses longs ch’veux noirs. S’moque :
— Exiger des gens qu’ils soient libres, comme c’est opprimant… ! Est-ce que vous vous rendez compte de la contradiction de c’que vous dites ?
— Et vous, de ce que vous faites au sein du Pandémonium ?
— Nous ne faisons rien de contradictoire.
— Travestir le vivème des gens est pourtant une bien drôle manière de libérer le monde.
Là, l’visage d’Océane vacille. Ses lèvres croulent, son oeil droit tressaute, tandis qu’les ridulettes d’Jawad r’muent soudain à la fierté et qu’il s’remet à avancer, menacément, l’pas mesuré. Sa canne qui tape-tape, l’y assène encore :
— Peut-être est-ce même encore plus contradictoire de considérer l’homme irréductible, penser qu’il peut endosser toutes les identités, et pourtant le réduire à une unique abstraction lorsque vous créez des Absolus.
Toujours plus pâlissonne, Océane r’culette. Toujours plus galvanis’, l’ploutocrate s’approche. L’y continuait en parlant vibro-grave et profondé’ :
— Eh oui, nous avons fini par comprendre comment vous arrivez à gorger le Pandémonium avec une vitesse des plus stupéfiantes. C’est grâce à Noée, n’est-ce pas ? Noée, Jules et Léon qui parviennent à se rendre idéellique.
— Vous n’savez rien, crache Océane, plus pour s’convaincre elle-même que l’Jawad.
— Détrompez-vous, j’ai fini par recoller les morceaux…
Il andante en avant et Océane serre les poings, soufflant fort et hostile, ne reculant soudain plus. Déterminée à l’affronter et, coûte que coûte, garder la face. Ses pieds : vigour’ ancrés dans la plage.
— Pour torturer l’esprit d’une personne et le faire adhérer à une cause, il suffit souvent d’une pensée, parfois juste d’un mot, n’est-ce pas ? continue Jawad. Ce n’est pas pour rien si vous avez écrit autant de manifestes ou organisé autant d’allocutions publiques. Mais tout le monde n’y est pas sensible, si bien que vous vous êtes dit, avec Céleste : et si vous faufiliez de force une idéelle dans la tête des gens ? Une idéelle qui les tourmenterait de l’intérieur jusqu’à les faire embrasser une autre philoso-vie et rejoindre vos rangs ?
Ses lèvres à Jawad étirent la suffisance lorsqu’il s’plante d’vant Océane, les deux mains posées sur sa raffino canne, et qu’il continue, la voix souple :
— Mais vouloir dominer par des modiques idéelles, ce n’était pas vraiment concluant… ou bien ? À peine projetée dans un autre esprit que l’idéelle s’évanouissait, rejetée. Alors, vous avez cherché une autre solution. Vous avez trouvé une voie au sein du Flux, « la Voie du Fléau », qui vous a permis d’animer votre vivème, utiliser votre Anima afin qu’il glisse dans la conscience des gens et torde leur identité. C’était mieux, nettement plus efficace ! Mais là aussi, il y avait quelques ratés. Les Animas restent des êtres autonomes et indépendants de nous, bien qu’ils incarnent ce que nous sommes. Des êtres dont les buts et motivations divergent parfois des nôtres, surtout lorsque nous renions une part de nous-même. Le tien, par exemple, n’a jamais été vraiment fiable, je me trompe ?
— Le mien m’obéit au pied de la lettre, tranche Océane, les blyeux houleux.
Un pauv’ sourire d’pitié s’est flotté au visage d’viléno-dandy quand l’a soufflé, avec presque tendresse :
— Tout le monde n’arrive pas à affronter son versant le plus sombre ni ce qui lui est le plus douloureux. Ça n’a rien d’inusuel et il ne faut pas en avoir honte, mon amie.
Les doigts d’Océane l’y craquaient lorsqu’elle les r’muait, fermait en poings, rouvrait, r’muait, fermait en poings, à l’infini de c’qu’elle était sur le point d’jumper et d’étriper Jawad. Bien plus giga qu’lui, elle l’toisait de haut et lui l’était cinglé d’oser lui tenir tête comme ça, comme s’il courait aucun périlo.
— Quoiqu’il en soi, poursuivait-il, il est courant que les Animas fassent faux bond, donc même si celui de Céleste lui obéissait et était plus performant que le tien, il vous fallait trouver une autre solution. Une qui vous permette de projeter une vraie conscience humaine dans l’esprit des gens, s’infiltrer dans leur fêlure de vie, que leur volonté flanche et que leur raison d’être devienne si navrante qu’ils se retrouvent infailliblement attirés par le Pandémonium, un mivage nourri par la peur, la souffrance, la colère, la détresse. Là-bas, vous leur promettez réparation, guérison de la douleur par la douleur, vengeance, et que sais-je encore ? D’où votre pari, aussi insensé qu’ingénieux : et si un être humain pouvait incarner une valeur avec une dévotion telle qu’il en vient à s’idéeller ?
Encore ses doigts tapotaient la tête d’sa canne, ses rides s’étiraient douc’ment, tout à l’arrogance. Et Océane, d’vant, était paralysia en même temps qu’furia, l’air d’pouvoir s’rue-fuser sur lui à tout instant mais que quelque chose – le fait d’être démasquée ? – la bloquait. Jawad continuait, toujours plus murmurant, et ça l’y était un chuchotis siffle-serpent, les lèvres tirées à l’applaudissez-moi :
— Peut-être que vous n’en aviez pas le courage. Peut-être qu’il était déjà trop tard pour vous. Je ne sais ce qui vous a poussées à essayer ça sur des enfants, mais le fait est là : toi, tu avais Noée dans les pattes, et puis il y avait ces deux frères, orphelins, porte-chaos, qui erraient dans le Pandémonium et avec qui Noée s’était liée d’amitié. Vous les avez recueillis chez vous, avec pour projet de les endoctriner pour que le trio incarne trois maîtres-mots du Pandémonium : Noée sera la Liberté, Jules la Justice, et Léon, la Vengeance. Bien sûr, il y aura toujours le risque qu’ils se retournent contre vous, mais vous vous êtes dit que si vous les éduquiez correctement, ils ne sauraient vous trahir.
L’y soufflait presque, maintenant, proche d’la face-furax d’Océane. Et au vu d’sa moue-dégoûtation à elle, son fronce-nez, j’me doute qu’il d’vait pas sentir la rose, ou alors si, il la sentait justement la rose et qu’outch’ c’tait trop un déglue-parfum. Les veines du cou d’Océane, en tout cas, palpitaient à une vitesse hallucinante.
— Pendant ce temps, la Guerre continuait à gronder. Les porte-chaos se battaient avec hargne, vos Animas altéraient les vivèmes avec toujours plus de succès, créaient des soldats amoraux dont la seule volonté était celle de détruire. Vous vouliez vous venger en faisant de nous vos suppliciés, supplanter l’Eurythmie par le Pandémonium, bâtir un monde fait de chaos, de rage et de sang. La peur était palpable et la menace, réelle : les boulevards étaient inondés d’effréelles ; toujours plus de personnes percevaient l’Anima de Céleste planer dans les rues ; et beaucoup était persuadé d’entendre l’Echo de Naïa, ce chant qu’entonnait ton Anima lorsqu’il choisissait sa nouvelle proie. Vous avez même appris à plusieurs Naïens, ceux qu’ils l’étaient par conviction, à entrer dans la Voie du Fléau, animer leur vivème, qu’ils accèdent au rang de « maître-Naïen » et possèdent le pouvoir de changer des vivèmes, eux aussi. Et un beau jour, Noée y est arrivée. Elle avait sept ans, peut-être huit, elle était la plus jeune des trois et elle était la première à s’idéeller. Vous l’avez alors envoyée arpenter les rues avec vos Animas et il n’a jamais été aussi aisé de travestir des vivèmes, sans que personne ne comprenne vraiment ce qu’il se passait. Noée était déjà maître-Naïenne depuis longtemps, mais là, sa puissance allait bien au-delà de ce que vous aviez espéré. Plus tard, Jules et Léon y sont parvenus eux aussi, si bien que vous avez donné un nom au phénomène : ces êtres humains qui incarnent un idéal jusqu’à s’idéeller, ils seront des « Absolus ».
L’mirliflor ravissait d’tout raconter c’qu’il avait deviné. Encore l’y roucoule-poursuivait sans qu’Océane l’arrête :
— Chaque jour sans exception on pouvait les voir, là, fuser dans la rue : la Liberté, la Vengeance et la Justice, trois Absolus si souverains qu’ils sont entrés dans la conscience collective et qu’il était impossible de les manquer ou d’y résister quand ils nous prenaient pour cible en nous promettant de rendre justice aux damnés de la terre.
Les joues d’Océane étaient rageo-gonflées, sa poitrine montait pis s’baissait avec ouragan, et néanmoins elle gardait l’silence en s’interdisant d’reculer. J’y comprenais pas pourquoi, mais elle laissait parler l’élégantisé sans riposter, tout dédaigne qu’il était à sourire là :
— Voyez ? Je sais tout. Ça n’a pas été évident, après l’arrivée de Noée, de lui soutirer toutes ces informations. Mais pièce après pièce, j’ai réussi à reconstituer le puzzle entier.
Alors, à c’moment-là, l’sieur d’la mode a découvert ses dents et ça m’a tellement surprisée que j’ai r’culé d’un pas, tout d’ailleurs comme Océane. Non seulement ça l’y était méchodisant, mais ça brun-jaunissait la déforme, surtout. Et c’est vrai qu’on s’y attend pas à voir des fashionés comme ça, tout soyeux bien portants, avoir une dentition toute pourrie.
— Je dois dire que j’admire votre génie et votre aplomb, à Céleste et toi, avoue-t-il. Je ne sais ce qui est pire entre le fait d’avoir eu l’idée de créer des Absolus, ou le fait que cela ce soit révélé être un succès. Noée Elévie est l’être le plus exceptionnel que j’ai été amené à rencontrer, nul doute qu’elle pourra nous être utile quand nous l’aurons récupérée. Comme pour retrouver la Crypte, par exemple ? Et ce fameux livre dans lequel vous répertoriez tous les vivèmes naïens ?
P’t-être la mention d’la Crypte, c’était la goutte d’trop, pask’ Océane l’a bondi comme rar’ment j’ai vu quelqu’un bondir. Muscla-puissante. Elle y saute sur Jawad et Jawa’smoking-blanc tombe à la renverse avec FuriOcéane qui l’surplombe d’son corps, deux mains sur son cou qu’elle serre extrêmio. L’expression d’sa face c’était la tornade des pires colères, tellement houlé qu’ça distordait tous ses traits, ses yeux son nez ses lèvres r’troussées, sa mâchoire qui grinçait. Ça laidissait tout son elle, tout c’que Jules pouvait lui trouver d’enviable, avant.
Océanette, l’Anima d’Océane, s’est subit’ décalée là. À côté d’Jules. Jules qui l’avait l’oesoph’ qui acide et les sanglots qu’elle barréserre dans la gorge. Ensemble, elles observent la scène pis échangent un r’gard. Tout que ça saignait sa poitrine et que ça pleurait, chez elle. Océanette. Et Jules comprenait pas. Ou alors, elle comprenait ? C’est une chose d’férocer, une autre d’s’avouer qu’on féroce, et encore une autre d’voir qu’on féroce d’puis l’extérieur. Et là, c’est exact’ c’qui s’passe pour Océanette : elle voit son elle du passé fauver à l’acharné. Est-ce qu’alors, ça veut dire qu’Océanette trouve terrible tout c’qui s’passe à l’instant ? Et qu’alors, voilà pourquoi elle voulait pas que Jules voit cette idéelle-souvenir ? Certes, l’dandy lui aura appris un tas d’trucs à Jules, plus que c’qu’elle lui dira jamais, mais Océanette devait s’dire que ça valait pas l’coup puisque ça impliquait aussi d’facer la part sombre d’Océane. Quand bien même Jasmin, Eustache, Siloé et l’manu’ d’Histo’ ont prévenu Jules qu’Océane était comme le diable, c’est un tout autre délire de l’voir d’ses yeux voir… Est-ce qu’Océanette craint qu’Jules s’détourne complètemo d’elle, après ça ?
— Non seulement tu n’as rien compris, mais tout ceci mourra dans le silence de ta mort, siffle-strangule Océane.
L’muscadin avait la tronche extra rouge, suffoquée, mais l’y arrivait encore à parler, puisqu’il a essoufflé qu’il a livré les info’ à d’autres gens, donc même s’il y meurt là, d’autres savent c’que fichent Océane pis Céleste. Surtout, lui l’avoue qu’il a pas été stupide au point de s’la ramener seul ou d’laisser les deux gosses fuir sans personne pour leur courir après. Forcé’, ces infos, ça livide l’visage d’Océane qui acide :
— Quoique tu fasses, tu ne pourras jamais soumettre Noée, mon Absolu, notre Liberté.
C’est alors qu’une tripotée d’nouvelles idéelles sont apparues. Là, elles sortent d’à droite, d’à gauche, d’vant derrière ça nous encercle ces gens au service de Jawad. Tous l’y z’ont des beaux costumes rougeoyant, un peu l’y pourpres, très élégants, avec aux pieds des longues bottes aussi noires-verniss’ que les chausses du cheffon. Deux d’entre eux fusent sur Océane, lui matraquent l’dos alors elle s’effondre, on la soulève, la r’met sur pattes, tandis que Jawad se r’dresse en dépoussiérant son blanc-pantal’, son veston clair, s’massant un ‘tiot peu la gorge. L’a les sourcils relevés, la bouche pincée. Souffle un filet d’soupir et d’lassitude, comme si tout ceci n’était, dans l’fond, qu’un léger désagrément.
Craintive j’m’approche. J’suis là, l’effroi au bord des lèvres. Jawad fourrage sa main dans sa redingote. En sort un vieux pistolet. L’tend en direction d’Océane qui n’flanche rien du tout. Au contraire ! Une trainée d’sang à sa tempe, elle lève l’menton et ricasse, préférant rire d’la situation que d’en pleurer.
— Si tu crois que je ne survivrai pas à ma mort…, dédaign’arrogance Océane.
— Oh ! Je crains que cette fois, tu ne puisses y échapper. Et puis, ne t’inquiète pas : nous prendrons les mesures nécessaires pour emprisonner ton Anima dans une gemme à maître.
— Mais des gens viendront, le récupéreront et le porteront avec honneur. Ils continueront ce que nous avons commencé à bâtir, et tant pis si cela met des années, des décennies, voire des siècles avant de s’accomplir. Tu peux me tuer mais pas l’esprit de Naïa, qui lui se léguera de génération en génération jusqu’à triompher sur le monde. Le chaos est en marche, mon ami, et si je ne suis pas celle qui versera la goutte qui fera tout exploser, ce sera Noée. Et si ce n’est pas Noée, ce sera quelqu’un d’autre.
J’suis pas sûre, mais j’jurerais qu’Océane, à c’moment-là, regardait plus Jawad. Mais moi. Ses yeux : épinglés dans les miens. D’la furivresse dans ses noires pupilles. Sa bouche : foulée si chaude, si emportée par la fièvre du fol-espoir que j’me suis sentie tomber avec la terre qui s’ouvrait à mes pieds. Évid’, j’suis rien tombée, mais j’tombais quand même, surtout qu’Océanette à ses côtés durcissait l’éclat d’ses blyeux, comme si, subito, elle s’souvenait qu’elle aussi, elle voulait l’retour du Pandé’, malgré les r’mords et toutes ces violences tristes mais nécessaires et que ma foi, il faut bien. Heh ? Mettre la main à la pâte.
Pour le coup, j'ai vraiment bien accroché à ce pdv de Jules, peut-être qu'il fallait simplement que je m'y remette. Peut-être aussi parce que ce chapitre est excellent et m'a éclairé sur plusieurs enjeux de ton histoire. Le dialogue entre Jawad (super personnage, très bien décrit) et Océane permet de mieux comprendre leurs motivations respectives. J'ai aussi enfin compris le rôle que Jules est appelée à jouer, même si je l'avais déjà plus ou moins deviné plus tôt. J'aime beaucoup cette fin de chapitre, quand Océane la regarde, comme pour lui transmette le flambeau.
Bref, j'ai beaucoup aimé et j'en redemande (=