Heureusement, Améthyste et moi-même arrivâmes à l’heure pour nos cours respectifs.
L’affrontement contre le professeur Puipéid nous avait ralentis, mais finalement pas autant que le traitement de ma blessure, cette dernière ayant eu du mal à arrêter de saigner. Finalement, avec beaucoup d’eau froide, nous sommes parvenues à appliquer un pansement présentable sur mon arcade sourcilière.
Je retrouvais donc madame Riedel, pour ce cours qui s’annonçait particulièrement intéressant. J’avais toujours apprécié décrypter la musique que j’entendais, il me tardait donc d’en apprendre davantage sur la manière de faire, voire apprendre à reconnaître des formes qui m’étaient inconnues jusqu’ici.
— Bien, nous allons prendre une courte pause, déclara madame Riedel en regardant sa montre. Si vous avez des questions sur la première heure de cours, j’y répondrais devant la machine à café, conclut-elle.
Il y eut alors un certain brouhaha, entre les élèves se levant pour prendre l’air, et ceux qui commençaient à discuter entre eux à voix haute. Pour ma part, je roulais simplement des épaules en prenant une grande inspiration. Il semblerait que pour ce cours en particulier, notre professeure nous autorisait quelques pauses, contrairement aux cours d’histoire de la musique.
Je haussais alors un sourcil en voyant Améthyste entrer dans la salle de classe. Elle me fit alors un signe de la main en me souriant, lorsqu’elle repéra où j’étais assise.
— Yo ! Tu t’éclates ? fit-elle avec entrain, tandis qu’elle me rejoignait. Tous les profs prennent des pauses en fin d’heure, du coup j’me suis dit que j’passerais t’voir !
— C’est délicat de ta part, remarquais-je avec un sourire sincère. Mais tu penses que Robert va bien ? soufflais-je discrètement.
— Bah, techniquement, on lui a rien fait, répondit-elle en remontant ses lunettes de soleil sur son nez. Et puis ton prof' là, Cumin, Cumnig O'doui… heu… tenta-t-elle d’articuler.
— Cunningham O’Dwyer, renseignais-je alors. Mais tout le monde l’appelle Puipéid.
— À tes souhaits, plaisanta l’espiègle Napolitaine. En tout cas, il a pas l’air d’être du genre à faire du mal à un d’ses élèves. Au pire, ce bon vieux Rob' aura une bonne migraine, conclut-elle.
— Oui, tu as sans doute raison… fis-je d’un air songeur.
Je sentis alors mon voisin de droite regagner son siège, me demandant distraitement si cela signifiait que le cours allait bientôt reprendre. Pourtant, le professeur n’avait pas l’air d’être déjà de retour.
Par réflexe, je regardais autour de moi afin de vérifier si Madame Riedel était revenue. Et ce faisant, je croisais le regard particulièrement haineux de mon voisin de droite. Il avait l’air de vouloir me frapper, mais rien dans la posture de son corps ne le suggérait. Peut-être qu’il avait dans l’idée de bizuter la nouvelle venue sur le campus, en usant de son Emprise. Après tout, Morituri et Misandre m’avaient démontré qu’il s’agissait d’une pratique courante.
— Tu es Lili, c’est ça ? demanda mon voisin de droite sans perdre son expression hargneuse. Tu ferais mieux de laisser tomber cette université, grogna-t-il.
Pour tout dire, je n’étais pas très impressionnée. Sa petite tête blonde, son visage juvénile et ses yeux bleus jouaient contre lui en termes de crédibilité.
Mon regard s’attarda alors sur mon avant-bras gauche tandis que j’y sentais une certaine démangeaison. Une tache rouge y était apparue, ma peau devenait sèche, et l’effet continuait de s’étendre.
Comme je n’avais pas perdu mon sang-froid face à cette tentative, il ne me fallut pas plus d’une seconde pour activer Cool Cat et, forte de mes capacités poussées à leur maximum, attraper mon stylo et le planter violemment dans le bois du pupitre de mon assaillant.
— Tu disais quelque chose ? demandais-je avec froideur, le fixant de mes yeux félins et luisants.
— Heu, j-je… non, rien, couina le blondinet en baissant les yeux vers son pupitre.
En effet, j’avais planté mon stylo tout près de ses doigts, son index avait même été éraflé, mais sans saigner pour autant. Cette démonstration de force avait suffi à le calmer.
— Je peux savoir qui t’a mis en tête d’essayer de me faire peur ? demandais-je, désactivant Cool Cat et examinant mon bras. Heureusement pour toi que cette rougeur s’est dissipée en même temps que ton Emprise, ajoutais-je, l’intimidant un peu plus.
— Heu, je… balbutia-t-il. C’est juste que je suis le neveu de la secrétaire du doyen, elle m’a dit d’essayer de t’effrayer, confessa-t-il en baissant la tête.
— Le doyen, monsieur Satriani, me remémorais-je, portant un index à mon menton. Donc il travaille avec mon père, c’est pour ça que son nom me dit quelque chose, soufflais-je distraitement.
— C-comment tu fais ça avec tes yeux ? murmura le blondinet sans me regarder en face. Quel genre d’Emprise tu as ? Ça devrait même pas être possible pour toi d’en avoir déjà une, me fit-il remarquer.
— C’est un secret, répondis-je. Et si tu ne veux pas avoir de problèmes avec moi, tu as intérêt à me dire ce que tu sais sur l’expérience de ce campus.
— Hein, mais, j’ai pas vraiment… enfin, j’ai pas vraiment le temps, là, balbutia-t-il.
— Non, bien sûr, mais tu m’enverras un rapport par e-mail, commandais-je en délogeant doucement mon stylo du bois de son pupitre.
— Oui madame… couina-t-il, un brin pathétique.
Je me tournais alors en direction de mon amie, me demandant pourquoi elle n’avait pas du tout réagi, et constatait qu’elle roupillait à moitié sur le siège à ma gauche, avec son casque sur les oreilles. Elle était vraiment imprévisible.
D’humeur taquine, je levais alors la main afin de me saisir d’un de ses écouteurs et le soulevais délicatement. J’entendis alors, faiblement, une sorte de musique électronique aux sonorités complexes et plutôt agressives pour les oreilles. Rien qui ne devrait pouvoir permettre de se détendre.
Amélie sursauta lorsqu’elle s’aperçut que je tirais sur son écouteur et retira son casque avant de se tourner vers moi :
— Quoi ? demanda-t-elle, visiblement dérangée dans sa méditation.
— Rien d’urgent, répondis-je avec un sourire en coin. Mais ce garçon va nous fournir de précieuses informations, d’ici ce soir, murmurais-je en désignant le blondinet derrière moi.
— Ah, cool, répondit simplement Améthyste.
— Bien, nous pouvons reprendre le cours ! déclara alors la professeure, tandis qu’elle entrait dans la salle de classe.
Après le départ d’Améthyste, les deux heures suivantes se passèrent plutôt bien, mon voisin de droite évitant simplement mon regard, depuis sa tentative ratée d’intimidation. Le pauvre avait sans doute été contraint par sa tante d’essayer de me faire fuir, et il avait naïvement pensé qu’étant nouvelle, je serais une proie facile.
Je ne pouvais malheureusement que comprendre son envie de faire ses preuves auprès de sa famille.
Cependant, j’avais d’ores et déjà pris ma décision : quiconque se dresserait devant moi avec l’intention de me nuire en subirait les conséquences. Je pourrais me montrer clémente envers certains, mais d’autres nécessiteront probablement que je sois sans pitié.
À propos du cours en lui-même, il était bien plus intéressant que ce que j’avais pu espérer.
Apparemment, madame Riedel avait une affection certaine pour l’influence des Beatles sur l’avancée de la musique moderne. Ce groupe avait, selon elle, fait évoluer la musique de plusieurs décennies, en seulement quelques années. Et les exemples qu’elle donnait tendaient à confirmer ses dires.
Je ne pouvais pas m’empêcher de prendre mes notes en anglais. J’avais été élevée et éduquée de manière bilingue, mais j’étais tout de même bien plus habituée à la langue de mon pays. Cependant, il m’arrivait parfois de penser en français, certains mots de cette langue n’ayant pas d’équivalent anglais.
Pour ce qui était du coréen, je n’avais que quelques bases, qui me permettraient tout juste de me faire comprendre, si je m’aventurais un jour dans le pays natal de ma mère.
Une fois le cours terminé, je pris une profonde inspiration avant de souffler doucement, faisant rouler mes épaules endolories tandis que je rangeais mes affaires dans mon sac à main.
Améthyste entra alors de nouveau dans la salle, s’étirant sans aucune retenue avant de bailler à s’en décrocher la mâchoire, semblant être relativement satisfaite d’en avoir enfin terminé avec son propre cours.
— Bordel de cul, soupira-t-elle alors en fourrant son calepin dans l’une des grandes poches du pull que je lui avais prêté. J’suis lessivée ! L’année dernière, mon cours durait qu’deux heures, fit-elle remarquer en grimaçant.
— Ce n’est pas si mal, répondis-je avec un petit sourire. Et puis c’est très intéressant, enfin pour ma part.
— D’ailleurs, j’me pose une question, comment ça s’fait qu’tu sois en cours avec les deuxièmes années ? demanda-t-elle en haussant un sourcil.
Je laissais alors échapper un petit rire satisfait, ravie qu’elle me pose la question.
— Le conservatoire que je fréquentais en Angleterre a rédigé une lettre de recommandation sur mon niveau actuel en pratique et en théorie musicale, expliquais-je. Quand j’ai vu que les inscriptions en première année étaient fermées, j’ai décidé de m’inscrire directement en seconde année.
— Waouh, la classe, ricana Amélie en se levant de son siège. Ça doit être cool d’être riche et respectable ! me taquina-t-elle.
— Je ne vois pas le rapport, éludais-je non sans un petit sourire amusé. Mais Hélène m’a dit que les deuxièmes années devaient attendre avant de développer une Emprise, tu as eu la tienne plus tôt que les autres ?
— Hahaha, en vrai, c’est parce que j’passe toutes les vacances scolaires sur le campus, vu qu’j’ai pas d’famille à aller voir, expliqua-t-elle avec une légère grimace. Du coup, j’l’ai développé vers la mi-août.
— Je comprends, fis-je simplement en me levant à mon tour. Dis-moi, puisque nous n’avons pas d’autres cours pour aujourd’hui, j’aurais quelques suggestions, présentais-je avec le sourire.
— Vas-y balance ! m’encouragea la DJ.
— Nous allons passer par l’accueil du campus. Comme ça, nous officialiserons notre collocation. Ensuite, nous irons en ville dans un petit bar très sympathique que j’ai repéré la dernière fois, histoire de… discuter, concluais-je avec un regard évocateur.
Amélie afficha une drôle de grimace lorsque je mentionnais le fait de passer déclarer notre situation de manière officielle.
— J’sais pas Lili, y vont m’demander d’payer au moins la moitié du prix d’une chambre, j’ai grave pas les moyens, maugréa-t-elle.
— Comment ? m’étonnais-je. Mais j’ai déjà payé l’intégralité de cette chambre ! J’en dispose comme je le désire ! déclarais-je, un brin outrée par l’idée.
— C’pas comme ça qu’ça marche, soupira Améthyste. Sinon tu penses bien qu’j’aurais déjà squatté chez quelqu’un pour passer l’hiver, répondit-elle en affichant une drôle de moue.
— Très bien, déclarais-je en fronçant les sourcils. Je vais aller à l’accueil et leur montrer ce que vaut une Lindermark lorsque l’on ne la laisse pas disposer de ses appartements ! concluais-je en croisant les bras.
Je vis alors Améthyste afficher un visage jovial avant qu’elle n’éclate de rire ; un rire franc et honnête, qui n’avait rien de moqueur.
— Haha, Lili, t’es trop poilante quand tu fais ça ! s’esclaffa-t-elle.
— Plaît-il ? interrogeais-je.
— Bah, quand tu joues la miss Bourge ! précisa mon amie en tentant de contenir son hilarité.
Pour ma part, je détournais le regard et pris un air faussement vexé, tandis qu’elle continuait de pouffer de rire. Et en réalité, j’avais bien du mal à ne pas rire avec elle.