Jacques
Un large sourire sur le visage, Jacques observa son œuvre. Au moyen de sa colère, car maintenant il savait que c’était grâce à cela, il venait de créer un nouveau portail. En jetant avec hargne le volatile dans le puits, ce dernier s’était rempli du liquide noir visqueux caractéristique. Il avait alors vu les plumes blanches de la cigogne s’enfoncer dans la masse gluante, comme avalées par les ténèbres.
Fier de lui, il attrapa l’enfant terrifié et le traîna jusqu’au puits. Il le suspendit au-dessus de la matière inconnue en le tenant sous les bras. Tom tremblait et hurlait d’effroi entre ses mains. Les yeux révulsés, il semblait épouvanté. Lui-même, penché sur le muret, il ressentait la peur qui s’introduisait et courait le long de ses veines. C’était la même sensation que lorsqu’il avait été englobé entièrement par cette masse visqueuse. Il ramena le garçon sur le sol tout en le maintenant fermement.
Il s’attarda un moment sur son dos. Deux grandes ailes, majestueuses quelques minutes plus tôt, étaient à présent rétractées et s’agitaient autant que leur propriétaire. Perdu dans ses pensées, Jacques redevint un instant lui-même. Voir Tom éprouver autant de souffrances lui faisait de la peine. Ce n’était pas lui. Il n’était pas un tortionnaire comme ses parents, il ne devait pas reproduire les mêmes atrocités. C’est à ce moment-là qu’ils entendirent un son grave, comme une expectoration. Le puits venait de régurgiter une plume de la cigogne. Elle s’envola jusqu’à Jacques. Toutes traces de culpabilité s’évanouirent lorsqu’il la toucha. Il l’a reconnue facilement. Longue, blanche et terminée d’une pointe noire, elle appartenait bien au volatile. Celles de l’enfant étaient plus petites et recourbées au bout.
Il observa le liquide, mais seule une plume en était ressortie, un peu brûlée à ses extrémités. L’ancien Grand Occupant comprit rapidement, le Mal acceptait son offrande. L’oiseau était un être vivant et cela devait lui convenir. Après l’avoir déposé à côté du puits, Jacques dévisagea son prisonnier. L’enfant était dévasté par les larmes et la frayeur, mais cette fois l’homme n’éprouva aucune pitié pour lui.
— Eh bien, railla-t-il. Je viens de créer un portail vers l’Enfer et j’y ai envoyé ta volaille.
Le garçon ne répondit pas, encore sous le choc.
— On pourrait l’appeler le puits vengeur, continua-t-il.
Il s’accroupit pour se mettre à la hauteur de l’enfant. Tom se trouvait à genoux, la tête baissée et les ailes avachies. Jacques lui attrapa le menton fermement pour qu’il le regarde. Ses grands yeux bleu foncé étaient vides d’expression et humides.
— C’est une hypallage, Tom, raconta l’homme. C’est une figure rhétorique consistant à attribuer à certains mots d’une phrase ce qu’il convient à d’autres de la même phrase. Ce n’est pas le puits qui est vengeur, mais celui qui l’utilise, c’est-à-dire : moi.
Jacques ricana. Le pauvre enfant ne semblait pas du tout saisir le sens de ce qu’il disait.
— Tu te demandes sûrement ce que fait ce puits, pourquoi il dégage autant de frayeur lorsque l’on s’en approche, poursuivit l’homme en remettant ses lunettes sur son nez.
Il n’attendit pas de réponse et admira l’excavation tout en développant :
— Le Mal m’a donné le pouvoir de la Création, tout comme toi, radota-t-il en reportant son regard sur le garçon. Mais il m’a offert un petit extra, je peux fabriquer des portes, des portails qui envoient tout être vivant dans le monde de l’Enfer. Terrifiant, non ?
Les yeux de Tom continuaient de s’agrandir d’effroi. Jacques se contenta de rire de façon malsaine. Cela l’amusait d’être craint de la sorte, il n’avait pourtant jamais ressenti cela jusqu’à ce jour. Il allait se relever lorsqu’il entendit la faible voix du garçon :
— Vous êtes fou ! murmura-t-il. Comment tu peux pas être en Enfer ? Il n’y a que de la méchanceté en toi, le mal coule dans vos veines.
L’homme s’amusa des paroles du petit, sans savoir qu’une part de vérité y était énoncée. Il se rapprocha alors de son visage et lui souffla avec sa chaude haleine sentant le whisky :
— Il faut croire qu’il y avait du bon en moi. Sinon, je ne serais pas là, susurra-t-il, ne remarquant pas son lapsus sous forme du passé.
Il se redressa et traîna l’enfant jusqu’à la clôture entourant le jardin. Il l’attacha de nouveau avec des menottes qu’il créa rapidement. Il serra plus fort que la fois précédente sans ménagement, déplaçant l’articulation des poignets de son détenu. Il allait le laisser là lorsqu’il vit les deux grandes ailes dans le dos du garçon. Sans réfléchir, il les tordit. Sa colère et sa nouvelle force lui donnaient un sentiment de puissance et de pouvoir que rien ne pouvait arrêter. Et ce ne pouvait certainement pas être un gamin de 8 ans qui le ferait. Il s’adressa une dernière fois à lui :
— Tu sais, Tom. De mon temps, nous étions fermes avec les enfants désobéissants, mais sûrement pas assez. On les forçait à passer la nuit à équeuter des haricots, éplucher des pommes de terre ou s’occuper de la ferme s’ils transgressaient les règles. Je me faisais même battre par mes parents lorsque je nourrissais le chien des plats que je n’aimais pas. Un jour, ils m’ont menacé de me jeter au cabot comme dessert si je continuais d’être aussi faible.
Il fit une pause, laissant le garçon assimiler ce qui allait suivre.
— Mais vois-tu, poursuivit-il. Cela m’a permis de devenir très inventif en ce qui concerne les punitions. Tu vas donc passer la nuit dehors, pour réfléchir à ce que tu as fait et à ses conséquences. Rassure-toi, tu ne seras pas seul. Et la prochaine fois, ajouta-t-il. Je ne ferai pas que te tordre les membres.
Un lourd marteau apparut dans la main de l’homme. Pour imager ses propos, il frappa la clôture un peu plus loin de toutes ses forces. Le bois fit un bruit d’os qui se brise. Le message semblait être passé, considérant le regard effrayé de l’enfant. Sans un mot de plus, le tortionnaire se retourna vers sa maison.
La lumière allait bientôt laisser place à l’obscurité. Le ciel était gris, tout comme les murs de son manoir. Jacques aperçut alors, dans les buissons d’aubépine, une boule de poils tremblotante. Il s’avança et reconnut le chat du gamin, toujours à terre. Pourquoi ne s’était-il pas enfui ? Que faisait-il encore là ?
— Tiens, tiens, tiens, sourit Jacques. Qu’allons-nous faire de toi ?
Le félin se recroquevilla sous les épines et feula lorsque Jacques approcha sa main. L’homme l’attrapa par la peau du cou et l’animal n’eut d’autre choix que de se laisser faire. Le Créateur pensa d’abord à le jeter dans le puits, mais une idée lui vint.
— Nout, c’est ça ? demanda-t-il. Suis-je bête, tu ne peux pas me répondre.
À sa grande surprise, le chat bougea les moustaches et prononça :
— Mon nom est Bastet.
— Oh, seigneur Dieu, s’exclama Jacques, avant de se rendre compte de l’inutilité de son juron.
Il porta le félin devant ses yeux, assez loin pour que l’animal n’essaie pas de les lui crever. Avec un grand sourire, il parla d’une voix forte afin que Tom l’entende.
— Eh bien, Bastet. Tu vas aller chercher la Princesse Louise et le jeune Lucas. Et tu me les ramèneras ici.
— Mais je ne sais pas où ils sont, miaula le félin.
— Ce n’est pas un problème, je le sais, moi. Ma descendante les a emmenés dans le Sud, dans les plaines vides. Je n’ai pas d’outil pour communiquer avec elle, mais je suis sûre qu’elle a suivi mes instructions. Ils doivent être quelque part dans le désert.
L’homme avait très bien conscience que ce qu’il demandait était quasiment impossible. Cela lui permettait de gagner du temps et de s’entraîner. Jamais l’animal n’irait prévenir Jeanne alors que cela mettrait en danger son maître.
— Pourquoi vous aiderais-je ? risqua Bastet.
Jacques sourit de plus belle. Il remonta ses lunettes sur son nez et tendit le chat vers le garçon attaché.
— Si tu n’es pas revenu avec les gamins dans exactement dix jours, je jette Tom en Enfer.
À ces mots, Bastet se tordit de colère. Il se débattit en feulant et en crachant sur l’homme. Il essaya de donner des coups de griffes et de dents, mais Jacques le maintenait fermement. Il attendit patiemment que le fauve se calme et lorsque ce fut le cas, il le déposa au sol. Bastet allait de nouveau s’attaquer à lui, mais Jacques appuya sa botte noire sur son corps, lui faisant pousser un miaulement de douleur. L’homme entendit Tom crier derrière lui. Il n’en tint pas compte, concentré sur le félin.
Il eut alors une idée. L’appareil se dessina dans sa tête avant de se former autour du cou du chat. Un large anneau noir laissait pendre une fine clochette qui délivrait un désagréable son pour son propriétaire. D’une voix dure et froide, il ordonna :
— Va au Sud, dans les plaines vides et ramène-moi les deux Créateurs. Suis la résonance de ton collier, elle t’aidera à te diriger.
***
Tom
Après avoir retiré son pied de Bastet, Jacques l’avait laissé partir faiblement. Le félin s’était retourné une dernière fois vers un Tom abattu et menotté. Le garçon ne l’avait pas vu s’en aller, trop affligé pour lever la tête. Jacques avait finalement disparu dans sa maison, abandonnant l’enfant dans le jardin.
Tom ne remarqua pas immédiatement la pénombre environnante. Il pleurait, pensant que tout était sa faute. À cause de lui, Nout avait été envoyée en Enfer. Elle allait souffrir des tortures les plus terribles ou alors être cuite et mangée par des démons. Il imaginait le pire pour son amie à plumes. Et ce serait bientôt le tour de son frère ou le sien, si Bastet ne le ramenait pas à temps. Il ne s’était jamais senti si abandonné et faible. Une fois de plus attaché et accablé par les émotions, il ne trouvait pas la force en lui qui lui permettait de créer ou de se libérer. Il était à nouveau le prisonnier de cet homme fou qui méritait d’être lui-même dans le monde du Mal.
Un craquement lui fit lever la tête. Tout était noir autour de lui. L’obscurité était tombée et seule la lumière du bureau de Jacques diffusait un faible faisceau sur le jardin. Tom ne parvint pas à trouver l’origine du bruit. Il appela Bastet, puis Nout, mais personne ne répondit. Le silence était pesant, effrayant. L’enfant se tassa contre la clôture dans son dos, peu tranquille et oubliant la douleur dans ses membres qui guérissaient lentement.
Les ombres des fausses plantes grandissaient, représentant des animaux, des bêtes que Tom ne reconnut pas. Il ferma les yeux.
— Ce n’est que mon imagination, ce n’est que mon imagination, se répéta-t-il pour se rassurer.
À ce moment-là, un nouveau bruissement se fit sur sa droite, près du puits. Il ouvrit les paupières, appréhendant la menace. Rien. Seulement des silhouettes, de plus en plus étendues sur le sol, qu’il crut voir bouger.
— Ce n’est que mon imagination, chuchota-t-il.
Il y eut comme un murmure, un froissement de tissu et un sifflement. Les ombres se matérialisaient devant lui en de grandes masses noires. Elles étaient en train de s’élever physiquement du sol pour lui faire face.
— Ce n’est que mon imagination.
Certains fantômes prenaient l’aspect des monstres que craignait Tom. Il y avait là des êtres se déplaçant difficilement dont la peau et les membres semblaient déchirés, de petits dinosaures avec de longs doigts crochus munis de griffes acérées, des formes insectoïdes avec de grandes pattes et des mandibules.
— Ce n’est que mon imagination, pleura l’enfant.
Les ombres vivantes ne venaient pas vers lui. Elles se mouvaient lentement, arpentant le jardin sans buts précis. Tom se demandait si elles pouvaient le voir. Sans chercher à obtenir une réponse, il se recroquevilla sur lui-même et sur la barrière. Des larmes de peur coulaient sur son visage tandis que son pantalon se mouillait. Comment allait-il survivre à cette nuit ?
Un rat géant complètement noir passa à quelques centimètres de lui. Tom recula, mais l’animal ne sembla pas se préoccuper du garçon. Il continua son chemin. L’enfant n’avait pas senti de déplacement d’air, c’était comme si la masse n’était pas solide. Un peu plus loin, le rat eut la route barrée par un amas informe, mais il ne s’arrêta pas. Les deux ombres se dématérialisèrent en une fine fumée noire avant de reprendre leur apparence initiale.
En fermant les yeux, Tom entendait des bruits affolants. Les grognements des morts-vivants, les couinements aigus des dinosaures, les cliquetis des insectes s’éloignaient et se rapprochaient de lui. Il devait faire face à une vision d’horreur ou aux craquements ou bourdonnements de ces abominations effrayantes. La nuit s’apprêtait à être longue et Tom n’espérait qu’une chose : que Jacques n’éteigne pas la lumière de son bureau.
***
JE M'Y ETAIS ATTACHEE MOI A LA CIGOGNE PUTAIN !
en plus, elle a rien a faire en enfer, le Mal devrait pas l'accepter T__T
Dis moi qu'elle va revenir T.T
petite faute : "il l'a reconnue' -> "il la reconnut"
Sinon, je trouve que Jacques est un peu cheaté dans ce chapitre : il a réussi a attraper le chat trop facilement j'ai trouvé. Et aussi, pourquoi Bastet révèle qu'il peut parler alors qu'il a dit a Tom de le cacher ?
Tom a des pouvoirs super, est-ce que le fait d'être attaché les neutralise ? sinon il pourrait de barrer OKLM !
A mon avis il faudrait que tu expliques un peu ça, ou alors équilibrer un peu les pouvoirs, parce que c'est hyper frustrant de voir Jacques qui est nul et utilise mal ses pouvoirs arriver a prendre le dessus sur notre team de choc è.é. En même temps j'imagine que c'est fait pour...
Après, je sais pas si c'est pas trop tard pour les modifications ? avant que le forum tombe en panne il me semblait avoir lu que ce tome 1 était en cours d'edition ? dans ce cas ce genre de com doit servir a rien ? Dis moi pour les prochains !
Merci pour la faute, en effet celle-ci a réussi à passer les correcteurs et mes yeux ahha
Je note ta remarque qui est super intéressante. Tu vas sûrement voir tout au long de la suite que Jacques est le perso que j'ai eu le plus de mal à développer fuuuuu T_T Donc n'hésite pas à me dire ce genre de choses pour que j'arrive à le faire évoluer !
Alors non tu peux continuer ce genre de com, le tome 1 va être imprimé en 30 exemplaires via une bêta-test que je fais pour un site d'édition, mais il n'est pas édité vraiment ^^