23. L'opportuniste

Par MarieZM
Notes de l’auteur : TW : santé mentale dégradée, allusions sexuelles (vagues)

Paris, printemps 2010. - Point de vue d'Emilie

Alexis cherche toujours l'attention d'Alice. Elle, ça l'énerve on dirait. D'une certaine façon, je peux comprendre, parce qu'il la touche tout le temps. Il tripote ses bagues, il met ses mains dans ses cheveux, il lui a même dessiné un petit cœur sur la main. Dans le fond, elle est plutôt stoïque en général, mais quand il insiste elle le rejette froidement. C'est difficile pour lui. D'un côté, ils sont proches, ils jouent ensemble souvent, et de l'autre, elle l'ignore totalement. La vie a l'air d'un jeu pour elle. Lui ou un autre, elle s'en fout...

Elle prétend qu'elle est une poupée Barbie en plastique, que n'importe qui peut faire n'importe quoi avec son corps synthétique... Mais dans la réalité elle le prend vachement mal quand c'est Alexis qui la touche. Après, je comprends. Si j'étais à sa place, ça me ferait peur aussi, tous ces gens qui s'approchent de son corps pour s'essuyer leurs mains sales dessus. Enfin, elle, elle n'a pas peur, on dirait qu'elle les méprise... tous. Enfin, tous sauf ce gros con de Romain. Je crois qu'il s'appelle Romain, j'en sais rien en fait, je reste toujours le plus loin possible de lui et de ses one man shows. Les feux des projecteurs, c'est pas pour moi.

C'est un mec imbu de lui-même qui se vante tout le temps, puant de suffisance. Tout le monde sait qu'il raconte des cracks, mais fait semblant de l'admirer comme un héros quand même. Cette situation n'a aucun sens. D'ailleurs, je crois que plus les gens mentent avec l'air sûr d'eux, plus le groupe les idolâtre, plus ils sont populaires. Il n'y a qu'elle, remarque, qui dit tellement encore plus n'importe quoi que lui que ça rend absurde tout ce qu'il raconte, mais elle le dit avec aplomb aussi, alors ça passe.

Quand elle refuse de faire un exercice, Alice dit qu'elle est une princesse en mousse. Ça ne veut strictement rien dire, mais même les profs se contentent de cette explication. Romain et Alice sont proches tous les deux, chacun dans un style différent. Quand il arrive en retard, que les trois quarts du cours sont déjà passés, Romain dit avec ce même air inspiré qu'il devait régler des affaires dans le cadre du bureau des étudiants, qu'il avait des responsabilités importantes. Elle, dit qu'elle ne retrouvait plus son string à fleurs avant de partir à l'école, ou que Monsieur Nounours lui a tenu la jambe pendant plus d'une heure et demie à la dînette... Ils sont odieux, se moquent des autres, et ne se justifient absolument jamais.

Mais ça passe. Alexis est malheureux de l'aimer elle, et elle se fout de sa gueule. Quand il se montre jaloux, elle lui dit qu'ils ne se sont jamais rien promis. Et elle drague ostensiblement un autre mec devant lui, c'est violent. Quand j'assiste à ça, j'ai envie de pleurer ou de m'enfuir. Je voudrais bien qu'Alexis comprenne qu'elle est incapable de faire attention à lui, qu'elle n'a pas d'empathie. D'ailleurs, moi non plus je n'ai pas d'empathie. Je suis là à les critiquer tous les deux, mais en dehors de mes propres drames : rien ne me touche.

Quand Romain et Alice ridiculisent les gens de la promotion, ou les profs qui m'accablent, je me sens presque contente intérieurement. Je crois que je suis une mauvaise personne. Ils voient où sont les faiblesses et les failles narcissiques chez les gens et ils appuient dessus, c'est mal, c'est mesquin, mais c'est juste. C'est efficace. Ce sont des magiciens, ils tirent les ficelles de l'ego chez les autres, et c'est moche à voir. J'ai du plaisir à sentir que les autres souffrent un peu, eux aussi, de leur propre méchanceté. Enfin, je crois ? C'est ça que j'aime bien avec Romain... en fait, je crois qu'il s'appelle plutôt Roméo... c'est qu'il « venge » certains de mes ressentiments. Je ne suis qu'un petit poisson en bas de la chaîne alimentaire, et j'éprouve une vraie satisfaction à voir se faire bouffer par un gros requin, ceux qui, d'habitude, me mangent moi.

Projet de couverture du livre : Roméo à la place du Roi de Deniers du tarot Rider-Waite. Il évoque un homme puissant et sûr de lui, et qui a réussi matériellement. L'opportuniste représente la situation où l'on se nourrit des manques chez les autres pour assoir sa propre supériorité. C'est l'inverse de l'adage « Rabaisser ne fait pas grandir ».

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