24. Roi du silence

Par MarieZM
Notes de l’auteur : TW : santé mentale dégradée

Paris, été 2010. - Point de vue d'Emilie

J'ai eu mes résultats aux partiels de Guillaume. Je m'y attendais, mais c'est encore plus catastrophique que ce à quoi je m'attendais. J'ai été forte, quand j'ai vu ma note, je n'ai même pas pleuré. Je me sens vide à l'intérieur, comme si ce n'était pas à moi que ça arrivait. Je suppose que je le mérite, je ne suis pas une élève assidue.

Ce n'est pas comme Solène, elle, elle s'est donné les moyens pour réussir le concours de scénario. Si elle a réussi c'est grâce au fruit de son travail. Je devrais être heureuse pour elle, mais je me sens amère. Je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'elle a de la chance. Quand elle se fait plaquer elle se fait héberger par son frère. Quand elle doit travailler sur son scénario, elle est soutenue par son frère. Et même pour son tournage de film, c'est encore son frère qui lui prête sa classe, et nous – ses élèves – qui faisons de la figuration dans la comédie romantique de Solène. Beurk, j'ai la nausée. Je suis jalouse, c'est ça mon problème.

Je n'arrive pas à me sortir de l'esprit qu'il me faudrait un frère.

Guillaume est gentil avec moi – trop – je préfèrerais qu'il le soit moins, ou même qu'il ne le soit pas du tout. Je ne supporte plus ses attentions permanentes, comme s'il devait veiller sur l'amie de sa sœur, ou que je suis sa chose protégée. Je me sens « chose fragile » ou plutôt « chose nulle » dont on respecte religieusement l'attardement mental, sans heurter sa susceptibilité. Guillaume s'accroupit à côté de moi pour m'expliquer les exercices pendant que je lutte pour ne pas m'endormir. Pendant que je lutte en vain contre les nuages qui emplissent ma tête et emportent au loin mon aversion envers lui. Mais moi aussi j'aimerais avoir un frère, comme Solène.

J'aimerais qu'Alexis soit mon frère, qu'il m'aime vraiment, qu'il m'aime inconditionnellement. Le pire c'est Valentin, on se connait depuis tellement de temps qu'il pourrait être mon frère, lui. Il s'est toujours positionné comme mon grand-frère, à me dire comment agir, quoi faire, à juger ma morale, à souffler sur les braises mes doutes. Alexis aussi me juge, mais c'est un jugement frontal. Il ne prétend rien, il me critique, c'est tout. Il me dit comment, selon lui, je devrais être pour lui plaire, et je ne peux pas être comme ça, je ne veux pas lui plaire : je veux être aimée.

Aimée inconditionnellement. Pas comme ça. Pas avec des si. Si j'avais des chaussures plus féminines, si je coiffais mieux mes cheveux, si mes boucles d'oreille étaient plus belles. Je voudrais être son frère, et qu'il soit le mien, je voudrais qu'on s'aime quoi qu'il arrive. Je voudrais qu'il m'héberge chez lui quand je ne supporte plus d'être chez moi. Qu'il ne me dise pas que les femmes ne peuvent pas dormir chez les hommes comme ça, et qu'il n'a pas besoin de me faire un dessin pour que je le comprenne.

Valentin joue le prince charmant, autant dans la fiction de Solène que dans la fiction de notre vie, mais ce n'est qu'un enfant irresponsable. Un enfant qui fait semblant d'être adulte, et qui trompe son monde. Mais moi je sais qu'il n'a ni la maturité nécessaire, ni la capacité à s'autodiscipliner. Il est bon comme comédien, c'est sûrement pour ça qu'il a été choisi, mais le problème c'est ça : ce n'est qu'un comédien, du vent.

Projet de couverture du livre : Guillaume à la place du Roi d'Epées du tarot Rider-Waite. Il évoque un homme fort, stratégique et rationnel. Roi du silence représente la situation où le ressenti émotionnel est en contradiction avec la situation apparente et où l'on ne peut « rien dire ».

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