24 — Le Manoir, partie 4

Par Rouky

La Volonté du Croquemitaine

 

Clément Droitel, toujours figé dans le cercle d’incantation, s’était arrêté de réciter.

Son regard était tourné vers Valère.

Le comte était accroupi contre un mur, le visage noirci par les cendres de son cousin. Il tremblait… mais il vivait encore. Ses yeux, deux lacs déments, se posèrent sur Clément — non plus avec la peur d’un mourant, mais avec la fureur d’un roi déchu prêt à tuer pour sa couronne.

Et Clément hésita.Le livre tremblait entre ses doigts. Il avait vu dans les yeux de Valère une terreur si humaine, si nue, qu’elle avait brisé le fil de sa voix.L’incantation s’était tue.

Lucien, se remettant de sa presque pendaison, n’y avait pas prêté attention.

Valère en profita.

Il se redressa lentement. Une main posée contre le mur, l’autre sur sa propre poitrine, il haleta comme un noyé retrouvant l’air. Son regard devint acéré, vif. Et d’une voix brisée mais ardente, il siffla :

— Viens… viens à moi, mon fidèle… mon fléau…

Un grondement retentit.La chaleur s’évapora en un instant, remplacée par un vent putride et glacial. Du plancher noir, une silhouette émergea, ramassée, monstrueuse, terrifiante.

Une chose à quatre pattes, puis deux.Un torse d’homme, des bras musculeux, griffus. Une gueule de chien fendue de crocs. Des yeux de loup, injectés de sang. Sa peau luisait comme celle d’un animal trempé. Sa respiration sifflait, rauque, animée d’une conscience sauvage.

La bête.

Elle poussa un hurlement si profond qu’il fit vibrer les organes de chacun, un cri qui semblait venir de la nuit elle-même.

Et elle bondit. D’un seul élan, elle se jeta sur Lucien.

Celui-ci fut projeté au sol avec une violence inhumaine. Ses mains martelaient le flanc de la bête, qui grognait, écumait, griffait. Il hurla :

— CLÉMENT, REPRENDS L’INCANTATION !

Mais Clément restait figé. Le livre tremblait entre ses doigts. Son regard allait de la bête à Valère, puis à Claire, morte sur Jean.

— Je… je peux pas…

Valère approchait à pas lents, une flamme revenant à la vie.

— Tu doutes, Clément Droitel. Tu doutes. Tu veux sauver ta ville ? Ou bien ton âme ?

Lucien, au sol, sentit les crocs s’enfoncer dans sa gorge. Le sang jaillit, chaud, gluant. Il poussa un râle de douleur, leva une main tremblante vers la créature, et trouva son revolver au sol.Ses doigts sanglants s’y refermèrent.

Il visa.

— Crève… bâtard…

Et il tira.

Une balle, en pleine gueule.L’œil gauche de la bête explosa dans un geyser noir. La chose hurla, et Valère hurla avec elle.

Il s’effondra à genoux, une main sur l’œil. Un cri de bête et d’homme à la fois.

Lucien, le visage ensanglanté, la peau arrachée par les crocs, jeta l’arme d’un geste faible mais précis. Le revolver glissa jusqu’au pentacle, à quelques centimètres des genoux de Clément. Ce dernier le prit entre ses mains.

D’une voix brisée, mais encore habitée de cette autorité humaine que rien ne peut corrompre, Lucien souffla :

— Tue-le… tue-le, Clément. Pour Claire. Pour Jean. Pour Ossenoir.

Clément tressaillit.Son cœur battait si fort qu’il en étouffait ses pensées. Il regarda Lucien, gisant dans son sang. Claire, écroulée sur Jean. Et Valère, à genoux, qui le regardait. Un regard vide, ou peut-être empli d’un espoir cruel.

L’air vibrait de silence.

Et Clément Droitel, petit fonctionnaire sans histoires, ferma les yeux.

Il reprit l’incantation. Mais sa voix était rauque, tremblante.

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Talharr
Posté le 27/07/2025
Hello,
Finalement la continuité avec le chapitre précédent se fait bien et je suis pas déçu, y a quand même un monstre plus terrifiant ahaa
Et la petite brigade quasi décimée...
Rouky
Posté le 28/07/2025
Salut ! 😊

Contente que ce chapitre te plaise !🥳L'histoire touche à sa fin, les aventures d'Ossenoir sont sur le point de se terminer...
Merci pour ton commentaire !😁
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