25) Discussion

— Si vous saviez ! roucoula Améthyste, avachie sur le canapé de la salle commune. C’était genre, fougueux ! Lili a des doigts tellement habiles, j’avais jamais ressenti ça, en plus c’était la première fois que j’le faisais avec elle, et elle est terriblement douée ! J’vous raconte pas, j’étais toute rouge et tellement en sueur, fiouf...! soupira-t-elle en faisant mine de s’éventer avec un magazine.

Pour ma part, je sirotais mon thé vert sur un fauteuil, tandis que Mauricio, Hélène et Timothée me regardaient chacun d’une manière différente, aucun n’ayant un regard qui me convienne. J’attrapais donc un des coussins du canapé et le jetais à la figure de Mauricio.

— Aïe ! Pourquoi moi ? geignit-il.

— Tu avais le regard le plus lubrique, expliquais-je non sans un sourire en coin. Et pour votre gouverne, elle parle du moment où nous avons joué du piano, précisais-je en prenant une autre gorgée de thé.

— C’est dommage, vous faites un beau couple, ricana Timothée, qui esquiva trop facilement le coussin que je lui lançais. Et donc, Améthyste est officiellement un membre du dortoir ? continua-t-il comme si de rien n’était. J’imagine qu’il faut fêter ça ?

— Ouais, répondit Hélène en hochant la tête, souriante. Il faudra envoyer des faire-part de mariage aussi ! s’esclaffa-t-elle, ne réagissant même pas lorsqu’elle se prit un coussin en pleine face.

— Vu ton doigté au piano, commença Améthyste d’un ton chafouin. J’vais p't’être me faire tatouer un clavier sur l –

— Amélie Verreccia ! l’interrompis-je en posant ma tasse de thé. Je n’ai plus de coussins sous la main, mais je peux aussi me lever pour te frapper, menaçais-je, ne plaisantant qu’à moitié.

— OK, OK, ricana-t-elle alors en levant les mains. Et donc, on attend quoi t’as dit ? demanda-t-elle.

Je levais un bref instant les yeux en direction de nos camarades de dortoir, décidant de ne pas répondre devant eux. C’est alors que je sentis mon téléphone vibrer au creux de ma main. Je déverrouillais l’écran et sursautais presque.

— Amélie, dans ma chambre, tout de suite ! déclarais-je en me levant, tapotant un message sur mon téléphone.

La Napolitaine se dépêcha de me suivre, montant les marches deux par deux pour suivre le rythme de mes pas. Derrière moi, j’entendis vaguement Mauricio faire une remarque déplacée. Puis le bruit caractéristique d’un coussin envoyé en pleine figure, avec une telle force qu’il devait forcément s’agir d’Hélène.

J’ouvrais alors la porte de ma chambre et la refermais derrière Améthyste, avant d’aller rapidement m’asseoir au petit bureau qui se trouvait contre le mur.

Je posais ensuite mon téléphone sur le plan de travail et déclenchais un appel privé via Discord, avant de le mettre sur haut-parleur.

— T’es sérieuse ? On va vraiment lui causer ? souffla Améthyste, que j’imaginais être en train d’écarquiller les yeux derrière ses lunettes.

— Oui, mais elle n’a que quelques minutes, il faudra faire vite, répondis-je.

— Allô ? demanda alors une voix que je reconnaissais plutôt bien. J’ai cinq minutes, pas une de plus.

— C’est dingue ! s’enthousiasma Améthyste. Vous v'nez vraiment d’l’espace ?

Je roulais des yeux.

— Ah, j’imagine qu’il s’agit de ton alliée, résonna la voix de Shôgi à travers mon téléphone. Enchantée, Amélie, je compte sur ta discrétion.

J’écarquillais les yeux un bref instant.

— Attendez ! Comment vous pouvez savoir...

— J’ai piraté un satellite militaire pour vous espionner, déclara Shôgi.

— Trop cool… vous êtes balèze, siffla la DJ.

— Je plaisante, rétorqua l’extraterrestre, à mon grand soulagement. J’avais prévu que ça se passerait comme ça.

— Wahou, c’est… encore plus balèze en fait… songea Améthyste en portant un doigt à son menton.

Pour ma part, je soupirais. Je n’aurais pas su dire pourquoi, mais je me doutais qu’elle avait plus ou moins prévu tout cela.

— Bref, puisque nous n’avons pas beaucoup de temps, j’aimerais vous poser des questions, demandais-je en m’approchant du téléphone.

— Ouais, pourquoi vos tétons ont cette couleur ? demanda Améthyste, à mon grand désarroi. Et j’aurai droit à quoi pour ma participation ?

— Oh, oui bien sûr, je pourrais réaliser un de tes vœux, répondit simplement Shôgi. Pour ton autre question, c’est simple : quand ma race allaite, les mamelons se dilatent et du coup, la mélanine se –

— Ne répondez pas à cette question !! interrompis-je alors en me frappant le front du plat de la main. Je voulais vous dire que mon père s’attend à ce que vous veniez, il veut vous piéger ! enchaînais-je, afin de ramener la conversation à des sujets plus sérieux.

— Oui, je m’en doutais, répondit Shôgi. Et tu as un plan d’action ?

— Presque. Ce vendredi, j’ai rendez-vous avec le Dr Satriani, ce qui me permettra de l’interroger un peu. Mon idée, c’est que mon père cherchera à vous coincer à l’endroit où se trouve l’objet que vous cherchez. Si j’arrive à me faire passer pour vous, je devrais donc pouvoir m’en approcher assez près. Pour la suite… je ne sais pas encore, soupirais-je en replaçant une mèche de mes cheveux.

— Je vois, dit mon interlocutrice à travers le téléphone. Au fait, est-ce que tu sens comme de l’électricité te parcourir quand tu utilises ton pouvoir ?

— Eh bien, heu, oui, bredouillais-je. C’est instinctif, mais je… j’arrive à diriger cette énergie à travers mon corps, mais je n’en saisis pas bien la nature.

— Les mitochondries, commença Shôgi tandis que j’entendais le bruit de ses pas à travers le téléphone, m’indiquant qu’elle devait marcher dans de grands couloirs vides. Le cœur des cellules de ton corps se charge d’énergie et est capable de la transmettre à une autre. Une énergie qui peut donc prendre la forme d’un signal plus ou moins complexe.

— Hey ! s’exclama Améthyste, visiblement enthousiasmée par la conversation. Ça veut dire que t’es un câble Ethernet vivant ! plaisanta-t-elle.

— Améthyste, nous n’avons pas le temps pour tes plaisanteries ! La réprimandais-je.

— Plutôt comme de la fibre optique, expliqua alors Shôgi, à mon grand étonnement. Tu es intelligente Amélie, à ta manière. Tu as une compréhension instinctive des choses, ce qui manque à Lili d’ailleurs. Tu me fais penser à une race de ma planète.

— Shôgi ! appelais-je pour récupérer son attention. J’ai besoin de vos conseils, là !

— Ah, oui, bien sûr ! fit-elle soudainement, tandis que j’entendais le bip caractéristique d’un digicode. Je suis très occupée, mais si j’ai un conseil à te donner, c’est de faire preuve de patience. Et de toujours entreprendre une confrontation en gardant à l’esprit que tu finiras forcément par l’emporter.

— Et… c’est tout ? m’étonnai-je en faisant un geste inutile des mains. Je croyais que vous étiez suprêmement intelligente !

— Oh, fais-moi confiance… souffla Shôgi d’un ton sibyllin. Tu n’as besoin de rien d’autre pour réussir ! Bon, je te laisse.

J’entendis alors le bruit caractéristique de vérins et de pistons s’activant pour déplacer une énorme charge, accompagné d’un brouhaha typique de gens s’affairant à des tâches délicates et complexes. Je m’étais évidemment posé beaucoup de questions sur cette extraterrestre, mais à ce moment précis, j’étais extrêmement curieuse de savoir où elle était, et ce qu’elle y faisait.

— Bon sang, mais que faites-vous de si urgent ?

— Je créais un dieu, souffla-t-elle simplement avant de raccrocher.

Le son caractéristique d’un contact quittant la conversation vocale résonna alors dans ma chambre. Pour ma part, je n’étais pas plus avancée et croisais les bras sur le bureau avant d’y laisser tomber ma tête.

— En tous cas c’est cool, elle a dit qu’elle réaliserait un de mes vœux ! s’enthousiasma Améthyste.

— C’est tout ce qui te préoccupe, hein ? soupirais-je sans relever la tête de mes bras. Elle ne nous aide pas, et en plus ses derniers mots étaient limite inquiétants...!

— Bah, elle te chambre, balaya Amélie. Elle disait ça au sens figuré, ou juste pour déconner. Et puis c’est une bonne nouvelle ! Déclara-t-elle en s’approchant de moi, posant ses mains sur mes épaules avant de les masser doucement. Elle a dit que t’avais juste besoin de patience et de confiance en toi, en gros, ça veut dire qu’elle sait qu’tu peux gérer. Et comme elle est super intelligente, c’est qu’elle a forcément raison, hein ?

Je sentis alors mon corps se détendre. Non seulement il était agréable de se faire masser les épaules après autant de stress, mais les mots de ma camarade étaient également pleins de justesse et de réconfort. Sa simplicité et sa franchise naturelles faisaient qu’elle était toujours d’un réconfort plutôt rafraîchissant.

Je soupirais alors profondément et laissais aller ma joue contre le contreplaqué agréablement froid du plan de travail.

— Oui, tu as raison… soufflais-je, un brin apaisée. C’est vrai que… je manque de confiance en moi depuis que je suis arrivée ici.

Je soupirais de soulagement lorsque je sentis les mains visiblement expertes d’Améthyste défaire les nœuds de mes épaules, tandis qu’elle continuait de les masser. Il était rare que j’accepte que quelqu’un me touche, surtout de cette manière. Mais la Napolitaine avait le don de passer mes défenses les plus solides comme si elles n’étaient rien.

— Bah, j’dirais pas ça, t’as tenu tête à Misandre et t’avais même pas Cool Cat, c’était balèze de ouf quand même, m’expliqua-t-elle en continuant ses bons soins.

— Ça n’avait rien à voir avec de la confiance… soupirais-je. C’est comme quand nous nous sommes disputées. Je défendais simplement aveuglément mon point de vue, je cherchais seulement des arguments, pas de la conviction profonde… tentais-je d’expliquer.

— J’comprends pas tout mais… hésita Amélie. Dans ce cas, ça veut dire qu’il faut juste que tu laisses parler tes émotions, non ? Surtout que c’est ça, le domaine de Cool Cat.

J’écarquillais brièvement les yeux en me rendant soudainement compte qu’elle avait raison. Dans mon enfance, on m’avait appris à brider mes émotions, à étouffer mes angoisses plutôt qu’à les exprimer, à contenir mon stress plutôt que de le montrer… Stress qui me tétanisait trop souvent en défilant sous forme de partition dans mon esprit.

— Merci Améthyste, déclarais-je en me retournant pour la serrer dans mes bras. Tu es une véritable amie, confessais-je.

— Haha, ouais t’inquiète, fit-elle en me rendant mon étreinte. On les aura ! ajouta-t-elle avec bonne humeur.

Je relâchais alors la Napolitaine et hochais la tête avec un début de sourire. Rares étaient les personnes à pouvoir me remonter aussi efficacement le moral. Et j’avais la chance que l’une d’elles soit à mes côtés.

— Tu sais Améthyste, dis-je en arrangeant son pull. Finalement, je pense que…

Je fus alors interrompue par la sonnerie de mon téléphone, qui me notifiait que je venais de recevoir un mail. J’attrapais alors mon appareil et ouvrais le message.

— C’est le garçon de cet après-midi dont je t’avais parlé, déclarais-je alors.

— Ah, le mec qui devait te filer des infos ? Y dit quoi ? demanda ma collègue.

— Voyons cela… dis-je avant de commencer à lire. « Salut, je ne sais pas grand-chose, je te le jure ! Mais je connais l’Emprise de Satriani. Je vais te le dire, mais après tu me laisses tranquille OK ? Il peut déclencher l’angoisse d’être malade chez les gens… ça doit être parce qu’il est docteur à la base, mais il faut qu’il te touche pour ça, je crois. »

Un sourire victorieux se dessina sur mes lèvres tandis que je supprimais le mail, par sécurité.

— Hey, t’as rendez-vous avec lui vendredi en plus ! Tu devrais p't’être annuler Lili, j’le sens pas trop ce coup-là, souffla Améthyste en fronçant les sourcils, tandis qu’elle remontait ses lunettes sur son nez.

— Au contraire ! J’ai un coup d’avance sur lui, voire plusieurs. Et si j’arrive à lui faire comprendre qu’il ne peut rien contre moi, lui, le doyen du campus, alors j’aurais frappé un grand coup ! Déclarais-je, enthousiasmée par cette simple idée.

— Lili, c’est ultra chaud c’t’histoire ! Justement, c’est un gros boss ! T’es peut-être pas encore de taille contre lui ! s’inquiéta Amélie. Dans les jeux vidéos, tu dois d’abord vaincre des ennemis plus faibles pour gagner des points d’expérience, pour ensuite aller battre un boss ! décrivit-elle.

— Améthyste, soupirais-je en secouant la tête. Ta logique de jeu vidéo peut parfois avoir du sens, mais là, on parle d’un ennemi sur lequel j’ai l’avantage par défaut. Et puis j’ai déjà affronté et « vaincu » Morituri et Misandre sans Cool Cat, tu l’as toi-même reconnu ! Et puis c’est ce qu’a dit Shôgi non ? D’avoir confiance en moi ! déclarais-je en portant une main à ma poitrine, avec un sourire confiant.

La Napolitaine sembla hésiter un instant puis finit par soupirer en passant une main à l’arrière de son crâne. Puis elle fit claquer sa langue en tâtant les poches de son jean.

— Bon, OK. Mais pas d’imprudence hein ? lâcha-t-elle finalement en sortant un objet d’une de ses poches. Et j’veux qu’tu prennes ça ! déclara-t-elle en me tendant un étrange manche en ivoire.

Je prenais alors l’objet en hochant distraitement la tête et l’observais attentivement. Sur ce manche en ivoire véritable, bordé d’une très jolie nacre et clouté de titane, étaient imprimées en lettres dorées les initiales « A.V. » en lettres cursives. C’était très vraisemblablement l’œuvre d’un artisan chevronné. Je m’étonnais alors de voir un objet d’une telle valeur entre les mains d’Améthyste qui, de son propre aveu, avait toujours subi des problèmes financiers. Il n’était alors pas difficile de deviner la valeur sentimentale qu’elle y accordait.

— Améthyste, non… soufflais-je, je ne peux pas accepter ça. Et puis je ne sais même pas…

Sentant une aspérité sur l’une des décorations en titane du manche, j’y appuyais par curiosité, et une lame jaillit de l’autre bout du manche. Il s’agissait donc d’un couteau automatique typiquement italien, et la lame elle-même semblait être revêtue de titane au vu de ses reflets caractéristiques.

Je fis rentrer la lame dans le manche, puis je posais l’objet sur le bureau, à moitié fascinée et à moitié effrayée.

— Améthyste je… Je ne peux pas ! C’est une pièce d’artisanat unique et je suis sûre que tu y tiens énormément pour ne pas l’avoir vendu ! déclarais-je alors en me retournant vers la Napolitaine. Et puis, je veux dire, non ! Je ne peux simplement pas me promener avec une arme !

Amélie soupira en secouant la tête, puis reprit son bien en activant un autre mécanisme.

— Regarde, il y a un cran de sécurité, m’expliqua-t-elle. Et puis je sais qu’t’en prendras soin, tu m’le rendras quand c’t’histoire sera finie ! tenta-t-elle de négocier. Je s’rais vraiment pas tranquille si t’avais pas un moyen efficace de t’défendre, juste au cas où !

— Amélie, repris-je en levant la main, Cool Cat est déjà très puissant !

— Ouais ! Mais quand t’es stressée t’arrives pas à l’utiliser ! fit-elle remarquer avec justesse. Et si t’en abuses tu tombes dans les vapes j’te rappelle ! ajouta-t-elle en agitant le manche du couteau dans ma direction. Et puis une lame, ça peut servir à tout un tas d’trucs ! Tu peux couper plein d’choses ! Faire sauter une serrure, creuser dans du bois, tailler une branche… énuméra-t-elle avant de secouer la tête, comme si trop d’exemples lui venaient. Je l’ai même utilisé pour ouvrir un abcès purulent qui me collait à la cuisse, ça m’a économisé une visite à l’hôpital ! déclara-t-elle.

Je me sentis blanchir à cette dernière anecdote. En France, il me semblait que les soins étaient gratuits… cependant, connaissant le caractère de mon amie, je ne doutais pas qu’elle préférait prendre les choses en mains du moment qu’elle le pouvait. Cependant, je soupirais.

— Écoute, je ne suis pas convaincue, je n’ai pas envie de blesser quelqu’un dans le feu de l’action…

— Lili, c’est juste une lame ! C’est pas un flingue ! tenta-t-elle de relativiser. Les flingues sont faits pour tuer les gens, d’accord, mais les couteaux sont genre les plus vieux outils de l’histoire ! Et regarde bien cette lame ! m’encouragea-t-elle tandis que je relevais la tête. Elle a justement été forgée trop courte pour atteindre des organes vitaux et ne possède qu’un seul bord tranchant ! C’est pas un poignard non plus ! Ça fait à peine un bon surin ! fit-elle en souriant.

À ces mots, elle plaça la largeur de quatre de ses doigts sur la longueur de la lame, ce qui la cachait complètement. J’avais entendu dire qu’il s’agissait là d’un moyen de vérifier si une lame respectait certaines restrictions. Je pris alors une grande inspiration et soupirais.

— Très bien Améthyste, cédais-je. Je veux bien garder ton Armando Beltrame dans mon sac à main, cédais-je. Mais j’espère vraiment que je n’en aurais pas besoin, ce n’est pas très digne d’une lady, concluais-je finalement.

— Haha, tu m’fais plaisir ! déclara-t-elle en posant l’objet au creux de ma main avant de la refermer avec les siennes. Je te jure, ça me rassure de savoir que tu l’as avec toi !

Je rangeais alors le précieux couteau dans mon sac à main, dans une petite poche à part, par précaution. Et même s’il était équipé d’un cran de sûreté, on n’était jamais trop prudent.

— Tu n’as pas été étonnée que je devine le nom du fabricant, déclarais-je alors d’un ton plutôt enjoué, tentant de changer de sujet.

— Haha, t’es cultivée Lili, ça m’a même pas étonnée !

Sa voix légèrement éraillée lui donnait un côté charmant, très garçon manqué en quelque sorte, ce qui collait diablement bien à sa personnalité.

— Bien, commençais-je en me levant du bureau. J’imagine qu’on devrait s’occuper de cuisiner notre repas de ce soir, manger, se détendre quelques instants et aller se coucher tôt, j’ai cours à huit heures demain matin…

— Heuuu… Désolée, j’peux pas rester c’soir… s’excusa la voix visiblement gênée de la Napolitaine.

— Ah ? Et pourquoi je vous prie ? demandais-je en plissant légèrement les yeux, sans trop savoir pourquoi.

— En fait, j’ai un set ce soir et j’peux pas l’rater. Genre ma réputation et ma paie, c’est important quoi. Puis j’ai des fans et…

— Oh, tu donnes un concert ? C’est formidable ! déclarais-je en retrouvant le sourire. Alors on pourrait dîner léger et on irait toutes les deux, ça serait vraiment formidable, m’enthousiasmais-je.

— Lili, je… Nan, c’est vraiment pas un endroit fait pour toi ! Et puis tu sais, c’est de la musique forte que t’aimes pas et y aura que des gens comme moi, voir encore plus pétés que moi, et puis c’est… Bah, c’est pas un lieu pour toi.

— Ah, mais, je… bredouillais-je en baissant la tête, ne sachant moi-même pas pourquoi j’étais aussi déçue. J’espérais passer la soirée avec toi… soufflais-je finalement.

— Hey, c’est pas grave, me rassura Améthyste en posant ses mains sur mes épaules. On est colloc' maint'nant, on aura plein d’occasions de s’faire des soirées.

Ce que je n’osais pas lui dire, c’était que j’avais envie qu’elle reste avec moi ce soir en particulier. J’avais besoin de sa bonne humeur, de son talent naturel pour me faire rire. Et surtout, je voulais impérativement dormir avec elle… Pour ne pas être seule, dans un premier temps, et dans un second temps, pour voir si, en la regardant dormir sous les mêmes draps que les miens, cela me faisait quelque chose. Je ne voulais pas soudainement être mal à l’aise à l’idée de dormir avec elle. Et j’aurais voulu m’en assurer dès ce soir.

— Bien, soit, fis-je alors simplement en me dirigeant vers la bouilloire avant de la mettre en marche. Et à quelle heure comptes-tu rentrer ?

— Heu… y vaut mieux qu’on s’retrouve à la cantine vers midi. Je risque pas tant de finir tard dans la nuit, que tôt dans la matinée, expliqua-t-elle avec un petit rire gêné.

En sortant une tasse du placard, je la posais sur le plan de travail un peu plus violemment que ce que j’aurais voulu.

— Pardon, elle m’a glissé des mains, expliquais-je avec une amertume mal camouflée. Eh bien, nous nous reverrons demain dans ce cas.

— Lili… soupira Améthyste. T’es sûre que ça va ? J’ai l’impression… que tu me fais une scène, là.

— Non, en aucun cas ! déclarais-je en m’asseyant bien droit sur une chaise devant la table, mon thé en main. En aucune façon, cela ne me ressemble pas ! continuais-je sur le même ton.

— Heu… OK… souffla la Napolitaine. Alors, heu, j’vais aller préparer mes affaires à mon camion et on s’revoit demain…

— Oui, parfaitement, et peut être que je pourrais prendre le thé et discuter avec ton couteau en attendant ! déclarais-je sur un ton qui se voulait plein d’humour, mais qui n’était que plein d’amertume.

— Merde, soupira alors Amélie. En temps normal j’aurais trouvé mignon ton numéro passif agressif, mais j’te préviens qu’si tu joues pas franc-jeu, on va pas s’entendre ! déclara-t-elle, commençant à légèrement s’agacer.

Et comment pouvais-je lui en vouloir après tout ? Depuis que j’étais arrivée ici, hors de mon carcan social habituel, savamment sculpté par mon père, mes émotions avaient la fâcheuse tendance de m’échapper. Je relâchais alors ma tasse de thé et la posais sur la table avant de baisser doucement la tête.

— Je… je te demande pardon Amélie je… J’aurais vraiment souhaité être avec toi, ce soir en particulier. Je sens que je vais déprimer, toute seule, soufflais-je en passant une main sur mon visage. Je suis désolée.

— Hey, c’est pas grave, dit-elle en venant poser une main sur mon bras. Tu vas pas déprimer, tu vas en profiter pour réfléchir, faire les trucs que tu fais d’habitude et, heu… jouer du violon.

— Violoncelle, corrigeais-je par réflexe.

— Oui, si tu veux, affirma Améthyste, qui n’avait peut-être pas vraiment compris. Et je te promets que demain soir, on se fera une soirée entre filles du tonnerre ! On regardera des séries, on se fera les ongles et on jouera à des jeux vidéos ! On f'ra tout c’que tu veux OK ? proposa-t-elle pour me rassurer.

— Oui, oui, je veux bien… soufflais-je avec un début de sourire, ayant déjà hâte d’être à demain soir. Mais… pourquoi tu ne veux pas que je vienne ? J’ai l’impression que ce n’est pas juste une histoire de musique trop forte… demandais-je.

— Baaaah, c’est… C’est le genre de soirée réservée aux filles… à un certain type de filles, ajouta-t-elle finalement.

— Oh… fis-je relevant la tête. Ooohh… ajoutais-je en écarquillant les yeux. Oh je vois, oui je… Et puis tu l’as dit toi-même, je suis canon ! déclarais-je en souriant et en joignant mes mains.

— Je saurais jamais pourquoi ça t’éclate autant d’être un appât à lesbiennes, ricana Améthyste en secouant la tête. Bon, ben puisque c’est réglé, à demain !

— À demain Améthyste ! Et n’oublie pas que tu me dois ta soirée de demain ! rappelais-je avec un sourire.

— Ouais, ouais… au fait, j’peux t’emprunter du gloss ? demanda-t-elle.

— Bien sûr, répondis-je en prenant une gorgée de thé. Sur le lavabo, il est à la cerise. Et pas de folies hein ?

— Oui maman, se moqua-t-elle depuis la salle de bain.

— Et n’accepte pas de bonbons de la part d’inconnus, ça pourrait être de la drogue ! ajoutais-je en l’entendant quitter la salle de bain pour aller vers la porte.

— Ouais, promis, j’en prendrais que si je suis sûre et certaine que c’est d’la drogue ! plaisanta-t-elle en espérant me désarçonner.

— Parfait, je passerais au commissariat leur donner une couverture et un panier d’oranges à ton intention, renchéris-je avec un petit rire.

— Haha, t’es trop forte à c’jeu ! déclara Améthyste en ouvrant la porte de la chambre, fourrant son téléphone dans sa poche. Allez, à demain ma chérie, prépare notre dîner aux chandelles et n’oublie pas les pétales de rose sur le lit !

— Améthyste ! réprimandais-je en me levant et frappant du plat de la main sur la table.

Cependant, au moment où je m’étais levée, Améthyste avait déjà fermé la porte derrière elle et s’en allait à travers le couloir en riant comme un bossu.

Et moi je me tenais là, un sourire étiré d’une oreille à l’autre à cause d’une plaisanterie qui aurait dû m’outrer, mais qui, pour une raison qui m’échappait, me donnait envie de rire. Pas d’un rire moqueur, ni même d’un rire amusé, mais d’un rire typique de la gent féminine, de ce que j’en savais. Le genre de rire que l’on pousse, lorsque l’on trouve quelque chose de beaucoup trop mignon pour être vrai.

Reprenant mes esprits en chassant mes pensées les plus futiles d’un vif mouvement de la tête, je me dirigeais alors vers mon violoncelle. C’était très exactement dans ce genre de cas que j’avais besoin d’en jouer, pour pouvoir me vider la tête et faire le point. Et surtout, établir un plan d’action pour infiltrer le club dans lequel jouerait Améthyste ce soir-là.

Car je n’avais pas abandonné cette idée. Je devais lui prouver que je pouvais être à l’aise dans son univers, afin de l’encourager à se confier à moi. Sans que je ne sache pourquoi, je nourrissais une grande frustration d’être ainsi tenue à l’écart d’une part importante de sa vie. Et même si je ne me l’expliquais pas, il était hors de question que je n’y fasse rien.

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