Sous l'effet de la surprise, je recouvris mes esprits.
- Qu'est-ce que tu fais avec ça ?
- C'est toi qui m'as dit de ne pas venir sans protections, déforma-t-il d'une voix lascive, la recommandation que je lui avais faite à notre rencontre.
- Mais… où est-ce que tu l'as eue ? demandai-je encore, déstabilisé.
- À l'université. Il y en avait dans les toilettes le jour où on est allés acheter des fringues.
J'avalai de la salive sèche pour humecter ma gorge devenue râpeuse en découvrant que mon ami avait eu le cran qui m'avait manqué. Je me demandai s'il avait pris le préservatif par hasard ou s'il prévoyait déjà, à ce moment-là, des occasions de s'en servir.
- Alors ? Tu veux ? me pressa-t-il.
Je n'avais jamais rien connu de plus engageant que le corps tendu de Sacha dans le clair-obscur de la chambre et je pouvais entendre la voix étouffée de ma queue me criant dans le carcan de mon jean que ce corps était the place to be ! Je desserrai un peu ma braguette pour me mettre plus à l'aise, ce que l'objet de mon désir prit pour une réponse, écartant ses cuisses de part et d'autre de ma taille et me laissant sentir la bosse naissante de son entrejambe contre la mienne.
Pourtant, j'avais quelques réserves.
- Je l'ai jamais fait… avec un homme, crus-je bon d'avouer.
« Avec un homme » était de trop mais, cela, je songeai qu'il n'était pas nécessaire de le préciser.
- Ça va briller d'amateurisme, dis-moi ! me confia Sacha en riant, nullement inquiet de notre inexpérience partagée.
Je ne pouvais cesser de me dire qu'il était beau avec ce visage-là, tout empreint d'enthousiasme et de certitude, et que si je reculais maintenant, j'allais le décevoir. J'allais me décevoir.
Je ne dis rien. Je passai seulement ma main sous son T-shirt tout en recommençant d'embrasser le contour de sa mâchoire. Soudain, Sacha se contracta en même temps que j'eus une sensation étrange au toucher. Mes doigts avaient rencontré une sorte de petit bouton métallique. Déconcerté, je me redressai et soulevai entièrement le vêtement pour voir ce dont il s'agissait. Baignant dans la pénombre, deux petites billes luisaient de chaque côté de son téton gauche, joliment provocatrices. Je compris pourquoi il s’était arrangé, ces derniers jours, pour ne pas se montrer torse-nu.
- Je vois où est passé mon fric… notai-je, feignant l'agacement.
- Au moins, tu en profites aussi, plaida Sacha en remuant de contentement.
- De quand ça date ?
Le coquin se mordit la lèvre inférieure sans parvenir à réprimer son sourire.
- Du même jour que la capote. Tu te souviens quand tu m'as accusé d'avoir lambiné, dans la galerie marchande ? Eh bien, c'était faux : le prince ne flânait pas.
Je secouai lentement la tête de droite à gauche, comme quelqu'un qui réalise qu'on l'a fait tourner en bourrique. C’était quasiment l’aveu qu’il avait déjà des idées en tête à ce moment-là. Néanmoins, je décidai de laisser en paix son piercing encore sensible et de passer à autre chose.
Avec mon aide, il termina de se débarrasser de son haut avant de s'attaquer au mien. Ma peau découvrit, crûment, les sensations produites par l'épiderme d'un autre être humain. La texture était singulière, chaude et souple : singulièrement plaisante. Peu à peu, je recouvrai cet état mental proche de la rêverie qui avait jusque-là entouré notre baiser continu. Sacha prit un peu de distance pour négocier la déchéance déjà amorcée de mon pantalon et de mon sous-vêtement. Glissant le préservatif entre ses lèvres pour libérer ses mains, il me retira mes habits tout naturellement et, de même, je fis glisser les siens jusqu'au bout de ses jambes. Je remarquai au toucher qu'il ne portait plus ses chaussettes et me demandai par quel miracle il était parvenu à s'en débarrasser ; mes pieds étaient toujours prisonniers des leurs. J'étais à poil, en chaussettes. C'était encore plus ridicule que la fois où je les avais combinées à un tablier. Je me contorsionnai pour les enlever sans grâce aucune. Nos yeux s'étaient trop habitués à l'obscurité pour que mes gesticulations passent inaperçues. Sacha s'exaspéra bruyamment :
- Martin, t'es une véritable catastrophe !
Il n'y avait plus d'ironie dans le ton qu'il employait : il m'en voulait réellement d'avoir brisé le romantisme de l'instant. Habile, heureusement, à réparer l'ambiance, il trouva la parade dans la comédie :
- Tu peux rien faire sans moi, hein ? Viens ici, je vais t'aider.
À ces mots, je sentis quelque chose frôler mes poils pubiens, puis une main se saisit de mon sexe, me faisant clore les yeux d'ivresse. Elle le tenait avec douceur mais aussi avec une fermeté affectée, comme pour m'empêcher de me soustraire à son étau. J'entendis crisser un emballage en plastique et quelque chose se posa sur mon gland. Je rouvris les yeux pour distinguer les doigts de Sacha dont la silhouette déroulait le préservatif. Sa mission accomplie, il me relâcha doucement, me passant la main pour la suite des événements.
Un peu tremblant, je tâtai le costume inédit de mon membre dressé. Mes doigts glissèrent lentement sur le revêtement humide, de haut en bas et de bas en haut. Les jugeant suffisamment lubrifiés, je les envoyai explorer Sacha. Du pouce, je remontai l'intérieur de sa cuisse, à la recherche de ses fesses. Sacha hâta ma promenade mystérieuse en bougeant légèrement. Mes doigts se trouvèrent directement transportés sur leur destination.
Sacha retint son souffle pour ne pas faire de faux mouvement. À l’inverse, ma respiration saccadée résonnait dans toute la pièce. Le plus délicatement qu'il me fut possible, me tenant prêt à reculer si soudain il s'effrayait, j'insérai en lui index et majeur. Il expira longuement, d'un soupir contrôlé. Mes doigts corsetés dansèrent une minute ou deux avant de s'épuiser. Je lui demandai ce qu'il ressentait, il me répondit qu'il n'avait pas mal mais que « ça faisait bizarre ».
Je récupérai mes doigts que je commençais à ne plus sentir, peu rassuré quand à ce que cela présageait pour la suite. Je permis néanmoins à l'invitée d'honneur de s'avancer. Mais j'hésitais. Je n'avais que le toucher pour me repérer dans le noir et je sentais par ailleurs que le lubrifiant du préservatif n'était pas suffisant. Cependant, les mains de Sacha se plaquèrent sur mes hanches, les attirant contre lui, m'incitant à le faire. Alors, je me penchai au-dessus de son corps, pris à ses lèvres un baiser d'encouragement et, du même coup, le pénétrai.
Aussitôt, l'une de ses mains me lâcha, allant s'agripper aux draps. J'étais pourtant à peine en lui. Je balançai lentement mon bassin, gagnant du terrain par à-coups. Enfin, je me trouvai complètement dans l'antre de son corps. Pendant quelques instants, je ne bougeai plus pour le laisser s'habituer et pour moi-même reprendre mon souffle.
Il me parut qu'il se détendait ; sa main lâcha les couvertures pour revenir caresser ma joue, elle suivit le contour de mon oreille, me faisant frissonner. Il tendit le cou et sa langue remplaça ses doigts sur mon lobe. Elle s'aventura jusqu'à mon conduit auditif, provoquant dans tout mon corps une intense vibration de plaisir. Il dut sentir ma réaction dans le bas de son dos car il se cambra légèrement. L'une de ses jambes, relevée, reposait sur mon épaule. Je tournai la tête pour l'embrasser et y frotter ma joue.
Enfin, je commençai à aller et venir d'un mouvement plus ample qu'au moment où je l’avais pénétré. Cependant, j'avais peur de lui faire mal et les gémissements qu'il laissait échapper de plus en plus souvent, de plus en plus fort, semblables à des plaintes, me poussèrent à ralentir. Mais contredisant mon impression, Sacha s’écria :
- Anh… Anh… Anhcore… !
Surpris, j'accélérai le mouvement, tâchant de suivre le rythme de ses exclamations, toutes plus synonymes de jouissance les unes que les autres. Entraîné dans la cadence, je ne pus me retenir d'émettre timidement mes propres sons tout en me sentant un peu stupide de le faire. Ses paumes brûlantes de désir massaient mon dos. Et les cris succédaient aux cris et à l'appel de mon nom l'appel du sien.
Sacha simulait. Il gémissait comme une pornstar. Croyait-il que j'étais naïf au point de ne pas finir par m'en rendre compte ? J'aurais voulu qu'il arrête. Non que ça ne fût excitant, mais fabulant ainsi, il m'empêchait absolument de savoir s'il aimait ou pas. Pourtant, je voulais tellement qu’il ressente du plaisir.
J'eus alors l'idée de glisser ma main entre nous, de caresser moi aussi son sexe. Je me demandais quelle forme il avait, quelle couleur ? Je l'imaginais sans aucun doute splendide comme le reste de son corps mais mes hypothèses inspirées ne satisfaisaient pas ma curiosité. Il ne me restait qu'à le palper, l’enlacer, le chatouiller. La voix de mon partenaire se fit subitement plus discrète. La masturbation que je lui offrais tapait dans le mille. Il avait baissé le volume pour se concentrer sur les sensations que lui procurait ma main, ne faisant plus entendre que d'intenses petits soupirs, plus sincères.
Malgré tout, je ne parvins pas à le faire jouir. Quant à mon propre plaisir, je n’y pensais plus depuis longtemps. Je ne sais combien de minutes, d'heures peut-être, s'étaient écoulées. Au bout d'un certain temps, harassés, nous jugeâmes d'un commun accord que c'était assez. Je retombai sur le dos, Sacha se recroquevilla contre mon torse dans une position qui nous était plus habituelle. Mon pouce effectua sans relâche des rotations câlines sur son épaule et quelques baisers éparpillés continuèrent de surnager entre nous jusqu'à ce que nous nous endormions.