25 | Nos effréelles (2/2)

Notes de l’auteur : Chapitre mis à jour le 17.02.24.

JULES.

Ma joue saigne, j’demande à Caligo :

— Comment savoir si j’peux t’faire confiance ?

— Eh bien. De toute évidence, tu ne peux pas. Va falloir que tu prennes le risque, mais si ça peut te rassurer : ça sera toujours moins dangereux qu’arpenter des idéelles dans le vide. Ou bien ?

Cette fois, c’est du vrai narquois qui s’est invité sur ses traits tout-àl si falots et impassibles. L’acéré d’sa face m’fiche l’frisson, d’autant plus qu’il s’penche en avant, m’donnant à voir un nez aquilin qui donne une ombre inquiétante à son profil. Penché qu’il est, l’vent fait osciller son long manteau. L’odeur d’désinfectant m’irrite les sinus. L’y souffle :

— Tu n’imagines pas toutes les connaissances que détient le noyau central de l’Onde. Et tout ce que nous venons de découvrir sur les Absolus et le passé de Noée Elévie : c’est typiquement un genre d’informations qu’ils sauront éclaircir.

— Laisse-moi deviner, tous ces trucs que sait l’Onde, c’sont des infos que toi tu sais pas ?

Les narines d’son nez tressaillent. J’prends un air vainqueur.

— Et surtout, moi j’veux savoir, continué-je, à m’amener chez eux, qu’est-ce que tu y gagnerais, toi ?

Pendant un court instant, Caligo n’dit plus rien. Ce pli cette bouche, ce sourire goguenard s’crispe, sa figure dédaigneuse s’statufie, et soudain c’est d’un grotesque son expression tant ça n’y ressemble plus à rien. Mélange entre frigidité, suffisance, désinvolture, irritation, enfin j’sais pas trop, mais soudain ça y bouge, comme si ça éclatait l’intériorité de Caligo. Lui dont la figure, au premier masque d’indifférence, s’dévoilait dédaigneuse, il renonce définito à son jeu d’gaillard flegmatique. Sa face s’durcit et s’violencit, comme si elle s’ouvrait honnête d’vant moi. Alors Caligo recule, hargné, les fentes cireuses d’ses yeux lançant d’étranges éclairs. Son papillon s’agito-volète autour d’lui, et c’est si subit comme transform’ d’attitude que j’me demande si c’est bien la même personne que j’ai devant moi. Tout grand qu’il me r’couvre de son ombre, et pis il assène, s’couant ses ch’veux blancs, la voix pleine et grondante :

— Arrête, petite. Arrête d’être aussi méfiante. À faire partie de l’Onde, tout le monde possède ses motivations mais personne n’est obligé de les dévoiler s’il n’en ressent pas envie. Ce n’est pas pour autant qu’on est mus par de mauvaises intentions ou qu’on est infidèles à une cause. Ça ne te suffit donc pas, si je te dis que je suis avec les Ondés ?

— Carrément pas.

Les muscles d’son visage s’contracturent. Pis ça vitesse derrière ses yeux, comme s’il faisait un tas d’calculs, le pour le contre, sur c’qu’il doit m’dire ou pas. Ses mains, en attendant, sortent la ‘tite bouteille et s’désinfectent que ça pue. D’un mouv’ extra brusque, il range l’flacon dans son manteau. Pis, déterminé et cassant :

— Bon. Tu vois les Aèdes ?

Tout ça qu’il m’épeure soudain. J’y ai la violente envie d’me tailler. Mais alors que j’recule peu à peu, la lèvre mordue, lui il impériance sa posture pour m’retenir, fortifie l’maintien d’son buste, remplit son r’gard d’froide obscurité. C’est d’la colère qui court en lui, mais d’la colère froide, réfléchie, efficace, intelligente, une colère qui est pire qu’la colère chaude des impulsifs, pask’ ceux-là finissent toujours par tout foirer, tandis que les autres ont une longueur d’avance sur l’ennemi et c’est ça, final’, qui finit par l’emporter.

— C’est une des Maisons en Eurythmie, continue-t-il, imperturbable. Signe du Verseau. Notre pouvoir est celui d’avoir des sens exacerbés. Ouïe, odeur, vue, touché, goût. La totale. Et si ça peut paraître sympathique comme ça, je peux te garantir que ça nous pourrit plus la vie qu’autre chose. Bref : tu sais les pouvoirs eurythméens, parfois certains s’étendent en Sublunaire ? Même si ça reste rare et qu’ils ont nettement moins de puissance qu’en Eurythmie ? Bon. C’est mon cas et celui de plusieurs autres Aèdes. La vue, on a entre autres la vue plus sensitive, si bien que notre Vision, si elle est suffisamment aiguisée et entraînée pour ça, nous permet de voir les idéelles d’autres personnes. Des qui ne nous appartiennent pas. Mais ça je crois tu l’auras déjà compris ?

J’sais pas où il veut en venir mais j’aime pas, j’aime pas, faut que j’parte mais pourquoi donc j’reste ? J’crache :

— Ouais ouais. J’y sais que tu vois Océane Libelle alors que ça devrait pas. Vous êtes tous des voyeurs et des indiscrets, sans aucun respect pour la vie privée des gens. Franch’ ? Ça m’débecte votre pouvoir.

— Justement. On est nombreux à haïr ce pouvoir-là, parce que ça nous embarque dans des situations qu’on n’avait jamais désirées en premier lieu. Exemple : si plusieurs fonctions existent au sein de l’O.V.E.A., la principale reste celle d’être chasseur d’idéelles, et personne n’est plus efficace que lorsqu’il est Aède. Ceux qui chassent un viroir à la main, comme Uranie ? On ne va pas se mentir : ils obtiennent que très peu de résultats. Donc les Aèdes…

— Va pas m’faire gober que t’es la victime et qu’on t’a enrôlé d’force là-dedans.

— Pourtant…

— J’te crois pas !

— Comme tous ces autres, en somme ?

Cette phrase, l’a dit avec extraglace. Une couleur comme jamais j’en avais entendu une, portant une telle sévérité que mes ripostes s’sont recroquevillées et que j’osais quasi plus bouger. Terriblo comme ça a continué sa voix cinglante quand l’a martelé :

— Ça fait depuis mes quatorze ans que j’y suis, gamine. Huit ans. Huit ans qu’on m’oblige à arpenter les rues en quête d’idéelles. Huit ans qu’on me pousse à vider l’esprit des gens. Huit ans qu’on essaie de me convaincre que j’agis pour le bien commun. Et pour mon plus grand dam, il se trouverait que je sois doué à chasser. Est-ce que tu comprends, gamine ? Huit ans que je suis pris dans un engrenage duquel je ne peux pas sortir.

Ça m’transit son attitude mais j’trouve néanmoins l’toupet d’rétorquer :

— Personne t’oblige à bien chasser ! Tu peux chasser sans vraiment chasser.

— Pas quand il y a des quotas à respecter. Pas lorsqu’on te les augmente après quasiment chaque traque, surtout quand on se rend compte que, non seulement, tu as une bonne Vision, mais que tu as une assez bonne condition physique pour systématiquement leur ramener des Pensifs. Très vite, le frère de Siloé m’a repéré, tu sais, et bientôt c’est Siloé qui a fait de moi son « assistant privilégié ». Six ans, gamine. Six ans qu’elle requiert mon « talent » à chaque fois qu’elle a une importante mission à me confier et qu’il lui faut quelqu’un d’expérimenté. Six ans que je chasse pour elle plus que pour l’O.V.E.A., six ans que je ne comprends pas ses desseins profonds, six ans qu’elle exige de moi que je trouve les Animas ayant un lien avec la Belle Guerre. Elle m’affirme que les uns, comme ceux de Céleste Volia, Océane Libelle ou Léon Ariel, nous aideront à atteindre la Crypte, cet endroit qu’elle considère comme renfermant tous les secrets naïens, et que les autres, comme ceux de Noée Elévie ou Jules Orion, nous serviront à trouver l’équivalent Ondien. Mais je ne suis pas dupe, tu sais ? La valeur de ce genre d’Anima ne doit pas tenir uniquement à la potentialité qu’ils nous mènent aux quartiers de mouvements révolutionnaires.

Soudain, sans que j’y comprenne rien, Caligo tend l’bras, pose une main sur la manche d’son manteau, hésite une micro-seconde, pis la r’lève. Heh quoi que j’découvre un bras frelaté d’cicatrices ¿!? Un tas d’brûlures, légères p’t-être mais présentes néanmoins, qui courent partout-partout que j’me sens perdre pied. Donc c’est pour ça, son manteau, son col roulé, son chapeau ? Une partie c’est pour s’cacher du soleil tapageur, l’autre c’est pour cacher c’que Siloé ou d’autres ont rongé sa peau d’menaces ?

Mes joues rougeoient d’honte. Honte de l’avoir mal jugé. Moi aussi, j’ai été cramoisie par des cordes de feu. J’sais c’que ça fait. Lui aussi y sait. Il sait que trop bien c’que ça fait.

— Tu veux que je te dise ce qui est le pire, là-dedans ? Ce n’est pas la douleur physique. Oh que non ! Ce sont les pensées assassines qui découlent de ce genre de châtiment. L’O.V.E.A. sait très bien jouer avec elles, crois-moi. Le degré de ces lésions est finement calculé, vois-tu : pas assez pour qu’on leur reproche d’être des barbares, juste assez pour qu’on sente que ce sont eux qui ont le pouvoir et que, où qu’on soit, ils nous surveillent. Et comme ces idéelles punitives n’existent que pour nous, personne n’a aucune preuve nulle part pour se plaindre ou se défendre. Car enfin, qu’est-ce qu’on leur dirait, aux gens ? Regardez ce que nous fait l’O.V.E.A. ? Ils nous brûlent la peau quand ils ne sont pas ravis ? Et qu’est-ce que les gens répondraient ? Hhm ? Des choses comme : en es-tu seulement certain ? L’O.V.E.A. proscrit les idéelles mais te châtie avec du feu-idéelle ? Est-ce que ce ne serait pas toi qui t’es fait ça tout seul ? Sûrement que tu te mets trop de pression, mon vieil ami ! Cette angoisse qui te ronge de l’intérieur se matérialise en une idéelle qui te ronge la chair. Mais détends-toi ! L’O.V.E.A. ne te fait rien. Tu veux l’adresse d’un psychologue ?

Penaude, j’rougiole toujours toujours plus. À cause que d’vant moi, j’ai plus c’froid chasseur à l’étrange papillon qui m’cherchait des crasses, mais un albinos un peu trop doué, un peu trop brûlé, aussi bien par la lumière du dehors que par la fureur d’une terriblodame que par l’poison du mal-être qui file dans ses veines. Un albinos qui garde contenance malgré sa souffremprisonnance à l’O.V.E.A grâce à des faux-semblants d’indifférence. Un albinos qui s’est décidé à s’confesser à Jules, pask’ il avait calculé qu’il avait plus à y gagner qu’à y perdre, et qu’alors, il pouvait bien mettre d’côté son éventuelle pudeur des cicatrices. Du vibroblanc dans le r’gard, une strie de lune sur la joue, il congèle ses mots lorsqu’il ajoute :

— Alors excuse-moi gamine mais oui, j’en ai marre. Oui, j’aimerais bien voir un jour l’Observatoire et l’Eurythmie tomber, eux qui asservissent plus qu’ils protègent ou garantissent la pérennité sociale. Oui, je crains Siloé et ses nébuleux projets. Oui, par-dessus tout ça, il y a maintenant des effréelles qui surgissent à la vue de tous,  revendiquées par le mouvement néonaïen, et ça m’inquiète, parce qu’elles ne peuvent signifier qu’une seule chose : alors que nous le croyions tous anéanti, le Pandémonium est en pleine renaissance. Et s’il y a bien une chose que j’ai compris, c’est que Noée Elévie et Jules Orion étaient le noeud du problème durant la Belle Guerre – une porte de sortie pour les uns, deux coupables pour les autres – et que si aujourd’hui, deux mivages devaient à nouveau entrer en collision, l’Eurythmie contre le Pandémonium, le Pandémonium contre l’Eurythmie, ces deux personnes seront à nouveau au centre de tous les intérêts.

— Mais ils sont…

— … morts oui, je sais ! Mais leur Anima subsiste. Et il semblerait que toi, tu sois vouée à porter l’héritage de pensées de Noée. Tu as déjà entendu parler de la Poétique, gamine ? Du Flux ?

— Ouais… L’Flux c’est l’flot d’idéelles qui recouvre l’monde pis la Poétique ça apprend à l’explorer et à la fin c’est comme ça qu’on s’libère…

— Exactement. Merci. J’ajouterai que le Flux possède une conscience et qu’avec un tant soi peu d’expérience, il est possible d’entendre sa voix. Le noyau de l’Onde, l’Ombilic, y parvient. Et il l’a écoutée, et il a entendu la Voix du Ciel qui lui a révélé que toi, la freluquette se baladant avec Océane sur son dos, parcourras le Flux au-delà même de Noée. Alors re-excuse-moi, petite gringalette, mais oui, j’y trouve de l’intérêt à ce que tu rencontres l’Ombilic. Oui, je préfère que ce soit les Ondés qui t’ouvrent au Flux plutôt que Siloé. Je me souviens bien ce qu’elle t’avait dit l’autre jour, en te proposant d’apprendre à contrôler Océane : à travers cet enseignement, c’est t’exercer à dompter le Flux qu’elle veut. Enfin ne soyons pas dupes ! À quelles fins, maintenant ? Comment savoir ? Ça ne sera de toute façon pas à notre avantage. Alors oui, je souhaite t’emmener à l’Onde. Oui, je veux nous donner à tous la possibilité d’échapper à l’Eurythmie et au Pandémonium. Oui, je veux étendre notre influence idéologique, qu’on enseigne la Poétique à tous les habitants de cette maudite Ville, cernée par ses remparts. Oui, je veux retrouver Achronie, que j’atteigne un jour une forme de sérénité moi aussi. Bien sûr, libre à toi de me faire confiance, je ne vais pas te forcer à me suivre comme me force Siloé à faire toutes sortes de choses. Mais si tu veux néanmoins un avis, je te conseille de choisir un camp avant que Siloé te mette la patte dessus. Et elle le fera. Tôt ou tard, sois-en certaine, elle te retrouvera et fera je ne sais quoi. Et je ne pense pas que tu voudrais ça ? Vivre sous son emprise et envoyer le monde au bord du désastre, comme il l’était alors durant la Belle Guerre ?

Ainsi, Caligo s’tait pendant que, toute confuse, j’muette d’vant lui, la tête toc-toquée, les doigts pétris entre eux. J’me balance de mon pied droit à mon pied gauche. Ventre tiraillé. Caligo attend, attend, attend une réaction d’moi, mais moi j’sais pas quoi dire, penser, pas quoi faire, moi j’veux juste en savoir plus sur Noée tout en restant libre dans mes mouv’ments. Et pask’ j’réagis pas vraiment, indécise quant à la décision à prendre, Caligo fait craquer ses doigts d’impatience et conclut avec tranchant :

— Encore une fois : tu n’as aucune obligation nulle part. Mais tu as la possibilité de faire bouger les choses pour du mieux, et je crois que ça m’enragerait, oui, si tu choisissais de ne rien faire.

Il s’retourne d’une rigide pirouette. Il descend la colline l’pas raide, son ombre filante entre celles des arbres, regrettant j’crois de m’avoir confié tout ça si c’est pour que j’fasse rien. Mes lèvres éclatées m’font mal. Mélangeo d’vomis d’avant et d’sang d’maintenant, pis il y a mes jambes fatiguées qui mollissent. Mon corps entier crie à l’épuisement. Envie d’rouler dans la terre, y rester jusqu’à ce que l’herbe me r’couvre et qu’on m’y r’trouve plus, à cause que j’y supporte plus tout c’que j’ai à porter cette nuit.

D’abord c’tait l’angoisse d’vant l’effréelle, pis moi fol’funambulant. Ensuite c’était la mort d’Océane, pis moi fol’courant à m’en déchaîner les poumons. Et maintenant, c’est Caligo qui cherche du soutien ? Océanette a baissé son fusil, et elle grotesque un sourire, yop, extra, maintenant qu’elle a compris que Caligo fait partie d’l’Onde. Elle pose l’bas d’son arme à terre, appuie une main sur l’canon, comme si ça l’y était une canne, trop fière soudain, vainqueuse, mais moi, roulant des yeux au ciel, j’lui fais remarquer :

— Toi t’as rien compris, sale bourrique. L’Onde c’est contre l’Eurythmie mais c’est aussi contre l’Pandé’. Suivre Caligo, c’est pas suivre ton sillage à toi.

Et elle lève la tête, des vagues houleuses dans ses blyeux, l’air d’dire : en es-tu seulement sûre ? J’mords ma lèvre. Jasm’ pis ‘Stache, c’est vrai, eux l’y m’ont prévenue : la rumeur court que des partisans d’Naïa s’cachent dans l’Onde, donc forcé’, si j’m’embarque là-d’dans, des Néonaïens voudront m’enrôler. Mais c’qu’elle capische pas, Océanette, c’est que j’suis avertie, moi, et que dès aujourd’hui, j’vais arrêter d’juste encaisser les choses pour les renverser et les tourner à mon avantage. Océanette veut profiter d’Jules ? Siloé, Jasmin, Eustache, Caligo, l’Onde, tout l’monde entier veut profiter d’elle ? Et si Jules, j’profitais du monde entier en r’tour ?

Elle qui veut en savoir plus sur Noée Elévie : elle a qu’à entrer à l’Onde et leur faire croire qu’elle est avec eux alors que Jules l’est avec personne, si ce n’est avec moi-même. Lui faudra simplo ruser, être plus futée-matois qu’eux tous quand on voudra l’utiliser. Et dans l’cas où la voie d’Noée dans l’Flux l’inspirera, Jules s’y engagera uniquement pour la Liberté. Tracer son ch’min au milieu d’toutes ces idéologies. S’enlever tout c’poids sur les épaules. Jamax d’la vie c’sera pour atteindre Achronie à cause que Jules, les luttes politiques et les mivages, elle en a rien à cirer. C’sera d’la manipul’, la sienne, par-dessus d’la manipul’, la leur. Comme ça, le jour où elle aura obtenu c’qu’elle voulait, il lui restera plus qu’à s’tailler en les jetant tous comme une vieillasse d’chaussette. Ricanante, suprême, s’étant trouvée Jules à travers Noée, elle s’en ira couler Océanette et fondra dans sa nouvelle vie, plus évadée que jamais, aussi bannie que furtive, zéro mivage dans la tête. Et sans savoir pourquoi, cette perspective-là, ça lui frétille les orteils dans ses godasses,

avec une ombre qui s’invite, sinistre sous son béret,

menaçante et pleine d’promesse, promesse,

promesse d’sournois,

un sourire mutin aux lèvres, des yeux bordés d’orage,

assoiff’ d’conquête, comme l’aube qui s’lève en elle.

 

Juliot-Jules-va-t’en-guerre, va-tonnerre,

prise qu’elle sera d’être contre les choses,

jamais pour, comme si ça l’empêchait, ainsi,

d’choisir un camp et d’devoir être loyale à eux ,

tous nos révolutio-gens.

 

Et sans qu’elle s’en rende compte vraiment, ses jambes s’sont idéellées,

ça monte aux hanches et ça la dévore Jules, c’tas d’questions

quand elle s’remarque ainsi,

comme : qu’est-ce que ça veut dire vraiment, être un Absolu ?

Est-ce que forcé’ l’y faut suivre qu’un seul idéal pour s’idéeller,

comme Noée la Liberté, Jules la Justice, Léon la Vengeance,

et si oui, c’est quoi l’concept qu’Jules incarnerait, là, à l’instant ?

La Liberté comme elle l’voudrait ou un aut’ truc ?

 

Et si en vérité tout ça c’était aut’ chose ? L’fait de s’aérer l’corps,

comme si tout soufflait là-d’ssous, une énorme bourrasque d’vent… et l’sentiment

que tout voltige au mouvant, en évoluvolivolant vers l’neuf, des vies,

ine x pl O ré e  s ·  ̇   ̇

Comment qu’on y sait, hein ? Comment que c’serait pas ouvert à l’interprétation

et qu’alors chacun y voit c’qu’il veut, quand un être humain s’idéelle ?

Et si Jules, à c’moment-là, s’voyait juste comme une fu i t   e

 

L À - B                                                        T  L O  I N  au verso . .  ̇ osrev ose-rêve ?

               A                                             U

                      S                                A

                              O U   L À - H

 

Sait rien qu’elle en sait fichtrement rien,

la seule chose qu’elle puisse dire avec certitude, c’est que

la métamorph’

lui vient comme une seconde peau

lui voyage les pensées et vivifie

l’intime-intérieur.

 

C’est alors qu’elle remarque Océanette là-bas, qui rigole

à s’taper sur les g’noux, gorge déployée, bouche large ouverte,

un fou rire qui est d’autant plus grotesque qu’il enfle dans un silence,

tout qu’elle s’moque de Jules. C’est comme si Jules s’fera avoir malgré tout,

à l’Onde,

ou que… qu’à s’idéeller comme ça, c’était exact’ c’qu’Océanette voulait qu’Jules fasse,

beh ouais : son fusil qui a inscrit dans la poussière d’la Brocante vie-idéelle,

c’tait ça qu’ça voulait dire, que Jules s’faufile dans la tête des gens, noircit leur esprit,

fasse r’naître l’Pandé, comme Noée par l’passé.

 

Et Jules, ça l’y arrête la métamorph’. Toute d’subito. Qu’elle supporte pas les railleries d’Océanette. Ça l’avait tellement flippée l’autre jour à s’imaginer entrer elle-même en idéelle dans l’têto des gens qu’à présent que  l’discours d’Jawad sur les Absolus l’a tout confirmé, oué, sa supposition quant à l’utilisement possible d’son pouvoir, ça la résigne encore plus à s’opposer à Océanette. Furibonde, voulant pas qu’on l’humilie comme ça, Jules s’approche d’la viléno-femme-bohème, lève la tête sans s’autoriser à ciller pis lui crache :

— Mais tu sais, vieille bique, j’peux très bien m’faire idéelle pis utiliser mon pouvoir autr’ment que c’que tu veux.

Ses lèvres à Océanette s’sont enfilées une pointe d’arrogance et d’fielleuse assurance, tout qu’son sourire paraissait dire : j’aimerais bien t’y voir, tiens. Tu flancheras, tu finiras de toute façon par flancher. Son r’gard était sale d’confiance, il a été accompagné d’un bras qui s’lève, montrant quelque chose là-bas, comme un : vois, ça a déjà commencé. Jules s’est retournette, l’a fixé l’arbre et l’a remarqué, heh quoi ? un Loup qui pointait l’museau derrière l’tronc. Non. Pas un Loup. Une Louve.

Jules savait pas comment elle pouvait en être aussi sûre. Elle savait, c’est tout. Comme elle avait la certitude que c’tait pas une vraie Louve mais une idéelle. Une qui certes irisait pas à l’Océanette, une idéelle quand même. Une au pelage d’sable et d’fumée, aux grandes iris faites d’suie, et qu’Jules avait déjà croisée, j’crois bien, à la Brocante. Une idéelle qui était ma création à moi. Jules l’sentait malgré l’espace qui les séparait : son coeur d’vie à la Louve pulsait avec l’coeur d’vie à Jules, elles s’ressemblaient trop. Et justement, pask’ Jules s’reconnaissait dans la Louve et qu’elle y veut pas, pas, s’voir sauvage montrant les crocs, elle choisit d’refouler ça. L’poitrine gonflée à l’incompréo-quoi ? les poings full-serrés, elle pirouette en direction d’Océanette et siffle :

— J’en sais rien c’que ça veut dire, mais j’te jure, Océanette, j’te jure : un jour, oui, un jour…

Hésitante, Jules observe c’visage filé d’rivières en arabesque, tentant d’y trouver quelque chose, je n’sais quoi, un p’tit fond d’Spectrette ? ne l’trouvant pas, n’ayant à la place que cette morgue des gens persuadés d’avoir toujours raison. La langue sèche, les ongles trouant mes paumes, j’prends une énormo expiration. C’est une chose d’planifier une chose, une autre de l’avouer à la principale concernée, et j’pensais pas, non, j’pensais pas que c’serait aussi dur d’lâcher, bien que j’y mette toute l’amertume qui m’bouffe l’ventre depuis plusieurs jours :

— Un jour, j’te détruirai.

Un truc tressaute à la figure d’Océanette, comme une épine d’étonnement, l’oeil qui allume sa première alarme. Ça tire une moue d’satisfac’ à Jules, car si Jules est cap’ d’apeurer Océanette, alors elle peut d’venir une réelle menace pour n’importe qui. Victorieuse, bien que fracassée à l’intérieur, Jules r’trouve son menton fort levé, ses lèvres d’mufle lorsqu’elle tire un doigt d’honneur à Faiblette et que, ricassante, elle dévale la pente où a disparu Caligo dans l’intention d’causette avec lui. Lui dire : d’accodacc’, j’accepte d’voir les Ondés. Évid’, l’y avait Océanette qui lui courait après. La mâchoire contractée. Sa jupe rouge ombrageant la nuit d’roc-résolution-tu-ne-m’échapperas-pas. Bientôt, la Louve s’est jointe à la ruée. Les babines à semi-retrouss’, les muscles roulant l’effort, la bête frappait l’obscurité d’ses puissantes pattes mais ne rattrapait pas Jules pour autant. Pas encore. Jules la laissera pas s’approcher. Pas. Pas… encore ¿

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Edouard PArle
Posté le 27/09/2024
Coucou Louison !
J'ai beaucoup aimé ce chapitre. L'argumentation de Caligo devient plus personnelle, ça rend le personnage plus intéressant et convaincant vis à vis de Jules. La fin de chapitre avec l'interaction Jules / Océanette est aussi hyper intéressante.
"alors que Jules l’est avec personne, si ce n’est avec moi-même." Hyper intéressant de verbaliser cet enjeu majeur du personnage de Jules, qui essaie de rester lui-même malgré les sollicitations de tous ces "partis". Ca donne envie de suivre si cette résolution tiendra sur la durée.
J'ai beaucoup apprécié le passage sur l'ombre et l'aube que j'ai mis sur le discord (=
Un plaisir,
A bientôt !
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