25 - Premiers émois

Tomas passa le reste de la soirée à observer son protégé, s'abreuvant de ses réflexions internes tout autant que de ses émotions. C'était particulièrement fascinant comme il se sentait profondément entier, comme si de toute sa vie il lui avait manqué ce genre de lien afin de se sentir pleinement lui. Comme si son âme venait de rejoindre ce qui lui paraissait être le plus essentiel en ce monde. Cela devait être un effet secondaire on ne peut plus normal, afin de l'aider à rester focaliser sur sa mission et amoindrir toutes formes de distraction. En prenant une longue inspiration, il se passa une main sur sa nuque et ferma les yeux. Son protégé venait de s’assoupir sereinement. Son temps ici s’achevait également, il lui fallait rentrer avant d'atteindre ses limites magiques.

Un fourmillement familier l’enveloppa telle une douce couverture, puis en quelques instants seulement les odeurs caractéristiques de la Cité Angélique vint lui chatouiller les narines. Chaque être ailé avait sa propre odeur bien aimée, pour sa part c'était une senteur de crêpes encore chaudes qui lui embaumait le nez délicieusement. Une fois arrivé pleinement, en son âme et son corps, l’Ange Gardien rouvrir les paupières en contemplant la douceur blanche des lieux. Ses ailes irradiaient d'un éclat particulièrement chatoyant. En se dirigeant vers son alcôve personnelle, son ami Fil se matérialisa à ses côtés durant son vol léger.

« Alors, ce premier voyage ?

— Fil ! C'était, comment dire ? Fabuleux ! Et ce lien c'est…

— Remarquable n'est ce pas ? Je peux t’assurer qu'à chaque fois ça fait le même effet, même quand on s'y attend. C'est comme nager en pleine…

— En pleine conscience, en plein apaisement. Oui ! »

Fil lui offrit un sourire amical, les mains dans son dos et les ailes battant sur un rythme calme. Avec nostalgie il se souvenait parfaitement de chacun de ses liens, de chacun de ses protégés. La plupart avaient réussi à accéder au Paradis, les autres s'étaient voués à devenir à leur tour des Anges Gardiens pour guider d'autres âmes. Bien sûr, d'autres n'avaient pas voulu écouter cette petite voix intérieure les aiguillant pour mieux faire. Et, ceux-là étaient tombés définitivement dans le Puits pour rejoindre Satan et son domaine infernal. À cette pensée, un frisson désagréable râpa sa peau. Rien que les hurlements qui s’en échappaient lui donner envie de vomir tripes et entrailles tant c'était insupportable, il osait à peine imaginer le quotidien de ces âmes brisées qui parcouraient cet endroit démoniaque. En se secouant légèrement les ailes, son esprit quitta ces affreuses rêveries afin de revenir à la situation présente. Il lui était plus agréable de regarder fièrement son ancien apprenti voler de ses propres ailes dans son nouveau rôle. D'ailleurs le voir aussi radieux, avec la mine aussi ensoleillée et plein d'assurance lui gonflait le cœur de fierté. Enfin métaphoriquement.

« Pourquoi tu me regardes comme ça ? J'ai une tâche sur le nez c'est ça ? »

Tomas se frotta la narine gauche nerveusement tandis que le duo survolait plusieurs bâtiments ne faisant qu'un avec un tas de nuages cotonneux. Fil lâcha un rire jovial avant d’effleurer de ses mains quelques cumulonimbus, appréciant leur fraîcheur et légèreté.

« Absolument pas. Je te trouve tout simplement on ne peut plus radieux. Cette vocation te sied à merveille. »

L’expression de son visage se troubla brièvement, un voile translucide passa sur ses pupilles - ou était-ce le reflet des nuages environnants ? - et il reprit aussitôt la parole pour compléter ses propos d'un sourire bien plus espiègle que précédemment.

« À moins qu'il ne s'agisse de ton protégé d'humain ? »

Ils se posèrent au même moment à l'entrée de l’alcôve. Tomas le regarda, intrigué. Une trace d’amusement dansait au fond de son regard couleur noisette.

« Je suis juste très heureux de ma nouvelle raison d'être. Voilà tout. Je vais te laisser là, j'ai besoin de repos après ce premier voyage. Je me sens épuisé. »

Fil tressaillit une seconde, et le prit dans ses bras dans une accolade affectueuse.

« Oui, va mon petit. Puisses-tu trouver le repos tant mérité après toutes ces émotions. »

Le jeune Ange Gardien remercia son ami d'un signe de la tête et s’engouffra dans le voile opaque qui servait de porte d'entrée. Une fois à l'intérieur, il marcha machinalement jusqu'à son moelleux matelas, amas de plumes véritables, et s'y laissa tomber mollement. Sa peau rougit aussitôt au niveau de ses joues, ses yeux brillèrent et son pouls artificiel gagna en vitesse. Une seule pensée, une seule image, un seul visage régnait dans son royaume pensif : Julien.

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