Tomas, en tailleur sur son lit, tentait d'effectuer une séance de méditation. Paupières closes, mains posées sur ses cuisses, il se concentrait sur sa respiration. Trois longues inspirations, quatre longues expirations. Et encore. Et encore. Et…
Pourquoi est-ce que son visage tourne dans ma tête ? Raaah !
L’Ange laissa tomber sa troisième tentative. En laissant échapper un soupir excédé, il rouvrit les yeux et se retint de pleurer. Ce trop plein d'émotions le dépassait. Sa troisième promesse, ou plutôt serment, l’empêchait d’entretenir ce genre de choses. Mais malgré ses nombreux efforts pour ignorer les appels sourds de son cœur, malgré toutes ses tentatives pour le cacher à Fil, son ami le plus proche ou à ses autres camarades angéliques, malgré toute la concentration dont il faisait preuve…
Tomas eut envie de crier très fort, pour étouffer sa frustration le plus possible. Mais à la place un sanglot glissa sur ses lèvres. Ces long mois de formation devaient l'aider à savoir comprendre et maîtriser ses émotions. Tout cet apprentissage, qui lui avait donné l'impression de mieux cerner chaque subtilité humaine plus que jamais. Pour, finalement, se sentir toujours autant chamboulé avec la sensation de se laisser submerger de toutes parts. Son premier voyage avait eu lieu il y a presque sept jours maintenant, et cela lui semblait à la fois si proche et si loin en même temps.
Que faire ?
Le jeune homme se redressa, renifla péniblement et rejoignit en quelques pas l’espace dédié à son hygiène. Un miroir flottant, un lavabo de marbre suspendu sur un amas de nuages gris, et de l'eau qui jaillissait par magie dès que ses mains étaient détectées. En recueillant de l'eau, la plus pure qui puisse exister, il s’en aspergea le visage. Tandis que des gouttelettes coulaient le long de sa peau parfaite, un frisson de bien-être le parcourut. Ce rafraîchissement était le bienvenue et lui permit de reprendre du recul. Une idée surgit au milieu de ses questionnements, tandis qu'une certitude s'installa durablement.
Mais bien sûr...
Tomas s'accorda une longue inspiration, savourant l’air qui passait dans ses poumons, sa gorge, son nez. Voilà pourquoi il ressentait tout ça ! Voilà pourquoi depuis son premier voyage son âme bondissait joyeusement ! Voilà pourquoi cela lui paraissait difficile d'ignorer toutes ces pensées qui le rendait rouge de timidité ! Voilà pourquoi Fil s’en amusait ainsi lorsqu'il captait de son œil vif son trouble en parlant de son protégé humain !
Tout ceci est une épreuve, pour ma Foi !
Soulagé par cette conclusion on ne peut plus indéniable, le jeune Ange Gardien se dirigea vers sa bibliothèque et tendit une main. Aussitôt un ouvrage se détacha des autres sans bruit, pour se nicher au creux de sa paume. Le titre d'une clarté absolue - Triste sort de serments rompus - lui permettrait de se remémorer toutes ces conséquences néfastes vécues par d'autres Anges Gardiens qui n'ont pas su tenir leur engagement. Il espérait qu’en s’imprégnant de ces funestes dessins il trouverait alors la force de combattre ce sentiment naissant au fond de son être. Cet obstacle ne serait bientôt plus qu'un souvenir fugace, plus qu'une poussière sur son chemin lumineux angélique.
Plusieurs heures de lecture plus tard, à frémir de tout son corps en lisant chaque récit authentique, Tomas ravala ses émotions et décida de les enfermer à double tour tout au fond de son esprit. Ce n'était ni convenable ni décent ni acceptable. Quand il referma son livre d'un geste ferme, vibrant d'une ténacité nouvelle, une alarme intérieure l’oppressa tout à coup.
Julien !
D'un mouvement de doigts tremblants, l’Ange Gardien fit apparaître une vasque en pierre qui vint léviter à hauteur de son visage. Le liquide à sa surface tressaillit aussitôt pour laisser apparaître son protégé humain, qui se trouvait en fâcheuse posture. Tandis qu'il se trouvait à la bibliothèque universitaire, à la recherche d'un autre manuel pour approfondir des points biologiques vu en cours perçut Tomas, le jeune étudiant ne voyait pas la structure en bois vacillante. C'était infime, mais le bois commençait à lâcher prise sur toutes ces nombreuses années à subir la pression d'une multitude d'ouvrages de plus en plus lourds. Un accident, pouvant être mortel selon les perceptions magiques de l’être angélique, était sur le point de se produire.
Tomas réfléchissait, particulièrement intrigué. Il avait soigneusement étudié la ligne d'existence de Julien, et cet accident ne s'y trouvait pas. Cette bizarrerie le forçait à devoir agir, de nouveau. Un autre voyage ne lui paraissait pas envisageable, son corps n’étant pas encore tout à fait remis de sa première expérience sur terre. À défaut d'être présent, il pouvait quand même influer sur le cours des événements !
Il rassembla toute sa force et son énergie, l’Ange Gardien s'installa sur son lit en tailleur pour mieux se focaliser. Une main au-dessus de la vasque en lévitation, l'autre à l'emplacement de son cœur, il puisait dans chaque fibre de son être pour réunir tous les fragments magiques qui vibraient en lui. Une chaleur réconfortante l'emmaillota telle la douce caresse d'un rayon de soleil sur la peau.
* * *
Julien, profondément campé sur ses pieds, était comme dans une bulle. Tout son corps immobile, seuls ses yeux s'agitaient devant les différents volumes qui se présentaient à lui. Son instinct lui soufflait que LE manuel idéal se trouvait juste là, juste devant lui. Sa concentration était telle que ses oreilles refusèrent d’entendre les gémissements du bois, ses jambes restèrent solidement ancrées au sol alors que l’étagère se penchait dangereusement dans sa direction, et sa vision se troublait par l'effort en reniant la vision de l'accident imminent à venir.
Soudain, un délicat chatouillis vint le sortir de sa torpeur. En portant une main sur son oreille, Julien frôla les poils de sa barbe et parut tout à coup se connecter de nouveau à ses sensations. En une fraction de seconde, une douce voix lui intima de bondir sur le côté, ce qu'il fit sans réfléchir. Un vacarme épouvantable l’accompagna dans sa chute, de la poussière obscurcit sa vision momentanément et une toux lui arracha plusieurs larmes douloureuses.
« Oh mon dieu jeune homme ! Vous étiez en-dessous il y a encore un instant ! »
Julien reprit comme il put sa respiration, la gorge irritée et les yeux larmoyants. En se laissant reposer contre un mur, son regard allait et venait frénétiquement entre le meuble renversé, tous ces lourds livres au sol, et l'emplacement initial du mobilier. En effet, à quelques secondes près. Machinalement, il se frotta l'oreille gauche et sentit une douce chaleur lui enrober le cœur avec beaucoup de tendresse. Une forme de sérénité, comme une promesse pleine de bonté, vint l'aider à apaiser les battements effrénés de son palpitant.