May’ké arrive pas à croire que cette gamine est censée être la plus intelligente du monde.
Non, franchement, elle est trop bête. Elle croit vraiment qu’il sait pas qu’elle est là ?
Bon, c’est vrai que son pouvoir de Scribe est efficace, il l’a pas du tout vue, ni entendue.
Mais il détecte la magie, alors il la sent parfaitement. En plus, du coup, il a l’impression que c’est juste une boule de magie qui le suit.
Mais qu’est-ce qu’elle lui veut, à la fin ? Déjà hier, il était trop gêné de la voir au-dessus de lui, ça lui a pas suffi ?
Ils se lancent dans une énorme course poursuite à travers Arkeide.
Heureusement, c’est pas bien difficile de la semer. May’ké connait plein de petites rues tellement étroites qu’elles sont à peine visibles.
Et hop ! Plus de petite fouineuse !
Le Perce-Magie descend quatre escaliers et s’enfonce dans une petite ruelle enneigée. C’était la petite ruelle qui permettait de regagner les boutiques par l’arrière. Seuls les vendeurs l’empruntaient.
La Fillette dans le Vent court derrière lui et le rattrape. Il manquait plus qu'elle...
- May’ké, j’ai trouvé quelqu’un de très important, tu dois le rencontrer !
- M’approche pas, sale gamine ! Mes habits sont encore humides, à cause d’hier !
- T’as qu’à t’installer quelque part, je sais pas, moi, va t’abriter dans l’hôtel… réplique la fillette qui en a rien à faire du confort.
- Non.
- Allez, May’ké…
- Non.
Mais son «non», il se termine un peu mollement et ça, c’est parce que ses yeux se ferment déjà quand il le prononce.
Quand sa tête heurte le sol, il rêve déjà d’une pierre au milieu d’un champ d’herbes jaunes.
Et d’une fillette à la peau brune et aux cheveux blonds.
- Sale gamine, répond le May’ké du rêve qui émerge des brumes du sommeil. T’es pire que la stratège !
- On va rendre visite à la personne dont je t’ai parlé, d’accord ?
- Je t’emmerde.
Eivind claque des doigts et le décor change brutalement. Ils apparaissent à nouveau dans une salle de la Tour. May'ké le sait parce que tout est bleu. Les tables, les chaises, les rideaux, tout.
Bleu, bleu et bleu.
- On est où ? demande May’ké.
- Dans la salle à manger.
Mais c’est pas la gamine qui lui a répondu, c’est un Ange.
Un Ange qui a l’air un peu étonné de voir un petit blond à sa table.
- Cet Ange est en train de rêver, explique la Fillette dans le Vent. C’est le stratège de la Tour, essaie de lui soutirer des informations !
- Crie le plus fort, surtout, bougonne May'ké.
- Roh ça va, il est pas lucide, je suis sûre qu’il a déjà oublié ce que je viens de dire... Allez, assieds-toi avec lui !
Elle pousse May’ké sur le banc et il manque de tomber. Même dans les rêves il tient pas sur ses jambes...
- Qui êtes vous ? demande l’Ange perplexe.
- Le Perce-Magie.
Eivind se frappe le front, dépitée.
- May’ké, il fallait pas lui dire ça, il voudra plus rien te dire, après !
Mais May’ké, il s’en fiche de ce plan idiot, il a pas l’intention de se nouer d’amitié avec les Anges.
- Est-ce que vous êtes un Scribe ? demande le stratège de la Tour.
Il croit certainement à la légende comme quoi tous les blonds possèdent la magie scripturale.
Mais elle est fausse. Et d'ailleurs, les Scribes sont pas tous blonds.
- Non, je suis pas un Scribe.
- Ah ouf ! s’exclame l’Ange. J’avais peur que le Perce-Magie soit un Scribe. Vous comprenez, ce sont nos ennemis de toujours, ce serait vraiment humiliant qu’ils aient réussi à nous affaiblir comme ça...
- Ouais, je comprends. Dites, vous connaîtriez pas un Abeln, par hasard ?
- May’ké, c’est pas ce genre d’infos que tu dois demander... grogne Eivind les dents serrées.
- Oui, triste histoire... répond l’Ange. Lui aussi est tombé dans les mains du Perce-Magie. Nous avions bien dit à Mestre Jeidel qu’il était trop jeune pour sortir de la Tour, mais têtu comme il était, il nous a tous ignorés...
Visiblement, l’Ange à oublié que le Perce-Magie se trouvait devant lui, héhéhé...
- Est-ce qu’il avait de la famille ? demande May’ké.
- Hmm... Oui, il y a bien son père... Un homme remarquable, d'ailleurs ! Mais à part lui, personne...
- Et ils s’entendaient bien ?
- Je ne sais pas, pourquoi vous me demandez ça ?
- Pour rien, pour rien...
Alors c’est peut-être ça. Peut-être qu’Abeln a préféré rejoindre les Résistanges pour avoir une chance de retrouver son père.
May’ké reste figé, sans rien faire, son masque d'inexpression en place.
Il en a marre.
Marre de tout.
Tout à coup, il sent une main sur son épaule. Celle du stratège.
En temps normal, May’ké l’aurait esquivée bien avant qu’elle s’approche.
Mais comme ils sont dans un rêve, il l’a pas sentie.
- Eh, faut pas te mettre dans cet état... murmure l’Ange. Il est certainement plus heureux là où il est... Dis-toi qu’au moins, il a le droit de sourire !
May’ké lève la tête et regarde son interlocuteur dans les yeux -pour une fois qu'il arrive à les distinguer !-.
Il pensait pas qu’un Ange serait capable de réconforter quelqu’un.
Surtout pas un humain.
Est-ce qu’il a tué des Anges comme celui-ci ?
Il espère que non.
En tout cas, s’il y a d’autres Anges comme lui, peut-être que la cohabitation avec les humains serait possible comme l’espère Terels.
- Eivind ? s’exclame May’ké.
- Hmm ? C’est bon, t’as fini de faire l'idiot ?
- Est-ce qu’on peut partir ?
La fillette claque des doigts en soupirant.
Et ils se retrouvent dans le champ d’herbe jaune, tout en haut de la montagne. Dans le rêve de May'ké.
- Ecoute, May’ké, commence la Fillette dans le Vent, je comprends que tu sois triste avec le départ d’Abeln et j’imagine que, maintenant que tu sais qu’il a un père, tu te dis qu’il t’a abandonné. Mais même s’il cherche à retrouver quelqu’un, ça veut pas dire qu’il t’aime plus, il peut très bien tenir à deux personnes en même temps... Toi aussi t’avais deux frères, tu les aimais les deux, non ?
May’ké se recroqueville et pose son menton sur ses genoux.
- Pourquoi tu me dis ça, alors que tu m'as fait souffrir plein de fois ?
- Parce que j’aimerais que t’arrêtes de te déconcentrer de ta mission. Que t’arrêtes d’en faire qu’à ta tête quand on est dans les rêves.
May’ké répond rien. Il s’allonge dans l’herbe et se roule en boule sur le côté.
- Désolée, s'excuse Eivind d'une voix radoucie, je voulais pas te faire de la peine, c'est juste que je comprends pas toujours les réflexions des humains... Tu veux que je te fasse rejoindre le monde réel ?
- J’ai pas besoin de toi, sale gamine.
May’ké rouvre les yeux.
Il est pas du tout dans la même position que le May’ké du rêve, ce qui est très déstabilisant.
Tout son corps se raidit.
De la magie scripturale.
Juste à côté de lui.
Il était pourtant sûr qu'il la sentirait, même endormi !
May’ké tourne la tête. La petite stratège est accroupie à côté de lui.
C’est pas vrai, encore elle !
- Doucement, sire, tout va bien... elle dit en lui posant une main sur l’épaule.
- Non, ça va pas ! Tu peux pas arrêter de me coller tout le temps ? C’est quoi, ton problème !?
La petite stratège a pas l’air rassurée, face à cette voix agressive. Elle recule et bégaie :
- Désolée, je voulais seulement vous aider... J’ai peur de vous voir mourir... A Elnayr, beaucoup d’enfants mouraient en s’endormant dans la neige...
May’ké se redresse avec la force d’un macaroni cuit.
Il se rend compte qu’elle l’a transporté dans une petite boutique de couture. Devant lui, un feu ronronne dans une petite cheminée et il est enveloppé dans une grosse couverture, les mains et les pieds enrobés de tissu pour pas qu’ils gèlent.
May’ké rougit comme une tomate. Retenez bien ce moment, c’est très rare, hé hé hé.
- Ecoutez, sire, je pense que vous devriez vous réchauffer un peu, avant de ressortir... reprend la jeune fille.
- Arrête de m’appeler sire...
- Ah euh... D’accord, Monsieur.
- May’ké, mon nom c’est May’ké.
- Ah, d’accord, Monsieur May’ké...
Monsieur May’ké lui lance un regard noir.
- Sérieux tu le fais exprès ou quoi ?
- Non, sire... Euh pardon, May’ké...
- Ecoute, petite, t’en fais pas pour moi, j’ai jamais froid, il lance en repoussant tissus et couvertures.
Le Perce-Magie s'en va faire sa ronde.
Il était une fois les heures qui passaient.
Il était une fois le soleil qui se couchait.
Il était une fois le soir qui arrivait.
- May’ké, je vous... je t’ai préparé un lit dans ma tente. Je veux plus que tu dormes dehors, c'est trop dangereux.
May’ké reste figé et inexpressif.
Pardon !?
C’est gentil, mais le Perce-Magie a besoin de personne.
Il veut pas de cette tente.
Il veut pas de ce lit.
Il veut pas de cette amitié.
La petite stratège voit qu’il hésite.
- Ecoute, même si t’as jamais froid, quelqu’un pourrait te trouver et te faire du mal... Tu serais sans défense...
May’ké reconsidère sa proposition. Elle a pas tort. Il sait pas si Eivind serait capable de le protéger dans la réalité.
Le Perce-Magie regarde Alyz dans les yeux. Il a même pas besoin de baisser la tête, vu qu’ils font la même taille.
Il prononce alors un mot dont sa bouche avait oublié la sonorité.
Un mot qui lui écorche les lèvres, tellement il se sent faible en le prononçant.
- D’accord.
May’ké ne réapparut pas et Alyz avait renoncé à le chercher. Elle s'y attendait, à vrai dire. Il ne voudrait sans doute plus jamais la voir, elle avait dû montrer trop de pitié en lui parlant. Mais trois jours plus tard, sous ses yeux ébahis, le Perce-Magie entra dans la tente sans dire un mot et se roula en boule sur le lit qu’elle lui avait préparé.
Il était une fois le Perce-Magie.
Il était une fois le départ d’Abeln le Rebelle.
Il était une fois May’ké.