Le lendemain de son presque accident, Julien remettait déjà les pieds dans la bibliothèque universitaire. Rien ne pouvait freiner les ardeurs de sa motivation, et le voilà de nouveau en train de flâner entre les rayons pour dénicher le fameux manuel idéal. Quelques notions lui restaient encore floues, alors sa détermination d’éclaircir tout ça le portait aujourd'hui. Tout en déambulant, l'étudiant se grattait plusieurs fois l'oreille gauche. Il croyait se souvenir d'avoir ressenti un fourmillement étrange juste avant de bondir sur le côté, poussé par un pressentiment pressent. Une voie intérieure ? Un instinct de survie ? Impossible à déterminer. En tout cas, ce truc mystérieux lui avait évité une belle gamelle et certainement des blessures à gogo. En se frottant une fois encore l’oreille, Julien s’arrêta devant un rayon et plissa des yeux avec concentration. De ce fait il ne n'entendit pas la silhouette s'approcher pour lui asséner une tape amicale entre les omoplates.
« Hé mon vieux, tu cherches les problèmes en revenant ici ! »
Il se retourna, secoué par cette rencontre inopinée et répondit par un haussement d'épaules désabusé. Son pote de promotion reprit le monopole de la conversation.
« Bon. On est vendredi, ce qui veut dire que d'ici quelques minutes c’est le week-end. Tu vas me faire un malin plaisir de me promettre de venir ce soir à la soirée Médecine ! Tu sais comment c'est l'ambiance là-bas ! Ça va être la folie ! Et t’as aucune excuse, pas même celle de rentrer chez tes parents vu que tu as décidé de ne plus leur parler je te rappelle. Je respecte, car ça veut dire plus de soirées gros ! »
Julien eut un petit rire nerveux. C'est vrai que cela faisait déjà deux semaines qu'il avait prit cette décision, de couper définitivement les ponts avec son père et sa mère. En refoulant les pensées et raisons de tout cela au fond de son esprit, il croisa les bras en feignant de réfléchir à la proposition de Sam.
Je suis sur qu'au fond de toi, tes parents te manquent et ne méritent pas ce traitement du silence.
L’étudiant infirmier sursauta, en jetant un regard interloqué envers son ami qui scrollait sur son téléphone, dans l'attente de sa réponse. À leur contact visuel il lui parla sur un ton enjoué.
« Quoi ? T'arrives pas à te décider sur quoi mettre pour charmer ces demoiselles futures médecins ? »
Julien lui donna un coup de coude avant de lui promettre de venir ce soir, ce qui ravit Sam lequel poussa une exclamation de joie. Il lui lâcha un dernier coup de poing sur l'épaule avant de quitter prestement les lieux. Quand à Julien, il resta perplexe. La voie qu'il avait cru entendre quelques instants plus tôt, à propos de ses parents, ne pouvaient venir que de son pote. Ne trouvant pas de raison valable, son cerveau fit un choix synonyme de tranquilité : ses neurones traitèrent cette information en l'envoyant directement aux oubliettes. Une belle soirée l’attendait, et cette occasion lui permettrait de décompresser un peu vis-à-vis de ses études.
Quelques heures plus tard, Julien appréciait grandement les décibels élevés qui lui martelaient le crâne dans des sonorités de toutes sortes. Une bière en main, son regard balayait la pièce pour repérer Sam parmi toute cette foule mouvante. La soirée se déroulait dans un appartement, où toutes les lumières d'ambiance donnaient une atmosphère colorée. Un kaléidoscope dans lequel l'étudiant s’aventurait. En arrivant il espérait tomber nez à nez avec son ami assez vite, car se sociabiliser avec des inconnus ne faisait pas partie de ses points forts. Il s’abreuva d'une bonne lampée alcoolisée, en apprécia l’amertume aromatisée et continua ses recherches.
« Ju’ ! Ici ! Ju’ ! »
Samuel lui faisait de grands signes, au fin fond d'un canapé moelleux en cuir usé. Autour de lui, d'autres personnes inconnues au bataillon pour Julien. Celui-ci s’approcha, leva sa bière pour saluer l’assemblée, et s’installa à même le sol en tailleur. L'atmosphère de cette soirée le remplissait d'un sentiment de relâchement très appréciable. Que ce soit la musique, contemporaine et percutante; que ce soit les décorations, du néon flashy en veux tu en voilà; que ce soit les cris de joies ou encore les corps qui se trémoussaient un peu partout : un milieu propice à la détente. Samuel l’apostropha aussitôt, dans le but de l’inclure dans la conversation en cours.
« On parlait d’expériences surnaturelles. T’en as déjà eu toi ? »
Julien prit quelques autres gorgées de bière, sentant le feu de l'alcool monter doucement dans sa poitrine et le rouge colorer ses pommettes tout en réfléchissant. Puis, fit un large sourire.
« T'es fou toi. Moi je ne jure que par la science ! J’aspire à devenir infirmier je te rappelle, un domaine où on soigne des problèmes tangibles avec des solutions rationnelles. »
L’étudiant eut un petit rire, accompagné par d'autres de leur petit cercle. L'un des membres, à l'air rieur, prit la suite de l'échange à son tour.
« Ouais, bha moi je suis persuadé qu'il existe des choses qu'on ne peut pas comprendre. J'ai toujours été persuadé notamment que chacun d'entre nous a son propre ange gardien, qui nous suit au quotidien, nous guide pour prendre les décisions les plus justes et parfois nous sauve la mise. »
Certains le charriaient alors sur des tons moqueurs. Julien, lui, ressentait un drôle de frisson face à cette réponse. Comme un frisson familier, qui termina sa course à la fois sur son oreille gauche et à la fois sur ses lèvres. Le sujet de la discussion partit sur d'autres considérations diverses et variées.
Très tôt dans la matinée, Julien retrouva le confort de son lit, qui lui parut à ce moment précis être la chose la plus merveilleusement confortable qui puisse exister au monde. Une fois glissé sous ses draps frais, il resta un moment pensif avec un bras sous la tête et le regard songeur. Tout en se gratouillant l'oreille gauche machinalement, le jeune homme se sentait doucement douter. Ses certitudes, jusque-là inébranlables, commençaient à doucement se fêler. Son taux d’alcoolémie aidant, son cerveau engourdie paraissait prêt à envisager tout et n'importe quoi. Il poussa soudain un profond soupir et se mit à parler à voix haute, sur une intonation pâteuse.
« Et bha, euh bha, si c'est ça… T’as qu'à te montrer ange ! Jeeee… Je suis ppprrrrêeet ! »
Julien tombait dans le sommeil petit à petit, et cru apercevoir une silhouette diaphane, au sourire bienveillant, se dessiner au bout de son lit près de son bureau. La fatigue d'être trois heure quarante sept du matin, couplé à l’alcool en abondance dans son sang, annihilaient la peur et la volonté de cerner le moment présent. Son esprit se contentait d’observer durant ce laps de temps, ces quelques secondes où ses paupières papillonnaient en luttant contre l’assoupisssement inévitable. Juste avant d’abandonner cette misérable et vaine lutte, Julien se sentit parfaitement apaisé en contemplant ce doux regard posé sur lui. Son cœur lui soufflait que tout était parfaitement à sa juste place. Une évidence aussi marquante que cette vague de chaleur qui l’enrobait des pieds à la tête avec délicatesse. Une fraction de seconde où cette chaleur faisait vibrer son pouls. Puis, vint le sommeil.