Très chère Agnès,
Je t’écris en ce lendemain de Noël, pour t’apprendre mon histoire ; ton histoire. Il y a bien longtemps déjà que je t’ai quitté, abandonnée même. Ton jeune âge à ce moment a dû rendre tous tes souvenirs de ma personne très moindres et lointains. Sûrement t’a-t-on raconté quelque histoire de ta mère n’étant qu’une sorcière au cheveux hérissés et rouges comme le feu, mais je puis t’assurer que – bien que différente de plusieurs – je ne suis pas un de ces êtres maléfiques.
Avant que je me perde davantage dans les pensées malveillantes qu’ont maints gens à mon égard, je tiens à revenir à mon premier sujet. Cette année fut celle de mon premier Noël complétement seule, ce qui a fait naître plusieurs songes à ton sujet. Après une nuit passée dans un état pensif, j’ai pris la décision de t’écrire les lettres qui suivent, de t’apprendre ton histoire.
Cette année, tu auras dix-sept ans ; l’âge que j’avais au temps de ce récit. C’est pourquoi je pense qu’il est plus approprié que jamais que tu puisses apprendre mon histoire. Je tenterai de l’écrire avec la vision de ce qui m’entourait que je possédais alors, même si elle a depuis ce temps évolué.
J’espère que tu trouveras en ces mots ta mère perdue, que tu n’as jamais pu connaître, ne serait-ce qu’à une époque de plus en plus lointaine. Je m’en veux de t’avoir ainsi quitté à tes quatre ans, sans regretter mon départ. Peu importe, apprend mon histoire au travers de ces pages ; ton histoire.
***
Cette histoire a commencé un vendredi, 24 avril, durant l’année 1744. À cette époque, j’étais toujours endeuillée de la perte de ma mère. J’étais une personne très solitaire, ayant perdu la plupart de mes compagnons. La société trouvant mon comportement bien singulier, je portais l’étiquette d’être des enfers. Toutefois, on n’a jamais tenté de me jeter au bûcher, la forte influence que mon père avait alors m’assurant une protection contre tous les véritables maux. Ainsi, on se contentait de me dévisager et de murmurer frénétiquement quelque ragot lorsqu’on m'apercevait, pour enfin se signer.
Mais pour en revenir à cette journée, un bruit cassant de chaudron frappant le sol m'a sorti de mon sommeil, résonant quelques moments dans mon corps, sous forme de frissons. Les dernières images d’un rêve se brouillaient encore avec l’image de ma chambre. J’étais si insouciante de tout ce qui m’attendait, préférant me questionner sur un rêve gris et vague. Après tout, rien n’avait annoncé mon malheur.
J'ai chassé les derniers restants de mon rêve, et me suis concentrée sur ma chambre se dessinant pâlement devant moi, à la faible lumière qui pénétrait au travers des rideaux. Mon sommeil à présent brisé, j'ai laissé toute la lumière du jour m’aveugler, écartant de ma fenêtre le tissu soyeux de mes rideaux.
Je me suis ensuite rendue au rez-de-chaussée. Cherchant de quoi manger, je me suis dirigé vers les cuisines, pour rencontrer Évelyne qui en sortait. Elle était ma bonne depuis ma naissance, comme Irène l'a été pour toi. Ayant quelque peu pris le rôle de maître de lieux en l’absence de mon père, elle venait probablement de réprimander l’auteur du fracas m’ayant réveillé.
Elle a retourné son regard sévère vers moi, et il s'est attendri à mon image. Nous nous sommes ensuite saluées comme il est usage de faire le matin.
-Auriez-vous quelque nourriture que je pourrais amener avec moi. Je souhaite aller cueillir des herbes, ou du moins aller me balader, lui ai-je demandé.
-Encore ! Il me semble que depuis que les premières lueurs du printemps vous passez vos journées dans ce bois. Mais soit, allez demander du pain à Mlle. Martin ; elle en a préparé ce matin. Je crains qu’elle ait réveillé toutes les âmes de la maison en tentant de les sortir du four.
Je suis allée chercher les aliments en question, que Mlle. Martin avait disposé, dans un panier afin de se faire pardonner sa maladresse bruyante. J’ai ensuite entamé ma marche jusqu’au boisé quelque peu éloigné de ma demeure en bordure de Paris, encore naïve tant qu’à ce que j’y trouverais.
***
Après avoir marché environ une lieue, je me trouvais désormais devant le petit boisé, minable si on le compare aux grandes forêts que tu as pu connaître. L’air était chaud, mais il a vite été remplacé par une brise plus fraîche. J’ai pris un moment pour apprécier la chaude lumière du soleil, avant de m’engager dans le petit bois retiré de la ville.
Je ne sais si tu comprendras les pensées qui suivent, mais je trouvais une paix dans le sentier sinueux. Il était mal entretenu, car peu de gens l’empruntaient, et j’appréciais plus que tout cette pensée. Les oiseaux chantaient leurs joies du printemps. Beaucoup auraient ri de me trouver ainsi, une démone en paix dans la nature. D’autre diraient que j’y préparais des artifices de sorcière. Seulement, ces gens ne me connaissaient que de l’extérieur. Pour eux, je n’étais qu’une bête de rage dont on observe les caprices.
Je me suis forcée à balayer la rage qui montait en moi, car j’étais arrivée à une clairière, où j’avais vu des jeunes pousses de sauges plus tôt dans l’année. À ce moment, elles étaient presque matures, sans toutefois être prêtes à être récoltées. J’ai haussé les épaules et ai pris une pause pour déguster les pains préparés par Mlle. Martin.
Après avoir continué ce qui n’était plus qu’une balade, je suis arrivée à un endroit où le sol formait une petite combe, dont le passage était interdit par des ronces. N'ayant aucun désir d’aller y écorcher ma robe, j'ai dû grimper le long de l'escarpement.
Arrivée en haut, je me suis frictionné les mains pour y enlever la salissure, satisfaite de ma grimpée. Puis, j'ai relevé les yeux.
Un duel.
Du sang était rependu sur une pierre plate et une épée y avait été laissée. L’arme me semblait de bonne qualité, quoique peu d’ornements y était présent. Le sang avait commencé à sécher, sans toutefois empester la pourriture ; le combat était récent, ayant sans doute pris lieu durant la nuit-même ou lors des petites heures du matin.
Sans y penser, je me suis laissée glisser le long de la pente, salissant mon jupon que j’avais vainement tenté de préserver. Jamais je n’avais vu tel spectacle, et il m’avait profondément troublée. Sans être réellement naïve, je ne m’était jamais préparée à une telle chose. Cette découverte avait chamboulé mon esprit de jeune femme, et la seule pensée de m’éloigner au plus vite de cet horreur accablait désormais mon esprit. Sous cette oppression, les ramages des oiseaux ne m’étaient plus que vacarme aigu et perçant, la brise froide et fracassante ; tout m’était à présent pénible.
***
Je suis arrivée chez moi, à peine consciente du trajet que j’avais parcouru. Après les maintes réflexions que m’avait apporté ma marche, j’avais conclu que mon père était la personne la mieux placée pour me renseigner sur le duel. Après tout, il était influent, et bien des gens le connaissaient.
J’ai ouvert la lourde porte avec espoir. Évelyne était affairée dans le hall, à faire quelque tâche.
-Ou est mon père, lui ai-je demandé, oubliant les politesses – qui avaient toujours été superflues, selon mon opinion.
-Monsieur est parti hier. À sa tête, il serait bien surprenant de le voir de retour avant ce soir.
J’ai acquiescé, quelque peu déçue par cette réponse. Il te faut savoir que mon père avait depuis le décès de ma mère plusieurs amantes, ce qui n’était pas son secret le mieux gardé. J’avais donc le reste de l’après-midi et une impatience naturelle devant moi.
-Vous avez bien mauvaise mine, a ensuite remarqué Évelyne.
-Sans doute la faim, ai-je menti.
Évelyne a probablement vu au travers de mon mensonge, mais elle n'a rien rajouté et s’est contenté de me conduire à la salle à manger. J’y ai mangé silencieusement et sans grand appétit, sous son regard inquiet.
***
Cet après-midi m'a semblé interminable, mon corps tout entier brûlant d’impatience grandissante. Je me trouvais la plupart du temps à faire les cent-pas, attendant que le temps coule par lui-même. J’errais de pièces en pièces, murmurant des injures et faisant retentir mes forts pas.
J’ai abouti dans mon lit, ayant vainement espéré y trouver sommeil. Je m’y étais couchée, encore toute vêtue, fixant les ornements de mon plafond. J’ai entendu des pas venant de l’intérieur, mais je n’ai pas pris la peine de me donner de faux espoir ; mon père empruntait un fiacre pour rendre visite à ses dames.
Mais – contrairement à mon attente – les bruits de pas ne se sont pas éloignés. Bientôt, la porte qui ouvrait s'est fait entendre parmi les mouvements habituels de la maison. La voix d’un valet saluant mon père a retenti, tandis que je bondissais de mon lit.
J’ai dévalé l’escalier, ne voyant que des réponses à mes questions qui m’attendaient au rez-de-chaussée. Mon père se tenait encore dans le hall, confiant son manteau à un valet. L’air plus grave qu’à l’habitude, il m’a observé, pour prendre une mine choquée.
-Aube ! Qu’as-tu fait à ta robe ?
J’ai ignoré ce reproche, ayant plus important à lui annoncer.
-Il y a eu un duel au boisé, j’en ai vu les traces.
En un très court instant, son expression changé ; ses sourcils se sont froncés, ses yeux on sembler voir des choses n’étant pas présente devant lui.
-Je ne serais que très peu surpris que les adversaires soient Faubert et Hallé. Les deux ne cessent de se confronter depuis plusieurs semaines. Hallé est probablement celui qui s’en est sorti victorieux, son bon maniement de l’épée et sa jeunesse l’aidant.
M. Faubert était le père d’une amie perdue, Anne. Je t’écrivais plus tôt avoir perdu la plupart de mes compagnons. Anne en faisait partie, et je regrettais amèrement ma sottise. Quelque temps avant cette journée, j’aurais reçu la nouvelle de la mort de son père avec la plus grande indifférence. Avec le deuil de ma mère, j’étais devenue plus nostalgique, et son annonce m’a accablé.
-Il faudrait que tu manges avec moi ce soir, a dis mon père en coupant le silence.
J’allais refuser, mais le ton de sa voix était grave, sans que je n’aie pu deviner ce qu’elle annonçait. Je me suis contentée d’acquiescer lentement, pour partir en paix fragile.
***
Un mauvais pressentiment m’oppressait déjà quand je suis arrivée devant les portes de chêne, malgré leur grande familiarité. Peut-être as-tu même déjà ressenti cette horrible sensation de déjà-vu, sans jamais avoir vécu chose similaire. Mes mains semblaient échapper à mon contrôle, toutes moites. Je les ai forcées à contrecœur d’ouvrir la double porte à battants, me faisant entrer dans la salle à manger. Mon père se tenait seul à la table, et son air grave s’était empiré. J’avais l’impression d’entrer dans la pièce, sachant que j’y trouverais la mort.
Une tarte à l’oignon encore fumante était déposée sur la table, accompagnée d’une bouteille de vin. Ce repas certes apetissant ne fit qu’ajouter à ma crainte : peut-être ne servait-il qu’à accompagner quelque rude annonce.
Je me suis avancée vers la chaise libre, prenant conscience de mon immobilité. Je m’y suis installée sous le regard imposant de mon père. Mes jambes ont cédé à leur tour de mon contrôle ; elles se sont mises à trembler de plus belle.
J’ai flanché sous la pression formée dans la pièce, ne pouvant m’empêcher de demander d’une voix faible et enrouée :
-Alors ?
-Alors tu vas te marier le seigneur Daniel Liénard de Beaujeu.
La lumière dans chandelles s’est mise à danser, se brouillant même. Toute l’oppression que j’avais plus tôt ressentie s’est transformée en colère intense. Mes dents se sont serrées, et mes mains sont devenues mes poings serrés ; tellement serrés que mes paumes étaient endolories par mes ongle les lésant. Pour une première fois, je n’ai pas protesté, je n’ai pas crié ; tout cela était vain. Mon avenir était tracé par quelqu’un d’autre. Ton père t’a sans doute caché ce détail, mais voilà de quoi tu es née ; d’un futur prédestiné et de sa fureur.
Comme par un odieux instinct, j’ai posé une question qui ne pouvait qu’empirer mon état.
-Où réside-t-il ?
Les mots était sortis avec une vigueur arrogante, à cause de mon conflit intérieur. Mon père qui connaissait ma colère me regardait refouler la bête qui se défoulait en moi.
-Au nouveau monde, a-t-il déclaré d’une voix calme, trop calme, comme s’il tentait de cacher quelque pensée.
La fureur a déferlé à nouveau en grands torrents. Sans même m’être servie une part de la tarte, je me suis levée brusquement, manquant de renverser ma chaise. Mais avant de quitter la salle à manger, j’ai planté une dernière fois mon regard dans celui de mon père, afin qu’il voit ma rage. Puis, je me suis enfuie dans ma chambre, hors de mon propre contrôle.
Là, les émotions se sont suivies dans des marrées n’ayant comme seul but de me noyer. Comme j’ai pleuré cette nuit ! Et quelques mots seulement avaient suffis à une telle réaction. Cette nuit, j’ai été brisé.
***
Tu connais désormais la nature de mes confidences, Agnès. Certes, une fois sa nature dite, raconter tous les détails d’un voyage peut sembler inutile, fade même. Mais je tiens à ce que tu comprennes ce que je ressentais, je veux que tu ais l’impression de l’avoir toi-même vécu.
J’espère ne pas t’avoir trop troublée avec ce début de récit,
Aube
C'est aussi intéressant que l'histoire se passe au 18ième siècle, ça offre un décor différent de celui contemporain. J'imagine que l'on va suivre la vie d'aube, la mère, qui est sorcière, et non pas celle de sa fille ?
En tout cas, c'est un premier chapitre intéressant :) Bonne continuation !
Ce début de récit me plait assez. Une mère qui écrit son histoire à son enfant abandonné, sous forme de lettre(s), j'apprécie beaucoup et me suis réjouie de le lire. On a envie de savoir et comprendre ce qui a bien pu se passer, surtout quand Aube fait allusions aux ragots (soupçons?) concernant une éventuelle sorcellerie. A-t-elle épousé cet homme, s'est elle enfuie, est-il le père d'Agnès etc. L'intrigue est bien présente.
Quelques remarques/suggestions que j'ai relevées dans la première partie du chapitre (il reste des choses à corriger) :
-« qu’il est plus approprié que jamais que tu puisses apprendre », je retravaillerais cette phrase à cause des deux « que » un peu lourds.
- trop de redondances du terme « histoire ».
-« Cette histoire a commencé un vendredi, 24 avril, durant l’année 1744 », comme tu es très précise sur la date, il n’y a eu qu’un vendredi 24 avril en 1744, je mettrais donc LE.
-« la forte influence que mon père avait alors m’assurant une protection contre tous les véritables maux », m’assurait.
- selon moi, tu utilises trop de participe présent, ce qui alourdi un peu le texte.
-« Ayant quelque peu pris le rôle de maître de lieux en l’absence de mon père, elle venait probablement de réprimander l’auteur du fracas m’ayant réveillé », deux fois « ayant » (encore participe présent), ça ne sonne pas très bien.
-« Elle a retourné son regard sévère vers moi, et il s'est attendri à mon image », qui est le « il » ?
-« Auriez-vous quelque nourriture que je pourrais amener avec moi », je pense qu’ici c’est « emmener » car elle prend quelque chose avec elle.
-« Il me semble que depuis que les premières lueurs du printemps vous passez vos journées dans ce bois », manquerait-il des mots ?
-« encore naïve tant qu’à ce que j’y trouverais », je ne comprends pas la formulation.
-« D’autre diraient », autres.
Au plaisir,
Ella
Je travaille sur un autre projet, alors j'ai moins de temps pour celui-ci, mais je tâcherai de le modifier
M.