Chère Agnès,
Une nouvelle année s’est écoulée sans qu’une fois je te voies
Parfois je me demande ce que tu penses véritablement de moi
Je ne suis qu’une mère infidèle, une mère qui abandonne
Pourtant autour de moi les pleurs pour ma fille résonnent
Ce quatrain a émergé de mon esprit quand j’ai saisis ma plume, et je tenais à te les partager. Jamais je n’ai été la meilleure des poètes, mais j’apprécies faire rimer des vers. Peu importe, voici la suite de mon histoire :
Dimanche annonçait - et doit d’ailleurs aussi annoncer pour toi – l'église, c’est pourquoi je méprisait fortement cette journée plus que toutes autres. Tout ce que je voyais, c’était de se faire sermonner le simple fait de vouloir exister par un vieux prêtre, que cette même personne vous raconte un charabia de toutes sortes. Recevoir les regards amers de tous gens présents ; voilà ce qui m’attendait en ces jours gaspillés. Non, j'ai arrêté de croire en la grande sottise qu’est “Dieu” depuis le décès de ma mère. C’est d’ailleurs cet évènement qui créa véritablement le contraste entre mes deux vies, comme je les appelle.
Si un tel être a le pouvoir de créer la vie, pourquoi n’a-t-Il pas eu le pouvoir que ces sots d’humains lui obéisse ? A-t-Il vraiment tous les pouvoirs qu’on lui accorde? Et même s’Il les avait, ne serait-ce qu’un égoïste décidant du sort de tout ce qui existe ? Il demande à ce qu’on aide notre prochain, alors que les bâtiment d’utilités religieuse sont le bâtiment, à part peut-être la demeure du Roi, les plus richement construits. Jamais une de mes prière d’enfant naïve ne s’est réellement réalisée, ou tout simplement pas par une force supérieur à toute existence. S'il y a quelque chose que tu devrais retenir de tout ce qui précède, c’est que la seule vraie manière de réaliser ses prières est de prendre soi-même la situation en main au lieu de la laisser au hasard.
Voies-tu, c’est pour ces idées que la société avait décidé de me croire démoniaque. Certes, j’'étais forcée à garder ces pensées pour moi, mais mon aptitudes en disait grand sur le fond de mon esprit, si je me fie à toutes mes discutions avec autrui.
Comme tu as pu le voir à la grande ferveur que je garde à ce sujet, ces pensées me sont toujours propres. J’ai bien hésité à mettre ces pensées sur papiers, car elle pourraient fâcher plus d’un. Mais je sais que même si elles ne te sont qu’absurdités d’une vielle folle, tu les liras. Je ne puis accepter de te mentir, et ne pas révéler ces idées serait cacher une partie entière de ma personne. Oh ma pauvre Agnès ! Tu dois être horrifiée d’apprendre tous ces détails de mon sombre esprit, si telle chose existe. Pardonne moi, pas pour la grâce de Dieu, mais pour le simple pardon, si jamais j’ai pu t’effrayer avec ma pensée digne d’une sorcière condamnée au bûcher.
Avant de me perdre dans mes songes écrites, je te disais que les jours de Dimanche m’étaient tout sauf agréables, et en particulier celui du 26 Avril 1744. Débutons par le commencement ; vers minuit, j’étais dans rues obscures de Paris. Si on t’a moindrement informée sur cette ville louche, tu trouveras questionnable mon choix. Pourtant, les dangers des rues faisaient partie de mes plus moindres préoccupations. Autant tuer ma personne que ma liberté de demoiselle libre, était devenu momentanément ma devise.
Durant la nuit précédant celle-ci, je ne m’étais que très peu reposée. Voyant l’heure fatidique de mon mariage se rapprocher de plus en plus vite, j’avais pris la décision de passer ma dernière nuit en tant que demoiselle dehors, dans un parc. Mon sommeil étant déjà condamné. À quoi bon passer des heures d’angoisses, de remords quant à ma vie de demoiselle, mais surtout de peines infinies, barricadée dans ma chambre où tout sanglot mal caché de ma part pouvait déclencher la visite de quelqu’un ? Le fait de sortir n'accommodait évidemment pas par simple magie mes émotions, mais m’évitait ce genre de contacts sociaux indésirés, en plus de me permettre de jouir d’un plus grand espace. Étant dans un cartier pauvre en activités nocturne, les seuls bruits qu’il m’étaient possible d’entendre était mes pas ricochant sur le sol pavé. Le goût métallique du sang remplissait ma bouche, dû au fait que je m’étais plus tôt mordue volontairement la langue, n’ayant trouvé meilleur moyen de cacher un sanglot imprévu. L’odeur particulière de la nuit, fraiche, unique, régnait, gagnant sur l’odeur malsaine de la ville. Le souvenir d’une nuit passé à regarder les étoiles en dehors de la ville avec ma mère, parmi tant d’autres, fit couler ma première larme. Mon esprit de jeune femme était en crise.
La lune et les étoiles me faisaient office de points d’attachement dans ma réalité brusquement changée. Cependant, ces curiosités du ciel nocturne n’étaient pas les seuls charmes de la nuit ; le calme y régnant est des plus belles merveilles. Avec la tombé de la nuit tombe aussi un voile de quiétude. Les animaux qu’on connait s’endorme, mais d’autres prennent la relève. Le même paysage se révèle avoir un charme nouveau, bien que parfois inquiétant, permettant de redécouvrir ce qu’on croyait si bien connaître. Bref, la nuit moi étions, et sommes toujours, faites l’une pour l’autre.
Ces jours-ci, je regarde la nuit avec espoir que tu la regarde aussi. Si loin sommes-nous, les étoiles veillent sur nos corps éloignés, la lune nous chante de douces berceuses. Promets moi silencieusement de penser à moi à chaque pleine lune, et je serai plus que ravie. La nuit m’a aidé a consoler m’a peine.
Ironiquement, mon prénom consiste au moment où se monde se brise, non, se briser n’est pas un terme approprié, il s’endort. L’aube s’installe tranquillement, sans qu’un être ne puisse s’en apercevoir, et enfin la lumière émerge se remplace le monde obscur qu’est la nuit, comme le sommeil emporte un enfant s’entêtant à rester debout à une heure tardive.
Et moi, dans tout ce monde, je pleurais désormais comme une petite fille égarée dans une sombre forêt horriblement familière. Maintes fois j’ai crié, pour que le monde sente mon malheur. La première larme avait déclenché un flot de ses semblables, telle une chaîne se renouvelant pour ne jamais s’arrêter. Les étoiles s’étiraient en longues traînée indéfinies, à cause de l’eau qui remplissait mes yeux et finissait par se tracer un chemin sur mon visage. Ma mère m’avait un jour dit que sécher nos larmes faisait en sorte que nos soucis reviendraient, mais que les laisser s’en aller naturellement nous aiderait à les régler. Bien sûr, je ne crois pas à ce genre de superpositions et ma mère non plus n’y croyait peut-être même pas au moment où elle m’a dit ce conseil. Mais c’est tout de même le visage mouillé de larme que j’avais laissé couler - et avec une pensée pour ma mère - que j’errais à une heure si tardive.
À bien y penser, une grande partie de ma peine était simplement parce que je n’avais personne à qui blâmer mon malheur, aucune cible des pires injures que je pouvais produire. Mon bourreau était sans visage; ce n’était qu’une ombre de sentiments. Après avoir réfléchi, je n’en voulais plus à mon père qui n’avait fait que son devoir en me trouvant un bon époux. Je lui devait d’ailleurs la reconnaissance d’avoir attendu mes dix-sept ans, presque dix-huit. Ma première réaction avait été trop impulsive et très peu sage.
C’est ainsi que s'est déroulée la nuit précédant mon union ; en un mélange de désespoir et d’anticipation qui ne m’apportait que des angoisses. Mes pensées ne faisaient que tourbillonner, me hantant chacun leur tour, sans pourtant me laisser de répit. Jamais je m’ai senti cette impression de reprendre son souffle après avoir trop pleurer, mes malheurs s’enchaînant dans un cycle infernal.
La seule et unique fois que j’avais auparavant ressenti des émotions m’ayant réellement fait pleurer, remontait à mes quatorze ans. Je t’écris ici à propos de vrai chagrin, ceux qui marquent, qui changent une vie. Cette fois-là s’agissait de la soirée qui a provoqué la fin de la plupart de mes amitiés. En un bref résumé, il s’agissait d’un bal ayant pris lieu chez les Saint-Laurent, un vieux couple se rabattant sur les fêtes pour oublier leur âge. Y avait été présent la bande avec laquelle je me tenais à l’époque. Ce groupe était composé de sept jeunes gens qui partageaient mon âge ; Édith et Élizabeth Duchesneau, deux jumelles reconnues pour leur grande beauté et une certaine hypocrisie ; Alexandre Sorel, un descendant de nobles familles qui se plaisait à défier les peu de règles lui étant imposée ; Rose et Jean Masson, une fratrie que j’avais toujours apprécié pour leur grande intelligence ; Marie Dumont, que je ne connaissais que fort peu à l’époque et enfin Anne, qui était ma plus grande amie, aux temps de ce bal. Le prince Charles- Édouard Stuart en personne avait été le principal attrait de cette soirée. Mais quand il est venu vers nous, j’ai été prise d’un horrible malaise qui m’a forcé à me retirer dans le jardin. C’était là que j'ai vu danser le prince et Anne, ensemble. J’ai été prise d’une terrible jalousie qui m’a fait oublier mon amitié avec elle, si bien qu’au moment où je regardais le ciel en pleurant à cause de mon mariage – trois ans plus tard – notre amitié n’avait jamais été réparée.
Cette anecdote peut sembler bien anodine, d’un point de vue réfléchi et extérieur, et je me suis moi-même trouvé plusieurs fois à m’en moquer. Mais pourtant la jalousie que j’éprouvais était viscérale, comme provoquée par une force me surpassant. Comme j’avais pleuré cette nuit !
Pour en revenir à l’histoire principale de cette lettre, ce qui était d’habitude annonce de la fin de mon bonheur nocturne, l’aube, a cette fois marqué la fin de la boucle d’émotion détraquées. Cependant, il ne me fallait surtout pas m’en réjouir, car d’autre mésaventures m’attendaient en ce jour, dont certaines élucideraient certaines de mes anticipations.
Pour ne pas que l’on croit que je tentais de fuir ce mariage, j'ai dû courir jusqu’à chez moi. L’air frappait mes larmes, les rendant si froides sur mon visage.
***
Comme prévu, Évelyne est venue me réveiller dans les alentours de huit heures. Si elle avait connaissance de mon escapade, elle n’en laissa rien paraître.
-Aller, il faut vous lever ; aujourd’hui n’est pas un dimanche ordinaire, vous le savez bien, m'a-t-elle dit doucement, tendrement même.
J'ai feint d’être perdue entre le sommeil et le réveil, me suis étirée, mais la lumière émanant de la fenêtre m’a véritablement aveuglée. Évelyne m’a habillée en me donnant les indications de la journée :
-La messe aura lieu à l’heure habituelle, à onze heures, et votre mariage suivra. M. Dubois a fait en sorte que vous soyez seule à vous marier ce jour-ci, le faire après la messe était dans les conditions. Non, je ne vous vêts pas tout de suite de votre robe de mariée, vous avez bien le temps de l’endommager avant la cérémonie.
Et ainsi de suite, Évelyne semblait essayer de me rassurer en me donnant des renseignements. Tant elle en a parlé, je n'ai pu m’empêcher de m’imaginer la scène: moi avançant vers l’homme qu’on avait promis pour moi, dans une église. Évidemment, le seigneur de Beaujeu ne serait pas sur place ; un représentant allait jouer son rôle, comme me l’avait plus tôt indiqué ma bonne. Ensuite débuterait mon périple jusqu’à celui qui sera à ce moment mon mari.
-Venez manger, à présent, m'a dit Évelyne qui devait me regarder être dans perdues dans mes pensées depuis un certain moment. On ne se marie pas le ventre vide !
La connaissant, je savais qu’'il était vain de lui expliquer que je n’avais pas faim ou moral à manger ; je l'ai donc suivie docilement jusqu’à la salle à manger. J’ai remarqué que mon père avait pris soin de l’éviter, sachant qu’il était probable que sa fille ne soit pas d’humeur à voir sa personne ce matin-là. Malgré mon flagrant manque d’appétit, Évelyne a tant insisté pour que je mange que j'ai fini par avaler un bon repas.
-Pauvre Aube, répétait-elle, pauvre Aube, pourquoi ne mange-t-elle pas ?
J'ai passé le reste du temps me séparant de la messe à flâner, ouvrant un livre pour immédiatement le laisser, déplaçant çà et là des objets. Tu sais comment le temps est : il coule. Le secondes sont devenues minutes, puis heures. Le temps me sembla ni trop long ni trop bref ; il ne m’importait plus que très peu. Est ensuite venu le moment redouté de se rendre à l’église, mais inévitable.
Nous nous sommes installés dans la diligence destinée à nous y conduire. Quelques minutes avant onze heures, j’entrais dans le lieu où se passerait le moment tant attendu, accompagnée de mon père. Évelyne avait la permission de nous accompagner afin de plus tard me préparer, mais elle a dû attendre que son moment de servitude arrive avant d’entrer.
C’était une journée tiède et il ventait, comme j’ai pu le remarquer durant les quelques instants passés dehors, mais la cérémonie allait avoir lieu à l’intérieur, donc à l’abris. Le soleil encore précaire et timide réchauffait les plus entêtés qui restaient dehors malgré le froid.
Dès que la porte s’est ouverte pour dévoiler ma présence, le silence a fracassé toutes conversations, ma réputation en était la seule cause. Tous m'ont dévisagé, sauf une tête chambranlante aux cheveux d’or pâle. Les murmures ont repris après quelques secondes vides et maints regards effrayés vers moi ont suivi les nouveaux ragots à mon sujet. Oui, Agnès, la société parisienne est si étrange. J’ai encore un curieux plaisir à penser à la naïveté de certaines personne face à des rumeurs ; il suffit qu’elles parle que quelque personne ayant un comportement différent qu’imposé pour qu’on martèle son honneur d’histoires de toutes pièces. Heureusement, la bonne réputation et le pouvoir de mon père me protégeaient de toutes attaques réellement nocives.
Pour en revenir à cette scène, mon père a fait comme si rien de cela ne c’était produit et est parti saluer ses connaissances, après m’avoir fait signe se joindre plus tard à lui, naturellement. J'ai gardé un air digne que j'avais pris l’habitude d’afficher durant mes apparitions publiques, et me suis engagée dans la grande allée qui séparait la mer de banc en deux. Mais mon regard s’est arrêté sur sa seule personne qui, à mon souvenir, s’était gardé de me transpercer de son regard le plus noir : Anne.
Édith et Élizabeth Duchesneau se tenaient aux côté de la jeune femme. Les deux jumelles avait beau avoir fait partie de mes anciens compagnons, leur attitude avait bien changée. Mon père avait bien deviné le père d’Anne, Mr. Faubert, avait bel et bien été défait par Hallé. Les deux sœurs tentaient, en vain, de consoler Anne qui pleurait. Remarquant ma présence, elle se sont excusées auprès d’Anne, ont levé le menton à mon égard, et ont pris un air dégouté pour enfin rejoindre leur maris correspondants. Hélas pour elles, leur beauté ne les ont pas épargné du mariage. Ainsi piégée, je me suis assise le plus doucement possible à côté de la peinée. Je ne savais quoi dire, mais ne pouvait m’en aller sans rien dire, après ces trois ans de quasi-silence.
-Je suis désolée, ai-je entamé, sans avoir trouvé meilleur sujet, et quelque peu mal à l’aise.
Elle a relevé les yeux pour identifier la personne qui était venue lui faire la conversation. Si elle a été surprise de me voir, elle n’en a rien laissé paraître. Elle a inspiré une grande bouffée d’air tout en fermant ses yeux délicats.
-Ce n’est pas pour lui que je verse tant de larmes. Ce n’était qu’un ivre égoïste, jetant sa fortune qui aurait pu assurer un bel avenir à sa femme et ses enfants dans le mains de chenapans, a-t-elle fini par dire une fois ses sanglots quelque peu calmés.
-Je ne le sais que trop bien, lui ai-je dit. Ce n’est pas pour lui que je m’excuse, oh comme tu mérites un meilleur père que cet, cet... Sur ce, j’ai marqué une pause, ne voulant pas ternir la réputation d’Anne par quelque insulte envers son père. Enfin, il faut dire que les invités de mon père apprécient en parler, ai-je repris plus calmement cette fois. Je m’excuse d’avoir agis comme une hypocrite, comme une vraie sotte. Voilà trois ans que j’ai coupé notre amitié, je te demande de me pardonner cet acte misérable, et seulement cela.
-Oh, Aube, tu m’en voies ravie ! Tout cela est oublié, crois-moi !
Un doux silence de quelques secondes où nous portions toutes deux un sourire niais à nos lèvres s’est imposé ; nous pensions aux temps passé. Rien de ce monde n’est plus heureux que de renouveler une amitié, Agnès. Cependant, c’est une des songes qui ont suivi ces beaux souvenirs qui m'a rappelé à la réalité :
-Anne, ai-je dit en lui prenant les main pour montrer mon support, de quoi pleures-tu ainsi, alors ?
-Qu’'importe, a-t-elle répondu d’un ton si enfantin, qu’importe ! J'ai retrouvé une si bonne amie !
-Mais ...-
L’arrivée du prêtre sur l'Auteuil m’a empêché de protester, et donc d’en savoir plus sur le sort de mon amie retrouvée.
L’homme de religion semblait vouloir rester gravé dans ma mémoire, car il avait préparé une longue messe sur le mariage et la nativité de nouveaux croyants. Toutefois, il se peut fort bien qu’elle n’ait pas été si longue, mais le ton traînant du prêtre m’en avait donné tout l’impression. Sa mission n’avait réussi que plus ou moins sur moi ; ce long moment m’est en effet inoubliable, mais du mauvais côté, la personne récitant son texte s’était évanouie de mes souvenirs.
J’avais beau essayer de me concentrer sur ce qu’il disait, je tombais en désaccord fort apprès un seul instant. Je me forçais donc à ouïr, mais ne rien interpréter. Contrairement à d’habitude, ce n’était pas l’ennui et le désaccord d’opinion qui me gagnait, mais bien l’angoisse. Il aurait fallu être bien sot pour ne pas s’apercevoir que tout ce discours m’était destiné, comme une dernière chance de me repentir. J’ai vu le prêtre écarquiller les yeux quand il a aperçu la place inoccupée à côté de mon père croyant que j’avais préféré ne pas assister à ce long discours. C’est en passant la foule au peigne fin – comme à son habitude – qu'il m’avait aperçue à côté de celle qui l’avait toujours écouté attentivement. Il m'a lancé un regard grave plein d’avertissements, mais sembla satisfait de me trouver en bonne compagnie, croyant voir un signe de repentissement dans mon amitié réparée avec Anne.
À plusieurs moments, je me retournais pour retrouver une Anne paisible, son attention étant détournée vers le discours du prêtre. À chaque fois, il me semblait très peu vraisemblable qu’Anne, cet être considéré aussi pur qu’un ange, passe l’ensemble de la messe sur le même banc que moi ; pis encore, elle était directement à côté de moi, être infâme et diabolique. Cependant, l’attention générale fut captée par le prêtre en entier, si bien que quelques larmes de dames aux cœurs trop sensibles furent versées.
La fin de la messe est arrivée en un boucan d’applaudissement et de félicitations destiné à l’homme d’église ; la société avait été touchée par ses dires. Ceux qui n’étaient pas intéressés par mon mariage sont partis, quoiqu’une majorité décida de rester, mon père et sa grande influence aidant sur ce point. On laissa un interlude pour que les gens qui avaient à se préparer le fasse, et que ces dames repoudrent leur jolis nez. Les conversations ont repris de plus belle, ayant, évidemment, ma personne comme principal sujet de conversation. Évelyne, qui avait été informée que son moment de gloire était venu, est venu me chercher pour débuter son œuvre. Ainsi, quelque moment seulement après qu’Anne m’ait annoncé qu’elle assisterait à mon mariage et que j’aie lancé un regard désolée vers mon père à qui je n’avais pas eu le temps de parler, je me trouvais dans la pièce où la domestique me mettrait sous mon plus beau jour, selon ce que la société pensait de la beauté, bien sûr.
Fard, corset, maint jupons, rubans ; elle utilisa tout, ou presque. Toutefois, elle ne prit pas la peine de me proposer une perruque, connaissant mon fort désaccord pour cet accessoire. Par contre, elle tenta de me poudrer les cheveux, ce que je refusai catégoriquement. Lorsqu’elle eût fini, j’étais transformé ; une épaisse couche de poudre de riz recouvrait mon visage, masquant ma peau naturellement tachée de taches de rousseur, mes cheveux ayant toujours parus comme une masse hirsute jaillissant de ma tête avaient été peignés et garnis de rubans de la même dentelle de ma robe, et quelle robe ! Jamais - malgré mon haut statut - je n’avais porté un vêtement aussi riche; une pièce d’art pour épater la société, voilà ce que j’étais devenue. Je n’étais guerre plus qu’une marionnette, subissant son destin, cachant tout ce qui pourrait déplaire.
-Magnifique, magnifique ! se réjouissait Évelyne, la voix beaucoup plus aigüe qu’à la normale.
Ma propre image mon propre reflet me dégoutait, il semblait appartenir à ces demoiselles étant prêtes à tout pour plaire à qui que ce soit, et mon corset trop serré m’empêchait de bien respirer, ne faisant que rajouter à ma détresse.
-Bien, a dit Évelyne après de m’avoir examiné une dernière fois, votre père viendra vous chercher en temps venus, vous n’avez qu’à l’attendre. Corrigez- moi cette mine maussade, mademoiselle – car vous en êtes encore une.
À ce commentaire, je n’avais guerre d’autre choix que de sourire, ce que j'ai fait, bon gré mauvais gré. Je me suis laissée choir sur une chaise mise à ma disposition, du moins autant que mon extravagante robe ne le permettait.
Trop peu de temps à mon goût a séparé cet instant de l’arrivée de mon père. Je me suis levée et ai pris le bras qu’il me tendait. Nous sommes arrivés dans l’allée, et le même silence que celui de mon arrivé, qui me semblai si lointaine, a retenti. Mais cette fois-ci, on sembla me vouer plus grand estime, habillée comme je l’était et sur le seuil de mon union, ou tout simplement puisqu’un voile délicat cachait mon visage. Comme l’église et la foule me semblait si soudainement grandes ! Après réflexion, il était évident que les gens venait pour mon père et non pas pour ma personne, c’était les affaires qui les amenait ici, ou peut-être étaient-ils simplement venus pour divertir ces dames. Peu importe la cause, les bourgeois de Paris étaient rassemblés pour assister au mariage de la démone. J'ai scruté du regard toute cette élite rassemblée, trouvant soudainement le rythme de marche très lent. Ironiquement, plusieurs visages m’étaient inconnus.
Mon examen s’est arrêté quand mon regard a rencontré Anne. Malgré notre discutions ayant eu lieu plus tôt, j'ai d’abord été surprise de la voir assise parmi tous ces gens, comme étrangère dans ce décor. J'ai rencontré son doux regard bleu, et c’est à ce moment que ma vision se couvrit d’un voile supplémentaire à celui que j’avais depuis un moment sur la tête. Pourtant aucune larme ne s’interposait entre mes yeux et le monde m’entourant ; l’émotion seule remplissait cette tâche. Le décor qui m’avait plus tôt semblé être que trop présent et réel autour de moi n’était plus que diverses teintes s’entremêlant pour former un tout que très peu sensé. Le même phénomène s'est produit, enveloppant tous mes autres repères. La mélodie jouée à l’orgue n’était plus que bruit incohérant et certainement pas mélodique, telle une voix se perd dans un brouhaha. Le même encens ayant toujours profondément agressé mes pauvres narines n’était plus que faible effluve délicate. Mon seul encrage, ma seule preuve que tout cela n’était pas un rêve était le bras de mon père serrant fermement le mien, comme s’il avait peur que je puisse m’enfuir. À bien y penser, le terme “rêve” ne serait que trop inapproprié pour ce qui se déroulait, remplace-le par “cauchemar”. Mais peu importe le mot utilisé, mon attention aurait dû être concentrée sur mon unique contact, mais une pensée dominante occupait mon esprit, le hantait, volait toute attention, et cette pensée concernait Anne. Anne qui était assise à quelque distance infime de moi, mais je ne pouvais la voir, conséquence de ma vision soudainement défaillante. Elle me voyait, défilant vers mon destin imposé, elle me verrait échanger des vœux que je ne souhaitais pas réellement se réaliser. Elle me verrait prononcer les paroles qui me ferais renoncer à mon plus grand honneur, que j’avais jadis cru droit universel, que j’avais naïvement cru mon bien qui traverserait toutes épreuves et temps : ma liberté. J’allais la vendre pour celle d’un autre, j’allais l’abandonner si docilement sans en avoir profité, sans avoir tout exploré. Anne me verrait m’unir à un autre être, non ; me verrait devenir sa possession, portant son nom pour ainsi devenir Mme. Daniel Liénard de Beaujeu. Comment une telle affreuseté puisse-t-elle être possible ? Voilà ce qui hantait mon esprit. Malgré mes sens troublés, le délicat visage d’Anne a eu temps de rester gravé dans ma mémoire ; c’est ce portrait que je voyais, la perte de repère m’important plus que très peu.
Comme moi à l’époque, il se puis qu’une question te sois occasionné par cette description. Comment se pouvait-il qu’une telle réaction soit occasionnée par la vue d’une personne avec qui je n’avais échangé que très brefs discours depuis près de trois ans ?
La réponse est venue d’elle-même, avec une fougue inattendue, car je la connaissais bien avant même d’en poser la question. Seulement, je l’avais enfouie au fond de moi, car mes principes me l’interdisaient quand elle m’est apparue ; j’aimais Anne, plus profondément qu’aucun ami en avait aimé un autre, de manière plus vraie que jamais je n’avais aimé auparavant. Oui, j’étais amoureuse d’Anne, voilà pourquoi une telle réaction avait été provoqué chez moi lorsque je l’ai vu danser avec le prince, je ne voulais pas être à sa place, mais à celle de Charles-Édouard Stuart, dans les bras d’Anne. Puis, cette pensée m’avais troublé et j’ai préféré m’imaginer jalouse. Cependant, j’avais changé ; peu importe si de vieux fous pense qu’il est immoral pour une femme d’en aimer une autre. Après tant d’années, je l’avais accepté ; ma différence, mon amour.
Peut-être était-il vrai que j’étais démon, ou une marionnette de Satan et qu’Anne était Ange, mais tout cela n’était que très superflu pour moi ; notre amour – si seulement elle pouvait accepter de m’aimer - étais déjà interdit. Mais j’aimais cette idée d’amour interdit. Aujourd’hui encore, tu es la seconde personne seulement à l’apprendre. Je l’aimais et rien ne pouvait faire tanguer mon avis. Ma raison ne cessait de me crier que jamais un être comme Anne ne pourrait m’aimer en retour, ce fut-il un homme. Pourtant, le plus profond de moi-même était convaincu de l’inverse.
Puis, je sembla me réveiller de mon étrange passage dans un monde vide de tous repère, mais remplis en songes. En fait, ma vue était concentrée sur Anne, ce qui me suffisait parfaitement. Selon ma position dans l’allée, l’ensemble de cette réflexion - ou plutôt acceptation – n'avait duré, du moins en temps réel, quelque secondes, comme si le temps avait été figé. Les larmes ayant coulé sur les délicates joues d’Anne avait été essuyées, mais ses yeux restaient rougie, tout de même splendides. Tranquillement, je retrouvais mes repères, pour enfin sortir de cet étrange état. J'ai sorti mon regard du sien, pensant que le moment était très mal choisis pour ainsi penser à mes sentiments envers elle.
Si je reprenais certains de mes moyens, mon souffle devenait tant qu’à lui de plus en plus court. Mon corset trop serré amplifiant mon malaise, ma repirations est rapidement devenue difficile. Chacune d’entre elles étaient douloureuse, mon corset empêchant les mouvements normaux de ma poitrine. Comme l’allée me semblait longue ! Mon père a semblé remarquer ma détresse et a légèrement relâché sa poigne, car sans doute avait-il lui aussi été nerveux, et m’avait donc agrippée avec plus de vigueur que réellement voulu. J'ai fermé les yeux, me laissant guider et ai tenté de ralentir ma respiration. J'ai réussis à retrouver un certain contrôle de ma respiration, mais elle est tout de même demeurée frêle.
Autant le début de ce défilé m'a semblé lent, autant sa fin était courte, trop courte, je dois t’avouer. Je m’efforçais de garder mon calme, les yeux fermé pour ne pas rencontrer des regards qui pourraient troubler mon état assez précaire - ce qui m'a fait trébucher lorsque des marches ont rencontré ma trajectoire. Je me suis retrouvée trop vite en face de l’homme de loi représentant le seigneur de Beaujeu, après avoir écouté une partie du monologue du prêtre, les mains dans les siennes sans vraiment avoir de souvenir de les mise à cet endroit. Les textes récités étaient ma plus grande participation à l’organisation du mariage ; il m'a fallu choisir les passages de la Bible récités. Bien que je ne croyais pas en ce que raconte ce livre, j’en avais étudié des passages, cette occupation faisant partie de ma bonne éducation. Ainsi, même si Dieu n’est rien de plus pour moi qu’une histoire, la Bible contenait selon moi des passages intéressants, d’un point de vue littéraire. Je les écoutait d’une oreille distraite, le grabuge ayant lieu dans ma tête étant trop fort pour me permettre une réelle écoute.
Puis, mon esprit a repris mon attention, cette fois entière, pour me déposer à un autre moment.
-Daniel Hyacinthe Marie Liénard de Beaujeu, acceptez-vous de prendre pour épouse Aube Inès Jane McLeoch Dubois ?
L’homme se tenant devant moi a fait son devoir, répondant de manière affirmative à cette question, promesse que très peu insignifiante, lui n’étant pas réellement l’homme que je m’apprêtais à épouser. Il avait peut-être lui-même une femme.
Mais, est venu mon tour:
-Et vous, Aube Inès Jane McLeoch Dubois, acceptez-vous de prendre pour époux Daniel Hyacinthe Marie Liénard de Beaujeu ?
À cet instant, j’aurais voulu crier sauvagement à l’injustice, qu’il y avait une erreur, pour ensuite me sauver tel une bête effrayée le fait en voyant un chasseur, pour disparaître à tout jamais. Je ne pouvais en faire ainsi, la part rationnelle de moi-même me disant que mon père avait son regard sévère posé sur moi et que la masse de gens rassemblés retenait son souffle commun, attendant me réponse, créait une barrière à ce désir. Une autre part de moi-même tentait de l’affronter, celle cachée, profonde, qui s’était réveillé quelques instants plus tôt. Elle avait comme unique préoccupation Anne, que j’allais quitter pour l’Amérique, pour un mari inconnu. Le seul empêchement que voyait cette partie de moi-même, c’est qu’elle ne serait pas avec moi dans cette évasion, et que je pouvais l’amener. J’étais alors déchirée, chaque part de moi-même tentant de vaincre une autre, comme si elles étaient des êtres indépendants en chicane.
-Oui, je le veux.
Mensonge, criait mon intérieur.
Ma voix - tremblante à cause de l’émotion - m’avait semblé étrangère tant elle avait retentie dans la voûte par ce qu’on aurait pu croire être confiance, mais qui était en réalité colère. Cependant, son écho retenti bien plus longtemps dans ma tête, écho qui me transporta au moment où la cérémonie prit fin. À ce moment, j'ai sorti par les grandes portes, l’anneau à mon annulaire gauche me prouvant que ce qui m’avait semblé si illusoire s’était bel et bien déroulé. Mais l’épreuve n’était toujours pas achevée ; sur les marches de l’église s’étaient rassemblés tous gens venus à cet évènement. Les conversation ayant alors déjà commencé, la foule était séparée en plusieurs groupes, selon les intérêts de discutions. Lorsque j’ai posé mon premier pas à l’extérieur du bâtiment, plusieurs personnes sont venues me voir, changeant de l’habituel silence suivi de ragots, même si certains préférèrent émettre quelque commentaire à mon sujet.
Les première personne à qui j’ai pu parler était les Saint-Laurent, ce vieux couple dont tous les enfants étaient maintenant indépendants depuis plusieurs années, se rabattant donc sur des soirées de toutes sortes.
-Ma belle Aube, où plutôt devrais-je dire Mme. Liénard, me salua Mme. Saint-Laurent avec bonne humeur, pour ensuite s’empiffrer dans des félicitations et des souvenirs de mariages. La vielle dame semblait satisfaite tant que j’acquiesçais
À ce nom, j'ai frémis. À mon nom, ai-je ensuite pensé avec horreur. Je l’'étais donc devenu, cette personne redoutée, crainte, c’était moi.
-… je vois que d’autres veulent profiter de votre société, chère, il me faut leur laisser ma chance, au revoir !
Ainsi se sont suivies les conversations, sans que jamais je n’y porte réelle attention.
Enfin, lorsque tous gens ayant eu l’intention de parler à la mariée l’ont fait, j'ai pu me permettre de quitter les escaliers, le tumulte m’ayant empêché de prendre autre lieu pour mes brèves conversations. J'ai repéré mon père, encore aux prises d’une discussion et l'ai informé que je préférais rentrer à pied, cette décision n’étant guère plus qu’un camouflage destiné à ma réelle intention. Je me suis sortie avec peine du rassemblement, passant près d’un groupe de dames, m’offrant une brèche qui me permit d’entendre quelques inquiétudes au sujet du pauvre Alexandre Sorel dont les mésaventures l’avait livré aux tavernes où il sombra ensuite dans l’alcool. Peu surprise de ce destin, j'ai continué mon chemin, indifférente, longeant le mur droit de l’imposante église. J’y ai laissé ma main effleurer ses pierres rêche, mais la vue de l’anneau s’accrochant à mon doigt m’a fait ramener vivement ma main le long de mon corps. Pourtant, il ne s’agissait que d’un petit bijou couvrant une si petite partie de ma peau pour son effet répercutant sur ma personne entière.
J'ai tourné au coin du bâtiment pour apercevoir le banc de bois sur lequel je m’étais tant de fois assise pour attendre mon père, cette fois-ci occupé par trois personnes ; Rose, Jean et Anne. La présence de gens à cet endroit m'a surprise, mais les trois êtres s’y tenant étant tous réservés, la situation ne devait pas sortir de l’ordinaire. Je me suis approchée lentement du siège, feignant de ne pas les avoir remarqué. Je n’avais pas vu Anne depuis notre discussion dans le bâtiment contre lequel elle était assise. Rose, qui était assise à l’extrémité du banc la plus près de moi a remarqué la première ma présence.
-Aube, que fais-tu seule ici ? Peu importe, tu dois être lasse de tous ces gens, pourquoi ne pas t’asseoir avec nous ?
Ne pouvant pas refuser son invitation, je me suis assise à son côté, tous s’entassant pour me le permettre. De toutes mes anciennes fréquentations, c’était, jusqu’à ce moment, avec Rose et Jean que j’avais gardé le meilleur contact, comme en témoignait l’aise avec laquelle Rose me parlait, étant très timide avec la plupart des gens. Cependant, cette relation avait été assez minime, compte tenu de ce qu’elle était avant que je devienne si solitaire.
Un certain temps sans parole a passé, chacun dans ses pensées. Comme j’étais arrivée dernière, et donc avait causé ce blanc de conversation, c’est moi qui a tenté de ranimer la conversation, du moins, du mieux que je le pouvais :
-Merci, Rose et Jean, d’être venus – je n’osai pas ajouter le motif à voix haute, tant il me troublait encore. Je m’en veux de vous avoir que très peu accordé d’attention ces dernières années, moi qui aimais tant votre présence.
Décidément j’étais résolue à faire mes excuses, ce jour-là, comme si je voulais absolument avoir renouvelé mes amitiés avant de disparaître à tout jamais dans un pays lointain, histoire de rendre le départ encore plus douloureux.
-Ne t’en fait pas, a répondu en premier Jean, nous ne l’avons pas pris mal, les gens changent, et je savais que tu reviendrais tôt ou tard.
Plutôt tard, ai-je pensé sordidement.
-Et nos parents nous auraient quand même amené à ton mariage ! a dit Rose dans une maladroite tentative de plaisanterie.
J'ai souri à cette intervention et ai laissé échapper un rire nerveux, mais sans plus. Le silence de plomb demeurait, tandis que mon intérieur me criait pour qu’Anne et moi soyons seules. La fratrie a sans doute deviné ma réelle intention, puis se sont excusé en inventant un prétexte de partir, pour enfin me laisser seule avec Anne, comme me l’avait demandé sauvagement mon intérieur.
Comme j’aurais aimé tout lui dire, comme j’en tremblais. Comme j’aurais aimé m’enfuir de cette triste histoire qu’était devenue la réalité, m’enfuir avec elle. Hélas, tout cela m’était impossible, la société étant devenue plus complexe que ceux qui la composait, ayant dépassée la vrai nature de sa création. Je ne savais comment Anne aurait réagie à une telle exposition de mes sentiments interdits, je craignais plus que tout sa réaction. Moi qui depuis notre plus bas âge avait tenté de la protéger, me tenant devant tout ce que je considérais menace pour elle, criant contre eux, j’étais devenu vulnérable et effrayée, à cause de l’être que j’aimais plus que tout. J’étais forcée de me contenter de son amitié, et de rien de plus, comme on met une friandise devant un enfant, l’empêchant de s’en approcher. C’est ce genre de désir que je ressentait, sauf que la comparaison d’un enfant est ridicule, comparé à mon amour pour Anne, et que je ne voulais que du bien pour elle. Pour en ajouter à mon malheur, il m’était difficile d’être en sa présence et d’agir de manière considérée normale - vu le flot de pensées qui m’assaillait dès que son nom était prononcé - ce qui détruisait beaucoup d’occasion pour avoir de délicieuse conversation avec elle, cette activité étant considéré décente pour deux amies.
Au lieu de cracher les pensées me hantant depuis déjà un bon moment, j'ai dû me contenter de lui rappeler la discussion interrompue que nous avions plutôt eu.
-Anne, je te pose la question suivante car je n’ai pu le faire plus tôt ; pour quelle raison as-tu déversé tant de larmes, si la mort de ton père n’en est pas la cause ?
-Je crains que tout cela soit une bien longue histoire et que je n’ai guère le temps de la raconter ici entière. Certes, je pourrais bien l’écourter.
À cette proposition, j'ai secoué négativement la tête, la laissant continuer.
-Ma pauvre mère doit me chercher depuis un moment déjà, ne serait-il pas plus sage que tu rentres avec ton père ?
En effet, en tendant bien l’oreille, je pouvais entendre la voix de Mme. Faubert prononcer le nom de mon amie. De plus, avec quelque peu de réflexion, je suis arrivée à la conclusion que mon père n’avait sans doute pas entendu ma déclaration dans laquelle j’étais censée l’informer de ma décision de rentrer seule à pied, qui de toute manière était ridicule, vue mon accoutrement.
-Il est vrai que le moment est mal choisi pour ce genre de récit, ai-je reconnu, mais je ne puis te laisser seule avec ton malheur.
Sur ce, j'ai réfléchi pour enfin aboutir à une solution.
-J’enverrai un valet te porter un billet t’informant de quand je n’aurai pas quelque activité planifiée par mon père à l’horaire, lui ai-je anoncé, cela te convient-il ?
-Parfaitement, m'a-t-elle dit d’un ton que je surpris être enfantin, soudainement souriante. Au revoir Aube !
-Au revoir Anne, lui ai-je répondu, le cœur plus léger qu’il l’était avant.
Elle est allée retrouver sa mère, le plus vite que ses jupons lui permettaient. Alors que je marchais d’un pas lent pour rejoindre mon père. Cette démarche contrastait avec mon habituel pas rapide et bruyant, souvent objet de réprimandes. Peut-être mon pas était-il léger car mon père était en pleine conversation dont le sujet m’indifférait probablement, mais surtout parce que j’avais l’assurance de revoir Anne sous peu.
En effet, lorsque je suis arrivé à sa hauteur, mon père étant en pleine discussion avec un couple, ayant comme sujet le discours du prêtre. J'ai fait mine d’écouter pendant les quelques minutes qu’ils restait à la discussion, mon père faisant de son mieux pour l’écourter, vu l’impatience qu’il avait reconnue chez moi.
-Au revoir, a-t-il conclu avec une élégante révérence. Suis-je bête ! Vous venez à la réception d’Aube, dans ce cas à plus tard.
J’ai affiché le sourire qu’on m’avait toujours imposé, et ai fait une reproduction maladroite de la révérence de mon père, essayant de masquer ma surprise ; mon père avait organisé une réception en mon honneur. Comment ne l’avais-je pas prévu ?
J'ai suivi l’homme ayant planifié l’évènement en question, jusqu’au fiacre nous étant destiné. Nous y sommes montés et Évelyne, restant tout de même une domestique, a pris place sur le même banc que le cocher. J’ai regardé par la fenêtre pour apercevoir une dame présente à son mariage qui marchait dignement vers chez elle, accompagné de sa flopé d’enfants, tous richement habillés. J'ai souri à la pensée d’être parmi eux, dans tous mes apparats de mariée, à répondre au questionnement des plus indiscrets.
-À quoi penses-tu pour sembler si sereine, on te dirais de retour à ton enfance, m'a demandé mon père en souriant lui aussi.
-Ce n’est rien qu’une gaffe que j’ai presque fais, rien d’inhabituel, lui ai-je répondu sans toutefois changer mon expression
-Bon.
Il a semblé réfléchir, puis a rajouté:
-J’ai cru que ta soudaine sympathie pour Anne aurait pu te rappeler quelque souvenir. Tu n’as beau jamais me l’avois déclaré, j’ai bien vu que tu étais en froid avec elle, depuis quelques temps.
Je me suis sentie rougir à cause de cette remarque, pensant à mes réels sentiment pour la personne en question, avant de profiter de l’occasion involontaire créée par mon père.
-À ce propos, elle avait... quelque chose d’important à me raconter, mais n’a pas pu, faute de temps et de circonstances. Me serait-il possible de la rencontrer, demain peut-être ?
-Oui, m'a répondu mon père d’un ton indiquant qu’il doutait de ce qu’il disait ou qu’il y réfléchissait simplement encore. J’avais prévu régler quelques affaires avec un client l’après-midi, pourquoi ne pas y aller à ce moment ?
-Ce sera parfait !
Puis, devinant sa curiosité j'ai rajouté, dans une intervention très peu utile étant donné le nombre de gens connaissant la nouvelle rencontrés par sa personne durant la journée :
-C’est bien M. Faubert qui a été défait, la pauvre Anne est toute chamboulée.
Je me suis retenu d’ajouter qu’elle ne s’était jamais attachée à cet homme. Le reste du trajet sans autre dialogue important.
Nous sommes arrivés à destination quelques minutes plus tard et, malgré le temps de plus en plus chaud, une odeur riche de soupe nous a enveloppé, comme un chaud et doux manteau. Je me suis résolue à porter peu d’attention aux félicitations des domestiques ; ils ne pouvaient en faire autrement.
Quelques instants seulement après notre arrivée, mon père et moi étions une fois de plus assis face à face, séparés par une table et deux bols de soupe chaude. L’occasion la plus récente, à ce moment, d’une telle rencontre remontait au moment dans lequel il m’avait annoncé mon mariage, quelques jours plus tôt seulement, tant les évènement s’était jetés les uns à la suite de l’autre. Le silence régnait encore une fois, mon père étant sans doute préoccupé par les derniers préparatifs de la soirée. Quant à moi, je ne cessais de me questionner sur Anne et sa peine, ce qui ne faisait qu’animer ma colère, ne trouvant réponse à aucune de mes questions.
Une fois ce repas vide en parole achevé, je me suis excusé sous le prétexte d’aller changer de vêtements.
-Changer ta robe pour une autre ? m'a répondu aussitôt mon père. C’est cette robe que la société vient voir - avec toi bien sûr - il est hors de question que tu te vêtes d’autre chose.
Malgré le fait que changer de vêtement n’était guère plus qu’un prétexte pour m’enfuir afin d’aller écrire le billet qui serait destiné à Anne, j'ai été dégoutée par cette nouvelle. Évidemment que je devais porter cette robe, ce déguisement, les gens venaient voir une poupée, une exposition vivante s’empiffrant dans la richesse de celui qui l'avait comme fille.
Quelque peu troublé par ce constat, je me suis tout de même dirigé vers le grand escalier menant à l’étage, mais au lieu de gagner ma chambre, je suis allée dans la pièce qui servait de bureau à mon père. Ce lieu m’avait été interdit plus petite, à cause des dommages potentiels que pouvait causer une petite fille dans une pièce remplis de livres, de documents et d’encre. Ironiquement, un désordre avait toujours régné dans cette pièce, mon père étant trop occupé pour y assurer l’ordre. Sans doute comprends-tu ce que je te décris, car ton père aussi possédait une pièce de ce genre. Toutefois, celui de mon père était beaucoup moins soigné. Malgré ma récente permission d'y mettre les pieds, je conservais toujours une certaine excitation à entrer dans ce lieu ; il m’était toujours mystérieux et attirant. En conséquent de son contenu, la pièce sentait un mélange de parchemin et d’encre, odeur que j’appréciais, l'odeur du savoir, comme l’appelait mon père.
Prenant mon temps pour explorer ce lieu, j'ai pris un morceau de parchemin, un encrier remplis et une plume taillée, tout en contemplant les étagères lourdes de livres, de documents à conserver et de bibelots quelconques, me demandant quel mystère pouvaient-elles recueillir. En temps normal, j’aurais pris un volume pour en examiner le contenu, mais mon analyse de la pièce m'a mené à un document concernant mon mariage, me rappelant la raison de ma visite dans cette pièce, ce qui m'a fait quitter le nuage d’émerveillement dans lequel je flottais. Un peu à contre cœur, j'ai quitté cet endroit plein de mystère, si différent du reste de la maison le contenant, pour gagner ma chambre. J’'y a rédigé un bref billet à l’attention d’Anne, que j'ai par la suite donné à un valet, avec la requête de le porter jusqu’à la demeure de la destinataire.
À ce moment, la seule tâche dont je m’étais donné la mission d’accomplir étant achevé et les invités n’arrivant qu’en soirée, l’après-midi me semblait encore que trop long. Ne voyant pas de meilleure occupation, je me suis enfermé dans la bibliothèque - autre lieu merveilleux de la maison, lui aussi occupé par une odeur de savoir, encre en moins - tandis que mon père l’était dans son bureau.
***
Je dois t’avouer que l’exercice de te raconter cette journée m’a été bien curieuse. Elle me semble vécue par une autre, mais ses souvenirs sont toutefois clair, du moins jusqu’à ce que je sorte de l’église.
Il doit t’être curieux d’apprendre sur mon premier amour, qui – je dois te l’avouer - persiste toujours malgré le temps écoulé. Prends-le comme le récit d’une amie, aussi lointaine soit-elle, car j’avais à ce moment ton âge. Peut-être ai-je vieilli, et ma sagesse mûrit, mais ces évènements t’ont été raconté avec la vision que je portais sur eux.
Je te souhaite que ton heure de mariage n’ait pas sonné,
Aube