26 Décembre 2049
Le Mercredi, c’est le jour des rationnements secondaires. Toutes les semaines, je me laisse une note sur un calepin pour penser à aller chercher mes livres. Aujourd’hui, je finis mon travail à dix-huit heures, ce qui m’évitera de prendre la voiture pour les allers-retours jusque chez moi. En accélérant le pas, je pourrais arriver au point de collecte et récupérer mes ouvrages de recherche avant le couvre-feu.
Ce genre de calcul me lasse ces derniers temps. Beaucoup de heurts sociaux ont lieu dans la métropole. Les drones bourdonnent au-dessus de nos têtes depuis des semaines, discrets et attentifs au premier mouvement suspect pour le signaler aux autorités. C’est la première solution pour prévenir les débordements de rue. Au même moment, il est décidé de couper les communications non essentielles pour détruire l’effet de groupe autour des protestations. Puis face à l’inefficacité réelle de ces deux mesures, le gouvernement a récemment opté pour placer la métropole sous couvre-feu, avec contrôle policier fréquent. La majorité de nos concitoyens s’est résignée depuis longtemps devant les ordres venus d’en-haut. Depuis le début de la semaine, je vois des rideaux de commerçants se baisser et des clés être mises sous la porte. J’aurais apporté volontiers mon soutien à ces pauvres gens contraints de dire adieu à leur travail et à intégrer le service communautaire, comme moi. Mais je n’en ai pas les moyens. Du moins, pas dans l’immédiat. Au fond de moi, j’espère intégrer le Centre National des Etudes. J’espère, au-delà de ma réussite, que mon parcours puisse être un espoir pour tous ceux qui, comme moi, ont renoncé à leur rêve parce qu’on leur a interdit.
Je pars de chez moi dans cet état d’esprit aujourd’hui. Sans doute que le retour du CNE me donne l’impression de mener ma révolution pour avoir mis un bâton dans l’engrenage bien huilé du système mais pour autant, je ne me reproche pas cette désinvolture. Il faut bien rêver un peu… En apercevant la librairie au bout de mes vingt minutes de marche, je sens une forte odeur agresser mes narines, celle de l’essence qu’on verse avant d’y mettre le feu. Puis, pour confirmer mes hypothèses, une longue traînée de fumée noire s’échappe de derrière la boutique. Pendant quelques instants, je reste immobile puis une terrible intuition me vient en tête, si bien que je dévale la rue jusqu’à arriver devant la librairie, la dernière de cette ville. Ne constatant aucune vitre brisée et aucun mur brûlé, je m’accoude au comptoir du libraire en reprenant mon souffle, soulagé de savoir mon sanctuaire préservé. J’appelle mon ami que j’aperçois ranger des ouvrages dans la boutique. Enfin, si ce n’est pas plutôt bourrer les étagères en espérant qu’elles ne s’effondrent pas sous le poids des livres. Il aurait aimé agrandir sa librairie et en montrer toute sa beauté au monde mais la mairie manque déjà de le forcer à liquider. Soupirant à cette pensée, je l’interpelle une seconde fois avant qu’il n’approche. Son visage se creuse de semaines en semaines, son teint blêmit toujours plus à chacune de mes visites. Face à sa mine contrariée, je l’interroge. Et il me répond tristement ce que je craignais le plus : ses livres servent de combustible au feu que je n’ai pas osé regarder en arrivant. Puis il me cite cette phrase de Bradbury que lui et moi connaissons, « Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler des hommes », comme une vieille malédiction pour se rassurer que ce serait forcément arrivé. Je reste muet devant cette triste vérité, lui demande mes livres et n’ayant plus le temps pour bavarder, je lui souhaite simplement bon courage. Mais sur le chemin du retour, j’en profite pour faire une halte rapide, de sorte à voir cette boucherie humaine qui n’en finissait pas. Ils jettent les livres en les blasphémant.
Mais maintenant que j’écris ces lignes, je me pose cette question.
Qu’haïssent-ils en faisant ces gestes ?
Est-ce seulement de la haine ?
Ou un acte désespéré de ceux qui sont déchirés, qui ne croient plus en rien.
Pas même en ce qui aurait pu les sauver des siècles en arrière.
Même remarque qu'au mouvement précédent : pas de majuscule aux jours de la semaine ! Mais ici, ce n'est pas gênant pour ton "mercredi", ça lui donne une vraie importance, un peu comme s'il s'agissait d'un "jour saint".
Et la citation de Bradbury pile au bon moment : miam !