26 Septembre 1915

Notes de l’auteur : Je pense inclure quelques lettres pour cette partie de vie de Raphaëlle. N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez!!

26 Septembre 1915

 

Lorsque Jean et Papa sont parti se battre le 3 Août 1914, ils ont emmené tout ce que je préférai dans la maison. Le chant du violoncelle, le rire de Maman, Frida qui s’envole au-dessus du monde dans les grandes mains de mon père, le chat qui râle parce que mon frère essaie de faire pareil avec lui dans le salon et les milliers de questions à la minute de Fili qui a compris du haut de ses huit ans qu’en temps de guerre moins on en demandait, moins on avait de chagrin ou d’inquiétude.

La tristesse que Maman s’était évertuée à dissimuler toutes ces années débordait désormais tout autour d’elle. Souvent les amis la plaignait de s’être fait enlever ses deux hommes d’un coup, on s’attardait sur la jeunesse de Jean mais on lui rappelait doucement qu’ils étaient encore en vie et chacun faisait son petit signe de croix en murmurant un « Dieu les protège » sensé rassurer le monde entier. Dans ces moments-là, je pense que ma mère devait avoir autant envie de crier que moi. Dieu n’existait pas, sinon il n’aurait jamais voulu une telle boucherie. Ce n’était pas « ses hommes » qu’on avait emmené c’était mille fois pire que cela. L’être qui lui avait et lui apprenait tous les jours un peu plus ce que signifiait le sens du mot bonheur, le seul qui savait qui elle était vraiment, qui l’aimait avec ses secrets et qui n’avait jamais cessé d’exister pour elle était parti. Son premier né aussi. C’était bien mille fois pire que deux bonhommes en uniformes qui s’en allait loin de la maison. C’était eux. C’était une partie de son cœur que la guerre, comme pour beaucoup d’autres moi incluse évidemment, avait décidé de piétiner et de réduire en confettis. Ceux-là, la seule chose qui les empêchent de s’éparpiller partout au gré du vent de malheur qui s’abat sur eux demeure l’espoir. Ou plutôt, une terrible incertitude et cette attente insupportable. L’attente des bonnes ou des mauvaises nouvelles dans le journal malgré le fait que chaque histoire est étouffée, l’attente d’une permission, l’attente des lettres pleines de douceur qui mettent beaucoup trop de temps à arriver ensuite recouvertes des larmes de chacune d’entre nous et puis l’attente de la fin de tout ça aussi, de cette paix que tous croyait voir venir rapidement mais qui s’est cachée on ne sait où dans les tranchées.

Qui a eu l’idée d’envoyer des gamins à la guerre ?

19 ans ? Impensable.

18 ans ? Inimaginable.

Mais en ce début d’automne 1915 on avait besoin de soldats, de fantassin parce qu’on manquait sacrément de chair à canon là-bas, on a donc pris ce qui restait. Marius s’est finalement fait réquisitionner le 15 Septembre 1915.

Ce fut la fin du monde. Du mien surtout.

Il est parti en voiture avec deux soldats qui sont venus le chercher devant le manoir. Deux chandails bien chauds, du chocolat et des chaussettes en laine dans ses paquets, un ou deux coquillages porte bonheurs et une photo de moi dans la poche contre son cœur. Il me l’a montré en souriant, j’eus envie de la déchirer, devenir minuscule et me blottir à sa place. Malgré ma détermination ce ne fut malheureusement pas possible. Je lui dit et il se mit à rire en m’embrassant sur le coin des lèvres. Tout mon être se glaça en se rappelant que c’était peut être bien la dernière fois que je voyais Marius rire, heureux et bien vivant. La voiture partit. Hortense sa mère s’effondra dans les bras de son mari. Moi je restais bien droite avec l’idée que si par hasard il nous regardait toujours depuis l’auto, il verrait ma silhouette encore longtemps. Bien solide, prête à l’attendre dix ans au moins, très triste aussi, comme un phare qui prévient les navires du naufrage prochain.

Je compris enfin totalement ma mère qui, depuis le départ de Jean et Papa, s’était transformé en glaçon. Indestructible car il lui reste trois être sur qui veiller tout de même mais gelée par le cauchemar qui s’abat sur le monde entier. Après une semaine et demie d’attente désespérée, à me faire peur toute seule persuadée qu’un être aussi doux que Marius malgré sa bravoure ne pourrait tenir plus de deux heures au front, une lettre est arrivée. Ce matin exactement. Mon cœur a manqué deux battements au moins en reconnaissant son écriture. Enfin.

 

 

20 Septembre 1915

Mon Amour,

Je vais bien. J’espère que toi, ta mère et les filles vous portez au mieux (le chat aussi d’ailleurs).

Tu me connais, je me suis vite fais des amis. J’ai retrouvé dans ma division Paul Dubois qui était avec moi en première année de droit. C’est fou certaines coïncidences de la vie tout de même. Avec un certain Hippolyte Samart on forme une sacrée bande de copains tous les trois. Moi, Paul et la plupart des autres le surnommons « le Valet ». En effet, alors qu’Hippolyte chantait une chanson paillarde sur une certaine Rosalie qui faisait bien rigoler tout le monde, le capitaine est arrivé rouge de colère et lui a flanqué une bonne dizaine de coup de pieds… Personne ne le savait mais la mère de celui-ci s’appelle Rosalie. En vérité, ce capitaine n’est pas un mauvais bougre et je le trouve même assez humain, c’est la tranchée et la guerre qui nous mettent sur les nerfs tu sais.

J’ai déjà fini le chocolat, ça m’a fait plaisir de le partager avec les autres. Parfois je fais les portraits des gars aux crayons mais je préfère dessiner pour moi tout seul des choses qui m’éloignent un peu d’ici. Bientôt je t’en enverrai un beau tu verras.

(deux enfants, un garçon et une fille, de dos sur les rochers regardant la mer agitée ont été griffonné sur le bas de page)

Rien ne me manque plus que toi et l’océan.

J’ai hâte de te prendre à nouveau dans mes bras, je me battrais contre le monde entier pour revenir.

 

Je t’aime.

Ton Marius

 

 

Ce soir, je pleure beaucoup car j’ai la certitude que cette guerre va être interminable et que je m’en veux d’avoir pu douter un seul instant que Marius serait de retour un jour.

Ce soir, comme tout ceux depuis le 3 Août 1914, je supplie toutes les étoiles et les bons génies de ce monde de veiller sur les trois petits hommes que j’aime plus que tout.

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Perle
Posté le 13/08/2020
C'est tellement bien écrit c'est magnifique !! Je crois que mon passage préféré c'est cette phrase : "j’eus envie de la déchirer, devenir minuscule et me blottir à sa place" c'est juste magnifique et très touchant. C'est une bonne entrée dans cette deuxième partie, on comprend vite les enjeux, on a un rappel des les personnages et de leur situation nouvelle, et c'est fluide. La lettre ajoute au réalisme je trouve, et c'est agréable d'avoir un bout de l'histoire sous cette forme. Merci beaucoup pour ce chapitre !!
ZouwuGirl
Posté le 26/03/2021
Coucou Perle,
Me voici de retour et comme toujours ton commentaire me fait très plaisir et me motiiiive, merci beaucoup!!
Je suis contente que l'idée des lettres te séduise, c'est important pour la suite hehe
A bientôt ;))
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