27 | Face-forteresse (1/2)

Notes de l’auteur : Chapitre mis à jour le 18.03.2024.

JULES.

Mon front goutte à cause qu’il fait chaud. Il est trois heures du mat’ pourtant, pas d’soleil pour s’écraser sur nos dos ou engourdir l’air qu’on respire. Mais l’été s’fait de plus en plus bouillasse, donc même avant l’aube, ça flamme là-haut, l’ciel épais, pis la terre en bas, un sol qui transpire. Schneu. Qu’on avance là, tout ça à cause de Caligo et l’Onde qui ont décrété que pendant la nuit, c’est l’meilleur moment pour faire des réunions incognito en Sublunaire. C’est vrai que ça fait sens : les Lunéens dorment pis les Eurythméens vivent joyos leur journée, donc les deux sûr de sûr qu’ils ronflent puissant. Surtout que, si j’en crois c’qu’on m’raconte, c’est archi dur d’tirer un Eurythméen d’son dodommeil. Beh bref, j’ai pas pu m’interposer à c’t horaire, mais d’toute façon, mes nuits sont gorgées d’insomnies, comme toujours les cauch’mars des chiances que j’veux pas vivre. Donc vadrouiller sous la lune ? Ça devient même mieux que d’m’énerver toute seule dans mon lit.

Dégoulinante, j’accélère la cadence. Mes p’tiots pas filent filent, Caligo j’peine à l’suivre sans courir. Trop grandes ses enjambées qui traversent les vastes boulevards, en plus lui y s’arrête trop pas pour s’assurer qu’on l’suit bien. À peine quelques r’gards balancés par-d’ssus son épaule. Comme là, maintenant. Furtif. L’y rer’garde en avant, mais moi j’ai vu. Très bien vu comme son humeur c’est d’la répugne sur le visage, tout ça pask’ j’ai amené Eustache avec moi.

Surprisant que j’ai fait ça ? Ouais mais non. Enfin… C’est vrai qu’au début, j’ai grave hésité à aller tout raconter aux deux zouaves d’la Brocante tout c’que j’avais vécu l’autre nuit. Mais j’me disais aussi qu’il fallait que j’arrête d’la jouer solo si j’voulais gratter mes p’tites infos, sans parler du fait que j’voulais m’assurer que Caligo vient bien d’l’Onde, comme ‘Stache en fait partie. Un truc qu’il a d’ailleurs vitos confirmos. De c’qu’il me racontait, ils s’sont déjà croisés un tas d’fois lors des réunions, même si bon, v’là. Ils s’aiment pas à cause que Caligo l’est d’ceux qui méprisent les gemmeurs, convaincus qu’ils servent à rien lorsqu’ils veulent toucher la vérité dans les poussières du passé et réécrire la vraie Histoire. M’enfin… !

Moi j’leur ai parlé d’la nuit extra obscure, d’la femme aux yeux noirs, des deux idéelles qui ont plongé dans l’corps, du vivème qu’on ‘morphose, de l’idéelle-souvenir dans la photo, des Absolus, d’ma rencontre avec Caligo, des effréelles. J’ai tout dit, tout. Tout. Sauf la mort d’Océane, pask’ c’moment ça les concerne que dalle. Et eux, manque de pot, ils avaient pas forcément plus d’pistes que moi. L’y connaissaient rien des Absolus ni des effréelles, et même que ça a fait l’effet inverse : ça a notamment plongé Jasmin dans d’intenses réflexions alors l’dingo-savant avait plus d’questions que d’réponses à nous larguer.

Tout philosofou qu’il est, avec son monocle pis ses ch’veux blancs qui paillent dans tous les sens, c’était la première fois d’sa vie qu’il considérait que les idéelles ça puisse être dangereux. Dans l’fond, il aurait pu l’ruminer plus tôt, pask’ c’est vrai quoi : notre esprit l’y produit pas que des pensées positives, donc c’était logique qu’autant les cauchemars qu’les rêves vagabondissent dans la rue. Mais j’sais pas, j’suppose Jasmin il était trop m’amour des idéelles qu’il avait pas pu leur donner de l’ombscurité. C’tait comme s’il l’avait vue c’te porte qui ouvre sur l’orage dans nos têtes, mais qu’il avait jamais osé s’engager là-d’dans. Jasm’ lui l’avait préféré sourire, rien savoir, plutôt que de s’laisser aspirer par c’vide pire que l’vide, un vide fait d’noirs nuages qui lui donnait l’vertige rien qu’à entrebâiller la porte. Mais maintenant que c’tait ouvert, et que la reculette c’tait plus possible, il était furioso perturbé et même que ça l’faisait r’considérer la politique de l’O.V.E.A. Et si, qu’il a pensé, à vouloir ‘touffer les idéelles, c’tait pas la servitude politique que l’Office visait, mais l’éradic’ des effréelles et qu’alors, c’tait davantage pour nous protéger contre nous-mêmes ? En tout cas, sa réflexion, ça a raffin’enragé Eustache qui a acerbé quelque chose comme : bah vas-y, puisque tu les aimes tellement tes Grisœils, file les rejoindre ! Jasm’ l’a répliqué que non, ses observations ça veut rien dire qu’il adopte leur philosophie. Juste que ça pose question. Voilà.

Beh bref, après tout c’tas d’spéculations, les trois zozos ont décidé qu’Eustache accompagnerait Jules l’jour où Caligo lui f’rait rencontrer l’Onde. Ça m’allait : les deux gemmeurs s’méfient autant de l’Onde que moi et ont l’expérience d’leur manipul’. L’y pourront m’aider à déceler leur sournois. Pis eux j’suppose l’y voulaient garder un oeil sur moi. Ça s’voyait ils étaient pas extra l’enchanté que j’veuille entrer en contact avec l’mouv’. Ça signifiait j’gagne en indépendance et ils craignaient que j’leur échappe quoi. Pour eux, fouiller l’vio’, s’concentrer à faire entrer Océanette dans une gemme à maître, pour ensuite mieux la contrôler et l’obliger à nous mener au vivème d’sa fille, suffisait. Mais j’leur ai bien ‘xpliqué, aussi, qu’Océanette l’était d’venue furia-flippe et que d’ici que j’arrive à la ‘prisonner, lui ordonner des trucs, bah c’était pas près d’arriver. L’Onde, ça l’était un moyen plus rapidos pour en apprendre plus sur Noée, surtout que son Anima, si ça s’trouve c’est vraiment eux qui l’ont ? Alors j’apprendrai plein d’trucs sur la Poétique et j’manquerai pas d’tout leur raconter pour qu’ils aient la possibilité d’atteindre Achronie. Ils ont fini par flancher. Et c’est comme ça qu’on s’est retrouvés, avec Eustachou, cinq jours après la nuit-touti-noire, à suivre Caligo qui forcène la cadence d’ses pas tout au fond, ici là-bas d’vant.

— Gars ! Ralentis ! grommelle Eustache derrière moi.

— On est déjà en retard, riposte Caligo. La Silleuse n’attendra pas.

Et v’la que mec-mastoc accélère encore. L’a changé son manteau violet pour un plus sombre, un qui l’a une capuche rabattue sur sa tête. Son papillon l’est perché d’ssus il nous nargue que moi j’lui tire la langue, tandis qu’Eustache peste et que toujours plus on s’enfonce dans la sombrité des venelles. Gneh. J’avoue ça m’inspire pas vraim’ confiance c’t endroit à cause qu’on s’navigue dans un endroit malfamé et peu entretenu d’la Ville Poubellère. C’est vrai quoi. À peine quelques lampadaires, la lumière lunaire elle luise sur des murs poisseux, des murs qui glissent. Dessous des vagabonds croupissent en boules brunes et endormies. Pis y’a les ivrognes hilares, ça titube là-bas, des putains qui s’faufilent entre les ombres. Subité j’ai froid, pourtant la nuit s’est pas rafraîchie, oh ! J’rajuste ma capuche à moi sur la tête. Mains tremblotantes. Boulottine à la gorge. Bouche en sang. On s’voyage encore. Tout dans les relents de pisse, d’tord-boyaux, et sur l’flonflon des bistrots dépassés d’rue en rue en rue d’bidon-rue.

Évid’, Océanette nous accompagne. Crottasse j’lui avais ordonné d’pas v’nir, mais rien à faire. L’est trop là quoi. Toujours toujours. Pieds nus, jupe dorée pis longue, elle a glissé sur ses épaules une cape noire comme l’Eustache et moi. J’suppose, l’Anima a dû s’inspirer quand elle nous avait vus farfouiller dans c’lot d’habits poussiérant à la Brocante. C’est Caligo qui m’avait dit : faut s’vêtir d’un truc sombre, surtout d’un truc qui dissimule ton visage. Ma foi, on a pris c’qu’on avait trouvé. Deux capes loqueterreuses, trouées aux taches d’huile. Et si d’mon côté, ça m’donne l’aspect misério, d’autant plus que c’est archi trop grand, genre les manches pendent à mes poignets pis on a dû raccourcir c’qui traînait aux pieds, chez Eustache l’effet est tout différent. Lui, pask’ il reflète les belles Ténèbres, avec son teint d’macchabée, ses cheveux lissonoirs, son piercing, ses yeux terriblo beaux, cette cape colle au gothiquo comme une seconde peau. Limite si ça l’rend pas encore plus Eustache tout ça. V’là, c’est ça ! Total’ ça : la cape ça eustachise Eustache. Quiconque qui contredirait ça, bah ça l’aurait rien compris.

Sinon, l’y’a aussi Louve qui pattouille avec nous et que final’ j’ai apprivoisée ces derniers jours. Au début j’la grognais terrible, mais très vite j’l’ai acceptée à cause que j’me sens plus en sécurité avec elle. Beh ouais : l’est plus grande que n’importe quelle louve que j’ai pu voir – enfin j’ai jamais vu d’louve mais quand même – , elle montre les crocs quand on m’cherche des crasses, ses noircis yeux essuient la menace, pis son poil archi l’hériss’ poussent des fulmi’piques. Quand j’la regarde, c’est moi que j’vois dans l’miroir d’ses pupilles, et si j’ai encore rien comprisch d’sa signification, j’sens au moins elle m’rend plus hardie. Plus forte. Plus courage. J’la d’accord alors. Toute proche de moi… comme ça.

L’seul truc d’un peu pénible avec ça, c’est Eustache. Lui il la voit aussi, bien qu’on sache pas encore pourquoi, et alors ça l’fait rigoler parfois à cause que j’suis ‘tite et Louve si immense. Forcé’, ça m’foufurieuse, pask’ ça veut dire quoi, heh ? Que comme j’suis chétive ça m’range du côté des inoffensifs donc Louve ça colle pas à mes côtés ? C’est ça ?¡? Le hic pourtant ¡! Gneh, c’est que moi c’est exact’ comme ça que j’me sens quoi : louve. Donc j’aimerais bien qu’on arrête de s’y moquer quand on voit Jules et Louve ensemble. Il n’y a rien d’déséquilibré là-d’dans, c’est même tout l’inverse : une symétrie parfaite des zèles et des bravoures. D’la fougue indomptée que c’est que ça s’ra, Julouve, un jour toujours, j’jure on la f’ra pas à moi la pensée d’la fragilité.

Soudain, on s’arrête. Tous. L’papillon-garçon, l’aristogothique, Océanette, Louve, Julouve. C’est un cul-de-sac. Heh quoi ? C’est quoi c’boxon ¿ Est-ce qu’en fait Caligo nous a menés dans une embûche et qu’alors on va s’faire déf’ ? Eustache lui aussi il sent que ça pue, pis lui comme d’hab’ il réagit au quart de tour quand l’est pas content et aussi il est sur les nerfs tout l’roupillon qui lui manque, ça l’impatience assez. D’un geste fulguramment fluide, il sort une rapière d’sous sa cape. Aussitôt suivi d’un mouvement similaire chez Caligo. Alors, sous mes yeux éberlués, Eustache et Caligo s’tiennent là, en position d’garde, à s’toiser du regard. Vilaine grimacère qu’ils font. Eustache, c’est une épée. Caligo c’est deux sabres dans lesquels siffle la lune. Et moi, hébétée d’vant eux, j’crispe ma main autour d’ma dague crochée à la ceinture. Celle sous ma cape, que personne sait que j’ai une arme.

Elle était balayure à la Brocante lorsque j’l’ai trouvée. Au début j’ai rien voulu d’elle, mais une fois ma paume autour du manche, ça m’a semblé naturelant que j’la garde. La lame c’était comme une extension logique d’moi, fascinée j’arrivais plus à m’en arracher les yeux. Océanette a bien son fusil, pourquoi j’me priverai d’un tranche-truc quand j’découvre l’monde toujours plus sévère et méchant ? Faut que j’aie d’quoi m’défendre sinon j’crève, c’est vrai quoi !

Le regard qu’échangent Caligo et Eustache s’envenime. L’ombre d’leur silhouette s’hérisse, Eustache pose et dépose ses talons sur les pavés avec souplesse, comme s’il testait l’adhérence du sol, tandis qu’Caligo roule ses épaules épaisses, la mimique froide et sereine, faisant luminer ses sabres les étoiles dedans. Ma gorge s’assèche. Bientôt, l’y s’bondissent dessus ¿?

— Pourquoi tu nous as amenés ici ? siffle Eustache. Dans quel piège tu nous as fourrés ?

— C’est pas moi qui ai choisi le point de rendez-vous, rétorque Caligo.

— Ah non ? Tu me permets d’avoir le bénéfice du doute ? Parce qu’on s’est enfoncés bien loin dans la Flave, là !

— Tu n’auras qu’à demander à Taya quand elle sera là.

Eustache plisse son r’gard d’méfiance. Ça lance des éclairs ses yeux bleus perçants, tout noblaillon qu’il reste dans la pénombre d’la ruelle. Des cernes, des traits tirés par la lassitude, il beautise une sombre détermination. En face, Caligo, farouche avec son ombre au visage et son imposant corps, étire subito une commissure dédaigneuse. Son menton esquisse un geste en direction de l’épée d’Eustache.

— Au fait, depuis quand les gemmeurs portent des armes ? le nargue-t-il. Je vous croyais ardemment pacifistes.

— Voilà qui me donne la certitude qu’une fois de plus, tu te trompes du tout au tout à notre sujet.

— Hhm… Tu sauras, camarade, que porter une épée ne suffit pas. Il faut savoir s’en servir. Or, je doute que tu…

Il finito pas sa phrase qu’Eustache attaque. D’une gestuelle vivace, expressément agile, l’aristogothique s’est élancé. Caligo est à peine surpris. Même qu’il a souri. Une fois l’premier coup paré, il lance une série d’offensives qui sifflent et reflets-flashent. J’grimace, Eustache pare, ils furivalsent. Hautain, Caligo s’exclame :

— Oh ! Mais c’est que, cloîtrés dans une boutique d’antiquités, on prenne quand même le temps de s’adonner à l’art du combat ! Qui l’aurait cru ?

— On se cloître pas !

— Vraiment ? N’est-ce pas vous qui travaillez isolés du monde, le nez dans la poussière, les mains déblayant ce qui n’intéresse personne ? N’est-ce pas vous qui vous vous entêtez à fouiller le mort, tandis que dehors le monde évolue et se transforme plus explosif que jamais, sans vous dedans ?

Caligo s’essouffle à peine. Il est plus parlot que Jules le pensait et c’est comme s’il était une autre personne que quand il est avec les Grisœils. Pas aussi rigide la binette, les mots, plus arrogant et supérieur qu’il est qu’il parle. Il fait reculer Eustache qui pare en grimaçant. Mèchoblanche assène encore :

— N’est-ce pas vous, enfin, qui égoïstement gardez pour vous certaines informations pourtant capitales, n’ayant cure si cette omission porte préjudice aux Ondés ?

J’mords ma lèvre. D’toute évidence, l’y fait référence à moi. Quand Caligo a vu Eustache tout à l’heure, il a compris que j’étais flanquée avec lui tout c’temps. Ça l’a mis dans une sacrée rogne, bien qu’il ait essayé d’le cacher sous ses airs glaciaires. Selon lui, Eustache aurait dû contacter l’Onde tout d’suite après que j’lui ai mentionné l’Anima d’Océane Libelle. Il lui a reproché d’avoir voulu, par l’intermédiaire d’Océanette, trouver cette fameuse vérité historique derrière laquelle tous les gemmeurs courent, désespérément, depuis la Belle Guerre. Bewé, de c’que m’expliquaient Eustache et Jasmin, il existe différentes fonctions dans l’Onde. Il y a les éducateurs, qui écrivent les tracts et font éditer des livres en scrèd pour sensibiliser la population aux idéelles et à la Poétique. Il y a les graffeurs, qui ramènent l’art dans la rue et protestent en couleur. Il y a les épieurs, infiltrés à l’Observatoire, comme Caligo. Il y a un tas d’autres groupes et il y a les gemmeurs, qui réécrivent l’Histoire distordue en une histoire plus vraie. Et ceux-là, Caligo pense qu’ils sont grave inutiles à la lutte. Lui y disait : je ne sais pas avec quels autres gemmeurs tu étais, mais vous ne vouliez pas partager, pas vrai ? Vous vouliez nous revenir conquérants, tenant une frise du passé déroulée sans plus aucune zone d’ombre, afin de pouvoir incriminer l’Observatoire avec des preuves à l’appui ? Sans comprendre que, quoique vous trouviez, ça ne servira à rien, rien, car l’important pour une vérité n’est pas qu’elle soit vraie, mais que les gens y croient. Et votre Histoire, mes chers, votre Histoire, elle ne comptera jamais plus que celle de l’Observatoire, puisque ce sont eux qui décident de ce qui est vrai ou faux, bien ou mal, juste ou injuste. Qu’est-ce qu’il vous manque pour le voir, hein ? Pourquoi ne pas privilégier une lutte plus active, alors, une lutte qui fasse vraiment bouger les choses ?

Suite à tout c’gnagna-discours, Eustache avait serré les dents, sans rien rétorquer. P’t-être ça a ruminé dans sa tête tout l’temps qu’on s’est déplacés dans l’morceau sali-sombre d’la Ville, et qu’il regrettait d’avoir pas trouvé quoi répondre. Mais on l’y reprendra plus, lui… qu’il se disait. ‘Fin j’pense. V’là pourquoi, d’ailleurs, sûr’ment ? il a sorti sa rapière aussi vite : c’est avec une lame qui crie-gigue dans l’air chaud du soir qu’il veut la prendre sa revanche. Véhément que ce s’ra. Là… l’endiablé…

Sa mouvance change : elle devient finesse, vitesse, précision. C’est une maîtrise du détail qui surprend Caligo, lui qui durcit la mâchoire et l’regard. Qu’il recule. Eustache s’meut toujours plus piquant et raffiné, seigneur sous la lividolune. L’y a tellement d’claire détermination, là-d’dans, qu’alors ça m’devient évident : en fait, cette hargne soudaine provient pas seulement d’aujourd’hui. C’est une animosité qui grossit grossit depuis plusieurs années, mais jamais encore il avait eu l’occasion de s’venger des moqueries, d’la mésestime. Eustache, au bout d’un moment, ça l’y supporte plus la fierté d’Caligo ni sa condescendance. Alors il frappe, enfin il frappe, pendant qu’en face, Caligo s’défend un peu plus en peine, avec des sabro-gestes qui mouv’ secs et bourrus et écourtés.

Et moi, là ici, j’recule de deux ou trois pas. Chancelée dans l’ombre. J’me pétris les mains à cause que tout ça, ça tourne vite, ça tourne mal. La bouche sang-éclatée. En même temps, j’peux pas m’empêcher de m’extasier des corps en mouvement. Jalouse. Beh ouais. Moi aussi j’veux m’battre comme eux ! Surtout que trop d’personnes m’courent après ces derniers temps et que ça m’servirait bien ça, tiens. Savoir s’défendre avec des épées des sabres et des poignards trucidards.

Les deux combattants s’essoufflent, leurs armes pervibrent l’air. Des parades rudes. Tremblantes. Jules sursaute à plusieurs reprises quand ça choc trop fort. La tête commence à lui toc-toc. Parfois, ils s’arrêtent épée contre sabres, les muscles tendus, les poumons gonfl’ripés, se jaugeant du regard, ayant total’ oublié Jules, avant d’repartir à la charge, plus furax que jamais. Si Eustache est celui qui a attaqué l’premier, prenant Caligo d’court à savoir s’battre, mister-frigo l’a fini par s’adapter et maintenant, c’est lui qui prend l’dessus, à cause qu’il possède quand même plus d’force et d’dynamite dans les muscles. Aussi fluiélégance que l’aristo’ est, ça suffit plus. Fichtre qu’il recule sous ses assauts. Fichtre fichtre ! Caligo est particulio bam-baraque il va l’emporter et j’sais pas jusqu’où il va aller. S’il va s’contenter d’blesser Eustache ou carrément l’tuer ? Et si, et si… mais fichtre. Ça m’souvient la mort d’Océane d’les voir comme ça, mais moi j’veux pas avoir raffaire à un deuxième meurtre. Vraim’ j’veux pas, ça m’bile des vilaines images et tous les vilains cauchemars que ça m’a donnés après et que ça m’donne encore ils réemergent tous d’un coup. L’ventre broyé, j’aimerais subito m’noyer dans l’ombre. Faire que j’sois plus là… là que j’reste quand même, ne pouvant m’résoudre à disparaître, trop fascine que j’suis par… par… ça.

Leurs mouvements s’accélèrent. Leur capuche tombe. Les cheveux noirs d’Eustache, les cheveux blancs d’Caligo, tout ça s’mélange. Pis aussi l’manteau violet-obscur, la cape noire trouée, ils voltigent et s’déchirent, ondoyants dans l’sombrociel des étoiles, comme des vagues ça m’fait penser à la mer qui vient part et revient en tumultueuse. Le papillon floue au-dessus d’leur silhouette. Fracas des lames entre elles. Ça geint du vif et de l’acéré, forcé’ j’y migraine d’plus en plus. Sûr que ça va réveiller tout l’voisinage alors le coup d’la réunion incognito, c’sera du foiré. Et j’sais pas quoi faire, j’hésite, est-ce que malgré tout l’y faut que j’les stoppe-les-cocos ? Ou plutôt est-ce qu’y faut que j’fuis avant que ça dérape foiro ? J’fais des p’tits pas sur place, et j’pense j’aurais pu rester un moment dans cette royale indécision si quelqu’un n’était pas intervenu, la voix guillerette :

— Oh voyons les garçons ! Je sais bien que vous ne vous portez pas dans votre coeur, ce n’est pas une raison pour vous battre ainsi, ou bien ?

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Edouard PArle
Posté le 17/10/2024
Coucou Louison !
La phrase de fin m'a fait beaucoup rire xD
Le paragraphe de combat est bien écrit et visuel. Il est bien amené au fur et à mesure du chapitre, par la description et le dialogue. Ce qui est intéressant, c'est de voir Jules prendre un rôle de médiation alors que ça semble à l'opposé de son caractère à la base. Ça montre son évolution depuis le début de l'histoire, ce qu'elle a pu apprendre au contact de nouveaux personnages. Bon, à voir maintenant l'effet que ça aura...
Mes remarques :
"car l’important pour une vérité n’est pas qu’elle soit vraie, mais que les gens y croient." très bon !
"ils s’arrêtent épée contre sabres" il y a plusieurs sabres ?
Un plaisir,
A bientôt !
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