Julien entrait dans son deuxième trimestre universitaire, et se sentait pleinement confiant. Côté études, son cerveau suivait la cadence et le rythme entre l’école et ses différents lieux de stages. Ainsi, son cursus scolaire ne lui amenait aucune difficultés particulières. Sa raison, couplée à sa bonne réflexion lui permettaient de se maintenir en haut du classement sans grands efforts. D’ailleurs sa logique venait d’établir un drôle de diagnostic chez lui : depuis quelque temps le caractère chance semblait avoir pris les voiles dans son existence. Non pas qu’il soit quelqu’un de bien veinard dans la vie en général, mais jusque-là son quota de bonnes et de mauvaises choses s’équilibraient les unes et les autres. Toutefois, cela faisait un moment que sa vie plutôt paisible connaissait désormais une certaine guigne collante. Rien de bien grave en soit, quand il y réfléchissait, notamment ce soir; mais quand même ça avait quelque chose d’assez agaçant. À cette idée, il souffla fortement du nez. Ce qui fit aussitôt réagir Sam, lequel poussa une protestation de surprise dans son casque, saturant ses oreilles de sa voix au ton indigné.
« Hé Ju’ respire moins fort !
— Déso’ mec. »
Tout en poursuivant l’assaut contre le boss de leur jeu vidéo en ligne, il essayait de rester concentrer sur le moment présent plutôt que de laisser une fois encore emmené dans ses pensées par la prestance de sa malchance actuelle. Mais Samuel ne paraissait pas être de cet avis et laissa libre court à sa curiosité.
« Bon raconte, pourquoi tu souffles comme un boeuf ?
— Mais rien j’te dis.
— Tes parents ?
— Mdr si c’est que ça !
— Alors quoi ? Sérieux, ça fait depuis l’autre fois que la bibliothèque a faillit te tomber dessus que t’es bizarre et tu veux pas m’dire pourquoi. J’suis ton pote, tu l’sais hein ? Ton meilleur pote, j’suis là pour toi bro’ »
Julien prit une grande inspiration, le cœur réchauffé par ces paroles pleines d’affection. Il apporta le coup fatal et tandis que l’écran de chargement pour quitter le donjon se matérialisa devant ses yeux humides, il prit la décision d’ouvrir cette porte là de ses considérations intérieures. Après tout c'était vrai, Sam’ était la personne qui comptait le plus à ses yeux, représentant l’individu le plus propice pour recueillir et entendre ses questionnements internes. Tandis que son personnage virtuel se lança dans de la découpe de bois, afin de récolter moult ressources utiles pour leur prochaine mission, il prit une autre inspiration comme pour se jeter à l’eau. Métaphoriquement, ce saut dans le grand bassin de ses pensées l’intimidait un peu. Son amitié pour Samuel l’aida à s’éjecter du plongeoir en toute confiance malgré tout.
« Alors. Comment dire. C’est compliqué…
— T’es amoureux de moi c’est ça ? Purée je le savais ! Désolé mais mon corps d'apollon est déjà réservé à ma moitié, va falloir apprendre à vivre avec ta frustration ! — T’es con ! »
Néanmoins ce trait d’humour aida le jeune homme à apaiser ces tremblements qui faisaient bouger sa souris dans tous les sens. Tout en se focalisant sur les bouts de bois à découper dans son jeu, il reprit la parole sur un ton de voix bien plus sérieux. Ce que Sam’ capta instantanemént car son rire idiot s’évanouit dans son casque afin de lui apporter une écoute pleine et attentive.
« C’est peut être dingue ce que je vais te dire mais j’ai l’impression que ça fait un moment que j’ai une poisse de ses morts qui me colle le cul. Et sérieux j’en ai marre ! Quand c’est une fois de temps en temps qu’il t’arrive un truc relou, bha ok c’est la vie; mais là… Chaque jour il m’arrive quelque chose de chiant.
— C’est à ce point là ? »
Julien ouvrit le premier tiroir de son bureau, en sortit un cahier qu’il posa devant lui et poursuivit ses explications à son ami.
« Bha écoute j’ai noté tout ce qui a pu m’arriver, j’en ai fais un tableau et…
— Ah ouais carrément ! Le retour de Juju’ le rigoureux dis !
— Je t’envoie des photos, tu vas voir par toi-même, et je n’ai rien inventé. Depuis ce fameux jour à la BU, chaque jour j’ai le droit à une tuile qui commence à rendre mon quotidien franchement pénible. »
Aussitôt dit, aussitôt fait et en quelques clics il lui fit parvenir des extraits de son carnet noirci de sa fine écriture. Le silence de Sam’ lui apprit que ce dernier étudiait les images avec attention et soudain son sifflement admiratif le soulagea : pas de moquerie, il le croyait sincèrement.
« Ah ouais, j’sais pas ce que tu as fait mais visiblement quelqu’un ou quelque chose t’en veut !
— J’te le fais pas dire ! »
Julien continuait de couper virtuellement son bois, les yeux rivés sur son écran tandis que le reste de la pièce était plongé dans l’obscurité. Cette seule source de lumière lui apportait réconfort et présence, alors que la solitude lui pesait de plus en plus surtout depuis le début de toutes ses mésaventures. Il reprit la conversation sur un ton qui se voulait léger, bien qu’une boule semblait lui obstruer la gorge.
« Ma mère dirait que c’est parce que je vais pas assez souvent à l’église, je l’entends d’ici.
— Hm. »
Cette réponse laconique le surprit, car Samuel se montrait toujours expressif; cette réaction le désarçonnait. Il en resta sans voix, tandis que celle de son ami s’éleva enfin mais pas sur son ton jovial de d’habitude.
« Tu sais, parfois, il faut se laisser porter par ce qui nous traverse dans la vie.
— Euh ouais ? »
Il ne voyait pas bien où il voulait en venir. Son attitude étrange le mettait mal à l’aise. Il en cliqua à côté de son arbre virtuel sur le coup.
« Tout ça me fait penser à l’autre fois où on a parlé des anges gardiens, tu devrais peut-être essayer d’invoquer le tien pour qu’il t’aide à combattre cette malchance qui te colle à la peau. Après tout, il est là pour ça non ?
— Bha disons que je ne suis pas spécialement croyant de…
— Hé, t’as bien cru à Dieu pendant toute ton enfance alors tu peux bien croire à ça non ? »
Julien en resta hébété. Il jeta un coup d'œil à l’heure, vit trois heures du matin et poussa un petit rire nerveux.
« En fait t’es juste hyper crevé et tu me racontes de la merde hein ? »
Samuel, dans son casque, lâcha son plus beau baillement.
« Hé gros je suis exténué ! Tu vas pas me croire ! Je me suis endormi sur mon clavier ! Ça fait pas longtemps j’espère ? Oh p’tin t’as bien déboisé le coin dis, t’étais à fond ! »
Le jeune homme resta un instant interdit, peinant à raccrocher les wagons logiques de la situation présente. Il dézooma sur la carte du jeu et eut un rire, en effet toute la zone ne présentait plus aucun arbre. Il ne s’en était pas spécialement rendu compte ! Il souhaita la bonne nuit à Samuel, ne revint pas sur leur échange bizarre et alla se coucher avec toujours ce sentiment de perplexité qui régnait en son être.
Après tout, ce serait réconfortant de savoir que j’ai un ange gardien qui veille sur moi…
Julien s’endormit sur cette pensée, à laquelle une vague de chaleur se répandit merveilleusement de ses orteils jusqu’à la pointe de ses cheveux, en enrobant soigneusement son cœur au passage. En plongeant dans un sommeil profond, il ne put entendre cette petite voix de Tomas lui susurrer à l’oreille une phrase vibrante de réconfort et de tendresse.
« Je m’appelle Tomas et je serai toujours là pour te protéger. »