Des lueurs incendiaires brûlent l’écran, tout prend feu devant mes yeux. Je suis abasourdie. L’usine gigantesque et principalement faite de tôles est noyée sous les flammes. Des nuages noirs tentent vainement de s’échapper par les grandes fenêtres. S’il y avait des personnes à l’intérieur, ils ne sont plus de ce monde à présent. Le feu doit dévorer tout ce qui se trouve sur son passage à l’intérieur du bâtiment, et cela n’en reste pas moins impressionnant de l’extérieur.
À côté de moi, Sarah fixe la télévision avec la même stupeur. Les traits de son visage sont accentués avec ses cheveux frisés et décoiffés, ainsi que les cernes sous ses yeux. Elle me regarde un instant bouche bée, avant de reporter son attention sur l’écran.
Sur la télévision, à bord d’un hélicoptère, une caméra filme l’incendie qui ravage l’usine de la compagnie Germ, en périphérie de Baltimore. Une voix off féminine nous apprend que des vandales ont également pillé les bureaux principaux de la société très tôt ce matin, dans le quartier des affaires de New York, le Financial District. Des images du bâtiment apparaissent dans le coin du poste : les fenêtres brisées, des restes d’ordure collés contre les murs, les secrétaires saccagés et meubles renversés, des feuilles éparpillées par-ci par-là et qui volent au gré du vent depuis les vitres cassées.
Apparemment, les autorités sont à la recherche des vandales qui auraient provoqué ces actes, pourtant il semblerait que les caméras des lieux aient toutes été débranchées lors du pillage et que les seules images qu’on ait d’eux ne permettent pas de les identifier. Mais même avec un portrait net des bandits, je suis convaincue que la police n’aurait rien fait. La nation entière bout de colère. Elle a entendu l’allocution du président deux jours plus tôt. Elle sait désormais que la fin est proche, que nous allons tous bientôt mourir. Et la seule chose que nous pouvons faire, c’est exprimer notre indignation. C’est ce qui a mené ces vandales à se venger de l’industrie, je suppose.
Nouveau décor. Une caméra aérienne enregistre les dessus d’une rue entassée par des civils. Au loin, je reconnais la tour Eiffel. Une rumeur féroce monte de cette rue bondée, je perçois le son de cette foule qui se réveille comme après des mois d’hibernation.
L’hélicoptère qui transporte le caméraman amorce une descente si bien que je parviens, après quelques secondes, à discerner des pancartes et des banderoles. Il s’agit donc bien d’une manifestation.
— Dans les quartiers bien connus de Paris, commente la journaliste en hors-champ, les gens sont sortis de leur domicile pour exprimer leur mécontentement et leur exaspération. Ils se sont rassemblés à divers endroits stratégiques de la capitale française par groupes de plus d’un millier. Hommes, femmes et enfants crient dans les rues, ils ont faim comme tout le monde. Des policiers ont été mobilisés par centaines afin que la situation ne dérape pas. Armés de matraques, protégés par leurs casques et boucliers, ils surveillent la marche civile d’un œil attentif.
La caméra affiche diverses vidéos de quartiers de Paris, puis repasse celle de l’hélicoptère quelques instants. Enfin, les informations alternent avec une ville différente. Je le sais parce que la totalité des personnes filmées a les yeux bridés et que leurs pancartes sont dans une autre langue.
— Partout dans le monde, les chefs d’État ont fait un discours assez similaire à celui du président américain. Mais les réactions civiles ne sont pas toutes les mêmes. Certaines villes comme Paris et Pékin manifestent, d’autres sont sous le joug d’émeutes tels Brasilia, Le Cap ou Berlin. D’autres encore se sont réfugiés auprès de la religion dans de grands lieux de culte comme au pied de la Kaaba à La Mecque et devant le mur des Lamentations à Jérusalem. Au Vatican, le pape s’apprête à parler pour la messe de 5:00 pm. Il est stupéfiant de voir en si peu de temps une planète prendre peur face à l’inévitable…
Je n’écoute pas la suite. Je me lève du lit de Sarah et me poste devant la fenêtre de sa chambre. Dehors, une cohue sans nom fait rage. Klaxons et cris humains sont au rendez-vous dans chaque boulevard de Baltimore. Des familles chargent en hâte leurs voitures avec des affaires inutiles et se dépêchent de quitter la ville. La panique devient contagieuse, personne ne veut rester dans les agglomérations côtières, les endroits les plus touchés pour le moment.
Seulement, leur crainte ne fait qu’aggraver la situation et retarder leurs départs. Des embouteillages bloquent la circulation, les gens s’énervent davantage et certains sortent parfois de leur véhicule pour s’expliquer avec le conducteur de derrière.
En quelques jours, les prix de billets d’avions, de trains et même de bus ont enflé et atteignent à ce jour des sommes exorbitantes. Seuls les grands politiciens ou les hommes d’affaires peuvent se permettre de dépenser des montants pareils et de quitter la ville.
Je soupire. Le monde me fait peur, ce qu’il devient m’effraie.