Paris, été 2011. – Point de vue d'Émilie.
Depuis que j'ai sauté dans le vide, ça ne fait plus aucun doute pour toute la fac que je suis totalement folle. Je n'ai rien eu, pourtant, mais Guillaume veille sur moi comme le lait sur le feu. Je ne risquais pas grand-chose, en même temps, la pente n'était pas si raide, et elle était clairsemée de buissons. J'ai ces pulsions de rage mais je ne prends jamais de risques inconsidérés. Comme si la vie était encore plus inscrite en moi que ces simulacres de drame. Je veux en finir avec le moment, plus qu'avec la vie. Je veux me changer ce que j'ai dans la tête, et ça marche à tous les coups. À chaque fois que je me jette dans un escalier, que je frappe ma tête contre le trottoir, ou que je saute d'une voiture en marche, j'atterris complètement autre, soulagée. Comme amputée du moi-même que je percevais la seconde précédente.
Les autres ont raison, je devrais simplement arrêter d'être folle, ça compliquerait moins les choses. Cet été je fais un stage dans le labo de Guillaume, j'avais pas tellement le choix d'accepter ou non. Samira a insisté avec sa voix mielleuse, en disant que c'était important que je ne sois pas désœuvrée pendant les vacances. Faut croire qu'elle s'y connait, elle, en désœuvrement, pour craindre ce qui m'arriverait si je me reposais quelques jours. Après tout, je ne vois pas pourquoi j'aurais besoin de dormir ou même de me reposer quand je peux simplement boire du café.
Et puis, on ne va pas se mentir, les cachets ça passe mieux quand on les avale avec une gorgée de café qu'en les prenant à sec. Certains les sucent comme des bonbons, mais c'est dégueulasse. Enfin, bref. Cet été je vais avoir la chance de me lever à 6 heures du matin pour être jusqu'à 18 heures au laboratoire de pédagogie du climat. J'ai hâte.
En arrivant au stage, Khaled, le tuteur, m'accueille. On va faire du soutien scolaire, et Guillaume m'attend dans son bureau. Je m'avance vers la porte du bureau, je sens mes jambes se dérober sous mes pas, j'ai l'estomac noué et l'impression que quelqu'un essaye de m'arracher la tête. Puis je vois Alice en train de se pavaner sur le balcon de la salle de repos. La chance, elle rien ne l'atteint, alors on lui permet de faire ce qu'elle veut. C'est pas comme moi...
Projet de couverture du livre : Samira à la place de la Reine d'Epées du tarot Rider-Waite. Elle évoque femme forte, rationnelle et analytique, capable de prendre des décisions éclairées, de communiquer avec clarté et de gérer les situations avec objectivité. Mère la morale représente la situation où l'impératif de faire preuve de vertu est exigé par des gens qui sont conseilleurs et non payeurs.